METTRE LA SCÈNE EN CAGE: PROVINCETOWN PLAYHOUSE ET LE SYNDROME DE CÉZANNE

SHAWN HUFFMAN

Cet article a pour objectif général d'étudier l'univers clos au théâtre du point de vue de la mise en scène. A partir de différentes productions de deux pièces--Provincetown Playhouse de Normand Chaurette et Le Syndrome de Cézanne de Normand Canac-Marquis--l'auteur analyse les techniques qui produisent « la cage en scène ». Ce faisant, il effectue une comparaison entre les différentes productions des deux pièces afin d'établir des liens entre la mise en scène et le huis-clos, non pas de façon purement descriptive, mais en interrogeant aussi les paradigmes théoriques, surtout sémiotiques, qui s'y répercutent.

The main goal of this article is to examine ways in which claustrophobic theatrical worlds are constructed by mise en scène. Using different productions of Provincetown Playhouse by Normand Chaurette and Le Syndrome de Cézanne by Normand Canac-Marquis, I study the techniques which produce the "cage on stage. " This allows me to proceed to a comparison of the different productions and to assess the relationship between staging and enclosed fictional universes. My perspective goes beyond a descriptive summary and attempts to come to an understanding of the theoretical underpinnings, especially semiotic, at work in these productions.

Premier Paysan: Quel est celui qui bâtit plus
solidement que le maçon, le
constructeur de navires et le
charpentier?
[ ... ]
C'est un fossoyeur. Les maisons
qu'il bâtit durent jusqu'au jugement
dernier.
Hamlet, Shakespeare

L'univers clos sous ses divers aspects (prisons, asiles et autres lieux fermés) met en scène les drames passionnels de ses acteurs d'une variété de manières: séparation, surveillance et restriction, pour n'en nommer que quelques-unes. Or, le théâtre évoque particulièrement bien cet univers, la scène théâtrale s'appropriant et délimitant un espace-temps réel dans lequel elle construit un ilot de fiction. Elle s'érige et s'isole, créant un enclos performatif qui, de surcroît, est ceinturé d'une zone dans laquelle se situe l'autre é1ément majeur dans le paradigme carcéral, à savoir, le surveillant sous forme de spectateur.

Dans cette étude,1 je me propose d'examiner, par le biais de deux mises en scène différentes de Provincetown Playhouse, juillet 1919, j'avais 19 ans de Normand Chaurette et une du Syndrome de Cézanne de Normand Canac-Marquis, diverses fagons dont l'univers clos peut être articulé par la mise en scène. Quelles sont les techniques utilisées par les metteurs en scène pour réaliser l'enfermement relaté dans chaque pièce? Je tenterai de répondre à cette question en étudiant les façons dont le metteur en scène produit la cage en scène, non seulement par le décor, mais aussi par plusieurs canaux signifiants: entre autres, par l'éclairage, les costumes et la kinésique. Ce faisant, j'effectuerai une comparaison entre les différentes mises en scène à l'étude afin de déterminer les liens entre celles-ci et le huis clos, non pas de façon purement descriptive, mais en interrogeant aussi les paradigmes théoriques qui s'y répercutent.

L'univers claustrophile est toujours un monde extrême. Quand il résulte d'un personnage qui cherche refuge contre sa vie trop dure et contre une réalité trop envahissante, il s'ajoute à l'enfermement un désir de dissimulation, question de vouloir protéger I'abri psychique. De fait, ce refoulement séquestre encore plus solidement l'univers claustrophile et complique davantage la tâche de celui ou de celle qui enquête sur ce monde. En un mot, ce sont des scènes «cryptiques»: des fragments d'un casse-tête découvrant les contours d'un univers à l'étroit, creusé plus souvent qu'autrement dans la mémoire du personnage principal. Ces cryptes font partie de ce que j'appelle une figure carcérale.2 En dépit de ce que suggère son nom, la figure carcérale ne se limite pas uniquement aux espaces reliés à la prison. Elle découle plutôt des représentations sémantiques et formelles de l'enfermement sous de multiples formes, déjà énumérées plus haut, et inclut les notions de privation, d'abjection et aussi de libération. Par ailleurs, comme le temps et le souvenir peuvent être étroitement associés à l'espace en général,3 il n'est guère étonnant de trouver des é1éments temporels liés à l'espace fermé. En effet, c'est souvent par la répétition4 que le temps et le souvenir se rencontrent, un lien qui peut, par la suite, se manifester dans la figure carcérale. Cest en interrogeant cet espace cryptique, tel qu'il est produit dans la mise en scène, que nous serons en mesure d'accéder à la trame et aux personnages incarcérés devant nous, parfois «avec» nous, dans ces pièces.

