HÉLÈNE JASMIN-BÉLISLE, Le Père Émile Legault et ses Compagnons de saint Laurent: Une petite histoire... Montréal: Leméac, 1986. ISBN 2-7609-5067-0. 205 pp

MARIEL O'NEILL-KUCH

En 1978, lors de la publication du livre d'Anne Caron, Le Père Émile Legault et le théâtre au Québec (Fides), la critique (voir surtout l'article d'André G. Bourassa dans LAQ) avait conclu que malgré certains mérites de l'ouvrage, dont la bibliographie et les annexes, une étude sérieuse de la troupe des Compagnons de saint Laurent (1937-52) restait à faire. Huit ans plus tard paraissait chez Leméac le livre d'Hélène Jasmin-Bélisle qui aurait pu être cette étude tant attendue.

'Belle tête,' serions-nous tentés de dire comme le renard de la fable devant ce livre qui en impose par sa présentation et déçoit tout autant par son contenu, 'mais point de cervelle.' On doit ce masque ou ce buste creux qu'interroge le renard de la fable, ici le lecteur, à Claude Lafrance qui a retenu une très belle illustration de Prévost mettant en scène L'Éveillé et La jeunesse, les valets de Bartholo, qu'il incorpore admirablement bien à son projet de couverture qui laisse entendre que ce qu'il y a derrière est de la même qualité que ce qu'on a mis devant. On ne peut pourtant pas non plus accuser les éditions Leméac de fausse publicité puisqu'on prend bien soin de nous avertir, noir sur jaune, qu'il s'agit d'une 'petite histoire ... ', la deuxième, comme si le sujet ne devait inspirer rien de plus élevé qu'une admiration sans bornes qui défie l'analyse critique.

Ce n'est pas ajouter une lumière appréciable que de nous dire, sur Émile Legault, que son père était 'bon comme tout' et sa mère, une 'adorable mère-poule' (p 15). Ce genre de révélations en dit beaucoup plus sur Hélène Jasmin-Bélisle, 'originaire de Saint-Laurent, issue d'une famille bien connue des Legault' (p 12), qui a voulu rendre hommage à un grand homme de théâtre en rassemblant ce qu'elle qualifie elle-même de 'petite histoire.' Mais tient-on vraiment à savoir ce qui se passait dans les coulisses?

Son texte est fondé surtout sur des interviews que lui ont accordés, entre 1979 et 1981, vingt-deux des Compagnons. On a donc effectué un choix. Selon quels critères? Où sont, par exemple, les voix de Jean-Louis Roux et de Jean Duceppe qui auraient pu éclairer certains départs? Ce qu'on a retenu, ce sont en fin de compte des anecdotes, dont certaines inédites, qui valent ce que vaut tout témoignage fondé sur la mémoire qui déforme tout, on ne le sait que trop, et de vagues éloges comme on en fait quand on a enterré ses souvenirs. Le père Legault, apprend-on, était 'un ami, un grand frère. On s'aimait bien, on s'engueulait bien.' (p 197) Tout cela est gentil, mais bien loin des préoccupations des historiens de théâtre d'aujourd'hui.

Passe encore pour ces puérilités, mais là où l'auteure dépasse les limites du genre et perd crédibilité auprès d'un lecteur sérieux qui ne retient plus que les faiblesses de l'ouvrage, c'est quand la petite histoire se fait roman, c'est-à-dire là où Hélène Jasmin-Bélisle nous faire lire des pensées du père Legault, qu'elle cite ... (p 15)

Comme Hélène Jasmin-Bélisle s'en tient aux jugements de valeur fondés sur des impressions fugitives, elle ne trouve rien à répondre aux détracteurs du père Legault, et l'article retentissant de Jean-Claude Germain, par exemple, ('C'est pas Mozart, c'est le Shakespeare québécois qu'on assassine' dans Jeu no 7, p 11-13) qui compare ceux qu'il appelle les 'fils du père Legault' aux missionnaires jésuites ceuvrant chez les Amérindiens, disant qu'ils 'cherchèrent à faire prendre conscience au public québécois de son ignorance et de son manque de culture, en lui faisant miroiter les joyaux d'une culture universelle infiniment supérieure aux velléités culturelles locales' continue de nous hanter. Selon lui, loin d'être responsables de la naissance du théâtre québécois moderne, comme l'affirme Hélène Jasmin-Bélisle à la suite de bien d'autres, les Compagnons en auraient plutôt retardé l'évolution. C'est un point de vue qu'il aurait fallu, si possible, réfuter avec preuves à l'appui. La question est grave et on ne peut croire l'avoir écartée en déclarant que 'le public semble enchanté d'applaudir ces classiques du théâtre français.' (p 41)

Ceux qui aiment les potins trouveront le contenu de ce mince volume assez peu savoureux. Ceux qui voudraient comprendre l'impact des Compagnons sur le théâtre québécois ne trouveront pas que Madame Jasmin-Bélisle leur a fourni le matériel qu'ils cherchaient car Le père Émile Legault et ses Compagnons de saint Laurent: une petite histoire ... n'est ni une biographie du père Legault ni une étude systématique des Compagnons, mais un chapelet d'anecdotes dont le style hagiographique ('l'âme de cette troupe' p 13; 'le goût de plonger dans l'absolu' p 15; 'disciples' p 44; 'le feu sacré' p 50; 'mission' p 61; 'grand joueur de tours devant l'Étemel' p 75, etc.) ne peut que nuire à son sujet. On ferme le livre comme si l'on sortait d'une église alors qu'on croyait aller au théâtre.