GABRIELLE ROY, MARIUS BENOIST, ARMAND LAFLÈCHE, ALEXANDRE LARIVIÈRE, MAURICE PRUD'HOMME, JEAN-JOSEPH TRUDEL."Chapeau bas. Réminiscences de la vie théâtrale et musicale du Manitoba français. Première partie." 'Les Cahiers d'histoire de la Société historique de Saint-Boniface, 2'. Saint-Boniface: Les Editions du Blé, 1980. 160 p.

MARILYN BASZCZYNSKI

La Société historique de Saint-Boniface vient de publier son deuxième cahier d'histoire: Chapeau bas. Réminiscences de la vie théâtrale et musicale du Manitoba français. Première partie. Ce livre est un recueil de quelques souvenirs sur le théâtre et la musique, offerts par Gabrielle Roy, Marius Benoist, Armand LaFlèche, Alexandre LaRivière, Maurice Prud'homme et Jean-Joseph Trudel. Par sa présentation ainsi que par son contenu, Chapeau bas offre à l'historien du théâtre une nouvelle perspective sur les activités théâtrales et musicales au Manitoba français. A notre avis, Chapeau bas est une réaffirmation de l'existence toujours vivante d'une culture canadienne-française dans l'Ouest. L'intérêt de cette étude en tant que document d'une vie théâtrale et musicale française est évident. Qui plus est, Chapeau bas ouvre des avenues de recherche en indiquant la richesse de ces domaines:

Chapeau bas ne présente-pas un historique exhaustif de la vie théâtrale et musicale du Manitoba français. Il se concentre presqu'exclusivement sur la ville de Saint-Boniface. Même si Saint-Boniface est la capitale, le berceau, du Manitoba français, d'autres facettes méritent notre attention. Espérons que la diversité des souvenirs laissera entrevoir la véritable étendue de ces activités, et qu'elle amènera d'autres historiens à pousser plus loin la recherche. ('Introduction' p. 17)

L'introduction est un survol historique de l'activité théâtrale et musicale à Saint-Boniface. Dans un premier temps, l'auteur de cette partie, Bernard Mulaire, examine le développement du théâtre à Saint-Boniface, s'appuyant sur les reportages des journaux locaux et les souvenirs personnels de quelques individus associés aux divers cercles théâtraux. Mulaire mentionne quelques petits groupes et clubs mais explique la survie et la croissance du théâtre de Saint-Boniface par la réussite continue du Cercle Molière. Il ne néglige pas toutefois les activités dans les écoles rurales, tout en soulignant l'intérêt qu'auraient des historiens à approfondir les connaissances de cet aspect du théâtre franco-manitobain.

Dans un deuxième temps, Mulaire esquisse l'activité musicale dès l'arrivée des premiers missionnaires. C'étaient d'abord les chants liturgiques qui communiquaient le goût des Canadiens-français pour la musique. L'auteur examine aussi l'apport des voyageurs à la tradition musicale avec leurs chansons folkloriques et surtout le violon, instrument qui animait et les chansons et la danse. En suivant le développement de ces traditions musicales, Mulaire trace l'histoire des groupes de chorale, des fanfares, des orchestres et des programmes musicaux à Saint-Boniface, essayant constamment de montrer la diversité et la richesse de cet aspect d'une culture française. Il signale des musiciens/musiciennes et chanteurs/chanteuses qui ont réussi soit localement soit à l'étranger jusqu'à aujourd'hui. Il évoque cependant la difficulté du chansonnier populaire manitobain de satisfaire à un public canadien très divers. Il est très souvent limité à une popularité locale et peut-être provinciale. Dans cette dernière partie de l'introduction Mulaire présente brièvement plusieurs personnalités franco-manitobaines participant à l'activité théâtrale et musicale dans le but de leur accorder, enfin, la reconnaissance due depuis si longtemps.

Les neuf réminiscences présentées dans Chapeau bas traitent des aspects différents du théâtre ou de la musique en offrant des perspectives nouvelles personnelles sur l'histoire de ces activités. Le premier reportage de Marius Benoist et d'Alexandre LaRivière évoque des souvenirs de la musique à Saint-Boniface de 1818 à 1935. Comme les auteurs l'admettent, le sujet est bien vaste. Il est néanmoins examiné de façon cohérente. C'était Monseigneur Provencher, qui connaissait la musique et qui aimait le chant, qui a introduit le chant liturgique à Saint-Boniface en 1818, Par ses efforts et ses encouragements dans l'enseignement, par son recrutement de chanteurs français et par son insistance d'avoir au moins une soeur musicienne parmi les Soeurs Grises, Mgr Provencher a réussi à fonder une tradition musicale chez le peuple franco-manitobain. Le choeur de la cathédrale est devenu une partie essentielle de l'art musical, aidé surtout par les efforts des pères du collège de Saint-Boniface ainsi que des officiers et des citoyens.

Benoist et LaRivière suivent les représentations du choeur de la cathédrale, notant les événements exceptionnels et surtout les gens (chanteurs/musiciens) qui devraient être reconnus pour leurs contributions à la musique liturgique de Saint-Boniface. Les auteurs mentionnent Arthur Leveque, l'abbé Dugas, l'abbé Frank Hughes, Mlle Choquette et Napoléon Baudry parmi d'autres, et soulignent les liens psychologiques et sociologiques entre le peuple et ses artistes.

