Vol. 7 No. 2 (Fall 1986)
CHARLES BAYÈR ET E. PARAGE, Riel. Saint-Boniface, les Editions des Plaines, 1984. 71 p.
Paulette Collet
Riel, 'Drame historique' en cinq tableaux (un prologue et quatre actes) est l'oeuvre de 'deux professeurs français venus de France', nous dit la couverture. La pièce ne fut famais jouée, mais la lecture du texte en public remporta, semble-t-il, un vif succès. (Voir L.F. DOUCETTE 'Louis Riel sur scène: l'état de la dramaturgie québécoise en 1886' Histoire du théâtre au Canada VI, 2 automne 1985 pp 123-132).
Disons tout de suite qu'il ne s'agit pas ici d'un ouvrage touffu malgré ses quatre actes et son prologue. Le 3e acte, par exemple, compte sept pages. Toutefois, si le texte est court, cela n'empêche nullement les auteurs de multiplier les péripéties. Nous sommes ici en plein mélodrame. Rien ne manque: enlèvements, assassinat, exécutions, trahisons, mort subite. Il y est aussi question de Riel, comme le promet le titre, mais plutôt incidemment.
En fait 'Kaïra ou La Vengeance de Takouaga' serait un titre moins trompeur, car c'est Kaïra qui est l'héroïne de la pièce et ses aventures sont intimement liées à la vengeance de Takouaga. Enfant, la petite Nelly a été enlevée à ses parents par sa nourrice indienne, Takouaga, qui veut ainsi venger la mort de son fils exécuté par George MacKnave, gouverneur du Fort Prince de Galles et père de Nelly. Cet épisode, qui se situe en 1873, consitue le prologue. Au 1er acte - douze ans plus tard - Nelly est devenue Kaïra et si elle ne parait pas se souvenir de ses origines, elle sent toutefois, qu'elle n'est pas faite pour l'existence qu'elle mène chez les Pieds-Noirs. Elle tombe d'ailleurs amoureuse d'un Blanc, Georges Francoeur, journaliste au Courrier des Etats-Unis. Le patronyme de Francoeur, comme celui de MacKnave, est transparent, mais l'identité des prénoms du père et de l'amoureux est sans doute aussi significative. Inconsciemment, Kaïra cherche son père, son identité. Ce que Francoeur vient faire au lac aux Canards n'est pas clair, mais il est l'ami de Riel et, bien sûr, ne résiste pas aux charmes de la belle et vertueuse Kaïra. Sous l'empire d'instincts qui n'ont rien de paternel, l'ignoble MacKnave tente d'enlever sa propre fille, mais Gabriel Dumont réussit à la sauver en abbattant le cheval qui l'emportait. Le 3e acte est consacrée à la défaite de Batoche et c'est encore une fois MacKnave qui en est la cause. An 4e acte, nous sommes dans la prison où Riel attend la mort. Il reçoit d'abord la visite de Francoeur, venu lui dire un dernier adieu. Par hasard, Riel reconnaîît au cou de son ami la croix d'or qu'il avait offerte à la petite Nelly (cet épisode fait partie du prologue). Il révèle au jeune homme l'identité de Kaïra-Nelly, comme il la révèle aussi à MacKnave qui est pourtant venu narguer le condamné à mort. MacKnave tente cette fois de forcer Kaïra-Nelly à le suivre, mais alors que la jeune fille est prête à faire son devoir filial (nous sommes en 1885!), Takouaga poignarde son ennemi; celui-ci meurt repentant. Quant à Francoeur, sa tâche commence.
Maintenant que la sanglante tragédie du Nord-Ouest est terminée, je veux, déclare-t-il, l'écrire au livre de l'histoire, pour la gloire des uns et la honte éternelle des autres (p. 69).
Malgré le ton nationaliste des dernières répliques de Francoeur, le rôle de Riel est secondaire, et comme le fait remarquer Léonard Doucette, si la pièce est un drame, ce n'est certainement pas un drame 'historique'. Sans doute Riel est-il nécessaire à l'action, mais la fonction qu'il remplit (il donne à Nelly la croix qui permettra plus tard de l'identifier) pourrait très bien incomber à un personnage de moindre envergure. Toutefois, quelques mois après l'exécution de Riel, les auteurs ont sans doute misé sur l'acutualité. On nous dit d'ailleurs qu'ils avaient l'intention de faire représenter la pièce 'dans le but de lever des fonds pour la famille de Riel'. Les scènes consacrées à la prière de Riel en prison et à la vision qu'il a de sa propre apothéose sont des hors-d'oeuvre qui n'ont aucun lien avec l'intrigue principale. Mais sans doute ceux qui assistèrent à la lecture de la pièce et qui, nous dit-on, applaudirent vivement, furent-ils touchés par l'évocation des dernières heures de Riel - toutes fantaisistes qu'elles fussent - plus que par les souffrances d'une Kaïra bien peu convaincante.
Comme dans tout mélodrame qui se respecte, les personnages sont ici toute vertu ou toute fourberie. Les Indiens sont sympathiques; en revanche la xénophobie des auteurs se fait jour dans les portraits des Anglais, MacKnave et Stewart, et surtout dans celui du marchand juif, Abraham. N'était l'anachronisme, on croirait les dramaturges de bons nazis. Sans doute le juif et Stewart sont-ils là pour apporter un peu d'humour dans une assez sombre histoire, car ils ne sont pas nécessaires à l'action; mais cet humour raciste et simpliste à la fois provoque plutôt l'indignation que le rire - du moins, de nos jours. Abraham et Stewart sont ridiculisés - à commencer par leurs accents que les auteurs s'évertuent à reproduire graphiquement, en exagérant, bien sûr. Le Juif est le voleur volé; Steward est un paresseux et un incapable, qui croyait trouver dans le Nord-Ouest des histoires scabreuses pour amuser les lecteurs de la 'Pall Mall Gazette', mais s'en retournera bredouille.
Reste que si, sur le plan littéraire, cette pièce est loin d'être un chef-d'oeuvre, s'il faut reprocher à Bayer et Parage leur racisme, Riel présente un intérêt historique. Il est évident que les auteurs cherchaient à émouvoir un public encore sous le coup de l'exécution du héros de l'Ouest. Les applaudissements enthousiastes' qui interrompirent la lecture de Riel permettent de supposer qu'ils y auraient réussi si leur pièce avait connu les honneurs de la scène. Gageons aussi que les applaudissements éclatèrent aux discours patriotiques de Riel.
Les Editions des Plaines ont eu une heureuse idée en rééditant ce drame pour le centenaire de la mort de Riel. Ajoutons que ces éditions nous ont habitués à une présentation élégante et soignée et que Riel ne fait pas exception à la règle.