LAURE CABANA, PIONNIÈRE DU MÉTIER DE COSTUMIER

RENÉE NOISEUX GURIK

Cet article raconte la biographie de Laure Cabana, la première personne à exercer professionnellement au Québec le métier de costumier. En traversant la période de 1933 à 1972, l'article offre aussi un survol des activités qui occasionnèrent à Montréal l'émergence de la scénographie moderne.

This is a brief biography of Laure Cabana, the first professional costume designer for the stage in Quebec, in the modern sense of the word. Covering the period from 1933 to 1972, this article also offers a panorama of the activity which brought about the emergence of modern stage design in Montreal.

La mode et le théâtre sont des domaines qui ont toujours été plus propices aux femmes que la plupart des autres secteurs de l'activité culturelle. De Rose Bertin à Coco Chanel dans la mode, et d'Isabelle Andreini à Madeleine Renaud, en passant par Madame Vestris, au théâtre, on ne compte plus les femmes qui ont laissé leur marque. Aussi n'est-il pas étonnant que ce soit une femme, Laure Cabana, qui soit, dans les années 1930, à l'origine du développement au Québec d'un tout nouveau métier au croisement du théâtre et de la mode, le métier de costumier, ou plus précisément celui de concepteur de costumes pour les arts du spectacle.

En défrichant un nouveau chemin, cette jeune artiste renoue avec d'autres pionnières canadiennes - françaises qui dans la deuxième moitié du 19ième siècle avaient osé passer outre à l'interdit clérical et aux préjugés du milieu bien-pensant. Ces préjugés, nourris par la pensée ultramontaine qui prévaut à l'époque, sont très forts face à l'activité théâtrale en général et à la présence féminine sur scène, en particulier. L'apparition d'actrices sur nos scènes coïncide avec le désir du milieu théâtral de dépasser l'amateurisme. C'est d'ailleurs une femme, la grande Albani, qui ouvre avec le plus de panache ce chemin qui mène au professionalisme. De nombreuses Canadiennes françaises vont lui emboîter le pas apportant leur dynamisme et leur immense talent. Il faut nommer en particulier Rosita Del Vecchio, qui collabore, avec son mari Jehin-Prume et avec notre gloire musicale Calixa Lavallée, aux premières tentatives sérieuses de représentation d'opéra et de théâtre à Montréal, entre les années 1877 et 1880. Elle disparait hélas dans la jeune trentaine, laissant le milieu théâtral dans l'affliction la plus grande.1

Dans les années 1890, Blanche de la Sablonnière, surnommée par Louis Fréchette 'Notre Sarah canadienne', reprend le flambeau. Son talent, son charisme et surtout sa tenacité permettent à l'activité théâtrale française de se maintenir face à la menace, sans cesse croissante, d'assimilation culturelle exercée par les troupes de tournées américaines. Et lorsque enfin les premiers théâtres de langue française ont pignon sur rue, elle devient un des piliers des Variétés (1898-1900), puis du Théâtre National Français (1900) et autres, menant une carrière qui s'échelonne sur une trentaine d'années. Elle est entourée de nombreuses actrices françaises de passage mais aussi de compatriotes: Eugénie Verteuil, Germaine Duvernay, Madame Dubuisson, Clara D'Artigny. 2

Vers 1902 une jeune débutante, Bella Ouellette,3 tout de suite adoptée par le public, fait son apparition sur nos scènes et se maintiendra au premier plan jusqu'à la fin des années 1930. Par sa popularité et son travail incessant, elle contribue à faire traverser la crise, déclenchée par l'essor du cinéma, aux arts de la scène. 4

Il faut rappeler ici que l''Age d'Or' de l'activité théatrale québécoise, qui débute en 1898, est de courte durée. En effet, à partir de 1928, la situation déjà chaotique devient ... catastrophique, et même l'empire de salles de spectacle, tel celui de Joseph Cardinal, s'écroule. Durant cette époque, ces salles de l'Est de la ville programment surtout du cinéma, du burlesque, quelquefois du mélodrame. En 1930, les Godeau, Barry, Duquesne, Thierry, Ouellette, cherchant à sortir de ce marasme, transforment le Chanteclerc, rue Saint-Denis en Théâtre Stella mais l'aventure ne dure que quelques années. 5

