ANDRÉ SMITH. Claude Meunier, Dramaturge: Actes du colloque 'Claude Meunier, texte et représentation'. Montréal VLB éditeur, 1992, 134 p.

JANE KOUSTAS

'De quoi est fait le rire de Ding et Dong?.' C'est à cette question, posée par André Smith, que les participants au colloque 'Claude Meunier, texte et représentation' se sont adressés. Posée dans le contexte d'un colloque universitaire, cette question est d'autant plus intéressante que la critique 'officielle' reste muette face à l'oeuvre de ce dramaturge, comédien et, faut-il le dire, farceur dont la popularitié dépasse de loin celle de tous les autres corniques de nos jours. Plusieurs collaborateurs à ce volume signalent à juste titre d'ailleurs la comparaison entre le succès énorme de Broue et celui d'Aurore, enfant martyre, les deux spectacles les plus populaires dans l'histoire théâtrale québécoise. Ce parallèle est non sans un certain intérêt théorique car si Aurore se situe aux marges de la dramaturgie 'sérieuse' ou du canon, Broue, ainsi que toute l'oeuvre de Meunier, cherche sa véritable place. Comme le signale Smith: 'S'agit-il principalement d'effets visuels ou, au contraire, sommes-nous aussi en présence d'une oeuvre composée, écrite et refléchie?'

Ce livre a le grand mérite d'aborder ces questions de plusieurs; points de vue: parmi les collaborateurs; se trouvent des critiques littéraires, des universitaires, des acteurs, un écrivain, une costumière, un producteur de cinéma et un publicitaire. Le volume met ainsi à la portée du chercheur, ainsi qu'à celle des 'mordus' de Meunier, un ensemble très diversifié d'études et d'observations. Il s'en suit qu'on y trouve toute une gamme d'approches, y compris le sérieux académique et l'anecdote. Le texte présente donc une perspective globale qui convient bien à 1'étude de cette oeuvre multidimensionelle. Il est à noter également que ce ne sont pas que les admirateurs de Meunier qui ont passé à la loupe sa carriére: Stéphane Lépine avoue que l'oeuvre de Meunier lui déplait mais l'intéresse.

Les articles plutôt savants s'interrogent sur la nature du cornique chez Meunier et sur sa place dans I'histoire du genre au Québec. Chantal Hébert situe l'oeuvre de Meunier dans son étude plus large sur le burlesque. Diane Desrosiers-Bonin, en se basant sur l'oeuvre de Bakhtine, relève les é1éments carnavalesques de Meunier bien qu'elle ne discute que trois critères du genre. Gabrielle Pascale répond en quelque sorte aux accusations de Lépine, pour qui le théâtre de Meunier est 'condescendant,' en expliquant l'humour dans La P'tite Vie. Brian Pocknell considère la place de I'Autre et conclut que 'L'Autre est le sujet et l'objet de l'action dramatique.' Il importe de signaler que toutes les études étaient suiettés aux contraintes du format 'colloque': limitées dans le temps, elles le sont parfois également dans l'analyse. Faute de temps, on n'explique parfois pas les contextes ou des principes de base et on n'arrive qu'à esquisser une ébauche. Tel est le cas, par exemple, de Rolland Viau qui essaie de définir I'acte créatif comme un acte cognitif. Après avoir très sommairement résumé deux grandes théories sur l'intelligence, il conclut que ni l'une ni l'autre ne sait expliquer I'acte créatif chez Meunier. Sylvain Laporte emploie les termes 'dérision,' 'parodie' et 'ironie,' qui prêtent tous à confusion, sans les définir. Mais étant limités par le temps accordé à chaque intervenant et s'adressant à un public informé et spécialisé, les collaborateurs ont sans doute décidé d'entrer dans le vif du sujet. Une telle approche laisse un peu dans l'ombre le lecteur dont les connaissances du sujet ne coïncident nécessairement pas avec celles des participants. Qui au colloque ne se serait-il pas souvenu de la fameuse publicité Pepsi animée par Meunier? Peut-on en dire autant pour le lecteur non-québécois qui lit les actes quelques années plus tard? L'étude fort intéressante de Michèle Nevert par exemple, dépend de telles informations. Le lecteur se trouve un peu frustré parfois devant tant d'envois à cette publicité et à d'autres oeuvres non-publiées et donc inaccessibles qui ne sont pas non plus expliquées. Que de telles omissions se fassent au moment du colloque est sans doute souhaitable, mais le lecteur des actes aurait trouvé très utiles des réferences plus complètes, des explications supplémentaires et même des appendices ou des photographies.

Les observations des gens qui travaillent avec Meunier, quoique intéressantes, laissent un peu sur son appétit le chercheur qui espère y trouver une analyse profonde. Les commentaires de la costumière par exemple ne revèlent pas en quoi travailler avec Meunier est si différent que d'exercer le même métier ailleurs. Mais les observations de Louis Saia, de Serge Thériault, de Roger Frappier, et de Robert Thibodeau nous révèlent Meunier sans ses grandes lunettes de Dong, photographie qui se trouve d'ailleurs sur la couverture, et nous apportent une perspective différente et d'une grande valeur.

Tout lecteur, après avoir lu le texte, aura l'impression de mieux connaître Meunier, dramaturge, comédien, écrivain, comique et farceur, mais surtout de mieux saisir la complexité de ce phénomène qu'est Meunier. Quiquonque s'intéresse au théâtre et au genre cornique saura gré à André Smith d'avoir réuni des perspectives différentes qui répondent à plusieurs questions tout en laissant, heureusement, nombreuses sans réponses car, comme le suggère Bakhtine, le rire se moque de la vérité officielle.