JEAN-CLÉO GODIN and LAURENT MAILHOT, Théâtre québécois II, nouveaux auteurs, autres spectacles. Montréal: Hurtubise HMH, 1980. 248 p, bib.

GUY BEAULNE

Les professeurs Jean-Cléo Godin et Laurent Mailhot, de l'Université de Montréal, viennent de publier un deuxième cahier d'essais critiques consacrés au théâtre québécois.

Déjà, en 1970, ils avaient fait parâitre un ouvrage important sur l'oeuvre de dix dramaturges contemporains: Gratien Gélinas, Eloi de Grandmont, Yves Thériault, Marcel Dubé, François Loranger, Anne Hébert, Jacques Ferron, Jacques Languirand, Michel Tremblay et Réjean Ducharme (Le Théâtre québécois, Introduction à dix dramaturges contemporains, Hurtubise HMH, 1970).

Ils voyaient alors poindre au Québec un théâtre nouveau. <Bien malin qui saurait prédire de quoi ce «nouvel âge» sera fait>, écrit Godin:

tout au plus peut-on tenter une appréciation des nouvelles tendances qui se dessinent. L'une de celles-ci, il me semble, va très nettement à l'encontre de la structure dramatique traditionnelle, où l'intensité dramatique repose sur une intrigue unique, cohérente, progressive et soutenue ... il y a désormais une forme plus libre, qui tend à faire du théâtre un spectacle plus complet où la danse, le chant, la musique ou l'utilisation de moyens audio-visuels s'ajoutent au dialogue et au jeu conventionnel du comédien. (Le Théâtre québécois, 226 - 27)

Ainsi s'essouffle le théâtre de papa, bousculé par un jeu dramatique qui semble vouloir renoncer à la pérennité au profit d'une action de choc immédiate, directe, didactique que ne gêne en rien l'excès des mots ou des situations. Les formes d'expression dramatique se multiplient, nées le plus souvent de créations collectives qu'on fige dans un texte ou qu'on pique sur canevas.

<Le théâtre est à l'heure de la recherche et il faut s'en réjouir. Le théâtre québécois se définit désormais comme une réalité mouvante, vivante, ajustant constamment ses antennes.> Voilà la perspective dans laquelle prend fin le cahier de 1970 (p 231). Dix ans plus tard Mailhot et Godin tentent de cerner les constances de quelques dramaturges, les lignes de force de l'écriture nouvelle, l'évolution d'un art dont les règles sont en profonde modification. <Nous n'avons pas voulu établir un catalogue ou un palmarès, mais dessiner un parcours, repérer des sites, suggérer des stations et des actions> (p 11).

Les auteurs étudiés sont presque exclusivement des écrivains scéniques qui ajoutent à la pratique de leur métier une expérience de comédien, de metteur en scène, d'animateur, de chansonnier, de conteur ou d'adaptateur.

Multiple, inégal, discutable, contradictoire, notre théâtre - dans son ensemble -échappe aux clans, aux chapelles. Les scissions ..., les éclipses ... ne menacent pas de l'éteindre. Des troupes meurent et se reforment, dans les cafétérias et les cafés, dans les quartiers, dans les villages (p 10).

Depuis dix ans

le théâtre québécois s'est installé (au bon et au mauvais sens du terme): il s'est donné des institutions, des subventions, des techniques, un langage, un public, des auteurs ... Il s'est admiré et copié lui-même. Il est allé dans toutes sortes de directions, jamais longtemps ni très loin. Cette polyvalence, ce mouvement sont sa principale nouveauté ... Ce rayonnement est le signe d'un enracinement (pp 9-10).


L'observation est juste. Mailhot et Godin partent donc à la découverte de tout cela dans un aller-retour constant de la situation historique à la signification littérale, littéraire, scénique. Cela se lit avec le plus grand intérêt car l'écriture est bien articulée, le style est soutenu et la pensée est claire.