Les grands théâtres de langue anglaise de l'Ouest (His Majesty's - Palace - Loews - Orphéum - Princess - Gaiety, etc ... ) affichent du cinéma américain avec entractes de music-hall et, de façon épisodique, des spectacles de prestige avec des grands acteurs européens ou américains en tournée. Séduit par cette formule, l'impresario Albert Gauvin 6fait venir des troupes françaises au Saint-Denis ou au His Majesty's offrant, à son tour, des spectacles de prestige aux Canadiens français et c'est en assistant à une représentation de l' Aiglon d'Edmond Rostand, joué par le Théâtre de la Porte Saint-Martin ou aux Ballets Russes de Monte-Carlo que la toute jeune Laure Cabana est initiée au théâtre. Un de ces spectacles la frappe tout particulièrement; c'est le Chanteclerc d'Edmond Rostand, présenté au His Majesty's à l'automne 1928.7 On comprend sa fascination, car cette pièce dont l'action se passe dans une basse-cour demande un travail scénique particulièrement poussé. La pièce est interprétée par Germaine Rouer et Romuald Joubé. 8

En amenant ainsi les enfants au théâtre et surtout au cinéma, la famille Cabana9 prouve l'intérêt qu'elle porte aux arts. Il n'est donc pas surprenant de retrouver Laure, après les années de couvent, inscrite à l'Ecole des Beaux- Arts où elle fera les cinq années de formation générale ainsi que quatre années de cours du soir en sculpture et en pédagogie en vue de décrocher un diplôme d'enseignement. Elle reçoit donc une formation complète donnée par d'excellents professeurs: l'histoire de l'art, l'affiche, le dessin et l'anatomie avec M. Charpentier, le modèle vivant avec Charles Maillard, la sculpture avec Alfred Laliberté, les arts décoratifs avec Félix, la fresque avec Couturier, la peinture avec Fernand Léger, etc. ... 10Ajoutons à cela le goût du spectacle et de l'organisation, dont elle faisait déjà preuve dans ses jeux d'enfant, ainsi que de bonnes connaissances en mode, en couture et en tissus enseignées au couvent aux jeunes filles de bonne famille de l'époque. 11 Elle ne sera pas pas prise au dépourvu devant l'offre de Jacques Pelletier, son camarade et futur mari, de dessiner des costumes s'harmonisant au décor qu'il crée pour l'opérette Le Pays du sourire de Franz Lehar, prévu pour le 23 octobre 1933. En effet, Pelletier collabore à la saison d'automne de la Société Canadienne d'Opérette, tel qu'annoncé dans La Presse du 22 septembre 1933:

Sans toutefois mentionner les costumes, le communiqué nous éclaire sur l'innovation des techniques de travail apportées par les Cabana-Pelletier. En plus d'annoncer l'engagement de 'ce jeune dessinateur de beaucoup de talent', il précise qu' ... 'il a déja construit pour le travail du studio, une scène miniature reproduisant le plateau du Théatre Impérial. Un système électronique à la mesure de cette miniature permettra d'y étudier longuement le jeu des éclairages'. 12

Nous sommes à une époque où les métiers de la scène s'appuient encore sur des entreprises qui n'ont pas évolué depuis l'Age d'Or de notre théâtre: le costume provient d'un costumier commercial et sa location incombe à l'acteur. Quant au décor, il est constitué d'une série de toiles peintes. De plus, la peinture scénique est une copie des reproductions des revues européennes comme La Petite Illustration. Sans déprécier le travail d'artistes et artisans qui ont été des piliers importants de notre activité théâtrale durant un demi-siécle, on peut dire que les Cabana-Pelletier vont ouvrir une nouvelle voie, accordant la priorité à la création et à l'interprétation plus personnelle des costumes et des décors face à un texte, et vont établir de nouvelles bases professionnelles de travail dans les métiers de costumier et de décorateur.

