MONIQUE ENGLEBERTZ, Le Théâtre québécois de 1965 à 1980 - Un théâtre politique (Canadiana Romanica vol 4). Tübingen: Max Niemeyer Verlag 1989, ISBN 3-484-56004-5. ix, 375. DM 140.

Paulette Collet

Il s'agit d'une thèse qui nous arrive d'Allemagne.

Monique Englebertz retrace d'abord, en quelques pages destinées au lecteur non-québécois, l'histoire du Québec jusqu'au référendum. Le corps de l'ouvrage est divisé en deux grandes parties, «La Dramaturgie individuelle» et «La Dramaturgie collective». L'auteur se propose d'y examiner dans quelle mesure le théâtre québécois contemporain « a . . . participé de manière active à de présumées transformations et a ... influencé,la vie politique au Québec » (p 8).

La première partie, «La Dramaturgie individuelle», comporte deux chapitres. Le premier s'intitule «L'Émancipation culturelle et la valorisation du joual». S'appuyant surtout sur des textes de Jean-Claude Germain, Jean Barbeau et Michel Tremblay, l'auteur tente de montrer qu'en optant pour le joual et en choisissant des sujets québécois, les dramaturges ont redonné à la nation «l'estime qu'elle avait perdue depuis longtemps». «Les hommes de théâtre québécois libèrent le public de son mutisme en s'adressant à lui dans sa langue initiale et en lui proposant de s'affirmer dans cette langue» (p 79).

Le deuxième chapitre est beaucoup plus conséquent que le premier. L'auteur y aborde en premier lieu le théâtre historique, en particulier les pièces traitant de l'oppression britannique, de l'attitude négative d'une Église qui collaborait avec l'agresseur et de la trahison d'un peuple qui abandonne ses héros. Ici, l'auteur s'appuie sur des oeuvres telles que Bois-Brûlés de Jean-Louis Roux, La Complainte des hivers rouges de Roland Lepage, L'Histoire du Québec en trois régimes de Léandre Bergeron, Derniers Recours de Baptiste à Catherine de Michèle Lalonde, Charbonneau et le chef de John Thomas McDonough. Une deuxième section examine «Les Conséquences de l'héritage historique». Les dramaturges, en particulier De Pasquale, Barbeau, Gurik, Germain, Tremblay, Loranger, peignent un Québécois humilié, dépossédé, accablé par des sentiments d'impuissance, de peur et de honte qui le rendent incapable d'agir et même de communiquer. Toutefois, ce «théâtre de la dénonciation» cherche à rehausser l'image que les Québécois ont d'eux-mêmes et suggère des instruments de libération. La troisième section, «L'Homme et la politique au Québec», examine surtout des oeuvres inspirées par des faits plus récents tels la visite du Général de Gaulle en 1967 et les événements d'octobre 1970. Après un examen détaillé de Hamlet, prince du Québec et de Le Chemin du Roy, l'auteur analyse des oeuvres de Beaulieu, Germain, Ricard, Major, entre autres. Dans certaines pièces, le ton moqueur «masque la désillusion et la hargne des dramaturges envers la collectivité à laquelle ils se sentent profondément unis» (p 133). D'autres écrivains montrent qu'en s'unissant, les Québécois peuvent changer la situation politique. Dans leurs pièces, le «nous» joue un rôle prépondérant.

La seconde partie, d'une cinquantaine de pages seulement, jette un regard sur les créations collectives. Ici, l'auteur n'a eu accès qu'à «des commentaires, des critiques, des interviews». Les aspects collectif, populaire et militant de ce théâtre sont brièvement étudiés. L'auteur conclut que le théâtre politique au Québec n'est pas mort, qu'il change simplement de forme: «Le sens de la collectivité retrouvé, il pourrait s'agir d'un glissement des responsabilités collectives vers les responsabilités individuelles» (p 344). Un résumé de l'ouvrage en allemand suit la bibliographie.

