LES PAGEANTS HISTORIQUES DE SCÈNE COMME MÉDIUM DU DISCOURS IDÉOLOGIQUE

RÉMI TOURANGEAU

Cet article s'appuie sur le récent ouvrage de l'auteur, Fêtes et spectacles du Québec, et présente les conclusions d'une analyse comparative du Pageant historique et de La Fabuleuse Histoire d'un royaume: deux spectacles créés respectivement en 1938 et en 1988, dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pour étudier les fonctions sociales de ces spectacles et le sens dont ils sont porteurs, Rémi Tourangeau utilise une méthode sociocritique du type «sociologie du texte». Il expose et applique un modèle d'analyse basé sur l'étude des niveaux lexical, sémantique et syntaxique des textes dramatiques. Ilfait ainsi ressortir l'évolution d'un certain discours idéologique à travers un réseau de sociolectes et d'isotopies sémantiques et dans le sens du dualisme du langage qui sous-tend l'axe paradigmatique de la conquête du pays. Cette démonstration explique les formes structurelles de ces spectacles à grands effets en tant que médium de communication et, conséquemment, l'efficacité de ce médium.

This article is based on the author's recent publication, Fêtes et spectacles du Québec, and presents the conclusions of a comparative analysis of the Pageant historique and La Fabuleuse Histoire d'un royaume, first produced in 1938 and 1988 respectively in the Saguenay-Lac-Saint-Jean region. In order to study the social functions of these plays and the meanings they convey, Rémi Tourangeau uses a sociocritical method of the "sociology of the text" type. He explicates and applies a method of analysis based on the study of the lexical, semantic and syntactic levels of these dramatic texts. Thus, he brings into relief the evolution of a certain ideological discourse across a network of sociolects and semantic isotopies and in the dualisms in the language which subtend the paradigmatic axis of the conquest of a country. This demonstration of an analytical method explicates the structuralforms of these great spectacles as effective media of communication.

Les jeux scéniques québécois constituent un genre théâtral traditionnellement relié aux pratiques culturelles populaires. Dans la typologie des formes textuelles qui les regroupent, les pageants de scène,1 appelés communément «pageants historiques », sont sans contredit les spectacles à grands effets les plus riches en pouvoir de théâtralité scénique et de socialité. Conçus pour théâtraliser les événements marquants d'une communauté locale ou glorifier les héros du passé, ces spectacles de circonstance intégrés à des fêtes commémoratives offrent à l'analyste un terrain d'étude privilégié pour scruter le tempérament social de groupes les plus diversifiés. Parce que leur contenu retient un référent historique et social globalisateur d'un lieu ou d'une époque et que leur structure narrative et discursive fait appel à une écriture plus épique que dramatique, ils comportent toutes les données nécessaires pour en faire une lecture sociale en tant que médium du discours idéologique. Entrés au pays au début du siècle, par la porte de Québec et par la voie de la filiation anglo-saxonne, ils ont été peu à peu adaptés à la situation sociale des Canadiens d'expression française. Sur le territoire québécois, ils se sont maintenus jusqu'à nos jours sous des formes variées et renouvelées. Par cette moyenne durée de leur existence, ces pageants s'avèrent un « type idéal » d'observation culturelle pour les aborder dans la perspective d'un champ social défini qui rend compte du changement culturel au XXe siècle.

Dans la présente étude, notre intérêt étant surtout de les considérer comme pratiques sociales et surtout comme productions d'espace imaginaire représenté,2 nous insisterons précisément sur les fonctions sociales et communicatives de ces productions, de manière à évaluer les enjeux sociaux dont elles sont porteuses. Pour une meilleure compréhension des mécanismes fonctionnels inscrits dans le caractère formel des textes/représentations, il importe de nous interroger plus spécifiquement sur la fonction idéologique des spectacles en tentant d'articuler l'idéologie sur une pratique discursive et sociale qui trouve son point d'application dans la matérialité textuelle, c'est-à-dire le concret immédiat des textes dramatiques.

Croyant que, par les conditions du discours théâtral qu'ils renferment, ces spectacles sont des canaux de diffusion et de persuasion efficaces pour renforcer des « messages » référentiels, nous situons notre propos au niveau des « formes » dramatico-littéraires et scéniques qui prennent en compte les « stratégies productives » du collectif d'énonciation théâtrale dont parle Marco De Marinis.3 Dans le but de trouver le sens réel du médium utilisé, à travers la structuration des textes, nous chercherons à déceler un certain discours idéologique considéré comme fait social et même le parcours de ce discours entre deux époques. Pour retracer la distance socioculturelle qui sépare ces époques, nous aurons recours à deux pageants québécois d'une même région, soit le Pageant historique du Centenaire du Saguenay et La Fabuleuse Histoire d'un royaume du 150e- anniversaire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, tous deux présentés à Ville de La Baie en 1938 et en 1988.4 Comme il s'agit de faire une lecture idéologique de ces oeuvres fondée sur une vision de l'histoire, et de mesurer l'efficacité de leur système dramatique, nous aurons recours à une théorie théâtrale qui permet de considérer la spécificité d'écriture des textes en prenant appui aussi bien sur le discours théâtral que sur ses conditions d'énonciation. Après avoir exposé brièvement le modèle d'analyse dramaturgique qui sous-tend cette théorie, nous tenterons d'étudier les pageants choisis selon une démarche méthodologique précise.

1. Modèle d'analyse du discours idéologique

Le modèle dialectique qui emprunte aux esthétiques de la production et de la réception convient tout à fait à la dimension comparative et au traitement diachronique donnés à l'analyse. Il s'insère dans le paysage des théories productives et réceptives et repose en bonne partie sur les travaux touchant aussi bien les théories du texte et de l'idéologie que les théories du discours.5 Mais comme il est surtout question de la pragmatique qui s'intéresse à l'étude des phénomènes littéraires et artistiques, il importe de réduire ce modèle d'analyse à une approche sociocritique de sociolinguistique articulée sur des avenues théoriques qui accordent primauté au texte artistique et à l'« effet idéologique du texte» en tant que rapport inscrit dans ce texte et construit par lui.6

Avenues théorique et méthodologique des niveaux textuels et de la sociologie du texte

L'une de ces avenues est celle qui va dans le sens de la sémiologie critique et sociale exposée par Jan Mukaovsk (391-92) et, plus particulièrement, de la théorie de production/réception du texte dramatique et spectaculaire développée par Patrice Pavis, à l'étape de la «textualisation de l'idéologie» (281-96). Cette théorie axée sur la réévaluation dialectique de l'idéologie déjà entreprise par Michel Foucault (9-275) et Oswald Ducrot (Le dire et le dit 13-233), permet justement de déceler l'infiltration de l'idéologie dans le texte et son rapport à ce texte, de comprendre aussi l'oeuvre en la raccrochant aux pratiques discursives et idéologiques où elle prend sens. Or, la notion de « référent discursif » au centre de cette théorie7facilite cet accrochage forcé du texte au référent et la textualisation de ce référent dans le texte, grâce au schéma des trois niveaux du texte établis par Pavis (288-90) et présentés comme fonctions intermédiaires entre les structures textuelles et les structures du contexte social. Ces couches du texte, appelées « l'autotextuel » ou « l'intratextuel », « l'intertextuel » et « l'idéotextuel » ou « l'idéologique » ,8 sont retenues dans notre étude uniquement pour suivre le double mouvement du texte des pageants vers l'idéologie et de l'idéologie vers le texte. À moins d'utiliser les théories complexes de «l'idéologème» (Pavis 290-92; Medvedev 27-28), ces niveaux du texte ne suffisent pas à dégager l'énoncé du discours idéologique référé au contexte social. C'est pourquoi nous faisons appel à la méthodologie sociocritique capable de livrer le poids social et idéologique des oeuvres dans le passage progressif du texte artistique à la société «réécrite» à partir de ces textes, voire au contexte social de production.

