RENÉE LEGRIS, JEAN-MARC LARRUE, ANDRÉ-G BOURASSA et GILBERT DAVID, Le Théâtre au Québec, 1825-1980. Montréal: VLB éditeur, 1988. 205 pp. ISBN 2-89005-331-8.

MARIEL O'NEILL-KARCH

En 1988, à l'occasion du dixième anniversaire de sa fondation, la Société d'histoire du théâtre du Québec s'est associée à la Bibliothéque nationale du Québec pour préparer une exposition de documents d'archives dont le but était << de sensibiliser les Québécoises et les Québécois à l'importance de rassembler, de conserver et de diffuser les documents témoins de leur histoire>> (p 11). Mais l'exposition se faisant uniquement à Montréal, Renée Legris, présidente de la SHTQ, et une équipe de trois chercheurs ont préparé un catalogue qui assurera une permanence à cette manifestation limitée dans le temps et dans l'espace.

Environ cent cinquante reproductions d'affiches publicitaires, de photos de théâtres et d'interprtes, d'articles critiques et de livres qui faisaient partie de l'exposition, témoignent de la richesse du patrimoine québécois, surtout quand l'on considère qu'il s'agit là d'exemples tirés d'une seule collection, celle de la BNQ. Pour les mettre en valeur, trois textes retracent l'évolution de la pratique théâtrale de 1825, date de l'ouverture à Montréal du Theatre Royal, à 1980, année du référendum sur la souveraineté-association.

La première tranche, celle qui recouvre la période 1825-1930, montre trés bien ce que l'on a tendance à oublier, que <<le théâtre francophone professionel, tel qu'on l'a connu au cours de ces années, est né du théâtre anglo-américain, grâce et â cause de lui>> (p 25). Ce que les premières troupes canadiennes-françaises servaient au public--qui en redemandait--était en effet souvent des traductions ou des adaptations de succès américains qui, ironie suprême, avaient parfois été adaptés de succès parisiens comme Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte Cristo et Les Pauvres de Paris. On peut alors parler de libre-échange culturel à sens unique, mais on ne peut certes pas parler de l'<< âge d'or >> théâtral de Montréal, comme l'ont fait certains historiens que refute Jean-Marc Larrue de façon fort convaincante.

Dans un deuxième volet, André-G. Bourassa, à qui l'on doit déjà plusieurs études importantes, se réclame d'un récent livre de Henri Meschonnic, Modernité modernité, pour montrer que la période qui va de 1930 â 1965 est celle de <<l'avènement du sujet>> (p 91). Certains praticiens du théâtre se font théoriciens et le Québec s'ouvre de plus en plus â ce qui se pense, se dit et se fait ailleurs. De longues citations de Claude Gauvreau, Gratien Gélinas et Marcel Dubé montrent l'étonnante maturité de ces réflexions qui soulignent le passage de l'imitation à la création.

Mais c'est le répertoire européen qui occupe la place prépondérante dans la programmation de troupes comme celle des Compagnons de Saint-Laurent. Si Jean-Claude Germain s'est insurgé contre le sort de parent pauvre résérvé aux pièces écrites par des Canadiens français, André-G. Bourassa, moins impliqué que lui, trouve tout simplement que <<Legault s'intéresse trop au contenu (religieux) et pas assez à la forme>>, jugement qu'il nuance au point d'en faire une qualité quand il dit que <<ce préjugé qu'il adopte pour la forme médiévale, avec ce qu'elle suppose de reflet des formes stéréotypées héritées de l'époque classique et de la scène bourgeoise, est certainement à mettre au compte de la modernité>> (p 94).

Les Québécois accèdent aussi à la modernité par la création de nombreux théâtres de poche où les artisans ne sont pas limités par les exigences de salles destinées au grand public, et par la création de nouvelles troupes qui consolident les bases posées au cours de la période précédente.

Le texte de Gilbert David, recouvrant les années 1965-1980, est le moins intéressant volet du triptyque. Ce qui l'empêche tout à fait de devenir un simple catalogue de titres d'oeuvres et de noms de dramaturges, c'est que I'auteur en a divisé la matière en trois parties qui reflètent sa lecture de l'époque: <<Une impulsion autarcique>>, <<La recherche d'anti-modèles>> et <<Une inclination pour le théâtre américain>> (p 151). Ce découpage est judicieux, mais le fait qu'il n'y a aucun rappel de ce que dit Jean-Marc Larrue sur l'engouement du public du dix-neuvième siècle pour le théâtre américain révèle une des faiblesses de ce genre d'ouvrages où les auteurs des divers chapitres ne tiennent pas assez compte des propos de leurs collègues.

Ce n'est malheureusement pas la seule faiblesse de ce livre où la qualité de la langue et du style varie d'un chapitre à l'autre. Jean-Marc Larrue, par exemple, a produit un texte qui se lit très bien, grâce en partie aux liens parfois subtils, toujours pertinents, qu'il fait entre les phrases, les paragraphes, les sections. Le chapitre de Gilbert David, par contre, contient des répétitions lexicales, des fautes d'accord et des coquilles.

Malgré ses défauts et ses inégalités, Le Théâtre au Québec 1825-1980 répond bien aux buts annoncés par Renée Legris dans son introduction: <<Le cadre de cette publication ne permet que de proposer des repères, de tracer des signes reconnaissables d'une vie plus profonde, plus déterminante aussi de l'Institution théârale, qui est à la fois complexe et vaste>> (p 24). Il faudra attendre, comme elle le souhaite d'ailleurs, la publication d'une solide histoire du théâtre au Québec pour que le rideau se lève davantage.