Rappelons que Provincetown Playhouse raconte I'histoire d'un aliéné, Charles Charles 38,5 qui répète sans cesse sa piece sur l'immolation de la beauté, représentée par le meurtre d'un enfant. Cette immolation devait signaler la naissance triomphale de Charles Charles dans le monde de l'art, mais elle se transforme en échec artistique et ontologique quand il voit son amant Winslow qui dort à côté de leur ami Alvan. Par la suite, un « vrai » enfant sera tué sur la scène, crime qui mène Winslow et Alvan au gibet, tandis que Charles Charles se réfugie dans un théâtre de la folie. Provincetown Playhouse a connu trois mises en scène professionnelles, mais étant donné la pénurie de documentation sur la première, je n'en retiendrai que deux: celle de Pierre Fortin en 1984 à la Maison Carrée à Chicoutimi et celle d'Alice Ronfard en 1992 à I'Espace Go à Montréal.

La deuxième pièce, Le Syndrome de Cézanne, relate l'histoire d'un homme, Gilbert, qui essaie de comprendre la mort de sa femme et de son enfant, survenue lorsque leur auto explose un jour d'été sur le pont Champlain. Il est rongé par des sentiments de culpabilité, car il pense avoir mal aimé sa famille et se sent responsable, en quelque sorte, de leur mort. Ainsi, toute la pièce tourne autour de sa tentative de saisir cet événement devenu trop grand et trop pénible pour lui. Le Syndrome a connu, en 1987 à la Licorne à Montréal, une mise en scène professionnelle signée Lorraine Pintal.6

esthétiques d'isolement

Toute mise en scène est en partie tributaire de courants esthétiques repérables dans la performance. Sans vouloir renfermer la mise en scène dans des catégories critiques rigides, les différentes façons de construire le huis clos dans les mises en scène à l'étude usent néanmoins de stratégies que l'on peut qualifier de modernes, hyperréelles ou postmodernes: le modernisme avec la mise en scène de Fortin, l'hyperréalisme avec celle de Pintal et le postmodernisme avec celle de Ronfard. l'identification et l'étude de ces courants, surtout par rapport au monde cryptique qui en découle sur la scène, constituent non seulement une première étape dans une typologie des esthétiques d'isolement, mais fournient aussi une compréhension théorique de leur fonctionnement.

En quoi la mise en scène de Fortin est-elle modeme? Sa distribution nous offre une première réponse, car il s'agit d'un one man show. Loin d'une esthétique de la mort de l'auteur, le modernisme mise justement sur l'importance de l'auteur/créateur comme donateur de sens. Parallèlement, l'emploi de la technique du spectacle solo transforme l'acteur en le lieu principal de production artistique. Dans la mise en scène de Fortin, ce site est davantage pris en charge par le fait que Larry Tremblay, l'acteur solo, interprète le rôle de Charles Charles, ce personnage principal qui est déjà auteur, acteur et metteur en scène dans la fiction. Ainsi, en plus de déclencher un processus d'accumulation artistique presque hyperbolique chez Charles Charles, la mise en scène donne lieu aussi à une structure générale de contrôle artistique. En effet, le spectacle solo, par l'entremise de la représentation et du corps de l'acteur unique, place les autres personnages et le monde fictif auquel ils participent sous l'autorité artistique de Charles Charles.