La méthode de sociocritique la plus appropriée pour assurer ce processus de médiation et les formations discursives idéologiques apparaît être la sociologie du texte développée par Pierre V. Zima,9 dans l'esprit des travaux antérieurs réalisés autour de la revue Littérature (vers les années 1970) et des théoriciens comme Graham Falconer et Henri Mitterand, Claude Duchet (Sociocritique) et Edmond Cros. Cette sociologie critique, appuyée sur la linguistique structurale et sur les composantes de la grammaire sémiotique, retient prioritairement le langage et l'intertextualité comme catégories sociologiques. Elle vise d'abord le texte et la «socialité» du texte10 et se donne pour objet d'étudier « le statut social » dans le texte. Tout en s'intéressant à la question de savoir comment des problèmes sociaux et des intérêts de groupe sont articulés sur les plans lexical, sémantique et syntaxique, elle cherche à représenter ces différents niveaux du texte comme structures à lafois linguistiques et sociales et à considérer l'univers social comme un «ensemble de langages collectifs» absorbés et transformés par les textes. Enfin, la sociocritique à la manière de Zima considère ces langages en interrelation avec le contexte culturel et discursif dans lequel ils s'inscrivent.

C'est sur la base de ces principes qu'il est possible d'analyser le discours idéologique « dialogique » lié au pouvoir politique et de décrire les idéologies à l'oeuvre. Mais pour faire une lecture-interprétation assez juste de la société, il faut suivre une démarche en trois moments principaux: l'établissement de la situation sociolinguistique, l'analyse textuelle proprement dite et la mise en corrélation de cette analyse avec le contexte social. Ces étapes, il faut insister, accordent une première importance à la notion de « langages collectifs », aussi désignés « sociolectes », « reconnaissables, dit Greimas, par les variations sémiotiques qui les opposent les uns aux autres (c'est leur plan de l'expression) et par les connotations sociales qui les accompagnent (c'est leur plan du contenu) » (Greimas et Courtès 354).11 De tels sous-langages, constitués en taxinomies sociales sous-jacentes aux discours sociaux, permettent d'établir des rapports étroits entre le texte et la société, tout en représentant des intérêts et des problèmes collectifs au niveau du langage. Parce qu'ils sont inscrits dans les textes, il est nécessaire d'en vérifier la dimension réelle dans la situation sociolinguistique correspondant aux époques de production.

La première étape d'analyse consiste à rechercher précisément cette situation sociale du langage vécue par l'auteur du texte étudié et par les écrivains de son temps. Retracer ce type de langage s'avère une difficulté méthodologique puisqu'il s'agit de faire ressortir les sociolectes idéologiques dominants et de mettre en relief les types de discours sur la langue en usage chez les écrivains que l'auteur connaissait, critiquait ou appuyait. La découverte de ce langage conduit à retracer la genèse de la structure littéraire ou dramatique de l'oeuvre. Une fois que ce langage est reformulé dans une perspective sémiotique, il acquiert une nouvelle dimension et se laisse facilement cerner à travers les structures narrative et discursive de l'oeuvre et aux divers niveaux textuels.

La représentation de ces niveaux et de leurs rapports dialectiques correspond à l'étape centrale de l'étude dont le but est de décrire tour à tour les sociolectes ou les langages idéologiques sur les plans lexical, sémantique et syntaxique (narratif). Ces niveaux textuels, considérés comme des structures à la fois linguistiques et sociales, font voir comment les oeuvres réagissent aux problèmes sociaux et historiques au niveau du langage.

Le stade de l'examen lexical se limite à répertorier des mots-clés à caractère social en vue de repérer un sociolecte général de l'oeuvre formé d'une dichotomie de lexèmes. L'exploration de cette dimension lexicale du texte se contente de dégager une unité sociolectale de base qui pourra être reliée subséquemment à la situation sociolinguistique. Mais il faut dépasser ce stade exploratoire du vocabulaire et tenter d'identifier et de décrire le sociolecte sur le plan sémantique, de manière à découvrir l'univers de l'oeuvre et la structure de cet univers par la recherche de dichotomies de sèmes. Les catégories d'oppositions sémantiques relevées font justement ressortir le sociolecte sémantique qui résume le sens de l'oeuvre et qui se traduit à travers les comportements de sujets collectifs et individuels. Ces simples oppositions font apparaître le sociolecte comme le résultat d'un processus de classification ou d'un «faire taxinomique», mais elles ne peuvent pas toujours suffire à établir le fondement sémantique du texte. Il faut alors tenir compte des isotopies de classèmes et même des oppositions d'isotopies sémantiques.12 La classification de telles distinctions, codifiées selon une pertinence collective particulière, permet de trouver le lieu où se manifestent clairement les problèmes ou les intérêts sociaux et de montrer jusqu'où le champ sémantique structuré des textes peut déterminer leur structure syntaxique ou narrative. Cette dernière ne se dévoile bien qu'à la troisième étape de l'analyse où les sociolectes sont mis en discours et où l'idéologie est pensée en tant que structure discursive. La découverte du discours idéologique passe d'abord par une analyse de la structure narrative au niveau de l'énoncé, de façon à faire ressortir et expliquer la structure de l'oeuvre à l'aide de l'analyse actantielle (schéma greimassien); elle passe ensuite par une analyse au niveau de l'énonciation, c'est-à-dire une mise en discours des sociolectes permettant de déceler les intérêts collectifs en tant que discours théorique ou discours critique.13 Apparaît alors le discours idéologique de l'oeuvre issu aussi bien du programme narratif des sujets d'énonciation que de leurs attitudes critiques et réflexives envers leurs propres activités ou celles des autres.14 Le contraste entre la perception de ces instances de médiation et l'idéologie au niveau narratif établira l'opposition sémantique au départ d'une critique radicale et fera découvrir le véritable discours idéologique qui traverse le texte.

Ces trois étapes d'analyse, même celle de l'étude syntaxique, ne sauraient garantir la validité de ce discours, puisqu'elles se contentent de rendre compte de l'idéologie du texte dans un contexte dialogique (i.e., par rapport aux formes discursives auxquelles le texte a réagi). Pour vérifier la valeur empirique des concepts analysés, il est nécessaire de situer le texte étudié dans l'histoire et dans la société, elle-même envisagée comme texte lu par l'écrivain. Ce dernier exercice analytique est donc pertinent pour relier tout le processus intertextue115 à la situation sociolinguistique précédemment étudiée et, plus largement, au contexte social des époques concernées. Cette comparaison du texte et de l'intertexte ou cette mise en corrélation du texte au contexte, de la structure syntaxique à la structure sociale et du discours idéologique du texte à celui du groupe social s'avère une opération d'intertextualité (externe) indispensable à l'évaluation de la réelle insertion des instances d'énonciation (auteurs, metteurs en scène, etc.) dans le processus de création. Cerner ainsi le rapport du texte au hors-texte amène à tirer le meilleur parti non seulement de la fictionnalité du texte ou de l'intentionnalité des agents producteurs, mais aussi de la réception théâtrale et des raisons historiques de cette réception.

II. Application du modèle aux textes de pageants

Notre brève description d'un modèle analytique, surtout inspiré des théories productives et réceptives de la pragmatique et d'une méthode de sociocritique récente, fournit les dimensions essentielles pour faire une lecture idéologique des pageants historiques dans leur spécificité textuelle et en tant que médium de discours. Étant donné que les avenues théorique et méthodologique concernent non seulement les textes littéraires, mais aussi les textes les plus divers,16 nous pouvons tenter d'en suivre les grandes lignes dans l'optique d'une comparaison des textes sélectionnés.

