ELAINE F. NARDOCCHIO, Theatre and Politics in Modem Quebec. Edmonton, University of Alberta Press, 1986. 157 pp.

DENIS CARRIER

Les ouvrages sur l'histoire du théâtre au Québec ne sont pas légion. Aussi accorde-t-on un vif intérêt aux nouveautés dans le domaine. Le dernier en lice appartient à Elaine F. Nardocchio: l'auteure tente d'établir le rapport intime qui lie le théâtre aux composantes politique et sociale de la société québécoise, des origines à 1980, et analyse la thématique et l'idéologie que colportent les textes dramatiques étudiés. Tout ça en 117 pages (hors les notes et bibliographie), c'est court! Le risque qui guette le chercheur dans pareil cas, c'est d'effleurer le sujet plutôt que de le cerner. Malheureusement, l'auteure n'y échappe pas.

Dans son premier chapitre Madame Nardocchio prétend démontrer, en quinze pages, l'influence étroite de l'État et de l'Église sur le théâtre québécois de 1606 (Théâtre de Neptune) à 1935 (fermeture du théâtre Stella). Or durant cette période, selon elle, le théâtre se manifeste d'abord et avant tout dans les collèges. Le lecteur serait en droit d'y retrouver des informations concernant le répertoire, la mise en scène, les représentations, etc., et, ensuite, de faire le pont avec le théâtre amateur qui se pratiquait hors de l'enceinte des collèges. Tel n'est pas le cas. Nardocchio commet un impair en avançant, par exemple, que le Monument National et le Théâtre des Variétés sont les seuls théâtres à échapper au couperet des fermetures au début du siècle. C'est méconnaître l'existence du Théâtre National, fondé en 1900 par le dramaturge et comédien Julien Daoust sur le site qu'il occupe encore aujourd'hui comme cinéma pornographique gay. Le National connaît une période florissante de 1900 à 1913 en présentant un répertoire français de mélodrames et de comédies. Il donne dans le burlesque en 1923, et ce jusqu'à sa fermeture définitive en 1954, avec les grands noms de l'époque: Pizzy-Wizzy, Tizoune, Manda, Pic-Pic, la Poune, etc. La Belle Époque sans le National serait tout autre. Toute cette période mériterait à elle seule un chapitre: Nardocchio la passe sous silence. D'autres détails: à la page 16 l'auteure affirme que Louis Guyon a remporté en 1929, avec son Mariage à la gaumine, le troisième prix du concours parrainé par le Théâtre National et son propriétaire-locataire Georges Gauvreau. Il faut rectifier 1929 pour 1903! D'autre part, la période du Stella, 1930-1935, mérite une plus grande couverture. Nardocchio ne parle ni de sa fondatrice, Antoinette Giroux, ni de localisation du théâtre, ni de son répertoire, ni du public. Comment voulez-vous juger de l'impact social du théâtre si vous ignorez son public? Et les troupes françaises et américaines qui effectuaient régulièrement des tournées au pays, plus particulièrement dans la métropole, qu'en est-il? Le phénomène Sarah Bernhardt et son échauffourée avec les étudiants de Québec auraient nécessité à tout le moins une mention ...

Le deuxième chapitre, consacré à l'ère duplessiste, manque également de profondeur. Nardocchio se devait d'insister sur le recrutement et la formation des comédiens des Compagnons de Saint-Laurent, et ainsi de démontrer l'impact de leur formation rigoureuse sur l'évolution du théâtre québécois. D'autre part, le théâtre joué à la radio et à la télévision souffre d'une sérieuse omission. Il suffit de relire l'introduction de l'ouvrage de Pierre Pagé sur la littérature radiophonique pour se rendre compte de son apport culturel. Est-il nécessaire de mentionner que la radio et la télévision rejoignaient un bassin de population beaucoup plus vaste qu'une représentation au Monument National? L'occasion était belle pour Nardocchio d'analyser l'impact de la radio sur la société québécoise et d'expliquer ipso facto le succès phénoménal de certains radioromans, notamment Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon! Parmi les pièces représentatives de cette période il faut insérer Le Marcheur d'Yves Thériault, qui invite l'individu à se libérer des structures sociales aliénantes et à vivre pleinement ses aspirations.

Le troisième et le quatrième chapitres traitent de la Révolution tranquille de 1960 à 1980. Le talon d'Achille de Nardocchio, c'est qu'elle brosse un tableau des événements sociaux de ces années fertiles en idéologies sans en faire un lien évident avec les activités théâtrales en cours. Reléguer aux oubliettes la création du R.I.N. en 1964, la dissidence au sein du Parti Libéral du Québec qui débouche sur la fondation du Mouvement Souveraineté-Association en 1967 et sur la création du Parti Québécois en 1968 risque de fausser singulièrement certaines interprétations de l'auteure.

En somme, Nardocchio nous présente une vue d'ensemble, un survol du théâtre et de la société québécoise des origines à 1980. L'ouvrage manque de rigueur d'analyse et de profondeur. La bibliographie ne contient que peu de livres sur l'évolution et la mutation de la société québécoise de cette période. Ce qui explique probablement la faiblesse et l'interprétation douteuse de certaines périodes pourtant cruciales du Québec, notamment celle de la Révolution tranquille où Nardocchio ne perçoit guère la mutation qui s'opère sur les Québécois et leur culture. Qui trop embrasse mal étreint.