En plus du rôle central accordé à l'artiste/créateur, on trouve aussi dans le modernisme une mise en relief de l'énoncé. Chez Fortin, c'est la scénographie qui communique le plus clairement l'importance accordée à cet é1ément puisque l'on joue littéralement dans le texte de la pièce. Comme on peut le constater sur la photo, tout le texte de la pièce était inscrit sur de larges rames de papier construisant les murs et le plafond de la scène. Ainsi, le personnage central s'enferme dans l'énoncé, voire s'intègre à l'énoncé parce qu'il joue dans son texte (et ainsi, «dans sa tête», comme le veulent les didascalies de la pièce (Chaurette 24)). De plus, le spectateur était entouré lui aussi par le texte et pouvait tout lire, sauf les deux dernières scènes, cachées derrière des feuilles de papier déchirées par l'acteur à la fin. En effet, Larry Tremblay a affirmé qu'il était très important pour le rituel théâtral que les spectateurs puissent lire la pièce en même temps qu'ils regardaient la représentation.7 Justement, la scénographie fait en sorte que l'acte de lecture est assimilé à la représentation théâtrale de Charles Charles, à sa médiation sémiotico-rationnelle du monde fictionnel et, par conséquent, A son rituel théâtral. En effet, en plus de mettre en relief les pouvoirs, créateurs, accordés à l'artiste, pouvoirs qui relèvent de la doxa moderne selon laquelle I'artiste crée ex nihilo, la mise en scène souligne aussi I'autonomie absolue de l'Art par des renvois constants au rituel théâtral. La photo, par exemple, nous montre Charles Charles avec un projecteur à l'aide duquel il indique ses répliques dans le texte. Cette «ostentation», ouvertement métathéâtrale dans la mesure où le théâtre, selon Eco, est justement I'art de «faire voir» (110), insiste sur la lecture comme acte critique conscient mais dirigé, puisque l'on incite le spectateur à réfléchir sur le texte et sur les conditions de son élaboration.8

Un autre trait du modernisme dans la mise en scène de Fortin se rapporte au croisement (théâtral) des cultures.9 De fait, l'importance accordée au rituel et le style inspiré du kathakali10 dans la performance de Tremblay possèdent une valeur11 déterminée non seulement par la création qu'occasionnent les nouveaux rapports mis en place par un croisement de cultures, mais aussi par l'intermédiaire d'un renvoi intertextuel à Artaud et au théâtre balinais. Cet intertexte est capital, car dans le théâtre de la cruauté, Artaud cherchait justement à rejeter les limites de l'homme et «à rendre infinies les frontières de ce qu'on appelle la réalité» (1964 19). En effet, le «théâtre de la cruauté» est un projet moderne tout à fait à l'image de la dramaturgie de Charles Charles. Précisons cependant que la «réalité» que cherche ce personnage est impossible parce qu'elle confond la distinction entre l'art et la vie et résulte en la création d'un paysage ontologique dans lequel «l'homme n'est plus qu'un reflet» puisque, comme l'explique Derrida,«le théâtre de la cruauté n'est pas une représentation. C'est la vie elle-même en ce qu'elle a d'irreprésentable» (1967 343). l'échec du «théâtre de la beauté» de Charles Charles a donc pour effet d'enfermer celui-ci dans un Art de sa propre fabrication, de l'incarcérer dans un langage proprement et fatalement théâtral.

Comme le suggère son titre, I'Art joue un rôle majeur aussi dans Le Syndrome de Cézanne. En effet, la mise en scène de Pintal s'apparente à l'hyperréalisme, celui-ci étant un courant esthétique assez troublant qui, en général, est associé à des univers aseptisés, urbains, refermés, réduits et fragmentés. Par une attention particulière portée au détail, l'hyperréalisme problématise la perception et la réalité, et conduit le spectateur à explorer le mouvement, l'espace, et la lumière.12 Il s'agit d'une esthétique qui possède des liens étroits avec l'univers carcéral, et peut-être même encore plus avec un théâtre clinique, pour nous situer dans le même paradigme que celui évoqué par le milieu asilaire de Provincetown.