En 1933, cette soif de qualité et de changement est dans l'air. Chez les amateurs, on peut citer le remarquable travail visuel du Noe d'Obey monté par le Montreal Repertory Theatre sous la direction de Pacifique Plante, au Gesù. John Lyman dessine les costumes, André Biéler crée les décors et Jeas Gordon et Richard Eve en font l'exécution. 13 Du coté professionnel, le Stella fait des efforts continus pour doter ses productions de ‘décors spéciaux'.  

Du côté de l'art lyrique on relève la création d'une école. En effet, Jeanne Maubourg ouvre le Studio d'Art Dramatique relié à la Société canadienne d'Opérette dont Madame Berthe Simpson 14, femme active et cultivée, dirige la 11ième saison. 'Elle décide de faire confiance aux jeunes artistes et a le goût de faire neuf' me raconte Laure Cabana. C'est elle qui guide ses premiers pas et lui fournit l'encadrement nécessaire à sa première expérience: documentation, couturière, atelier. Le coup d'essai du Pays du sourire est un coup de maître et la critique qu'on trouve dans la Presse du 24 octobre 1933 le confirme:

Ce qu'il faut louer tout de suite, c'est la présentation splendide de l'oeuvre. Un tel goût et une telle richesse dans la décoration scénique ingénieuse, une variété aussi bien harmonisée dans les costumes et jusque dans les accessoires 15 font plaisir à voir et nous rappellent les beaux temps de 28-29 alors que les succès américains entreprenaient des tournées de 52 semaines dans les villes de l'Est.

Interrogée à propos de ce spectacle, Laure Cabana explique 'Qu'on avait jamais rien vu de pareil à Montréal. C'était frais et ça ne sentait pas la colle, mais la fleur de pommier. Tout était neuf, tout était beau, c'était nouveau. J'avais dessiné et fabriqué, avec l'aide de la couturière attachée aux spectacles de la Société, des costumes orientaux simplifiés, lustrés, capitonnés, dans des tons de violacé s'harmonisant au décor vert eau agrémenté de touches de rouge chinois qu'avait imaginé Jacques Pelletier'. 16 Le jeune premier, rôle tenu par Lionel Daunais, faisait une entrée spectaculaire dans une robe de cérémonie de lustrine jaune clair. Un dragon peint sur le dos ajoutait à l'effet et prouvait la dextérité de la costumière dans la peinture sur tissus.

Cette heureuse expérience se continue tout au long de la saison programmée par la Société qui offre au public montréalais une opérette par mois: Le Secret de Polichinelle en novembre, Le Comte de Luxembourg en décembre, Le Grand Mongol en janvier, Les 28 l'ours de Clairette et Le Barbier de Séville en février, Le Voyage en Chine en mars, Vagabond King, (offert au His Majesty's) à la fin avril, et ainsi de suite ... . 17

Cette participation fait de Laure Cabana une mordue inconditionnelle du théâtre, encouragée par d'excellents amis, notemment André Audet l'auteur du fameux programme radiophonique Madeleine et Pierre. Cette amitié la conduit à fréquenter le studio de la mère d'André, Madame Jean-Louis Audet, pour parfaire sa formation théâtrale. Elle suit des cours d'interprétation, qui la mettent en contact avec la littérature dramatique mondiale. Avec André Audet à la mise en scène et Jacques Pelletier aux décors, elle participe à la production des spectacles qui sont montés par les élèves à l'époque des fêtes. 18Le répertoire à l'affiche n'a rien d'anodin, outre les contes de féé comme Le Grand Poucet ou Hansel et Gretel, on s'atttaque à Marivaux, Molière, Shakespeare, Ghéon et même à lAnnonce faite à Marie de Paul Claudel. 19

