Raija Koski
Il convient de réfléchir sur la femme et le cinéma dans le cadre de ce numéro portant sur la femme et le théâtre au Québec. L'histoire de la femme dans ces deux domaines suit le même parcours, au niveau de la représentation féminine dans l'oeuvre d'art ainsi qu'au niveau de la participation des femmes dans les métiers cinématographique et théâtral. L'image de la femme véhiculée par les pièces des années 1960 et 1970 est stéréotypée ou sert à des fins qui ne concernent pas la condition féminine, des fins politiques et idéologiques. La prise de parole par la femme au théâtre, signalée par la création de groupes tels que Le Théâtre des Cuisines et Le Théâtre Expérimental des Femmes, date du début des années 1970. D'un théâtre de lutte et de revendications qui tombe souvent dans le didactisme les productions de femmes passent à une véritable tentative de définir et traduire l'imaginaire féminin. Dans son oeuvre Femmes et cinéma québécois, Louise Carrière nous trace l'évolution de l'image de la femme et de sa participation au cinéma, un parcours qui fait écho à celui des femmes au théâtre.
Dans ce volume important, Louise Carrière réunit 14 textes de femmes qui proposent une réflexion riche sur les femmes et le cinéma du Québec. Les études se présentent en deux volets d'inégale longueur intitulés 'Etre vues' et 'Prendre la parole', titres qui signalent la double visée de l'oeuvre. Les trois articles qui composent la première partie tentent de cerner les images de femmes dans le cinéma masculin de 1940 à 1983. Dans la seconde partie, les femmes prennent la parole comme spectatrices, réalisatrices et femmes de cinéma pour nous parler elles-mêmes de leurs expériences.
La première partie de l'oeuvre propose une étude de l'évolution des représentations féminines dans les films d'hommes. Christiane Tremblay-Daviault examine une quinzaine de longs métrages de fiction réalisés par des hommes pendant les années 1940 et 1950. Louise Carrière traite de la période 1960 à 1983 et dans le dernier article, Josée Boileau examine les images récentes dans les films à succès. Bien que leurs recherches portent sur des époques différentes, ces auteures concluent que la présence de la femme dans le cinéma masculin est minimale et sa représentation reste stéréotypée.
Selon Tremblay-Daviault, la première héroïne du cinéma québécois est L'Eglise-Mère. Les films de la période 1940-1950 sont imbus d'un traditionalisme pur et visent à maintenir l'ordre et les valeurs d'une société qui se croit inchangée et inchangeable. L'image de la femme est liée à la représentation idéale de la mère de famille. Pendant cette époque d'après-guerre, cependant, les normes traditionnelles entrent en conflit avec des modes nouveaux de comportement et un autre prototype féminin apparaît, celui de la Femme Anti-Mère, source de tous les maux et par conséquent condamnée.
Louise Carrière constate qu'au début des années 60 le cinéma québécois connaît une période de déblocage, mais il n'est pas question d'inclure les femmes dans ce processus de 'décolonisation culturelle'. Bien qu'il s'agisse d'une période de questionnement sur le plan national, les cinéastes masculins passent sous silence l'essentiel des réalités vécues par les femmes. Sous un titre provocateur, 'Quand le sexe et l'argent se marient au nationalisme pour fonder l'industrie de sexploitation québécoise', Carrière dénonce le voyeurisme de certains films de la fin des années 60 qui, sous des dehors apparemment libérateurs trahissent un indéniable mépris des femmes et une sexualité encore axée sur l'homme. A partir des années 70, le nombre de films réalisés au Québec se multiplie mais les femmes restent en marge de l'histoire. La représentation traditionnelle de la femme gardienne du foyer et de la vertu est remplacée par une autre, celle de la jeune célibataire, 'libérée' et donc disponible aux hommes. La femme est symbole d'autre chose dans l'imaginaire masculin, symbole du sexe, de l'impuissance, etc. Les portraits réels font défaut.
