JANE KOUSTAS
Le livre de Louise Vigeant constitue une démarche importante vers la résolution d'un problème: comment initier l'étudiant/spectateur au fonctionnement du spectacle théâtral? Comment accroître son aptitude à interpréter la représentation d'une pièce et à transformer le texte écrit en un événement théâtral «spectaculaire»? Cette compétence est d'autant plus importante que le théâtre québécois devient de plus en plus une performance multidisciplinaire où les limites entre le théâtre, la danse, le cirque et la fête populaire sont continuellement remises en question. C'est grâce à l'approche sémiotique que Vigeant espère donner à l'étudiant/lecteur/spectateur une méthode non pas «stricte» ou «exhaustive» (Introduction) mais efficace de lecture théâtrale.
Le livre est divisé en six parties dont la première établit le rôle du spectateur et les fondements du langage sémiotique et la sixième comporte des activités suggérées et des annexes. Cette étude s'organise autour de «textes» partiels: l'espace, les objets, le jeu, le texte dramatique. Subdivisés, les chapitres comportent une étude thématique et une analyse pratique ainsi qu'une récapitulation. L'étudiant/lecteur/spectateur trouvera très utiles les bibliographies à la fin de chaque chapitre, ainsi que la bibliographie générale.
La partie théorique de chaque chapitre comprend une définition générale du terme et une explication de son rôle dans l'analyse sémiotique. Vigeant a su expliquer ces termes et leur importance sans se perdre dans le jargon. Mais il aurait été intéressant de trouver, même en forme de note, les différentes interprétations auxquelles ces termes se prêtent. Il y a par exemple d'autres modèles de communication que celui cité. (On pense par exemple au modèle de Patrice Pavis qui signale les particularités de la communication théâtrale.) Le système actantiel donné n'est pas le seul non plus. Il en est de même pour le glossaire, document très utile, mais où dans un effort de minimiser la définition et de la rendre plus accessible, Vigeant laisse parfois croire que le terme se prête à une seule interprétation, ce qui n'est pas toujours le cas, surtout pour un mot aussi complexe que «signe». On comprend pourtant que Vigeant ne cherche pas à impliquer le lecteur/étudiant/spectateur dans un débat sémiotique mais plutôt à l'initier aux outils d'analyse: les chapitres théoriques ainsi que le glossaire servent bien à cette fin.
Le lecteur/étudiant/spectateur saura gré à l'auteure d'avoir fait suivre les parties théoriques par des exemples pratiques de leur application. Ce format maintient l'intérêt du lecteur et assure qu'il aura compris les principes avant d'aborder l'étude d'un autre «texte». Il est regrettable pourtant que les chapitres «pratiques» Portent surtout sur la Vie et mort du Roi Boiteux. On comprend bien l'intérêt de l'auteure pour cette pièce, étant donné ses recherches personnelles ainsi que le caractère tout à fait «spectaculaire», dans le sens banal du mot, de cette pièce exceptionnelle qui a vraiment éclaté les limites du théâtre. Cependant, l'étudiant/lecteur n'a probablement pas assisté à une représentation de cette pièce, et n'en aura probablement pas l'occasion. La version publiée est en deux tomes; et bien que l'enregistrement de la représentation de quinze heures soit disponible, la consultation de l'une ou l'autre des deux versions s'avère difficile. L'auteure cite quand même des exemples tirés du répertoire plutôt traditionnel, mais ces analyses se trouvent surtout dans le dernier chapitre et l'écart entre les deux genres de théâtre est quand même grand. Le choix d'une pièce moins marginale aurait été une bonne charnière entre le traditionnel et le tout à fait exceptionnel. (On pense par exemple à Provincetown Playhouse dont la mise en scène telle que conçue par l'École nationale de théâtre se prêterait bien à l'analyse qu'effectue Vigeant.)
Étant donné le répertoire choisi ainsi que la situation actuelle du théâtre québécois, on ne devrait pas s'étonner de trouver le chapitre consacré à l'écrivain tout à fait à la fin. Mais la portée de cet ouvrage aurait été plus universelle si Vigeant avait insisté davantage sur la contribution de l'auteur/dramaturge au lieu de la réduire à celui qui ne contribue que « très souvent » (p 147) à la représentation du spectacle. Même si « le style du texte spectaculaire est ... entièrement tributaire de son [le metteur en scène] travail » (P 149) dans bien des cas, ce n'est pas toujours ainsi. Il est à noter que les exemples «pratiques» cités relèvent surtout (la Vie et mort est étudiée) du répertoire plutôt traditionnel de Tremblay et de Laberge, ce qui suggère l'importance du texte dramatique/écrit dans ce genre de théâtre qui est, malgré tout, plus connu, disponible et accessible.
Mais Vigeant réussit à nous convaincre de l'importance de l'aspect « spectaculaire» et peut-être même à nous faire oublier le texte et son auteur. Il faut savoir gré à l'auteure de cette excellente étude dynamique et lisible, qui sait prêter au théâtre ces mêmes qualités.