Pierre Dagenais, dans son Et je suis resté au Québec, rend un vibrant hommage à cette famille qui 'n'a jamais récolté le fruit de leurs mérites'. 20 Il rappelle aussi ce merveilleux théâtre de marionnettes qu'André Audet et Jacques Pelletier avaient mis au point, dont une des figures était le personnage de Fridolin créé par Gratien Gélinas. Ce dernier me confirmait d'ailleurs l'importance capitale qu'eut le Studio Audet dans l'évolution de notre vie théâtrale, ainsi que le talent des deux fils, André en mise en scène et Marc au son. 21 Forte de ses années d'apprentissage ‘à la bonne école', Laure Cabana est prête pour le métier.

En 1942, l'année où Pierre Dagenais, jeune prodige de 19 ans, fonde l'Equipe, le tandem Cabana-Pelletier est appelé à prendre en charge l'aspect visuel des revues annuelles de Gratien Gélinas, les Fridolinades. Ces revues, qui ont débuté en 1938 ont déjà quelques années de succès et de tradition. Le style visuel est l'oeuvre de Jacques Gagnier, dessinateur et caricaturiste très doué du journal La Presse avec qui Gratien Gélinas collabore étroitement durant quatre ans. Sur cette collaboration, la critique est unanime et ne tarit pas d'éloges d'année en année. Jean Béraud écrit dans la Presse du 10 février 1941: 'Jamais revue n'a été à Montréal mieux coloriée, vêtue, encadrée, pomponnée, costumée, décorée, vernissée, pour tout dire en un mot qui n'en est pas un: toilettée.'

On constate que le défi à relever est de taille, d'autant plus que lorsque Gagnier décide de ne plus dessiner les revues pour des raisons de santé, nous sommes en pleine guerre mondiale. Laure Cabana se souvient qu'à l'époque: 'les manufacturiers canadiens et américains ne produisaient que du lainage et du coton kaki, noir ou blanc. Les beaux tissus importés d'Europe, les soies, les velours, les brocards étaient plus rares que la prunelle des yeux et si après avoir fouillé dans les vieilles boîtes de carton des arrières boutiques des petits magasins de Saint- Henri ou de Verdun on trouvait quelques bouts de dentelle, quelques rubans, quelques plumes, c'était le Pactole'. 22

Photo non disponible: Les fridolinades, Monument National, 1945.

Cette pénurie de matériaux n'empêche pas le jeune couple Cabana-Pelletier, marié en 1943, 'de faire des merveilles et d'atteindre au grand art' selon Jean Desprez, dans le Radiomonde du 19 février 1944. En matière vestimentaire on peut se fier à l'opinion de cette femme de lettres qui, à l'époque, était célèbre pour sa collection de chapeaux.

Gratien Gélinas continue sa revue annuelle jusqu'en 1947. Interrogé sur cette période, il se souvient de la relation très heureuse qui s'installe entre lui et ses nouveaux collaborateurs: 'Lorsque j'ai perdu Jacques Gagnier, j'étais un peu découragé, mais très vite, Jacques Pelleter qui était au départ un décorat eur plus architectural que caricatural s'assouplit et fit preuve de beaucoup de fantaisie. Quant à Laure Cabana elle a toujours fait montre d'intelligence, de sensibilité, de finesse, de fantaisie et surtout elle captait l'essentiel d' un costume et traduisait parfaitement la psychologie d'un personnage. Précédemment avec Jacques Gagnier, nous avions eu quelques déceptions, confondant quelquefois caricature d'un dessin et caricature dans un costume'. 23

De son coté Laure Cabana se souvient que: 'la communication avec Gélinas était simple, directe, toujours très humaine ce qui rendait le travail d'étroite collaboration intéressant et très enrichissant. Il nous soumettait des idées de sketches en gestation ce qui nous permettait de suivre le développement de ses revues et même d'apporter des éléments de notre cru... . Nous allions ensemble une semaine à New York au printemps et à l'automne voir des spectacles, question de se mettre au courant de ce qui se passe, d'acheter de l'éclairage, et surtout d'être stimulés'.24