Dans son analyse des images récentes dans les films à succès, la conclusion de Josée Boileau fait écho à celles de Tremblay-Daviault et de Carrière. Elle trouve pourtant un film qui met en scène deux personnages féminins riches et complets, Les Bon Débarras (1981) de Francis Maniewicz. Ce réalisateur témoigne d'un effort réel pour donner une nouvelle image de la femme.
'Prendre la parole' est le titre significatif de la deuxième et la plus intéressante partie de l'oeuvre. Dans les onze articles, on entend la voix de nombreuses femmes qui, par leur passion et leur perspicacité, témoignent d'un grand amour pour le cinéma. Elles expliquent, critiquent et posent des questions. On s'interroge d'abord sur les films des réalisatrices québécoises: ont-elles suivi le mouvement des femmes et des changements sociaux? ont-elles un regard différent lorsqu'elles observent la réalité? Ensuite on passe à une considération du cinéma en tant que métier et des conditions de travail pour les femmes cinéastes au Québec.
Le long texte de Louise Carrière, 'Les thématiques des femmes cinéastes depuis 1960' attire avant tout l'attention. En traçant d'abord le développement du cinéma féminin depuis le début des années 60 jusqu'en 1983, elle décèle 4 périodes ou mouvements. Dans un deuxième temps, Carrière tente de cerner les thématiques des films de femmes: la vie familiale et quotidienne, le corps et le coeur féminins, l'univers du travail. Elle nous révèle les portraits féminins riches et authentiques créés par les femmes cinéastes à l'écran. Carrière n'hésite pas à signaler ce qu'elle considère être les défauts du cinéma féminin. A son avis, il est regrettable que les protagonistes des films de femmes n'aient pas de liens directs avec les mouvements féministes québécois. Quant aux réalisatrices elles-mêmes, Carrière voit un grand problème dans l'approche documentaire des femmes cinéastes qui hésitent devant le choix de témoigner ou de prendre position. Carrière insiste que la prise de parti est inévitable et elle admire l'approche plus radicale et plus engagée des réalisatrices de vidéos.
Dix autres collaboratrices prennent la parole pour nous parler de leurs expériences au cinéma en tant qu'animatrice, monteuse et réalisatrices. On explore le monde de la vidéo, du documentaire et du film de fiction du point de vue des femmes qui connaissent les problèmes et les joies associés à tous les aspects du métier. Un article intéressant de Danielle Blais examine le rôle de l'Office national du film dans le développement du cinéma féminin. J'ai lu avec plaisir les témoignages émouvants de Sophie Bissonnette sur le tournage de son film 'Une histoire de femmes' et de Marilú Mallet sur 'Journal inachevé'. Louise Carrière offre une dernière réflexion sur la question du cinéma et de l'écriture féminine. Dans le domaine du cinéma, cette écriture est toujours en gestation s'élaborant contre une autre, rationnelle et dominante. Elle est multiple, toujours en devenir.
Ce volume constituera un outil important pour ceux et celles que préoccupe l'histoire du cinéma. Certaines études restent plus convaincantes que d'autres mais la passion n'y manque jamais. Les auteures ne touchent pas à certaines questions comme celle du rôle des femmes étrangères dans le cinéma québécois. Dans sa préface, Françoise Audé reproche aux collaboratrices de ne pas avoir abordé la question très épineuse de la censure. La contribution de l'oeuvre reste néanmoins indéniable: 'Plusieurs questions sont certes posées par ces [ ... ] textes, mais une certitude demeure: ce que nous venons de faire, personne ne l'a fait avant nous' (p 20).
Les femmes de cinéma et celles de théâtre travaillent depuis longtemps à la transformation de l'image traditionnelle de la femme présentée à l'écran et sur la scène. La naissance d'une parole spécifiquement féminine articulée par des mouvements ou des collectifs de travail est toute récente. Ce volume est lui-même une manifestation concrète de cette parole féminine et la preuve du désir des femmes de 'briser le mur de silence sur la place des femmes dans le cinéma d'ici' (p 16).