LEONARD E. DOUCETTE, Theatre in French Canada: Laying the Foundations 1606-1867. Toronto: University of Toronto Press, 1984. 290 p $30.00

Alonzo Le Blanc

Ce sont les recherches et la longue patience d'un auteur d'ascendance acadienne, portant un nom à consonnance française, qui auront produit, en langue anglaise, ce qu'on peut considérer comme la première histoire du théâtre au Canada français des origines jusqu'à 1867. Là où les chercheurs ne disposaient que d'une vision fragmentaire, éparse en divers volumes et articles remarquables, mais discontinus et ne traitant quun aspect ou une période à la fois, le professeur Leonard E. Doucette a effectué une synthèse qui est le compte rendu détaillé, selon l'ordre chronologique, des oeuvres et des moments importants de l'histoire du théâtre au Canada français de 1606 à 1867.

Dans une brève introduction, le professeur torontois explique les circonstances de composition et les objectifs poursuivis, dont celui de rendre accessible aux lecteurs unilingues anglais de 'l'autre Canada' une matière jusque'là accessible seulement aux francophones. Ainsi se justifient le choix de la langue et les nécessaires traductions des oeuvres citées. Le principal souci de M. Doucette est de rendre justice à des oeuvres théâtrales anciennes qui, sans être des chefs-d'oeuvre, méritent cependant d'être répertoriées et analysées, car elles sont les sources lointaines d'une dramaturgie proprement canadienne-française ou québécoise. Le livre entend mettre fin au préjugé et au regard méprisant qu'une critique superficielle a trop souvent portés sur ces premières oeuvres dramatiques de notre pays.

Le plan de l'ouvrage comporte quatre chapitres qui, se déroulant selon l'ordre chronologique, s'intitulent:


 
Chap 1 Theatre in New France 1606-1760.
         2 New Beginnings and New Trials 1760-1825.
         3 The Beginning of a Native Tradition in Theatre (1825-1837).
         4 Towards the Development of a French-Canadian Dramaturgy 1837-1867.


Les critères qui ont conduit à cette périodisation sont fondés sur des coupures réelles, historiquement importantes, telles que la conquête de 1760, ou la fondation en 1825 du théâtre anglophone montréalais) le Theatre Royal, qui par ailleurs c6incide avec le décès, cette même année, de l'évêque de Québec Mgr J.-O. Plessis, notable adversaire du théâtre. Les autres délimitations, 1837 et 1867, ont une connotation évidemment politique et apparaissent subordonnées au dessein de l'auteur qui privilégie l'émergence, à cette époque, d'une forme de théâtre proprement politique et qu'il qualifie à juste titre de 'para-théâtrale.'

Le premier chapitre, à vrai dire, apporte peu de matière nouvelle. Il est constitué d'une relecture d'oeuvres déjà sur-analysées telles que le Théâtre de Neptune de Marc Lescarbot, mais aussi d'événements significatifs tels que l'incident du Tartuffe (1694) opposant Frontenac à Mgr de Saint-Vallier. Monsieur Doucette a le mérite de situer oeuvres et événements dans un contexte historique détaillé et d'en faire une analyse objective, sans omission et sans complaisance. Il utilise d'une façon judicieuse les données d'articles déjà parus sur ces sujets, laissant tomber les éléments superflus et donnant sa propre opinion généralement fondée sur des faits textuels contrôlables: (par exemple, je serais prêt à mettre en doute, comme il le fait à la suite d'autres historiens, la véracité d'une première représentation du Cid de Corneille à Québec en 1646).

Pour la période 1760-1825, l'auteur utilise abondamment l'étude remarquable de Baudouin Burger (dont le prénom, en passant, s'écrit Baudouin, et non Baudoin), L'activité théâtrale au Québec (1765-1825), en laissant tomber toutefois les données socio- culturelles et mêmes économiques qui donnaient une assise matérielle aux observations de monsieur Burger. C'est peut-être le principal reproche qu'on puisse faire à Pouvrage de monsieur Doucette: il fait une re-lecture des oeuvres théâtrales plus que de la vie théâtrale elle-même. Même s'il note, rapidement, les circonstances de création des nombreuses pièces évoquées et analysées, l'auteur donne peu de renseignements sur les salles, sur les troupes, sur les groupes qui produisirent les pièces, non plus que sur le public du théâtre ou sur le rapport entre le contenu des pièces et les cadres sociaux réels.

Dans le chapitre 3, intitulé 'The Beginnings of a Native Tradition in Theatre,' le professeur Doucette aborde une matière nouvelle et relativement peu connue. Il en arrive à démêler avec subtilité les principaux antagonistes, plus réels que fictifs, de la série de comédies publiées dans la Gazette de Québec sous le titre 'L'Ami du statu quo.' Ces comédies portent sur scène, d'une façon plus journalistique que théâtrale, les débats politiques entre les Canadiens- français favorables aux Patriotes et ceux qui soutenaient les Bureaucrates (vg John Duval, de Québec). L'auteur accorde une attention privilégiée à ces textes parce qu'il y voit une étape importante dans la naissance d'un 'dialogisme' social d'où naîtra ensuite une dramaturgie canadienne-française. Là se situe la partie la plus originale de l'étude de M Doucette, en ce sens qu'il se démarque ici des lectures antérieures de ces pièces et y apporte sa propre interprétation objectivement plus conforme à leur contenu réel. D'aucuns lui feront sans doute grief de voir du théâtre dans des articles de journaux dépourvus de toute représentation (ou de 'performance,' pour employer un anglicisme qui gagne une expansion en terre francophone). La même remarque vaut pour les pièces 'para-théâtrales' de la période subséquente, touchant, par exemple, le personnage Georges-Etienne Cartier (p 152 sv).