En janvier 1944, le couple Cabana-Pelletier signe les décors et les costumes de l'Homme qui se donnait la Comédie d'Emlyn Williams adapté par Pierre Roche, troisième production de l'Equipe, la troupe dirigée par Pierre Dagenais. Cette pièce marque le début d'une autre collaboration rarement égalée au théâtre, saluée par les critiques: ' ... Metteur en scène et décorateurs se complètent et s'épaulent avec une rare harmonie'. 25 Laure Cabana s'explique là-dessus: ‘... pour moi, le metteur en scène est un maître d'oeuvre qui donne le ton, pour que tout le monde s'en aille dans le même sens, pour qu'on construise la même cathédrale. Pierre avait de l'instinct, et une belle sensibilité qui l' a beaucoup servi. Il avait surtout du génie. A travers des rencontres et des discussions, nous analysions, Jacques et moi visuellement, Pierre psychologiquement, les personnages et les lieux d'une pièce et nous confrontions nos diverses interprétations. On cherchait ensemble. Nous lisions beaucoup, nous discutions beaucoup, nous formions avec le noyau d'acteurs, Janine Sutto, Nini Durand et quelques autres, une sorte de famille'.26  

De 1944 à 1948, cette 'Equipe'27 monte le Marius et Fanny de Marcel Pagnol, Les Fiancés du Havre de Salacrou, Les Parents terribles de Jean Cocteau, Le Temps de vivre de Pierre Dagenais, au Monument National, le Songe d'une Nuit d'Eté de Shakespeare, dans les Jardins de l'Ermitage, Liliom de Ferenc Molnar, L'Ecole des Femmes de Molière au Gesù et enfin Le Diable s'en mêle de Pierre Dagenais à Baie Saint-Paul, lors d'un festival, spectacle qui fut repris dans les jardins de l'Ermitage en 1949. Il serait fastidieux de rapporter ici les critiques du temps qui sont toutes plus élogieuses les unes que les autres. Hélas, comme aujourd'hui encore, une bonne critique n'est pas le seul facteur qui assure le succès commercial. Las d'accumuler des dettes et de mal payer ses collaborateurs, Pierre Dagenais dissout la troupe en 1948. Gratien Gélinas dira 'qu'avec l'Equipe, une page de l'histoire de l'activité théâtrale canadienne-française avait été tournée'.28

D'autre-part, cette même année, poursuivant sa lancée, Gratien Gélinas atteint les 200 représentations avec sa première pièce de théâtre Tit-Coq. Laure Cabana et Jacques Pelletier contribuèrent au succès de l'ensemble et Jean Hamelin souligne 'la classe professionnelle évidente du spectacle'.29 Ils ne peuvent, hélas, participer au tournage du film tiré de la pièce, quelques années plus tard.

A propos de films, rappelons que vers la fin des années 40 et au début des années 50, la production cinématographique prend son essor dans la Province de Québec. Plusieurs films sont tournés, généralement durant les mois d'été. Ils ont pour titres: Le Rossignol et les Cloches, Un Homme et son péché, Le Curé de Village, Aurore l'enfant martyre, etc ... Laure Cabana participe à ces films en tant que maquilleuse ou costumière. 30 Elle avait précédemment acquis de l'expérience lors du tournage, au Québec, d'un film de la 20th Century Fox 'Le corbeau' qui mettait en vedette Charles Boyer et Lynda Darnell. Son poste de troisième assistante à la costumière était modeste, mais il lui avait permis de comprendre la très grande différence dans l'organisation du tournage d'un film et d'une pièce de théâtre. Cette expérience sera mise à contribution au cinéma puis, à partir de 1952, à la télévision.31

Photos non disponibles:
1- Etudes des personnages tenus par Messrs Gilles Pelletier et Denis Drouin, Le diable s'en mèle.
2- Le Corsaire, 1952.

