PAULETTE COLLET
Outre l'intéressant essai de Claude Lapointe, l'ouvrage comporte une lettre de Rita Lafontaine en guise de préface, une entrevue avec Michelle Rossignol, un entretien de Paul Lefebvre avec André Brassard, la liste chronologique des mises en scène de ce dernier ainsi que des distributions et des équipes qui ont participé à ses productions. Quelques critiques sont aussi brièvement cités.
Dans son essai, Claude Lapointe tente d'abord de donner une idée de la conception que Brassard se fait du théâtre. Pour cet optimiste, le monde est transformable:
Le théâtre fait du bien aux gens: à la façon d'un vaccin par lequel on inocule un virus pour prévenir une infection, le théâtre peut faire éclater un mal pour l'enrayer. (p 18)
Nous ne sommes pas loin de l'idée de la catharsis. Toutefois, pour Brassard, ce ne sont pas les passions qui sont le virus, mais la société. Les personnages d'Oncle Vania, des Belles-Soeurs, d'Albertine en cinq temps, tout en conservant leur individualité, représentent des collectivités. Les mises en scène de ces oeuvres visent à exprimer un début de révolte contre une société étouffante.
Ardent partisan du «théâtre dans le théâtre», Brassard est fortement influencé par Brecht. Il ne faut pas permettre au public d'oublier qu'il est au théâtre. Ainsi, dans Périclès et dans L'Opéra de quat'sous, Brassard met en scène des troupes qui travaillent ces oeuvres, allant ainsi plus loin que Brecht dans la théâtralité. Son goût de la distanciation le pousse même à ce que Lapointe qualifie d'excès, tels la fausse mort d'Olivine Dubuc dans Les Belles-Soeurs ou les faux fous rires que Brassard exige de ses acteurs.
Le metteur en scène voit son métier comme «une stratègie d'investissement du coeur du spectateur» (p 30). Désirant toujours changer le monde, Brassard présente les événements et les personnages de telle façon, qu'il dirige véritablement les émotions du public. C'est dans ce but qu'il a recours à des techniques cinématographiques, utilisant des « gros plans », où tout est immobilisé, sauf ce qu'il veut souligner, ou, au contraire, des « plans larges », quand toute la scène s'anime.
Mais, ainsi que le déclare Michelle Rossignol, c'est surtout au niveau de la direction d'acteurs que les mises en scène de Brassard sont reconnaissables entre elles (p 130). Il dira d'ailleurs: «Tout ce qu'il faut pour faire du théâtre, ce sont des acteurs et des spectateurs » (p 140). Il accorde donc une importance primordiale aux comédiens. Il ne s'agit pas, pour eux, de devenir le personnage, comme le préconisait Stanislavski, mais de s'unir à lui, de fondre ensemble deux personnalités, deux façons de sentir. « On apprend trop souvent aux comédiens à servir un texte plutôt qu'à s'en servir», déclare Brassard (p 25). L'acteur, en répétition, doit faire des suggestions et participer aux décisions. Il est créateur au même titre que l'auteur ou le metteur en scène.
Le chapitre intitulé «Travail de répétition et théorie sur le jeu» expose une théorie d'ensemble sur la direction d'acteurs. Contrairement à la plupart des metteurs en scène qui visent un modèle idéal, Brassard tente de former des équipes toujours prêtes au changement, même en cours de représentation. Quant au jeu, Brassard désire que l'acteur éprouve « un sentiment d'urgence », comme devant un danger imminent; «présence à soi et aux autres, efficacité et réflexes » (p 49).
Les excercices préconisés par Brassard, puisés surtout chez Brecht, chez Sonia Moore et ... chez Brassard, ont d'abord pour but de décider du genre de réaction à créer chez le spectateur. Un de ces exercices, la mise en eau bouillante, consiste à interpréter, seul ou avec d'autres, une scène qui illustre le sens total de l'oeuvre ou le caractère du personnage que l'on joue. Cet exercice, utilisé au début des répétitions, force le comédien à une prise de position face à l'oeuvre, face à son personnage.
Brassard a une façon très personnelle d'utiliser les éléments scénographiques. S'il est partisan du plateau incliné, c'est que celui-ci empêche l'acteur de se mouvoir naturellement et qu'il contribue ainsi à la théâtralité. Le metteur en scène cherche à obtenir un «plateau balancé», répartissant, autant que possible, ses personnages également de chaque côté de la scène. Les accessoires qu'il emploie sont «vivants»; ils sont nécessaires à l'action, sans doute, mais ils peuvent servir à des fins comiques ou psychologiques. Il arrive même qu'un personnage se transforme en accessoire. Ainsi Olivine Dubuc dans Les Belles-Soeurs est portée sur le dos de sa belle-fille Thérèse, telle une croix, et elle devient une véritable extension du sac où l'on enferme les timbres volés. Comme les éclairages, l'accessoire peut même servir à multiplier le lieu scénique. Ainsi, dans L'Opéra de quat'sous, des parapluies ouverts ou fermés indiquent que l'action se passe soit à l'extérieur, soit l'intérieur du Old Bailey.
Dans son essai, Claude Lapointe donne un aperçu de l'art d'André Brassard. Il expose, d'une façon claire, avec des exemples à l'appui, la conception que se fait Brassard du rôle du metteur en scène, les buts qu'il vise, ses rapports avec les acteurs, ses méthodes de travail. On souhaiterait, toutefois, voir un plus grand nombre de photos (il n'y en a que huit à la fin du volume) dans un ouvrage sur la mise en scène et on souhaiterait les voir placées de façon à illustrer ce qu'avance l'auteur.
Mais les pages les plus passionnantes sont celles où parle Brassard. Paul Lefebvre a su lui poser des questions pertinentes auxquelles Brassard, qui possède un merveilleux don de l'image, répond avec abondance. Il parle avec une éloquente clarté du sujet qui le passionne. De ses commentaires, il ressort que ce metteur en scène génial est, au fond, profondément modeste: « Etre à l'écoute » est une expression qui revient souvent dans ses remarques. Brassard est « à l'écoute » de l'auteur, « à l'écoute » des acteurs, « à l'écoute de ce qui naît ». Bien sûr, il possède un grand talent, mais sa modestie, son « désir » de faire mieux, son respect du théâtre et de ceux qui s'y consacrent ont contribué à sa réussite.