Questionnement sur la structuration des textes

Dès le point de départ, il est sans doute besoin de questionner sur la nature de ces textes et sur la manière de les aborder théoriquement. Rappelons que ces textes écrits sous des formes diverses17 diffèrent des textes dramatiques traditionnels par l'importance accordée à la narration et aux didascalies. Leur contenu plus ou moins développé et leur caractère d'écriture hétérogène offrent des éléments intéressants d'observation culturelle pour les étudier dans la perspective de leur champ social de production. La manière de les aborder présente tout autant d'intérêt puisqu'il s'agit de montrer leur aspect formalisateur en termes d'habileté ou d'efficacité de communication du discours idéologique. Dans le but d'en évaluer les possibilités en tant que médium de transmission de ce discours et de clarifier leur fonction idéologique sur un axe étendu de continuités et de ruptures, il s'avère utile d'esquisser un questionnement sur la construction des univers fictionnels du Pageant historique et de La Fabuleuse Histoire d'un royaume.

Utilisant la terminologie des niveaux textuels de Pavis, nous constatons que la partie visible ou perceptible de ces textes (l'autotextuel) fait voir deux créations très différentes par leur modalité d'écriture. Pourtant nourries d'un même référent (l'histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean depuis ses origines), elles offrent deux structurations externes pour le moins contrastantes. La structure globale des oeuvres, modelée sur une composition présentée en tableaux juxtaposés, oscille entre la formule du pageant québécois quasi classique et celle du « mimodrame » composé à la manière d'une « ciné-scénie ».18 Dans les deux formes, le découpage matériel se démarque par l'organisation des matériaux et le dosage de l'invention. Structurés en épisodes ou en scènes,19 les textes se répartissent en segments successifs de tableaux, disposés selon un mode de narrativité pouvant affecter l'espace représenté et les conditions d'énonciation du discours théâtral. Ainsi, la fiction, moins présente dans l'oeuvre de 1938, acquiert plus d'importance dans celle de 1988. C'est dire que l'interférence des régimes de fictionnalisation textuelle et scénique joue à ce niveau, d'une ceuvre à l'autre, au point d'orienter la réception virtuelle des lecteurs ou des spectateurs. En outre, l'organisation d'ensemble de ces structures ne peut que conditionner l'émergence de la situation de parole. Par exemple, dans le Pageant historique, la narration suivie d'explications de l'auteur occupe presque tout l'espace du récit tandis que, dans La Fabuleuse Histoire, elle accorde une large place aux dialogues. Un tel mode d'échange entre narrateurs et personnages va forcément déterminer des positions de discours différents et orienter la construction du sens au niveau de l'intertextualité des oeuvres.

Le contraste des structures et des discours est aussi à questionner à la couche intertextuelle (l'intertextuel) formée des textes linguistiques et scéniques, associés au référent historique. En particulier, un examen de la structuration spatio-temporelle de ces textes montre encore mieux l'écart d'écriture chez les agents de production et la divergence de leur vision sociohistorique inscrite dans le langage formel des oeuvres. En effet, par l'utilisation plus ou moins subjective qu'ils font du référent historique, les producteurs introduisent deux visions distinctes de l'histoire qui renvoient respectivement à une dimension passée et présente de l'histoire. Sous ce rapport, les intentions idéologiques des scripteurs transparaissent nettement dans le traitement des données spatio-temporelles des ceuvres. Ces données circonscrites par les sujets d'énonciation offrent bien deux regards sur le passé qui nous font passer d'une écriture mythique à une écriture presque carnavalesque de l'histoire. Le traitement de la temporalité des oeuvres montre tout spécialement cette évolution structurelle (Tourangeau, Fêtes 167-92). D'une part, le spectacle de 1938 présente la construction d'un monde fictionnel qui se trouve amputé dans les quelque 400 ans d'histoire régionale (1535-1938) prétendument retenus, puisque Tremblay évacue les périodes sur le Régime anglais (1765-1837) et sur l'activité économique (1878-1938). Cette double ellipse, ou ces «creux temporels», donnent visiblement au récit un tracé temporel discontinu. D'autre part, le spectacle de 1988, qui prend toutes ses distances par rapport au référent historique, présente une superstructure temporelle plutôt linéaire dans laquelle s'insèrent analepses et prolepses dans une alternance du cadre spatio-temporel. Ici, les nombreuses ellipses, apportées pour permettre une reconstitution mi-fictive et mi-véridique de l'histoire du Saguenay, n'entachent pas le déroulement des 500 ans d'histoire portés à la scène. Bien au contraire, un tel procédé introduit à la surface du texte un suivi temporel qui traverse la diégèse du récit au point d'unifier l'espace dramatique réel et imaginaire de l'oeuvre tout entière.

Ces principales variations observées dans les structures macrosyntaxiques et narratives des ceuvres sont à la base de notre analyse de l'idéologie. Elles nous invitent non seulement à résoudre la question de la construction des contenus historiques dans le fonctionnement textuel, mais aussi à faire une lecture immanente et métatextuelle des écritures dramatiques pouvant conduire à chercher dans « le dedans du langage », dirait Claude Duchet (Sociocritique 4), « l'espace social produit » référé aux instances de production et au contexte social. Pour ce, il convient d'abord de présenter la situation sociolinguistique du Pageant historique et de La Fabuleuse Histoire de façon à faire ressortir globalement les antagonismes sociaux, tels qu'ils se manifestent dans le discours idéologique des oeuvres.

De la situation sociolinguistique au réseau sociolectal des oeuvres

Ce discours à rechercher à travers la fonction médiatrice du langage s'exprime en premier lieu au niveau de « l'idéologisation du texte » (ou de l'intertextuel)20 où se construit le registre social des oeuvres au moyen des sociolectes collectifs. Il correspond d'emblée au contexte de la situation sociolinguistique des années 1930 et 1980, dans lequel les agents producteurs s'interrogent fortement sur la manière de lire et de traduire les problèmes de l'identité ou de l'identification au milieu. En particulier, chez les historiens ou les écrivains du Saguenay-Lac-Saint-Jean, le questionnement est encore plus prononcé, étant donné l'éloignement de la région par rapport au centre du Québec. Depuis au moins les années 1930, leur langage est empreint de la question nationale dans lequel les mots prennent la couleur d'une sémantisation politique. Les sociolectes des groupes sociaux qui se retrouvent dans les ceuvres historiques se rapportent tantôt à un langage nationaliste à caractère patriotique et tantôt à un langage nationaliste à saveur souverainiste. Par exemple, le sociolecte du patriotisme prévaut chez les maîtres à penser de Laurent Tremblay, à l'époque de la conception du Pageant historique. Un Lionel Groulx, un Victor Tremblay ou un Félix-Antoine Savard utilisent ce langage dans leurs écrits (Groulx, La Découverte du Canada 8-290; Notre maître 6-298; Tremblay 5-331; Savard 4-265). Laurent Tremblay lui-même reprend ce langage coutumier dans bon nombre de ses productions théâtrales qu'il qualifie d'« école de patriotisme et de vertus nationales.»21 Dans les années 1980 où l'histoire prend une résonance contestataire chez Bouchard, ce langage politique se voit substitué par celui d'un néo-nationalisme fortement teinté d'autonomisation, discuté par les tenants du discours souverainiste et entretenu par des intellectuels comme le père Georges-Henri Lévesque, o.p., le mariste Jean-Paul Desbiens ou Jean-Charles Harvey. Le langage dénonciateur de ces écrivains rejoint celui de Ghislain Bouchard prompt à contester les attitudes de certaines autorités qui collent à l'ordre établi et au pouvoir politique.22 Le vocabulaire utilisé pour défendre des points de vue retient les mots « autonomie » et « émancipation » et constitue le sociolecte sociopolitique de l'époque où l'auteur entreprend sa production d'oeuvres historiques. 23