On remarque tout de suite dans la photo qu'il s'agit d'un univers renfermé et aseptisé. La lumière est sévère, omniprésente et surtout froide. Un encadrement progressif se fait remarquer aussi, de la porte de garage qui enferme la scène jusqu'à la répétition de formes cadrées sur la scène: la fenêtre, le réfrigérateur, la porte. Par ailleurs, la froideur occupe une place démesurée; Gilbert n'utilise pas, par exemple, la cuisinière, celle-ci étant couverte des pièces du moteur qu'il est en train de remonter. Il se sert cependant du réfrigérateur. La porte est même laissée ouverte pendant de longues périodes de temps de sorte que toute la scène baigne dans sa lumière blafarde et réfrigérée.

L'éclairage de scène, de première importance,13 sert à différencier les états d'âme de Gilbert. En effet, le jeu de lumières nous fait remarquer qu'il y a « deux » Gilberts: celui relié à un processus d'enquête mené par le détective Thomas Wancicovski et celui qui sombre dans le souvenir de sa femme et de son enfant morts. Un éclairage doux illumine le Gilbert de l'enquête alors qu'une lumière crue et envahissante signale l'espace du souvenir.

Plongé dans les souvenirs de chicanes de couple et de l'amour aussi, le Gilbert de l'éclairage cru représente celui incapable de se délier de la vie qu'il menait jadis. Peuplé par l'enfant, représenté par une chaise haute vide, et par le fantôme de sa femme, habillé dans le même style blanchi de la scène, le monde de cette vie d'autrefois est implacable. Il enferme par sa démesure et résiste à l'oeil pénétrant par la violence de sa blancheur.

Le Gilbert qui apparaît sous un éclairage doux inspiré du style et des couleurs de Cézanne est un sujet exploratoire. Guidé par le personnage du détective, il cherche à comprendre la réalité, comme le faisait d'ailleurs Cézanne: 14

THOMAS WANCICOVSKI
Cézanne représente la réalité en supprimant volontairement les règles classiques de la profondeur et des dimensions. Il oppose au réalisme une réalité différente qui donne au sujet sa raison profonde d'être. Tous les objets qui entourent le modèle, qu'il s'agisse d'une chaise, d'une porte, d'une tasse à café et même la cuillère de cette tasse à café ... tous ces détails livrent une perception fugitive et différente de la réalité.
Ce qui importe chez lui, ce n'est pas tant le sujet observé que la conscience de celui qui observe (Canac-Marquis 30)

Cette réalité, intimement reliée aux sentiments de culpabilité de Gilbert, renseigne beaucoup plus sur la manière dont celui-ci vit le deuil que sur les raisons pour lesquelles l'explosion a eu lieu. Au fond, et comme I'affirme Thomas Wancicovski à propos de I'accident, « C'est impossible de prouver quoi que ce soit» (Canac-Marquis 86).

La juxtaposition de ces deux espaces dans la mise en scène de Pintal montre la relation qui les unit. Tout tourne autour de la perception, de la fagon dont un sujet en deuil se confronte à ses peines, à ses souvenirs, à son sentiment de culpabilité et à son désir. C'est l'hyperréalisme, s'exprimant sous deux modalités, celle de l'éclairage cru et celle de la lumière cézannesque, qui permet de sonder les profondeurs de la peine carcérale de Gilbert, car l'espace de la fermeture dans la pièce est fragmenté et dispersé sur deux sites de production. Il en résulte «une forme différente de savoir» comme l'exprime de Toro, « celle qui se caractérise par une production fractale d'une information fragmentée et incomplète où le site du sujet (source de l'énoncé) est anéanti» (27). Parce que de Toro discute du postmodernisme, il continue en affirmant que ce site s'avère en dernière analyse « sans importance». Toutefois, dans le cas de l'hyperréalisme, la fragmentation du site est justement ce qui importe. Là où le modernisme amène le spectateur à considérer la construction du monde fictif devant ses yeux, l'hyperréalisme, lui, communique la difficulté de comprendre et par la suite de dire la réalité. Il s'agit d'un regard trop près du signifié pour être traduit, d'une peine trop grande pour être transposée. C'est une écriture, pour citer Lacan:

