PAUL RUEST et ROGER LEGAL, "Les Manigances d'une bru." Saint-Boniface: Les Editions des Plaines, 1982. 94 pp.

Marilyn Baszczynski

Les Manigances d'une bru, pièce en trois actes, est le deuxième succès littéraire des auteurs, Paul Ruest et Roger Legal, à la suite de leur roman Le Pensionnaire, publié en 1976, Cette pièce est dédiée au Cercle Molière qui a remporté un grand succès avec sa création de la pièce en 1978. Dans cette pièce, il s'agit de la cohabitation brève des parents avec leur fils et sa famille. Les tensions qui en ressortent sont la motivation des personnages ainsi que la source du rire et du sérieux.

La pièce reflète la durée de cette cohabitation. En effet, l'action commence et finit par le déménagement du vieux couple, signalé par un grand sofa qu'on essaie de passer par la porte de l'appartement. Cette action réunit ainsi les deux bouts de la pièce dans un cercle fermé, ce qui souligne le fait que rien n'a vraiment changé dans la situation du fils et de sa famille. Cependant, afin de boucler la ceinture, l'action se déroule dans deux directions: premièrement elle suit les désirs de la bru, et deuxièmement elle reflète l'adaptation des parents à la vie de retraite. La pièce est basée sur le croisement de ces deux actions - la bru constamment à la recherche d'argent pour s'approprier les accoutrements de la richesse nécessaire pour "paraître" dans la société, et les parents qui, eux aussi, quêtent une vie confortable de retraités en ville (après avoir vendu leur ferme). L'intrigue se développe avec la question de l'argent reçu de la vente de la ferme; afin de recevoir la pension du gouvernement, les parents ne peuvent pas être titulaires à une si grande somme d'argent.

La pièce Les Manigances d'une bru est composée de trois actes, dont chacun présente des moments clés préparant le départ certain des parents au dénouement. Le premier acte se déroule un samedi marquant le jour du déménagement des parents d'Aurèle chez lui. Dès la première scène amusante, la mauvaise humeur de sa femme Terry est évidente. Son mépris à l'égard du déménagement des parents est toujours clairement exprimé, jusqu'au moment, au deuxième acte, où elle se rend compte de la possibilité d'en profiter financièrement. Le premier acte sert surtout à révéler le caractère des personnages. Le concierge, Gustave Plamondon, est bien intentionné, mais trop curieux; Rémi Couture, le propriétaire, s'avère fort intéressé par ses propres finances et s'occupe surtout des investissements d'autrui dans ses appartements; Alphonse Dumont, le vieux père, est un peu innocent et se croit milliardaire avec sa somme d'argent; sa femme, Hélène Dumont, semble pour la plupart de bonne volonté, surtout. au sujet de son fils, mais ne dissimule pas sa désapprobation de sa bru. Le fils, Aurèle Dumont, essaie constamment de maintenir la paix entre belle-mère et bru. Malgré les désirs de sa femme, Aurèle n'est pas arriviste et se contente d'une vie confortable sans apparence de richesse. Terry Dumont, par contre, est très matérialiste, jugeant les hommes par leur argent. Elle n'a aucun concept de la réalité, étant facilement trompée par les fausses apparences de richesse malgré le fait que le couple a des problèmes financiers à cause de ses achats superflus à crédit.

Dans le deuxième acte, qui se déroule trois jours plus tard, Alphonse et Hélène Dumont essaient de s'adapter à leur nouvelle vie urbaine. Un représentant du gouvernement, Ted Boulet (nom significatif peut-être?) leur rend visite au sujet de leur demande d'une pension. Boulet démontre un fort mépris du français du fait qu' 'on n'est pas au Québec icitte' (Acte II, Sc. 3). Il parle un mauvais français et insiste sur l'emploi de quelques mots anglais. Bref, il insulte à la fois les Dumont et tout francophone hors Québec. La satire dirigée contre le gouvernement pour sa façon de traiter le peuple canadien-français est claire, mais rendu amusante par les malentendus constants dans cette scène molièresque.

Il devient clair à Alphonse et Hélène qu'ils ne peuvent être titulaires à une grande somme d'argent. ils décident par la suite donc de mettre tout au nom d'Aurèle. Cette décision suscite des querelles entre Terry et Aurèle (au sujet des impôts) jusqu'au moment où elle y trouve un moyen de se procurer l'argent longtemps désiré pour l'achat d'une belle maison. Elle se moque du fait qu'Aurèle refuse de le faire. A la fin de cet acte, l'on découvre l'existence d'une dette personnelle urgente de Terry, le résultat du vol d'un manteau de fourrure. Terry, prise à la faute, n'endosse pas cependant la faute, voulant la passer à Aurèle parce qu'il ne gagne pas assez d'argent.

Dans le troisième acte, Terry s'attaque à la fierté d'Aurèle et réussit à faire accepter la responsabilité de son crime à Aurèle (elle ne pouvait pas obtenir l'argent nécessaire ailleurs). Il emprunte l'argent du père pour payer le manteau et se laisse persuader d'utiliser l'argent à son nom pour acheter plus tard une maison. Le concierge, Gustave, a entendu par hasard toute leur conversation. Il convainc par la suite Alphonse et Hélène de prendre leur propre appartement et d'investir tout leur argent dans les appartements de Rémi. En allant chercher l'argent pour le loyer, Alphonse découvre l'emprunt, mais Terry, très rusée, l'explique comme étant un achat de la part d'Alphonse pour un cadeau (le manteau de fourrure) pour la mère. Ils déménagent peu après.

Dans l'ensemble les personnages sont peut-être un peu trop stéréotypés: la bru rusée, la belle-mère qui se plaint de la bru, le fils tiraillé entre son devoir filial et sa femme, et ainsi de suite. Quoique les caractères ne soient guère développés (à l'exception de Gustave Plamondon), les stéréotypes se prêtent fort bien à la comédie. Le personnage de Gustave est le plus intéressant, car ce concierge anodin réussit à prévenir avec tact, le grand "emprunt" de l'argent des parents pour une nouvelle maison. Il déteste la manipulation des gens. Ainsi, c'est Gustave qui déclenche le dénouement et résoud le dilemme d'Aurèle.

Cette pièce aborde aussi les problèmes actuels auxquels le peuple franco-manitobain doit s'adresser: le problème d'envoyer les enfants aux écoles françaises, l'attitude du gouvernement envers l'emploi du français, les mariages mixtes et le problème d'élever les enfants en français (cette situation est représentée par le personnage de Denise Johnson, amie de Terry, qui s'assimile à la vie anglophone), et même la difficulté de vivre en français: par exemple, le livreur qui arrive et ne peut parler que l'anglais. Même le manque de variété des programmes de Radio-Canada suggère certaines limites aux possibilités d'être francophone au Manitoba. Ces problèmes sont présentés de sorte qu'on puisse s'y reconnaître et rire de soi-même et d'autrui. Ils soulignent néanmoins le besoin de continuer à produire davantage de textes canadiens-français destinés aux francophones hors Québec. Les auteurs Ruest et Legal ont bien réussi à créer une comédie amusante, Les Manigances d'une bru.