De Laurent Tremblay à Ghislain Bouchard, l'évolution de la situation sociolinguistique fait donc apparaître un sociolecte global articulé autour de la dichotomie patriotisme/nationalisme. Dans le Pageant historique et La Fabuleuse Histoire d'un royaume, cette dichotomie structurante du champ politique ressort précisément au niveau lexical des textes et à travers des lexèmes regroupés en séries d'unités et choisis en fonction de la problématique de l'identité. Une première série, tirée du Pageant, concerne le sociolecte patriotisme comme principe de structuration et met en relation des termes de lieux d'appartenance tels « royaume nouveau » et « nation française », « Nouvelle-France » et « terre canadienne », « domaine choisi » et « l'âme française » (Tremblay 305-06, 08, 10, 22). Une seconde série, extraite de La Fabuleuse Histoire, oppose le « Saguenay dans le monde » ou « notr' Saguenay d'pays » à la « France » ou à la « couronne britannique » pour montrer une nouvelle identification à «I'Esprit du fjord» ou au «royaume plus grand que la France » (Tremblay 335-36, 41; Bouchard 372-73). De telles structures lexicales font apparaître respectivement les sociolectes généraux des oeuvres: le patriotisme prenant la connotation de nationalisme conservateur et le néo-nationalisme à saveur indépendantiste. Ces sociolectes se réfèrent tour à tour à deux sociolectes particuliers: christianisme/patrie dans le spectacle de 1938 et capitalisme/nation dans le spectacle de 1988.24 Ces structures de sociolectes lexicaux, posées à un niveau empirique, mettent en comparaison des concepts de complémentarité non interchangeables dont l'acception se trouve comme transmuée. D'un côté, le christianisme (foi) se voit remplacé par le capitalisme pris un peu au sens de mercantilisme; d'un autre côté, le sens du mot patrie, rattaché à la notion de nationalisme ethnique (conservateur), est substitué par celui de nation, limité au champ des questions nationales. La mise en rapport de ces groupes de sociolectes, établie dans la perspective de la conquête du pays, trace le processus de réappropriation d'un monde et d'une culture sur la base de trois paradigmes déterminés dans les oeuvres: la conquête, la colonisation et l'industrialisation. Ces plans d'intérêts collectifs, correspondant aux langages absorbés dans les textes, organisent lexicalernent la structure du contenu idéologique autour des mots peuple, territoire et capitaux qui forment concrètement l'axe narratif de la conquête d'un pays.

Sur le plan sémantique des textes, chacun de ces paradigmes révèle ses particularités dans le jeu d'un ensemble d'oppositions et de distinctions constituant le code sémantique de nouveaux sociolectes. Ainsi, la notion de fondation, régie par le sociolecte conquête/défaite ou conquérant/conquis,25 connote les rapports difficiles entre Blancs et Indiens. Elle engendre une série d'isotopies ou d'oppositions d'isotopies sémantiques,26 telles civilisation/barbarie, domesticité/primitivisme et peuple dominant/peuple dominé.27 La colonisation, illustrée par le sociolecte colonialisme/« décolonialisme » ou colonisateur/colonisé, fait naître des isotopies comme autonomie/dépendance, construction/destruction ou victoire/soumission.28 Enfin, le paradigme de l'industrialisation, représenté par les oppositions libéralisme/conservatisme ou libéral/conservateur, développe les classèmes principaux: progrès/immobilité, énergie/apathie ou affirmation/soumission.29 Cette taxinomie de catégories sémiques, thématiques ou figuratives apparaît trouver un lieu de pertinence dans une classe sémantique commune qui se retrouve dans les deux spectacles: il s'agit de la dichotomie sémantique unité/dualité pouvant structurer tout le système de valeurs des discours idéologiques et politiques des oeuvres. Il importe précisément de voir comment opère la dualité sur les plans linguistique et idéologique, de manière à dégager le sens qui structure la narrativité des textes.

Cette dualité sémantique ressort manifestement dans les deux oeuvres, au niveau syntaxique des textes et à travers les énoncés de narrations et de dialogues qui agissent par la parole et sur la parole. Des narrateurs principaux, « Le Temps » dans le Pageant et « l'Esprit du fjord » dans La Fabuleuse Histoire, mis en position privilégiée par rapport aux « personnages »,30 alignent leur discours sur un référent sociohistorique, cherchant à donner au public un puissant «effet de réel», voire un «effet d'unité».31 Il ne s'agit en réalité que d'une unité apparente, puisque leur discours plus ou moins subjectif est juxtaposé à d'autres discours surchargés de merveilleux, de fantastique ou de grandiloquence qui traversent leur narration et entrent en collision avec la parole des personnages, construite à partir de propos réalistes souvent entachés d'oppositions et de contradictions. C'est dire que les positions discursives des locuteurs-« personnages » sont dans une situation de dualité qui va déterminer les formations idéologiques. Un relevé des énoncés produits dans les textes montre bien un certain dualisme du langage accentué par les présupposés et les procédés de l'ambivalence, du paradoxe ou de l'ironie.32

Le dualisme de langage dans les paradigmes de la fondation, de la colonisation et de l'industrialisation

Pour illustrer ce dualisme dans le Pageant, prenons quelques exemples dans les trois paradigmes soutenus par la narration. Le mythe de la fondation, qui occupe une faible partie des oeuvres, est sous le signe d'un discours de domination du catholicisme, concrétisé par le sociolecte christianisme/patrie et rappelé par les isotopies civilisation/barbarie ou domesticité/primitivisme connotant l'opposition peuples autochtones/peuples fondateurs. Dans le Pageant historique de Tremblay où trois épisodes sont consacrés aux Montagnais, le narrateur les présente pourtant dans un rapport d'égalité avec les missionnaires, les fondateurs et le prince de Galles, tour à tour représentants de l'Église, du roi de France et du roi d'Angleterre. Bien intégrés aux Blancs parce que catholiques, ils sont décrits comme de «beaux types, alertes et joyeux» qui accueillent avec enthousiasme les missionnaires, prient en cercle autour d'eux et pleurent leur perte (306-07). Dans une scène plus loin, ces « sauvages » 33 sont dévalorisés au point de leur faire dire que leur «esprit est lourd et oublieux» (307) et de dénier leur droit de parole.34 On sait, par ailleurs, qu'ils accéderont peu à peu à la parole s'ils adoptent la langue et la religion du pouvoir et qu'ils seront vraiment intégrés aux Blancs s'ils sont évangélisés. C'est bien là un discours de dévalorisation placé dans un contexte de contradiction qui prétend montrer que le mythe de la fondation d'un pays se veut un mythe d'harmonisation entre les peuples. Un tel discours se trouve comme renforcé par le procédé de dénégation, dans la scène du débarquement de Champlain, alors que les Indiens sont présentés comme les «heureux» hôtes du fondateur. «Nous sommes très heureux, dit Sagamo, d'avoir pour ami le roi de France et tous les Français » (306). Ces paroles de fierté des origines françaises démentent tout à fait la brutale réalité des luttes engagées avec les Français d'alors et illustrent l'idéologie cléricale sous-jacente.

Cinquante ans plus tard, Ghislain Bouchard reprend quelques scènes sur les Indiens avec une vision plus juste. S'il rallie la nation montagnaise à celle du Québec et met les Montagnais ou les Algonquins en rapport d'amitié avec les Français, c'est pour les doter d'un sens écologique qui sera même revendicateur.35Si, par souci d'une volonté de nationalisation de la langue, il donne droit de parole aux Amérindiens, il ne les affuble pas moins d'une langue appauvrie et ne leur reconnaît pas une langue indienne à l'égalité de celle des Français, des Anglais ou des Espagnols.36 Il va même jusqu'à jouer sur l'ambivalence linguistique, prêtant au chef Sagamo un excellent français et à Anadabijou un français «petit nègre» (339). En gommant ainsi une langue, il gomme la culture et l'identité de l'Indien et n'accepte pas les porte-parole autochtones sur un pied d'égalité.

