CLAUDE DORGE, "Le Roitelet." Saint Boniface: Les Editions Du Blé, 1980. 127p.

Hélène Carty

Le texte de Claude Dorge obéit à deux légalités du sens: une régulation sociale, soit la caractérisation du texte en fonction de son sens historique, et une régulation poétique, soit la mise en évidence du sens autonome du texte. Fort de cette dynamique Dorge remonte des infrastructures socio-historiques pour atteindre l'homme, ce Louis 'David' Riel, et véhiculer, en deça de la réalité référentielle, celle moins tangible et sans pré-établi d'un psychisme en plein devenir.

L'action, le procès vécu ou rêvé dans lequel Louis Riel se trouve impliqué, se découpe en 42 tableaux qui perturbent l'ordre chronologique et sont chapeautés par maints cas d'intertextualité interne et de schémas figés. La composition intègre plusieurs visions, remonte des impressions d'enfance et évoque des souvenirs comme s'il s'agissait de photos découpées et recollées en désordre. A la faveur de séquences oniriques des personnages interviennent constamment pour meubler la pensée vide du protagoniste qui, ce jour de 1876, ne trouve déjà plus de raison de vivre que dans l'inventaire des personnages et des événements qui s'offrent à lui.

D'une part, l'invasion de ces divers personnages appartenant à des époques différentes et surgissant dans le désordre tend à placer le texte en dehors des perspectives temporelles et l'investir d'une forte concentration dramatique. D'autre part, il est relativement aisé de faire coïncider les séquences qui peuvent servir de grille temporelle. Après avoir établi une succession chronologique avec un avant, un pendant et un après, nous reconstituons quatre mouvements importants aboutissant à un ensemble cohérent: Louis 'David' Riel.

Le premier mouvement que nous offre le dramaturge est celui de la métamorphose 1 époque où le jeune Riel se voit désigné élu de Dieu par Mgr Bourget et ira poursuivre à Montréal des études qui le prépareront à la prêtrise. Des éléments déstabilisants feront dévier le cours de ses études. La mort de son père, l'éloignement de sa soeur/mère, l'expulsion du collège, une carrière en droit interrompue et finalement les paroles dédaigneuses de Monsieur Guernon pour le Métis qu'est Louis révèlent au spectateur/lecteur un nouveau rapport de force: d'élu Louis devient proie. C'est au cours de cette discussion que Louis perçoit clairement sa mission:


 
<Dieu fera reluire toute ma personne d'une nouvelle jeunesse. Mes mains seront fortifiées. Mes pieds, affermis. Le fardeau de peines, ôté de dessus moi. Face à l'ennemi, je serai ferme. >


L'épisode tragique de ce rejet a mené directement à un deuxième mouvement, la dynamique de la révélation. 2 La fonction du protagoniste devient dès lors celle de sujet de l'action, point de convergence de divers rapports de force. C'est aussi la période où la foi mythique en l'individu entre en conflit direct avec l'individu lui-même. Cette phase se caractérise malheureusement par un entrelacement obsessif d'annexions textuelles et de schémas sclérosés trop évidents. Des brides de texte comme <Oh! mon Dieu! Pourquoi m'as-tu abandonné?> 'Le moment est arrivé> ou encore <Depuis longtemps tu te prépares à te manifester>, pour n'en citer que quelques unes, sont chargées de connotations et infirment le texte. Les réminescences s'accumulent pour se transformer en obsession onirique et produire les trois visions fantasmatiques du texte: le monstre, Jeanne d'Arc et Saint-Louis, et le Christ et la Mort. Ces fragments de l'inconscient surgissent, accablent Louis, font place à l'angoisse et lient tout apaisement à l'ankylose, à la mort. Le troisième mouvement emboîte le pas au deuxième et met en rapport le monde du référentiel et celui du refoulé. 3 Chef incontesté et audacieux du gouvernement provisoire, Riel dirige, interroge et dénonce, mais à l'intérieur même de sa présence retrouvée se trouve intégrée le constat de son échec. Scott, prisonnier des rebelles, s'échappe. Après avoir transgressé les normes <externes> et inventé de toute pièce le couple Scott/Riel, et incapable de résoudre la contradiction, l'auteur, avec Riel, nous amène à la phase finale4, mouvement où Riel devra naître de Marie et sombrer dans la folie. L'auteur condamne Louis David Riel à lier tout bonheur à la destitution la plus complète où tout se résorbe dans la déviance. A la fin, une musique d'origine se fraye un chemin: l'homme de nouveau fait place au folklore.

Créé par le Cercle Molière en 1976 d'après une mise en scène de Roland Mahé, cette première tentative du Manitobain C. Dorge s'éloigne des reconstitutions trop faciles et tente d'appréhender et de rendre compte de l'Homme. Aspect important, le dramaturge lui-même souligne les liens étroits qu'entretiennent personnages/comédiens et les modifications qu'a subi son texte au contact de ces derniers. Scott est devenu une projection de Louis: <De ton combat dépend ma vie> ou encore <Je dois mourir pour que tu meures,> les entendrons-nous répéter. La place que s'est taillée Parisien par contre affaiblit le texte, le réduit à la caricature et révèle de nouveau le spectre du calque. Rappelons pour exemplifier les quelques lignes suivantes:


 
<... j'ai vu un homme... Il s'en venait au galop. J'ai eu peur. Puis j'ai pas voulu. Je le savais pas moi. Mais il y avait des hommes qui criaient. Puis le soleil. ....>


Inutile de préciser. L'histoire d'un tel meurtre est déjà trop directement accessible. Certes, dans le texte de Dorge les comédiens/spectateurs/lecteurs sont interpelés, mais la coulée narrative truffée de thèses largement empruntées fait preuve de faiblesse. Dorge se devra de mieux soutenir son style s'il compte éviter le simple pastiche et se tailler une réputation enviable au sein du Théâtre Canadien d'expression française.

Notes

CLAUDE DORGE, Le Roitelet. Saint Boniface: Les Editions Du Blé, 1980. 127p.

Hélène Carty

1 Tableaux 5, 10, 24, 28 et 32
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2 Tableaux 3, 4, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 19, 20, 25, 26, 27, 28, 29, 30 et 31
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3 Tableaux 15, 16, 17, 18, 22, 23, 35 et 36
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4 Tableaux 1, 2, 33, 37, 38, 39, 40, 41 et 42
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