L'ouvrage contient 248 pages dont 24 de bibliographie, 5 d'index analytique et 8 d'index alphabétique. Les références sont nombreuses et l'on peut suivre le parcours sans crainte de se perdre dans des réflexions d'exégèse laborieuses, lourdes et entortillées.

Dans une première partie on s'applique à observer les motivations de la création théâtrale, les formes nombreuses et variées que le jeu dramatique emprunte dans ses renouvellements qui mènent jusqu'à l'éclatement même du théâtre. Mailhot fouille les oeuvres politiques et engagées; Godin étudie comment l'histoire du théâtre ou l'histoire elle-même devient une source d'inspiration et trouve dans la convention théâtrale et la complicité sollicitée du spectateur des aboutissements heureux. C'est pour lui l'occasion de rendre un hommage mérité à quelques auteurs moins connus malgré leur talent signalé: Jean Morin, Roger Dumas, Jacques Duchesne et Yvon Boucher.

Il note comment <subtilement et de plus d'une façon, le théâtre sur (ou dans) le théâtre constitue un trait majeur et permanent de notre dramaturgie> (p 26). Enfin, il indique la part importante d'adaptations d'auteurs étrangers auxquels nos scènes ont recours, qui permettent à notre théâtre d'assimiler des personnages et des univers qui viennent enrichir notre galerie de personnages.

A ce propos, Laurent Mailhot commentera ce même phénomène en écrivant, dans son épilogue, que: <traductions, adaptations, «tradaptations», transpositions, paraphrases témoignent de la puissance d'assimilation du théâtre québécois> (p 204).

Ce qui apparait ici comme un reproche me semble injuste puisqu'une vie dramatique ne saurait s'épanouir en vase clos et qu'une dramaturgie doit se nourrir de toutes les sources disponibles. Nous avons été si longtemps à la remorque des agents littéraires étrangers qui nous imposaient les traductions parisiennes du théâtre international qu'on ne peut que se réjouir d'avoir enfin la liberté de présenter sur nos scènes le répertoire de notre choix. Le reproche le plus sérieux à faire ici serait à l'endroit des adaptateurs qui se permettent trop souvent des libertés de vocabulaire et de transcription ainsi que des grossièretés d'accents qu'on peut estimer agaçantes et gênantes sinon franchement inacceptables.

Cette première partie permet à Godin de se faire le chroniqueur du Grand Cirque Ordinaire, fascinante coopérative du spectacle et chef de file du Jeune Théâtre, dont le meneur de jeu fut Raymond Cloutier, et qui, de 1969 à 1977, improvisa ses spectacles avec des bonheurs divers allant du sublime à l'ennui total.

De son côté Mailhot analyse deux phénomènes qui déclencheront des courants nouveaux d'écriture dramatique: le comédien-auteur Yves Sauvageau décédé à vingt-quatre ans (1970) et l'agitateur incongru de notre conscience politique nationale, l'homme d'état prophétique français Charles de Gaulle (1967).

Avec une patience de moine, Mailhot explore Wouf wouf, cette <machinerie-revue> que Sauvageau écrivit alors qu'il était à l'Ecole Nationale de Théâtre. En proposant son délire d'invention à la nouvelle génération, Sauvageau aura démontré comment le spectacle peut transgresser toutes les règles et toutes les habitudes.

Avec la même application il démonte les mécanismes du théâtre pasticheur et parodique de Claude Levac et Françoise Loranger (Le Chemin du Roy) et de Robert Gurik (Hamlet, prince du Québec), né de la crise nationaliste de 1967.

La deuxième partie de l'ouvrage s'attache à la découverte des univers dramatiques de Jean Barbeau, Robert Gurik, Jean-Claude Germain, Antonine Maillet, Michel Tremblay et Michel Garneau. C'est le train des locomotives du théâtre actuel qui nous est révélé.