Un autre exemple où les rapports de pouvoir entrent en jeu et où la dualité perce à travers un faux-semblant d'unité se trouve dans la partie centrale des spectacles consacrée à la colonisation du Saguenay. Cette idéologie de la colonisation, qui prolonge celle de la fondation par un désir de conquérir un territoire, n'échappe pas à l'idée des scripteurs de sortir d'un certain colonialisme par le moyen de la construction d'un pays. Dans le Pageant historique, les huit épisodes qui constituent ce paradigme établissent, sur la base de l'opposition temporel/spirituel, une sorte de panégyrique de l'entreprise de colonisation sous le signe de l'histoire providentielle. L'oeuvre embellie dela société des Vingt-et-Un,37 des premiers colons, des curés, des bûcherons et des draveurs renvoie à une vision idéalisée du développement d'un pays où règnent prospérité et harmonie.38 Même le fléau dévastateur du « Grand Feu » est perçu comme un événement positif qui permet un « espace ouvert à la colonisation stable et mieux organisée » (Tremblay 314). Mais à l'exception de cet épisode, rien n'est dit des difficultés de la colonisation rencontrées au niveau des conditions de la nature et de la protection contre certains ennemis autochtones. Cette occultation est compensée par un retour à la dualité des peuples fondateurs introduite par le narrateur sur un ton messianique: « A l'heure marquée par les décrets éternels, pendant que là-bas des patriotes succombaient dans l'héroïque folie d'une lutte armée, j'ai vu ici des conquérants pacifiques, les colonisateurs, fonder un royaume nouveau» (Tremblay 310). Les expressions « conquérants pacifiques » et « l'héroïque folie » des patriotes, mises en opposition, cachent d'abord la réalité de la condamnation de toute forme de rébellion par l'Église catholique et dissimulent ensuite la concurrence des idéologies fédéralistes et nationalistes rattachées à la fondation du royaume du Saguenay.

Ces idéologies sont encore plus fortement marquées dans la partie finale de La Fabuleuse Histoire d'un royaume sous-tendue par les rivalités intemes des classes sociales. Mais au chapitre de la colonisation, Bouchard, contrairement à Tremblay, vient insister de façon amusante sur le dur côté de l'entreprise de colonisation chez les semeurs ou les bûcherons (343-54) de manière à déconstruire le processus du colonialisme. Par le double procédé du « showing » (monstration) et du « telling » (narration), il table sur la dramatisation d'une fiction à caractère socioculturel pour farder quelque peu les pénibles réalités des saisons et mieux introduire ainsi son idéologie de l'industrialisation.

Ce paradigme de l'industrialisation offre peut-être le meilleur exemple d'idéologie exprimée avec le plus de puissance et le moins d'apparence. Non seulement il s'insère dans un jeu d'oppositions sémantiques articulées sur les isotopies conservatisme économique/libéralisme économique, mais il englobe aussi le discours politique et nationaliste renfermé dans le langage des spectacles. Cette dimension économico-politique n'a cependant pas la même importance ni la même portée idéologique chez les deux scripteurs. C'est que les épisodes consacrés à l'économie, presque inexistants chez Tremblay, trouvent leur vraie place chez Bouchard.39 À vrai dire, l'auteur du Pageant reste muet sur la forte période d'activité économique (1878-1938) et occulte une bonne partie de l'histoire économique régionale. Il ne fait pas moins sous-entendre sa pensée sur l'économie dans deux scènes parallèles et ambivalentes vis-à-vis du pouvoir financier et du pouvoir politique: celle où William Price, « bien que protestant », se fait respectueux et généreux envers le curé de Chicoutimi et celle où Peter McLeod cède à une demande du père Honorat (312-13). Dans ce rapport clercs/économistes se dissimulent, d'une part, l'idée que le clergé se fait l'allié du capitalisme40 et de l'anglo-saxon et, d'autre part, l'idée d'une certaine vengance des Canadiens français qui remportent une victoire sur les Anglais par le pouvoir de la parole.

Un tel discours capitaliste, non dévoilé chez Tremblay, est clairement affirmé chez Bouchard dans des scènes comme «Val-Jalbert 1918» ou «Le crash de 1929 » qui traitent de problèmes économiques en rapport avec le syndicalisme ou la petite bourgeoisie. Prenant tantôt quelque distanciation ironique vis-à-vis des syndicats (369), utilisant tantôt le procédé d'autocélébration des petits bourgeois (364), l'auteur joue une fois de plus sur l'ambivalence pour réintégrer l'ouvrier ou le fonctionnaire dans le système. Son discours va jusqu'à se modeler sur celui du message de consommation dans la ligne du libéralisme économique (373). Sous l'angle de l'économie, il prend aussi une coloration politique sous le couvert de la dérision;41 ce qui lui permet de rompre avec une certaine monarchie française corrompue et décadente ou un certain nationalisme français ou canadien-français. En cela, La Fabuleuse Histoire se démarque tout à fait du Pageant historique et montre l'écart du discours idéologique illustré par la dichotomie patrie/nation.

Le fonctionnement de la dualité sémantique dans les textes

Ces exemples tirés à même le contenu des paradigmes de la fondation, de la colonisation et de l'industrialisation mettent assez bien en évidence le discours de contradiction à travers le dualisme du langage qui sous-tend chaque ceuvre et structure le sens des énoncés des locuteurs. Il s'agit maintenant de voir jusqu'où cette structure sémantique, formée des concepts unité/dualité, devient assez opérante au niveau syntaxique (narratif) pour faire ressortir un discours qui acquiert une fonction idéologique. À ce stade, un examen du parcours narratif des sujets d'énonciation, présenté à l'aide du schéma actantiel, s'impose pour la mise en discours des sociolectes. Mais comme ce schéma résiste mal au genre d'oeuvres que nous avons, précisément à cause des sujets qui sont plus des « acteurs fonctionnels » que des personnages, il importe de relever des métonymies permettant de retracer un enchaînement logique de la narration. À la lumière de la seule séquence narrative de la fondation, voyons de plus près comment s'établit ce lien logique.

Dans le Pageant de 1938, il faut convenir que Jacques Cartier et Samuel de Champlain, de par leurs fonctions, sont une métonymie du roi dont ils sont les émissaires ou les représentants et que le père De Quen et les autres missionnaires sont une métonymie de Dieu. Leur seule présence assure une métonymie de la fondation demeurant à l'état de symbole, et les figures d'autorité qui dictent des conduites deviennent une représentation mythique de la fondation. Tout au long de leur parcours de désir, ces fondateurs cherchent à bâtir une société catholique et civilisée dans les intérêts de la patrie et de Dieu, contre des ennemis indiens ou une nature hostile et avec l'aide de la foi, du courage ou de la solidarité. Il y a là une quête quasi mystique basée sur le souci collectif et les vertus chrétiennes.

Dans l'oeuvre de Bouchard, la motivation des fondateurs n'est pas la même lors de leurs entretiens avec François ler ou Henri IV. Présentés sur un ton quelque peu amusant, Cartier et Champlain apparaissent ici une métonymie de la richesse et du royaume (du Saguenay). Envoyés par les rois français et espagnol pour fonder Québec, ils convoitent l'or de l'immense territoire du Saguenay ou le bénéfice de la traite des fourrures de Tadoussac surtout à leur profit personnel et avec l'aide des Indiens. C'est là une quête qui révèle le mercantilisme des fondateurs, non plus au nom d'un pays (Kanada ou Québec), mais au nom d'un territoire appelé « Royaume ».

Ces deux séquences font bien voir les choix sémantiques divergents effectués par les sujets du discours: faire la conquête d'un pays sous l'oeil des autorités, soit dans des intérêts collectifs patriotiques, soit dans des intérêts individuels financiers. Ce système montre un procès correspondant tout à fait aux sociolectes lexicaux des ceuvres: le christianisme et la patrie dans le Pageant historique, le capitalisme et la nation dans La Fabuleuse Histoire d'un royaume. Pour nuancer ce lien, il faudrait sans doute faire l'étude de ces parcours narratifs dans les passages traitant de la colonisation et de l'industrialisation. Mais déjà, à la lumière de nos conclusions, nous pouvons dire que les mêmes schémas se répètent sous des objets différents. Il faut alors relier ces fonctions actantielles discursives à l'ensemble de la structure narrative des textes et montrer leur fonctionnement et leur efficacité dans cette structure.

