ANDRÉ MARÉCHAL. Art dramatiquelRepères pédagogiques. Une suite de fragments dans une brève continuité. Textes réunis et présentés par H. Beauchamp et F. Chamé. Valleyfield (QC): Presses collégiales du Québec, 1993. 153 pp.

DIANE SAINT-JACQUES

Hélène Beauchamp et Francine Chaîné ont rassemblé des textes qu'André Maréchal, décédé en 1991, a publié entre 1978 et 1991. Le recueil s'ouvre sur des témoignages ou, plutôt, des hommages à André Maréchal, donnant ainsi d'emblée la couleur du projet. Des amis et collègues soulignent la fougue de cet "être d'action", "l'attention tranquille" du pédagogue passionné, l'intensité, du "météore-chercheur d'or". Les éditrices retracent la dynamique imprégnant les textes d'André Maréchal et précisent leur projet: ces "écritures ( ... ) sont des dessins, des musiques et des parfums. Nous avons choisi de laisser parler le coeur et l'amitié, de laisser entendre le chant de la mémoire" (p. 13).

Les textes choisis sont donc fort diversifiés, à l'image de l'homme, de ses multiples engagements éducatifs. Aux écrits didactiques et prises de position critique qui forment l'essentiel de l'ouvrage s'ajoutent de l'information institutionnelle, de la critique théâtrale, des récits évocateurs. De plus, ces textes, mêlant la chronologie, sont rassemblés en fonction des champs de pratique qu'a explorés André Maréchal: l'expression dramatique, l'art dramatique, la pédagogie artistique et le théâtre. Cette disparité, qui peut gêner la lecture, est inhérente au projet. Les textes choisis sont des "repères pédagogiques, une suite de fragments" indique le titre du recueil. Ces fragments sont autant de facettes reflétant la dynamique particulière d'André Maréchal et de sa réflexion.

Ce caractère fragmenté colle bien au praticien qu'il fut d'abord et avant tout, tellement à l'aise dans la mouvance des situations que les éditrices se demandent s'il lui a "été possible de transmettre dans la linéarité de l'écrit ce qu'il proposait avec autant de force dans la densité et l'apparent éclatement du présent et du 'feu de l'action'" (p. 13). Elles répondent à leur question par le choix du premier texte du recueil: il y précise le statut de l'écriture, "nécessairement conjoncturelle (éphémère, excessive et incomplète à la fois)" (p. 22). C'est au lecteur qu'incombe donc le soin de recomposer, en un tout significatif, ces fragments qui, de plus, l'interpellent. Ils le déstabilisent, "car écrire, c'est jouer sur l'arrêt et le statique pour mieux goûter l'élan d'une dynamique inconnue" (p. 30). Le style d'André Maréchal y concourt d'ailleurs, cultivant le paradoxe et les formules imagées. Ses propos en sont pénétrés, comme l'était son action pédagogique. "Afin de fonctionner avec intégrité, j'ai besoin de cette dynamique, de cette déstabilisation, de cette relation complexe" (p. 112). Le lecteur a tout à gagner en se laissant déstabiliser.

La première série de textes touche l'expression dramatique, point de départ de son parcours de formateur et "révélateur" des fondements de son action: la prédominance de la pratique. C'est la mouvance qui motive, relance le jeu et dynamise la relation pédagogique. La deuxième série de textes expose les "fils de chaîne et les fils de trame" de l'atelier d'art dramatique: les consignes, les objets et supports d'expression, la rétroaction, les modèles de présentation des contenus et la construction d'ateliers. La troisième et la quatrième séries de textes, l'une centrée sur la pédagogie artistique et l'autre sur le théâtre, présentent des prises de position pédagogique (l'intervention dans les pratiques d'animation et de création, la tension entre l'expression dramatique et le théâtre, le théâtre par les adolescents), des critiques théâtrales et des textes d'information (le programme d'art dramatique du secondaire, les programmes de formation des maîtres en expression dramatique au Québec et la situation de l'UQAM en art dramatique).

