Laure Riese
Il n'est certes pas facile d'évaluer le travail et les pièces que la Nouvelle Compagnie Théâtrale a mises en scène pendant vingt-cinq ans à Montréal. Dans les années 1964-1965, l'époque de son origine, elle se trouvait au milieu d'une activité théâtrale assez variée. Certains théâtres s'établissaient, d'autres disparaissaient, formant une sorte d'échiquier intéressant. On note cependant que la troupe de la NCT avait des assises solides et stables, bien administrée par Françoise Graton, Gilles Pelletier et Georges Groulx. Au fil des années elle a essuyé des difficultés budgétaires, des changements de personnel, de lieux, de traditions, d'animateurs et de programmes. Elle a été obligée de se plier à l'évolution de l'art dramatique pour plaire au publie. Initialement, la compagnie avait choisi d'offrir à son public des pièces classiques du répertoire européen et destinées à la jeunesse scolaire avec l'aide des professeurs. Peu à peu on a introduit des pièces plus modernes ainsi que la dramaturgie québécoise, donnant ainsi accès à un plus vaste public. Au début, puisque ce théâtre visait essentiellement les jeunes, on avait ajouté comme aide supplémentaire une revue, Les Cahiers, sorte de complément pour mieux fixer dans l'esprit les pièces vues sur scène.
A partir de cette schématisation quelle sera la conception de l'ouvrage selon les éditeurs, leur optique, leur approche théâtrale afin de faire comprendre au lecteur le témoignage de cette expérience pendant ces vingt-cinq ans? Comme le sommaire l'annonce, les différents chapitres ont été confiés à des témoins qui ont oeuvré et pris part à l'activité théâtrale. Tous rappellent leurs souvenirs, leur enthousiasme, les programmes offerts, les acteurs qui ont joué, et après chaque chapitre un tableau donne la liste des pièces du répertoire au cours des années.
Malheureusement, il s'ensuit de nombreuses répétitions, des réminiscences philosophiques, une truculence verbeuse fatigante qui nous laissent suffisamment dans le vague. On a cherché à tout dire; c'est dommage car cela revient à trop dire. Il est difficile dans tout ce verbiage de retrouver le but initial de ce théâtre, son évolution au cours des ans, l'optique des fondateurs. Je reproche à ce récit le découpage: ici on nomme les pièces, ailleurs les acteurs qui ont joué, plus loin la mise en scène et finalement l'avis d'un critique puis l'élément de la nouveauté. C'est plutôt déconcertant de piocher à travers tout un livre dont le décousu nous empêche d'avoir une idée précise, un tableau rationnel des pièces, de savoir en quoi consiste la nouveauté pour Montréal de la présentation d'une pièce classique ou de toute autre pièce à laquelle on a apporté des changements. Par contre, d'autres éléments sont lancés sans explication, telle la remarque (p 76) au sujet de la Commedia dell'arte, vraiment impardonnable.
On parle beaucoup de formules nouvelles, d'initiatives, mais quelles sont-elles? Est-il nécessaire d'utiliser un chapitre pour placer une biographie des auteurs du théâtre mondial? C'est au milieu de l'ouvrage qu'on nous dit que la NCT a 'parfaitement rempli son but et sa mission' en montrant au jeune public le meilleur du théâtre mondial. (En passant: Jacques Copeau n'était sûrement pas à l'Atelier-il avait son propre théâtre, le Vieux Colombier.)
Au cours de l'oeuvre on rencontre constamment des formules jetées au hasard et sans explication, tels le 'Théâtre de la maintenance' inspiré soi-disant de Cyrano, 'Hop Theatre,' 'Théâtre sans fil,' 'la Marmaille,' 'la Rallonge.' On ne peut que s'étonner de ces multiples éléments jetés avec une certaine désinvolture par-ci, par-là. L'ouvrage aurait beaucoup gagné si au lieu d'une répétition constante de l'énumération des pièces, on avait combiné la scénographie avec le point de vue de l'interprétation et de la critique. On doit attendre la fin de l'ouvrage pour apprendre qui tenait les rôles, le tout repris dans les tableaux et dans l'index détaillé tout à la fin!
Nombreux sont les retours en arrière: on saute d'une salle à l'autre pour introduire tout à coup la salle Fred-Barry, avec cette description: 'vouée spécifiquement à la création québécoise et, plus spécifiquement, à la création dramaturgique.' Qu'est-ce que cela signifie? Hélas! d'autres commentaires de ce genre reviennent au cours du texte. Pourquoi, à la fin du livre, au chapitre 'Une compagnie, une équipe,' l'auteur brosse-t-elle le portrait de ~ceux qui sont à la base de l'entreprise'? De plus, certains truismes se sont glissés dans ces nombreuses pages, tel 'le théâtre n'a pas d'âge' ou, parlant des années 70, 'la scène devient à cette époque un champ de bataille dans tous les sens du mot.' Et il y en a d'autres.
Les auteurs, me semble-t-il, emportés par l'enthousiasme d'une réussite durant vingt-cing années, n'ont pas su coordonner leurs données pour que le lecteur se rende compte de façon plus évidente de cet événement dans le domaine de la dramaturgie. Evidemment ce théâtre a évolué dans le cadre d'une société demandant la nouveauté, mais il a fallu un peu trop de pages pour le dire.
Enfin, les photographies sont superbes mais ne coïncident pas avec les textes. Pourquoi Cyrano lorsqu'on parle du théâtre de Beckett? On aurait pu les rassembler à la fin du volume.