Les échanges de lettres entre Cartier et ses adversaires qu'on trouve dans le chapitre 4, ainsi que le récit du duel interrompu, puis repris, sans effusion de sang, entre Cartier et Joseph Doutre, sont spectaculaires en soi, mais me semblent appartenir davantage à l'histoire politique qu'au théâtre proprement dit. A une époque où les oeuvres autochtones sont rares, les moindres scènes dialoguées peuvent être signalées comme des germes de conflits potentiels pour la scène, dont les textes survivent sans avoir été joués ('survives without performance' p 201). Cette intégration de données politiques se situe, il faut le dire, dans un cheminement plus complet où l'auteur, de 1606 à 1867, fait l'inventaire à peu près complet de toutes les pièces francophones jouées au Québec (sauf l'une en Acadie), avec un résumé de l'action, la description des principaux personnages et de nombreuses citations qu'il a lui-même fidèlement traduites en anglais.

De cette façon, l'ouvrage rend justice aux pionniers du théâtre au Canada que furent Quesnel, Petitclair, Aubin, Fréchette, Gérin-Lajoie, Elzéar Labelle et autres. Il souligne aussi la tentative de subordination du théâtre à l'idéologie catholique, telle qu'elle se fit effectivement à diverses époques. Mais il passe sous silence le nom et l'oeuvre de cet animateur théâtral que fut John D. Turnbull, ainsi que, d'une façon générale, le théâtre anglophone, les circonstances de fondation du Theatre Royal de Montréal par John Molson et nombre d'autres éléments qu'il serait long d'énumérer. A cet égard le titre Theatre in French Canada appelle des réserves ou une précision: il ne s'agit que du théâtre francophone, joué dans la seule province de Québec (hormis la pièce de Lescarbot en 1606).

Les notes, nombreuses et bien documentées, constituent à elles seules, en termes de pages (pp 209-64: 55 pages), l'équivalent d'un long chapitre, aussi intéressant que les quatre chapitres eux-mêmes, en particulier pour les lecteurs capables de lire le français, car on y trouve les textes originaux des extraits traduits par M Doucette. Une bonne partie de ces notes sont soit des citations françaises des sources utilisées, soit des explications données en anglais sur les affirmations faites dans les chapitres. M Doucette a beaucoup emprunté aux ouvrages de messieurs John Hare, Baudouin Burger, Jean Laflamme et Rémi Tourangeau et d'autres. Une lecture plus attentive de l'essai de J. P. Tremblay sur Napoléon Aubin lui aurait appris que les représentations de La mort de Jules César, le 10 juin puis le 23 octobre 1839, eurent lieu au Théâtre Royal de Québec, rue St-Stanislas, suscitant la colère du chef de police de Québec, T.A. Young, (à rectifier, p 115).

Cette petite erreur m'est apparue comme une exception au milieu d'une masse de données et de références historiques et bibliographiques qui, dans l'ensemble et selon les bornes de mes connaissances limitées en matière de 18e et de 19e siècles, me sont apparues tout à fait précises, scientifiquement rigoureuses. Et c'est là le principal mérite de l'ouvrage de monsieur Doucette: il a fait une étude digne d'un professionnel de l'histoire du théâtre. Là où auparavant il y avait des études diverses, fragmentaires et discontinues, souvent faites par des amateurs (y compris le soussigné!), Theatre in French Canada: Laying the Foundations 1606-1867 est un ouvrage monumental, unifié, où, à travers l'analyse et la synthèse des oeuvres dramatiques, s'établit une véritable continuité historique. L'auteur nous conduit jusqu'à cette date de 1867 où, à partir de jalons déjà posés, une tradition d'activités théâtrales sépanouira dans le triple courant des d'intérêts traditionnels du Québec: la veine religieuse et pédagogique, la veine politique et la veine 'sociale' longtemps brimée, il est vrai,) par le clergé catholique.

Sur ce dernier point, je crois devoir marquer mon déscaccord avec l'une des conclusions de monsieur Doucette. Après avoir montré l'importance des collèges classiques dans l'établissement d'une tradition théâtrale au Québec (surout à partir de 1825), l'auteur fait sienne l'affirmation de mes collègues Laflamme et Tourangeau qui, au terme de leur importante étude sur ce sujet, tendent à nier ou à atténuer la réalité d'une confrontation historique entre l'Eglise et le théâtre au Québec. D'abord l'ouvrage de ces historiens démontre longuement le contraire: que de textes condamnant le théâtre! Mais, surtout, la responsabilité de l'Eglise catholique, à cet égard, ce fut de n'avoir pas permis une liberté d'expression indispensable à l'éclosion d'oeuvres vraiment significatives, au théâtre comme dans la littérature elle-même. Qu'on relise, à cet égard, les préfaces des tomes I et II du Dictionnaire des oeuvres litréraires du Québec qui démontrent les conséquences sur les esprits de la longue domination idéologique de l'Eglise. Il faudrait, en ce domaine, délimiter ce qui est matière à opinion et ce qui demeure historiquement contrôlable (vg la condamnation de l'Institut canadien), en acceptant d'avance de ne jamais savoir ce qui s'est dit, vers 1800, 1830, 1850, dans Pobscurité de tel confessionnal!

Je forme le voeu, en terminant, que l'ouvrage du professeur Doucette, d'abord commencé en français, puis achevé en anglais, voie aussi le jour bientôt en français, car il sera désormais, aussi bien chez les Québécois que chez les Canadiens anglais, un indispensable ouvrage de référence pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire du théâtre dans notre pays.