Les mécanismes de ce fonctionnement sont au centre de l'analyse syntaxique et jouent principalement dans la dualité interne qui structure les textes narratifs par leur forme et par leur sens. À la dualité des contenus idéologiques, renforcée par les contradictions ou les ambivalences, correspond une structure fragmentée des oeuvres, laquelle est compréhensive des divergences d'écriture et de vision du monde. En effet, un premier découpage de la composition matérielle des textes révèle, dans le cas du Pageant, une structure tripartite où primauté est accordée à la colonisation42 et, dans le cas de La Fabuleuse Histoire, une structure en quatre parties davantage articulée sur « l'époque nouvelle » de l'industrialisation.43 Un second découpage de l'organisation spatio-temporelle du discours vient mieux expliquer ces différences structurelles majeures. Dans la première oeuvre, il fournit le panorama d'une succession d'événements construit sur le mode de l'enfermement ou de circularité temporelle et rendu par un procédé d'enclavement du passé entre deux présents.44 Dans la seconde ceuvre, il offre un tableau unifié qui fait alterner le passé et le présent, le récit et la fiction, dans la perspective d'une ouverture de l'espace et d'un éclatement des formes qui est obtenu par la technique de la déconstruction. De tels procédés sont révélateurs des approches spécifiques du langage et de l'écriture dramatique chez les auteurs. Ils traduisent deux discours opposés dont l'un révèle une vision ethnocentrique et rassurante du passé et l'autre, une vision renouvelée de l'histoire, productive du présent et de l'avenir.

Ces visions qui ressortent des structures narratives sont traduites par le principe de la dualité orientée vers la forme des textes. Mais cette dualité interne agit aussi sur le sens qui tend à unifier la narrativité par des liens syntaxiques. Par exemple, la position des narrateurs par rapport aux autres actants individuels ou collectifs permet d'assurer une distribution de sens d'un épisode à l'autre et d'un tableau à l'autre. Il en est ainsi des narrateurs, «Le Temps» ou «I'Esprit du fjord» dans les oeuvres analysées. Ces derniers, placés au-dessus des personnages et dans une situation avantageuse, sont alors en mesure de relayer leur narration aux narrateurs délégués ou aux personnages, grâce à la dualité des positions discursives qui se complètent par des présupposés inscrits dans le langage. Ainsi, les présupposés Providence et nature qui, respectivement, conditionnent leurs monologues dans le Pageant et La Fabuleuse Histoire, établissent une complétude de sens dans les paroles, tout en maintenant une distance plus ou moins grande entre eux et les autres locuteurs.45 Une telle distance, productrice d'«effets locutoires »,46 laisse entrevoir les sens différents qui structurent la narrativité des textes et dessinent la configuration du discours idéologique des oeuvres. Par exemple, dans le Pageant historique construit selon le mode d'une itérativité d'événements, le sens s'établit en terme de pouvoir et sur la base de la distance qui sépare les sujets d'énonciation (narrateurs/personnages), précisément sur des rapports de dépendance vis-à-vis le christianisme ou le patriotisme. Le discours qui en ressort en est un de soumission ou de dépendance à tendance sacro-patriotique. Au contraire, dans La Fabuleuse Histoire d'un royaume, écrit sur le mode de la déconstruction par le jeu de l'ironie, le sens est fondé sur le rapprochement des instances d'énonciation vis-à-vis du pouvoir et, mieux encore, sur des rapports d'autonomie dans les questions économiques et nationalistes. Il en résulte un discours d'autonomie à tendance nationalo-capitaliste. Il y a bien là le parcours d'un discours idéologique orienté vers des voies différentes.

La production de ces discours qui émanent des textes renferme son propre espace de référence sociohistorique issue de langages collectifs des époques concernées. Mais pour mieux voir le caractère de fonctionnalité des spectacles, elle demande à être corrélée aux instances de production et au double contexte festif et social des oeuvres. Cet accrochage à la norme sociale est d'autant plus nécessaire que de tels spectacles font aussi partie de l'idéologie littéraire même si leur productivité de signifiant fait apparaître l'essence ou le maximum de conscience des groupes. L'énoncé d'un discours critique de l'intertextualité allant des structures textuelles aux structures extratextuelles s'impose donc pour relier les oeuvres à leur conjoncture historique et, dans le cas présent, au thème majeur de l'identité centré sur la problématique nationaliste ou l'idéologie nationaliste.

Cette analyse, qui considère la structure de médiation des institutions et le rôle intermédiaire de l'intertexte, exige de prendre en compte les instances de relais que sont les premiers agents responsables des spectacles: Laurent Tremblay et Ghislain Bouchard. Ces artisans, l'un clerc et l'autre laïc, invités par les organisateurs des fêtes à produire leur oeuvre à l'aide du bénévolat, n'ont pas les mêmes visées de départ ni la même conception du traitement de l'histoire dans leur projet d'écriture des textes. En tant que prêtre et prédicateur de retraites, Tremblay rédige son pageant avec une préoccupation évangélique et en fait un instrument pédagogique dont la fonction éducative dénote un souci éthique de l'histoire. Pour sa part, Bouchard utilise un genre relativement semblable de spectacle dans un but proprement esthétique et cherche surtout à créer une émotion nouvelle face à l'histoire. Ces objectifs diamétralement opposés ont évidemment une portée différente dans le traitement des signes du langage et l'organisation d'ensemble des stratégies de production.

L'une de ces stratégies avec laquelle les auteurs doivent composer est le contexte festif exceptionnel auquel sont intégrés les spectacles. Ce contexte est celui de fêtes commémoratives empreintes d'un caractère de solennité et décrétées par les institutions. Mais ces célébrations, toutes proches des fêtes civiques, n'ont pas la même résonance ou ne revêtent pas la même dimension chez Tremblay et chez Bouchard, même si elles sont considérées comme des temps forts d'expression culturelle. Pour l'auteur du Pageant historique, elles prennent leur sens dans l'histoire sacralisée et élevée au rang de mythe. Données à vivre comme un prolongement du quotidien, elles conservent, par le rituel commémoratif des manifestations et par le symbolisme utilisé, un caractère paradoxal qui tend à suggérer une vision essentiellement idéologique. Au contraire, pour l'auteur de La Fabuleuse Histoire, elles mettent l'accent sur le divertissement et l'art comme expressions individualistes, s'éloignant ainsi du sens premier de la fête traditionnelle ou archaïque. Les types de discours idéologiques relevés dans les textes font d'ailleurs clairement apparaître ces deux visages de la fête: celui du centenaire où la fête prend l'histoire comme source de vérité ou comme idéal moral et celui du 150e, anniversaire où la fête se sert de l'histoire comme moyen de création artistique (Tourangeau 108, 288-89). La distance qui sépare l'un et l'autre contexte festif révèle l'écart de signification des fêtes elles-mêmes et le parcours de sens allant de la fête-cérémonie, axée sur l'imitation d'action, à la fête-spectacle centrée sur la prépondérance du média théâtral.47

Vus dans ce contexte, les spectacles perdent peu à peu leur fonction didactique et conative pour acquérir une fonction expressive comme lieu de médiation de l'histoire (Tourangeau 291). Mais ce sont surtout les discours idéologiques dont ils sont porteurs qui en font voir la transformation générique et leur réelle efficacité. En effet, ces discours, éthique (1938) et esthétique (1988), ne se révèlent pleinement que dans leur correspondance avec le contexte social. À ce niveau, ils rejoignent la conjoncture historique des époques considérées, grâce aux «idéologèmes» 48 repérés comme fonctions intertextuelles et faisant le lien avec l'horizon idéologique global des groupes sociaux impliqués. Ainsi, le modèle tridimentionnel utilisé (auto- inter- et idéotextuel) facilite la lecture des idéologèmes à caractère politique retenus sous la forme de sociolectes. Ainsi, les notions de patriotisme et de nationalisme, qui régissent tout le champ sémantique et syntaxique des textes, trouvent leur exacte correspondance dans la conjoncture sociopolitique des années de production des spectacles (Tourangeau 37-67). De par leur sens, elles concordent avec la pensée idéologique québécoise développée par Denis Monière: celle de l'idéologie nationaliste et de conservation maintenue par l'agriculturisme et le capitalisme, celle aussi de l'idéologie de rattrapage accentuée par le mouvement socialiste (Monière 263-90, 343-62). Plus spécifiquement, les sociolectes dominants des oeuvres rencontrent tout à fait les traits de la conjoncture socioculturelle du Saguenay-Lac-Saint-Jean définie par les historiens comme un « espace en mutation » sans cesse affirmé par la culture artistique (Girard et Perron 533-76; Tourangeau 35-53). En bref, les langages sociaux absorbés par les textes recoupent ceux de la réalité.