Étudier le caractère politique du théâtre québécois à une époque où celui-ci est particulièrement riche et où la conscience politique est en éveil, n'était pas une mince entreprise. Et il faut savoir gré à Monique Engelbertz de l'avoir osée. Pour la mener à bien, elle a examiné une cinquantaine de pièces, parcouru de nombreux ouvrages critiques et dépouillé un grand nombre de revues. Le seconde partie sur le théâtre collectif a le mérite de rassembler des données qui se trouvaient auparavant dispersées dans divers ouvrages et périodiques.

Il faut cependant faire certains reproches à l'auteur, auprès de qui, d'ailleurs, bien peu de critiques québécois semblent trouver grâce. D'abord des omissions! On s'étonne de ne voir dans son ouvrage aucune mention de Jacques Ferron, par exemple. Il est vrai que Les Grands Soleils datent de 1957, mais la pièce a été jouée pour la première fois en 1968. Marcel Dubé et Gratien Gélinas sont «expédiés» parce que leurs oeuvres sont «créées pour une certaine couche sociale aux critères culturels restrictifs» (p 3). L'ouvrage de Jacques Cotnam, Le Théâtre québécois, instrument de contestation sociale et politique (Fides, 1976) est passé sous silence. Ceci est d'autant plus surprenant que Monique Engelbertz reproche aux critiques de ne s'être pas suffisamment penchés sur le contenu politique du théâtre. En revanche, on se demande ce que vient faire dans sa thèse l'analyse détaillée de Charbonneau et le chef de McDonough, puisqu'il s'agit à l'origine d'une pièce en anglais écrite par un anglophone. Faudrait-il vraiment dans un ouvrage sur le théâtre politique, consacrer d'aussi nombreuses pages au problème de la communication dans le théâtre de Tremblay ?

Il semble que, dans son enthousiasme, Monique Engelbertz ait tendance à exagérer l'influence du théâtre. Sans doute reflète-t-il les tendances sociales et politiques, mais peut-on vraiment affirmer que les dramaturges québécois «redonnent [à la nation] l'estime qu'elle avait perdue depuis longtemps»? Le théâtre, en général, n'influence que les convertis, comme le dit Leonard C. Pronko qui est, d'ailleurs, cité par Engelbertz (p 8).

En ce qui concerne la structure du travail, on pourrait souhaiter une plus grande rigueur. La méthode utilisée par l'auteur l'oblige à de trop nombreuses redites qui finissent par lasser le lecteur. On trouve aussi des imprécisions, des erreurs. Que veut dire l'auteur quand il affirme que Bois-Brûlés de Jean-Louis Roux est «la toute première pièce du Théâtre québécois» (p 85)? Il confond la Main et la rue Sainte-Catherine, affirme que «si les belles-soeurs sont des parentes, elles ne sont pas des amies» (p 180), et que Johnny «vient de partir avec une toute jeune femme» (p 187). Que Pierrette ait déjà une remplaçante, voilà qui est possible et même probable, mais non certain; de toute façon, Johnny n'est pas «parti». L'auteur situe Medium saignant dans une «petite ville» (p 167), alors qu'il s'agit plutôt d'une municipalité de la région montréalaise. Il semble que les oeuvres aient trop souvent été parcourues plutôt qu'étudiées avec attention. La terminologie non plus n'est pas toujours claire. Ainsi, l'auteur parle de «mise en scène» alors qu'il fait allusion aux didascalies, ce qui prête, bien sûr, à confusion.

Au point de vue de la langue, l'ouvrage de Monique Engelbertz laisse beaucoup à désirer. Les phrases mal structurées sont nombreuses, les contresens (mettre à jour au lieu de mettre au jour), les fautes d'orthographe et d'accord sont légion. L'expression qui remporte la palme est sans doute «On lui a arraché le coeur des entrailles» (p 90). Monique Engelbertz n'est pas francophone; sa thèse aurait dû être soigneusement corrigée avant d'être envoyée chez l'imprimeur.

Malgré ces critiques négatives, l'ouvrage n'est pas sans mérite. Le contenu politique du théâtre québécois des années 65 à 80 méritait d'être étudié et l'auteur a analysé en détail des pièces importantes de cette époque. Il a examiné aussi des ouvrages polycopiés (de Jean-Claude Germain, par exemple), difficilement accessibles. Ces analyses, ainsi que les pages consacrées au théâtre collectif, seront particulièrement utiles à d'autres chercheurs.