Les écrits didactiques, rassemblés pour l'essentiel dans la deuxième série de textes, sont l'écho d'un projet qu'André Maréchal s'était donné, un "ouvrage pressenti" (p. 61). Ils offrent un intérêt particulier pour les praticiens. Ce sont des écrits que l'on peut qualifier de techniques mais, comme il le dit à propos des consignes, "les limiter à cette dimension serait oublier de prendre en considération le fonctionnement variable des prises de parole de l'animateur et des participants" (p. 5 1). Ces écrits didactiques, et c'est ce qui leur confère leur richesse particulière, sont infusés par l'expertise qu'a développée André Maréchal en circulant à travers différentes pratiques: notamment l'expression dramatique, l'art dramatique des programmes québécois à la conception desquels il a été étroitement associé et le théâtre via la direction ou la co-direction de mémoires-création à l'UQAM. En confrontant les pratiques, leurs stratégies et leurs instruments, il a non seulement marqué leur place respective, mais aussi leurs liens, nourrissant et dynamisant les unes par les autres.

La contribution la plus importante d'André Maréchal à la didactique de l'art dramatique émerge de cette expertise, de la situation privilégiée où il s'est placé en explorant avec autant de passion et de sérieux ces diverses pratiques. Il en a tiré une compréhension particulièrement éclairante des modèles de formation en art dramatique dont il énonce les enjeux et les modes de fonctionnement dans deux textes majeurs du recueil: "Mise en action, dramatisation et théâtralisation. Nuances et progression de la pratique en atelier d'art dramatique" et "L'interaction entre formation et intervention dans les pratiques d'animation et de création en art dramatique". Les pratiques de mise en action privilégient l'implication directe du joueur convoqué en tant que sujet; les pratiques de dramatisation, axées sur l'invention d'une fiction, renvoient les participants à l'objet en cours d'invention plutôt qu'à eux-mêmes; les pratiques de théâtralisation mettent l'accent sur la constitution d'un spectacle dans le cadre défini selon les conditions matérielles de production et les choix de mise en scène du formateur devenu metteur en scène offrant sa vision.

La mise en perspective de ces trois modèles de formation est éclairante à plus d'un titre. Elle expose les orientations qui s'offrent au praticien, leurs enjeux et leurs limites, plutôt que d'opposer expression et représentation. Elle donne aussi réponse à une "grande question", la trame du cheminement d'André Maréchal à travers les diverses pratiques: "de quelle manière, dans une pratique de formation générale ou spécialisée, il est possible d'installer, puis de maintenir une relation dynamique entre le développement personnel et le développement d'une démarche créatrice, artistique" (p. 80). Parfois, ces objectifs et les pratiques qui les portent se greffent les uns aux autres; parfois, ils se croisent, se liant ou se confrontant; ils peuvent aussi se révéler inconciliables, leurs différences risquant de "faire basculer les objectifs même des projets en cause" (p. 120). Néanmoins, André Maréchal affirme la nécessité de faire évoluer les étudiants en formation d'un modèle à l'autre, en toute conscience des différences, pour leur faire saisir la diversité et la complémentarité des pratiques.

Le titre et le sous-titre du recueil de textes d'André Maréchal donnent les clés de lecture de l'ouvrage. Il traite d' "art dramatique" en tant que "repères pédagogiques", point de jonction sinon de ralliement entre les territoires qu'André Maréchal a fréquentés, balisés, situés dans le vaste domaine des activités dramatiques en éducation. "Suite de fragments", il permet au lecteur d'y repérer des éléments de réflexion sur les enjeux des pratiques éducatives en art dramatique, des stratégies d'intervention en expression ou en création et, sous-jacente aux propos, la dynamique exemplaire du pédagogue qui interpelle. Le sous-titre de l'ouvrage souligne aussi sa limite, irréductible: la brève, trop "brève continuité" du chemin de vie d'André Maréchal.