* * * * *

L'établissement de ces correspondances qui assure le passage entre les textes analysés et les textes sociaux permet de faire ressortir la distance culturelle entre deux époques et le parcours du discours idéologique en l'espace de cinquante ans. Notre lecture sociale d'oeuvres comparées du point de vue de leur langage respectif met en lumière l'évolution des écritures et des formes de spectacles au stade des différents niveaux textuels et montre l'écart de signification qui sépare les productions. Un tel exercice révèle aussi les fonctions sociales et idéologiques des oeuvres. À travers le fonctionnement de la dualité sémantique inhérente aux textes, ressort justement ce caractère de fonctionnalité idéologique capable de mesurer quelque peu l'efficacité du système dramatique des pageants comme médium du discours idéologique. Le parcours de ce langage, tracé à même les structures linguistiques, confirme la nette distinction des visions du monde et des mentalités, allant du mythe de la permanence au mythe de la liberté.49 En cela, il rejoint celui de l'imaginaire des auteurs partagé entre la conception d'un univers abstrait et métaphorique qui entretient l'illusion du passé et celle d'un univers à la fois réaliste et baroque qui table sur le temps multiple du passé. L'évolution de cette structure mythique de l'imaginaire décelée à travers les oeuvres trace le profil du cheminement d'une longue quête d'identité et illustre en même temps le changement culturel qui s'est opéré dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Au terme de notre étude, il convient de soupeser les apports et les limites de notre démarche. Le recours à un modèle d'analyse sociocritique pour traiter les pageants comme médium de discours s'avère peut-être une entreprise audacieuse, étant donné que nous avons plutôt affaire à des canevas plus ou moins élaborés qu'à des textes fortement constitués de littérarité. Néanmoins, la part importante que la méthode sociocritique suivie accorde à la socialité du texte justifie notre choix théorique. En effet, la teneur sociale renfermée dans les productions offre la possibilité de dégager facilement le réseau lexical, sémantique et syntaxique des sociolectes les plus divers et de les structurer selon les fonctions et les formes d'oeuvres. Croyant avec les théoriciens Jean-Louis Cabanès et France Gaillard que «c'est la forme qui signifie l'enracinement idéologique de l'oeuvre» et que «c'est le processus d'esthétisation qui donne forme à l'idéologie» (Cabanès 97), il appert que cet outil analytique est adapté à la formule des oeuvres choisies, les pageants, et offre un intérêt particulier pour cerner le discours idéologique dans le fonctionnement de sa propre dualité. Mais ce discours n'est pas réductible à l'idéologie, pas plus que l'idéologie n'est superposable au discours. Aussi, il importe de signaler que notre analyse sociocritique ne dit pas tout de l'idéologie des textes et encore moins de l'idéologie des spectacles.

Notre lecture, forcément limitée à l'analyse de deux oeuvres et à une seule région du Québec, ne peut être représentative de la socialité de cette région ni même des agents de production en cause. Surtout orientée vers la fictionnalité des textes écrits et des didascalies, elle ne prend pas en compte le médium d'idéologie par excellence qu'est le spectacle, à vrai dire, seul lieu où l'idéologie s'exprime pleinement à travers les signes de théâtralité et où le genre pageant en tant que «forme» peut acquérir une force persuasive étonnante. En dépit de ces effets réducteurs de la partialité et de l'approximation du système idéologique, notre reconstitution abstraite de l'objet de connaissance et notre examen de la spécificité d'écriture des oeuvres révèlent les potentialités constructives d'un médium de communication populaire capable de donner un sens aux formes de spectacles à grands effets.