  Durant l'été 1946, le couple Cabana-Pelletier suit un séminaire de pratique théâtrale à Fordham, université située dans le Bronx à New York. Les professeurs de ce stage 'post gradué' sont tous des vedettes de Broadway: Jo Mielziner, Albert McCleery, Ralph C. McGoun, etc. ... Avec les cours sur le costume, Laure Cabana suit des cours de décor, d'éclairage, et d'histoire du théâtre. Elle participe, à la fin du stage, à la production de quelques pièces de théâtre. 32

En plus de leur faire connaître un peu 'le milieu' ce voyage leur procure l'occasion de visiter les ateliers américains qui fabriquent les costumes, les rideaux de scènes, qui teignent les tissus pour le théâtre et les magasins qui les vendent etc. ... en un mot toute l'infrastructure new yorkaise des métiers de décorateur et de costumier. Là encore ces connaissances seront mises à contribution lorsque les Cabana-Pelletier établiront les départements de décor et de costumes pour la télévision de Radio-Canada. 33

Mais avant d'arriver à cette étape de leur carrière, il faut mentionner leur participation aux débuts de la troupe du Théâtre du Nouveau Monde au Théâtre Gesù. Ils sont du premier spectacle, l'Avare de Molière, mis en scène par Jean Gascon, le 9 octobre 1951. C'est encore eux qui signent le second spectacle, Un inspecteur vous demande de J. B. Priestley, mis en scène par Jean-Louis Roux, à la fin du mois suivant. Il en est de même des quatrième et sixième spectacles Maitre après Dieu de Jan de Hartog, adapté par Jean Mercure et mis en scène par Jean Dalmain, offert en mars 1952 et Le Corsaire de Marcel Achard, mis en scène par Jean Gascon, en novembre de la même année.34

Le 6 septembre 1952, l'inauguration officielle de la télévision d'Etat va imprimer une nouvelle direction à la carrière de Laure Cabana. Depuis février, Jacques Pelletier occupe le poste de direction au départment de la scénographie, qui comprend: décors, costumes, maquillages, arts graphiques, services scéniques, construction, peinture, accessoires et montage. Il faut organiser l'ensemble de ces secteurs et pour ce faire, il fait appel à plusieurs artistes versés dans ces diverses disciplines pour l'assister. Se sentant prête à assumer cette tâche, Laure Cabana pose sa candidature au départment du costume et du maquillage qui composent un seul et même service. Elle n'est pas la seule sur les rangs. Un autre candidat Monsieur Régor, professeur de coupe à l'Ecole des Arts et Métiers commerciaux, risque fort de l'emporter puisque les liens de parenté entre elle et Jacques Pelletier lui nuisent plus qu'ils ne l'aident. Il y a, en effet, une loi dans les statuts de Radio-Canada qui interdit l'emploi de deux membres d'une même famille. 35

Après avoir hésité, la direction lui offre tout de même le poste, en lui proposant un emploi temporaire, question de contourner le problème. Ce n'est qu'après plusieurs années de travail qu'elle deviendra une employée permanente.

En principe, elle est première dessinatrice mais en fait, elle est directrice du départment. Installée sommairement dans l'ancien hôtel Ford, mal converti en atelier et en studio, il lui faut tout mettre en place et personne à Montréal n'a l'expérience de la télévision:

Me fiant à mon propre cas, j' ai engagé des artistes formés aux Beaux-Arts, sachant qu'ils avaient la base. Il me restait à les initier aux métiers de costumier et de maquilleur. Radio-Canada m'avait envoyée faire un stage en maquillage pour la télé à New York avec un des grands maguilleurs du temps, Monsieur Smith, attaché à N.B.C. Puis, nous avons eu quelques mois pour prendre l'expérience en circuit fermé. Très vite, cela a grossi tellement, qu'il a fallu séparer le département en deux sections. Les costumiers après une grosse journée de travail devaient maquiller à partir de 6 heures du soir avant d'aller en ondes. C'était harassant. Cela devint vite impossible. 36