Autre fait historique important qui a contribué à la musique de Saint-Boniface est l'achèvement en 1880 de la voie ferrée jusqu'à cette ville. Le chemin de fer apportait plusieurs familles québécoises qui, elles aussi, ont participé à l'activité musicale.

On présente ensuite une pièce inédite de Soeur Malvina Collette jouée par les élèves du couvent des Soeurs Grises lors de la création du Manitoba en 1870 pour souhaiter la bienvenue à l'évêque d'Arindèle de retour de la France. La pièce, en un acte, est un louange à la patrie comme étant 'le berceau de l'enfance', et 'la Mère chérie'. Les scènes, dont les dernières sont des monologues, des chansons et des chants, sont dans le goût des pièces de collège pour enseigner la morale.

L'article de Jean-Joseph Trudel est divisé en trois parties: dans la première il examine le théâtre et la musique dans les institutions enseignantes de Saint-Boniface de 1871 à 1899. Ces institutions étaient dirigées par les Pères Oblats et par les Soeurs Grises. Tirant plusieurs reportages d'un journal local, Le Métis, Trudel examine brièvement la nature du théâtre et de la musique dans ces institutions (le Collège de Saint-Boniface et le pensionnat des Soeurs Grises). Il relève surtout les noms des comédiens, des savants, des prêtres, et de quelques représentations notables. Dans la deuxième partie de son articles, Trudel examine l'activité laïque à Saint-Boniface et à Winnipeg de 1877 à 1897. Ici il donne des faits sur la fondation des cercles dramatiques, leur contribution à l'activité théâtrale et leur disparition (par exemple le Cercle Provencher et le Club dramatique de Saint-Boniface). Dernièrement Trudel mentionne brièvement l'activité rurale de 1889 à 1898, qui a subi une croissance grâce à l'immigration intense des années 80 et aux nouvelles écoles subséquentes.

Marius Benoist consacre l'article suivant à Louis Frasse de Plainval (1871-1880), venu à Saint-Boniface de l'expédition de Wolseley et qui chantait dans le choeur de l'abbé Dugas à la cathédrale, Benoist présente un petit compte-rendu de sa vie, de sa carrière et de sa famille.

Un deuxième article de Jean-Joseph Trudel esquisse l'activité théâtrale et musicale au Collège de Saint-Boniface de 1901 à 1910 dans l'optique d'un ancien élève de collège. Il se consacre surtout à l'enseignement du piano, du violon, du violoncelle, de divers instruments à vent, de la musique vocale et de l'art dramatique. A cet égard Trudel évoque plusieurs individus remarquables, soit enseignants, soit élèves. L'auteur note deux textes intéressants originaires du collège, 'Mon Drapeau' (1903) et 'Saint-Boniface, mon pays, mes amours!' (1906), textes liant la foi à la patrie.

Maurice Prud'homme, organiste, présente un article sur les cloches, les orgues et la musique à la cathédrale de 1840 à 1968. Dans son évocation des maîtres, des musiciens (surtout l'organiste Rodolphe Pépin - la dernière partie de l'article est consacrée à sa biographie), des solistes et des programmes principaux à la cathédrale de Saint-Boniface, il réussit à faire remarquer jusqu'à quel point la chorale participait à l'activité musicale de Saint-Boniface en général.

Gabrielle Roy contribue un article sur le Cercle Molière, aux activités duquel elle participait à Saint-Boniface. Soulignant la perspective personnelle de ce reportage, Roy décrit ses expériences et celles des autres comédiens. Elle évoque les difficultés ainsi que les triomphes quand elle analyse cette force interne que possédaient les membres du Cercle Molière.

La dernière partie de Chapeau bas d'Armand LaFlèche est composée de ses souvenirs en tant que comédien amateur de 1914 à 1974 dans le Cercle Molière. Il raconte de nombreux incidents, comiques pour la plupart, qui sont arrivés aux comédiens faisant la 'Tournée' (la tournée des villes et des villages en essayant d'attirer des abonnés au cercle). Mais LaFlèche communique aussi quelques aspects du Cercle essentiels à sa survie: l'enthousiasme, la ténacité, et l'amour du théâtre de ces comédiens amateurs. Il communique également la nature du public de Saint-Boniface et comment ils ont accueilli le théâtre. Son témoignage révèle donc l'élément personnel requis des deux côtés de la scène pour faire réussir un théâtre amateur à Saint-Boniface.

A notre avis, les auteurs de Chapeau bas ont réussi à communiquer le dynamisme et l'enthousiasme de l'activité théâtrale et musicale à Saint-Boniface. Pour l'historien du théâtre et de la musique, l'intérêt de ce recueil se trouve dans la documentation des noms des comédiens, des chanteurs, des musiciens et des représentations à Saint-Boniface. Les divers souvenirs expliquent aussi les circonstances autour de ces représentations, Ainsi nous offrent-ils des aperçus intéressants du peuple franco-manitobain. Le ton souvent personnel exprime aussi le désir de faire reconnaître et de faire vivre l'art dramatique et musical d'une culture qui ne cesse pas d'être menacée par l'assimilation. Cependant, comme les auteurs le constatent dès l'introduction, Chapeau bas n'est pas une étude exhaustive du théâtre et de la musique du Manitoba français. Le livre a néanmoins fait ressentir la richesse de ces activités tout en soulignant le besoin de poursuivre des recherches en divers domaines de l'activité théâtrale et musicale à Saint-Boniface ainsi qu'au Manitoba français en général.