NOTES

1 Ces spectacles forment la plus importante catégorie de «jeux scéniques » (Tourangeau, « Les jeux » 171-82; « La question » 33-44; Fêtes 109-10) et comportent comme au théâtre des textes enrichis de paroles et de didascalies; cependant, ils ne doivent pas être confondus avec les « pageants de rue » offerts dans les parades ou les défilés, encore moins avec les pageants aériens ou les pageants aquatiques. (Tourangeau et Fortin 215-38)
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2 Dans un contexte idéologique, « l'espace imaginaire d'un texte littéraire constitue, comme le rappelle Uri Eisenzweig, le lieu privilégié où se dévoile une certaine idéologie » (Duchet 183). Nous entendons utiliser ce référent spatial investi d'un sens particulier pour expliquer le stade de production des spectacles qui conditionne les rapports entre les hommes.
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3 Les « formes » dont il est question, définies à la fois comme genres de spectacles et comme façons déterminées d'organiser les signes utilisés par la mise en scène, sont en interaction sociale avec cette composante du circuit production-réception qui renvoie à des stratégies de « signification » et à des stratégies de « manipulation » (De Marinis 75-79).
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4 Notons que ces textes ont été publiés dans Fêtes et spectacles du Québec (Tourangeau 297-374). Le Pageant historique, écrit par le père Laurent Tremblay, o.m.i., et mis en scène par Bud Salmon, a été présenté au Théâtre du Centenaire de Saint-Alexis de Grande-Baie (Ville de La Baie), les 4, 10, 14, 17, 21, 28 et 31 juillet, ainsi que les 4, 7, 14, 18 et 28 août 1938, devant plus de 80 000 spectateurs; La Fabuleuse Histoire d'un royaume, écrit et mis en scène par Ghislain Bouchard, a été présenté à quelque 120 reprises et a connu un immense succès entre l'été 1988 et l'été 1994, à Ville de La Baie et à Montsecret (Normandie), en présence de quelque 285 000 spectateurs.
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5 En particulier, les théories de la pragmatique relatives à l'énonciation et au discours (Ducrot, « Structuralisme » 107-28; Le dire et le dit 13-233; Foucault 31-231), à l'idéologie et à l'« effet idéologique » du texte (Kristeva 122-40; Hamon, «Texte et idéologie» 105-25; Texte et idéologie 5-227). Sont surtout retenus les développements qui mettent de l'avant la théorie du texte et les formations sociales discursives.
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6 Voir à ce sujet Hamon, « Texte et idéologie » 107.
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7 Il s'agit, écrit Pavis, d'une «théorie qui intègre le discours à une pratique discursive, elle-même informée par une formation idéologique» (286).
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8«Le premier, écrit Pavis, concerne le texte dans sa structure réflexive et fermée, sa recherche d'une structure et d'une forme unique. (C'est la partie visible ou perceptible de la production textuelle et scénique permettant une autoréflexivité sur les procédés de textualité ou de théâtralité.) Le second le relie aux autres textes dont il s'est servi pour l'écrire et qu'il faut retrouver en lui pour le lire. (C'est ce avec quoi le texte est construit, ce dont il s'inspire et contre quoi il s'élabore.) Le troisième est ce qui le réfère à d'autres pratiques non clairement textualisées, mais indispensables au lecteur pour lire le texte littéraire comme différence. (C'est la base du texte [ ... ] constitué par le référent discursif et par le lieu d'articulation des formations idéologiques et discursives) » (288-90, 310).
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9 Zima élabore les principes de cette sociologie dans Pour une sociologie du texte littéraire, mais il en fait une application rigoureuse dans son Manuel de sociocritique.
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10 Au sens défini par Claude Duchet, cette socialité est, d'une part, «tout ce qui manifeste dans le roman la présence hors du roman d'une société de référence » et, d'autre part, «ce par quoi le roman s'affirme lui-même comme société» («Une écriture» 448-49).
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11 De son côté, Zima parle des sociolectes comme de codes que les membres d'une collectivité ont en commun et qui sont régis par des oppositions valorisantes. Au niveau intertextuel, leur fonction est d'unir la structure du récit à la situation sociolinguistique.
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12 Rappelons la définition de l'isotopie donnée par Greimas et Courtés: « Pitérativité, le long d'une chaîne syntagmatique, de classèmes qui assurent au discours-énoncé son homogénéité » (197).
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13 Le discours peut être ainsi défini dans le sens employé ici: « une unité transphrastique dont la structure sémantique (en tant que structure profonde) fait partie d'un code et partant d'un sociolecte et dont le parcours syntaxique peut être représenté à l'aide d'un modèle actantiel (narratif) » (Zima, Manuel 134).
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14 Dans le cas où les modèles actantiels résistent mal à l'application de différents schémas, il faut recourir aux concepts fondamentaux d'actant collectif et d'isotopie sémantique ou aux procédés rhétoriques de la métaphore et de la métonymie afin de définir le discours idéologique des sujets d'énonciation (narrateurs et personnages).
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15 Le mot intertextuel doit être pris au sens de liens logiques de continuité entre chaque niveau d'analyse précédemment exposé.
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16 Par exemple, les textes qui relèvent d'autres arts et dont la primauté touche des questions linguistiques, sociales, idéologiques ou culturelles.
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17 Notamment sous la forme de canevas, de scénarios, de synopsis plus ou moins développés ou de textes narratifs entrecoupés de monologues et de dialogues.
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18 C'est ainsi que Ghislain Bouchard sous-titre son spectacle conçu comme « un grand film sur scène » et comme une « fresque où les techniques du cinéma et du pageant se mêlent à celles du théâtre et de l'opéra». Voir la préface de« Saguenay fabuleux » (1987).
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19 La composition du Pageant historique de 1938 comprend une ouverture musicale, un prélude, 28 épisodes répartis en trois actes et une finale, tandis que La Fabuleuse Histoire est divisée en 34 scènes regroupées en quatre parties et une finale.
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20 Processus situé au versant de l'intertextuel dans lequel s'inscrivent les idéologies que le texte construit.
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21 Entrevue avec Laurent Tremblay par Rémi Tourangeau, Chicoutimi, 29 février 1988, UQTR.
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22 En particulier, ceux qu'il appelle «bonzes de la religion et curés qui se sont contentés de plier devant le pouvoir dans un objectif de survie». Voir Entrevue avec Ghislain Bouchard par Rémi Tourangeau, Chicoutimi, juillet 1988, UQTR.
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23 Outre La Fabuleuse Histoire d'un royaume, signalons Vingt ans, ça se fête! (1989) et 150 ans de jouissance tranquille en trente minutes (1990).
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24 Dans le premier cas, ces sociolectes sont formés à partir de nombreux lexèmes religieux et historiques dans les épisodes sur les missionnaires ou le clergé, les origines ou le développement du Saguenay. Dans l'autre cas, ils sont structurés dans les scènes relatives aux Indiens et aux Anglais.
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25 Ce sociolecte sémantique est facilement repérable dans les quatre épisodes du ler acte (Pageant historique) et dans les six scènes de la lère partie (La Fabuleuse Histoire). (Tremblay 305-09; Bouchard 335-42).
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26 Ces itérativités de classèmes qui assurent l'homogénéité du discours sont surtout exprimées à travers les groupes d'oppositions de termes connotés, associés à la présentation des premiers habitants.
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27 Dans la première partie des oeuvres, ce genre d'oppositions repose sur des dialectiques plus larges: nature/culture et temporel/spirituel, et s'exprime par la perception que les Blancs ont des Indiens.
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28 La formation de ces isotopies émane d'un ensemble de classèmes liés au débarquement des Vingt-et-Un et aux débuts difficiles de la colonisation. Rappelons qu'il s'agit des 21 sociétaires qui obtiennent l'autorisation d'exploiter les forêts du Saguenay protégées par la Compagnie de la Baie d'Hudson fondée en 1837. Sur un ton drôlatique, Ghislain Bouchard décrit assez bien les misères endurées par ces pionniers (Tremblay 312-14; Bouchard 343-45).
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29 Voir, en particulier, les scènes mettant aux prises le père Honorat et Peter McLeod (9e épisode du Pageant historique), « Val-Jalbert 1918 », « le 29 octobre 1929» (3e partie de La Fabuleuse Histoire) (Tremblay 312-13; Bouchard 363-65).
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30 Il ne s'agit pas toujours de personnages à proprement parler, mais de figures personnalisées utilisant le dialogue.
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31 Dès leur première intervention, la manière dont ces narrateurs se présentent comme des êtres omniscients («je suis Le Temps » ou «je suis l'Esprit du fjord ») et associent leurs propos à des réalités présentes ou historiques créent de tels effets (Tremblay 305; Bouchard 335).
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32 Notons que ces procédés se retrouvent aussi dans le Pageant historique, à l'exception de l'ironie que Bouchard exploite au maximum.
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33 Ce mot utilisé par l'auteur est remplacé par celui d'« Indiens » lorsque ces derniers sont convertis au catholicisme. Comme sème de contenu et d'expression, il acquiert une connotation dépréciative.
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34 Tout ce qu'ils peuvent dire, c'est « Ho! Ho! Ho! ». Seul le grand Sagamo a le droit de s'exprimer en excellent français puisqu'il est devenu enfant du «Grand Esprit» mort sur la croix (Tremblay 307).
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35 Par exemple, Anadabijou n'hésite pas à caractériser l'homme blanc d'«envahissant et de pollueur» (Bouchard 373).
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36 L'anglais, l'espagnol et, plus tard, l'allemand sont utilisés dans le spectacle.
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37 Voir note 28.
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38 Voir les huit premiers épisodes du deuxième acte (Tremblay 310-12).
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39 L'auteur consacre quelques scènes à ce sujet (3e partie, sc. 7, 9, 11) et fait de nombreuses allusions au contexte socio-économique.
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40 Cette idée est renforcée par le regard favorable que le clergé porte sur la société capitaliste des Vingt-et-Un. Voir note 28.
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41 Voir 1ère partie, sc. 2, « Jacques Cartier à la cour de François 1er »; sc. 6,Voltaire vs Nixon », scène où Voltaire est présenté comme le stéréotype du maudit Français » (Bouchard 336, 341-42).
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42 Les trois actes d'inégale longueur réservent 17 épisodes sur 28 au thème de la colonisation (Tremblay 310-16).
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43 Ce thème englobe les deux dernières parties correspondant à la période 1938-1988 (Bouchard 355-74).
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44 Le présent historique de la lère partie et le présent réel (contemporain) de la 3e partie créent cet effet d'enfermement pour signifier une insistance sur le retour au passé des ancêtres (Tremblay 305-09, 320-24).
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45 C'est le cas, notamment, du « Temps » dans le Pageant historique, distant par rapport au narrateur, et de «I'Esprit du fjord» tellement rapproché des autres narrateurs ou des personnages qu'il devient lui-même personnage dans la 4e partie, sc. 2 (Bouchard 369-70).
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46 Voir, notamment, l ère partie, sc. 1, 3e partie, sc. 12 et 4e partie, sc. 1 et 2 de La Fabuleuse Histoire réalisé par CJPM-TV, bande magnétoscopique, 1988.
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47 Notons que la fête-spectacle diffère du «spectacle de la fête» qui se contente de doubler la fête à partir des médias.
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48 Rappelons la définition qu'en donne Patrice Pavis: «une unité signifiante qui recoupe des lexèmes du texte et une notion dont se sert l'histoire pour décrire-bien ou mal-la situation sociale, à un moment donné » (Voix et images 293).
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49 Il s'agit bien de cette distance mythique entre les ceuvres que rend Northrop Frye avec les expressions «The Myth of Concem» et «The Myth of Freedom» (131-32).
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OUVRAGES CITÉS

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