Plus tard, à l'occasion d'un voyage personnel à Paris, Laure Cabana maquillera sur scène pendant le spectacle très populaire de Jean Nohain, Trente-six Chandelles, mis en onde au théâtre de l'Etoile devant public. 37Cette carrière télévisuelle, elle la poursuivra en tant que directrice du département, puis comme dessinatrice, une vingtaine d'années durant. Pour rendre compte ici de chacune des productions qu'elle planifia ou dessina, il faudrait faire l'histoire de la télévision de langue française de Radio-Canada depuis ses débuts jusqu'en 1972, date où elle prend sa retraite.

Gratien Gélinas me soulignait dans une entrevue qu'il m'accordait en août 1979, l'importance de la télévision, dans le développement des métiers reliés à l'activité théâtrale, le jeu, le décor, le costume, l'éclairage. En effet ce médium qui, à première vue, semblait une menace pour la vie théâtrale, devint très vite un support permettant un développement accéléré des métiers de la scène. Grâce à une situation financière stable pour les dessinateurs, à une pratique quotidienne qui s'appuie sur une infrastructure d'ateliers bien organisés, l'aspect visuel, à la télévision et par ricochet au théâtre, prennent un essor considérable à partir des années 1950. Cette effervescence des années cinquante incite certains artistes à se pencher sur le problème de la formation. Le Conservatoire et l'Ecole Nationale de Théâtre du Canada sont créés. Moins de dix ans après, avec l'apparition des Cégeps naissent les Options-thêâtre. Après avoir quitté Radio-Canada, en 1972, Laure Cabana reste en contact avec 'le métier' en donnant un cours de création de costumes, aux étudiants en décors-costumes, à l'Option-théâtre du Cégep Lionel- Groulx.

Et nous voici revenus au début. Comme ses professeurs de Beaux-Arts, comme la famille Audet, comme tous ceux qui lui ont tant donné, pendant plus de dix années, Laure Cabana vient redistribuer aux débutants, les connaissances qu'elle a accumulées, à fin d'une carrière bien remplie. Toutes celles qui pratiquent ce métier (costumières, coupeuses, chapelières, habilleuses, etc ... ) lui doivent un petit coup de chapeau pour son formidable travail de pionnière dont je n'ai pu esquisser ici que les grandes lignes.