Chaque étude est abondamment documentée et je ne saurais préférer Mailhot à Godin ou celui-ci à celui-là. Leurs techniques et leurs méthodes s'harmonisent. Leur connaissance du milieu artistique est sûre comme leur connaissance de la création théâtrale est vaste. Leurs consultations sont multiples; leur patience et leur générosité sont louables.

Voici donc une centaine de pages pertinentes qui permettent une initiation facile et agréable au théâtre québécois le plus signifiant des quinze dernières années.

Il est bien évident que la matière est trop abondante pour que je parvienne à extraire, en quelques lignes, de tout cela, une substance qui rende justice au travail de l'équipe. La qualité de l'oeuvre ne réside pas dans des développements critiques très poussés. L'un et l'autre réussissent à conserver une subjectivité élégante dans leurs propos. L'intérêt que j'y trouve est avant tout dans la lucidité. des analyses qui sont attentives aux contextes dans lesquels se situent les pièces et qui dégagent systématiquement l'originalité des techniques de l'écriture et des pensées.

Théâtre québécois II est un repère essentiel pour celui qui s'intéresse à notre théâtre contemporain. C'est un recueil de référence dont chacun peut tirer le meilleur parti tout en y trouvant le meilleur plaisir.


 
Je détache de leur contexte quelques propos-chocs de l'un et de l'autre:

Laurent Mailhot

sur Robert Gurik:

Il n'y a guère de thème, à proprement parler, dans le théâtre de Gurik, mais des obsessions, des réflexions, des équations (p 106) ... Le langage ... n'a pas d'épaisseur, de résonnance (p 123) ... Les rôles ne sont jamais complètement remplis, les scènes et les pièces jamais terminées (p 124).

sur Jean-Claude Germain:

[Il] n'est pas d'abord un théoricien ou un critique (culturel, social, politique), mais un créateur et un recréateur (p 130)... Ses créations collectives deviennent chacune en son temps <recréation collective>, <mélimélodrame> ou <famillorama> ..., <conte de Noël tropical pour toutes les filles pardues dans 'a brume, dans <a neige ou dans l'vice> ... <western-tourtière> ... <fable québéçoise> ... ou... <belutte rose et musicale> (pp 132-33).

sur Michel Garneau:

Jack-of-all-arts (p 189) ... Si le double thème du théâtre de Michel Garneau est de désir et la répression>, sa double figure est l'ange et la bête (p 192) ... [Son] théâtre est un instantané utopique et critique, une vision réaliste et surréaliste du <quotidien en mutation> (p 200).

Jean-Cléo Godin


sur Jean Barbeau:

Autocritique et cherchant à se nier en même temps qu'il s'affirme et s'impose, le dramaturge Jean Barbeau passe du rêve au réel, du réel au rêve, cherchant sans doute ... du côte de la fresque épique plus encore que dans le réalisme quotidien l'efficacité dramatique qui lui permette de retrouver l'unique convention nécessaire: la vérité. Il y arrive avec une sorte de désinvolture, à travers une peinture de la sociéte où se mêlent indissociablement le comique et le tragique (p 101).

sur Antonine Maillet:

un monologue de la Sagouine est en fait un récit très évocateur, peuplé de personnages colorés qui, par l'intermédiare d'un témoin privilégié et par la magie efficace d'un langage direct et savoureux, joue une action dramatique complète et cohérente (p 157).

sur Michel Tremblay:

Le génie de Tremblay a d'abord été de faire de l'est montréalais un étonnant microcosme du Québec ... Univers de marginaux, mais non marginal (p 166).... l'élément le plus marquant [des Belles-Soeurs] aura été le recours au choeur ... il devient le temps fort, privilégié, le monologue pluriel des synthèses, de la lamentation comme des bonheurs recherchés (p 168).... Tout le reste est monologue. Car, dans cet univers de solitaires en quête de compréhension et d'expression, l'axe premier du langage dramatique ne saurait être que le monologue, confidence ou cri, appel de détresse ou rêve secret de bonheur (p 168).