NOTES

1 EUGÈNE LAPIERRE Calixa Lavallée Ottawa, Fides 1966, p 127-145
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2 ROBERT PREVOST Que sont-ils devenus Montréal, Editions Princeps 1939 p 43-88
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3 Bella Ouellette tient un rôle dans La Passion que monte Julien Daoust au Monument National en 1902. Est- ce son premier? je n'en suis pas certaine mais je le crois.
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4 La Cardinal Amusement Co. contrôle, dans les années 1920, le jardin de Dance et les théâtres cinémas Ouimetoscope, Casino, Saint-Denis, Arcade, National et le Canadien-Francais, ancien Nationoscope. Programmes de la saison 1926-27 du Canadien-Français, déposés à la Bibliothèque de la Ville de Montréal, salle Gagnon, ou dans les Programmes du Saint-Denis, saison automne 1928, déposés à la Bibliothèque Nationale du Québec, section programmes de théâtre.
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5 JOYCE CUNNINGHAM 'L'ancien théâtre Stella' Jeu, 6, (1977) p 62-79
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6 JEAN BERAUD. 350 ans d'histoire du théâtre au Canada français. Cercle du Livre de France, Montréal 1958 p 197
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7 Entrevue accordée à l'auteure par Madame Laure Cabana. Outremont, 21 juin 1980.
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8 Cet acteur sorti du Conservatoire de Paris n'était pas à sa première visite ici. En effet, il avait déjà été engagé par Valery Heurion pour tenir les rôles de jeune premier durant la saison 1904-05 au Théâtre des Nouveautés à Montréal et il était resté ici quelques années. Programmes Théâtre des Nouveautés saison 1904-05. Déposés à la Bibliothèque Nationale du Québec, section programmes de théâtre.
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9 Elle est la 7ième de 8 enfants dont 5 restent vivants. Son père, Joseph Napoléon Cabana travaille dans l'assurance et s'occupe de politique. Entrevue accordée à l'auteure par Madame LAURE CABANA. Outre- mont, le 26 juin 1986.
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10 Ibid
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11 Plus tard, elle éprouvera le besoin de compléter ces connaissances en suivant des cours de coupe. Entrevue accordée à l'auteure par LAURE CABANA, Outremont, le 21 juin 1980.
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12 A quelques mois de ces débuts, Henri Letondal, alors critique au journal Le Canada écrit que les spectacles de la Société ont fait un: 'Enorme progrès en quelques mois attribué: à Berthe Simpson, véritable cheville ouvrière de cette colossale entreprise qu'est l'Ecole d'Art lyrique, à Monsieur Roberval dont l'expérience est si précieuse, à sa directrice artistique Jeanne Maubourg, au régisseur général Emile Cartier qui avec l'aide de son ami George Fortin et du dessinateur Jacques Pelletier a complètement renové la mise en scène et lui a donné une allure digne de notre première scène lyrique.' Le Canada 20 mars 1934 p 3
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13 P.W. 'L'Art des décors créés pour Noe'. Le Canada 23 mars 1933 p 3
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14 Mme Simpson travaille par la suite pour des librairies montréalaises, notamment à la promotion de la Librairie Leméac. (Information fournie par MARIE-LAURE CABANA, vérifiée auprès de Monsieur YVES DUBE, ancien directeur des Editions Léméac).
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15 Les accessoires avaient été exécutés par LAURE CABANA et JACQUES PELLETIER.
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16 Entrevue LAURE CABANA - op cit 21 juin 1980.
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17 ANONYME. La Presse, 16 septembre 1933, p. 65.
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18 Entrevue avec LAURE CABANA -op cit 21 juin 1980.
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19 JEAN BERAUD 350 ans de théâtre au canada français Montréal, le Cercle du livre de France 1958 p 221
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20 PIERRE DAGENAIS ... et je suis resté au Québec. Montréal, Les Editions la Presse 1974 p 37
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21 Entrevue accordée par GRATIEN GELINAS à l'auteure. Outremont 25 août 1980
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22 Entrevue avec LAURE CABANA op cit 21 juin 1980
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23 Entrevue avec GRATIEN GELINAS op cit
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24 Entrevue avec LAURE CABANA op cit 21 juin 1980
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25 JEAN HAMELIN. Le renouveau au théâtre canadien-français. Montréal, Les Edition du Jour 1961 p 33
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26 Entrevue avec LAURE CABANA op cit. 21 juin 1980
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27 PIERRE DAGENAIS travaille aussi avec d'autres décorateurs, notamment ROBERT LAPALME et PAUL BEAULIEU.
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28 Entrevue avec GRATIEN GELINAS op cit
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29 HAMELIN op cit p 46
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30 Elle est maquilleuse pour Le Rossignol et les Cloches. Elle signe les costumes des trois autres films. Ces renseignements m'ont été fournis par le service d'archives de la Cinémathèque québécoise à Montréal.
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31 Entrevue avec LAURE CABANA Op Cit 21 juin 1980
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32 Id
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33 Id
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34 ELOI DE GRANDMONT, NORMAND HUDON ET JEAN-LOUIS ROUX. 'Chronologie' dans Dix ans de théatre au Nouveau-Monde Mont- réal, Editions Léméac 1961 (en exergue)
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35 Entrevue avec LAURE CABANA op cit 21 juin 1980
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36 Id
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37 Id A cette occasion, elle avait habilée et maquillée en moine, une jeune comédienne devenue la célèbre Line Renaud. Le public devait deviner qui se cachait sous ce déguisement.
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