[...] de la psychose, d'une impasse, d'une perplexité concernant le signifiant. Tout se passe comme si le sujet y réagissait par une tentative de restitution, de compensation. La crise est déchaînée fondamentalement par quelque question sans doute. Qu'est-ce que... ? Je n'en sais rien. Je suppose que le sujet réagit à l'absence du signifiant par I'affirmation d'autant plus appuyée d'un autre qui, comme tel, est essentiellement énigmatique. (219)

Ici encore, il y aurait sûrement un lien à faire avec Artaud, mais ce serait plutôt avec l'Artaud «clinique» de Rodez:

La douleur vraie est la suppression de l'être et ce n'est pas une douleur, c'est un être, un être dur.
[ ... ] Autour de la douleur, j'ai deux rêves, le rêve d'être et celui de ne pas être, ne pas être homme ni être, ne pas exister et ne pas vivre, et ne pas être non plus cette douleur qui me fait vivre et me donne d'encore exister. (1981,231)

Pour Gilbert, comme pour Artaud, la douleur de vivre se traduit dans la «réalité» par l'enfermement et par le rêve. C'est un rêve qui se confond à l'être et qui, ainsi, supprime l'être. De cette façon, Gilbert demeure pris dans l'impasse de la culpabilité et du souvenir, une impasse qui surgit partout, incontoumable, hyperprésente et hyperréelle.

La mise en scène de Provincetown Playhouse par Alice Ronfard construit, elle aussi, un univers carcéral qui frôle le rêve; toutefois les contours de ce monde sont dessinés selon une esthétique résolument postmoderne. Par une approche qui privilégie le jeu et la multiplication des points d'indétermination, Ronfard affiche des résistances à l'autorité canonique, entre autres, à celle du texte dramatique et paradoxalement, à celle de la metteure en scène.15 Afin d'éviter d'ouvrir le débat sur les traits du postmodernisme et pour mieux cibler la problématique des esthétiques de l'isolement, je vais limiter mes observations à deux caractéristiques: la prolifération des couches dans I'histoire16 et la mise en relief de l'énonciation.17

La prolifération des couches dans la mise en scène s'effectue dans au moins deux systèmes: celui des personnages et celui du « texte».18 La réduction dans le système des personnages dans la mise en scène de Fortin (son emploi du one man show) a pour résultat de minimiser la distance entre les différentes couches narratives de la pièce. Tout dépend, semble-t-il, de Charles Charles. En revanche, chez Ronfard il y a une sédimentation de ces couches, les rôles étant distribués à plusieurs acteurs différents. Sur la photo par exemple, on voit Charles Charles 19 qui « remonte » de la mémoire de son homologue à la surface de la performance. Ainsi, la fonction « artistique » se trouve distribuée sur plusieurs personnages, ce qui a pour effet de resituer la valeur de l'Art dans les interactions de ces personnages et non pas sous la tutelle d'une force créative dominante.19 Alors que dans la mise en scène de Fortin l'Art est donné comme finalité, la mise en scène de Ronfard récuse cette foi dans l'Art. Justement, la distribution des rôles à plusieurs acteurs nie l'existence d'un savoir totalisant et systémique; Charles Charles devient un produit de sa pièce et non pas sa source.

Une autre prolifération des couches se voit dans la version du texte dramatique employée par la metteure en scène. En effet, Ronfard a choisi de tout mettre en scène, y compris les variantes fournies à la fin de la pièce imprimée. Dans une note de l'auteur, Chaurette, précise qu'il a «fait deux versions de Provincetown Playhouse... » (117), une version pour la scène et une deuxième dont le but était «de rendre [. . .] une véritable pièce à l'intérieur de la pièce (celle du sixième tableau)» (Chaurette 117). Ces modifications apportées aux tableaux 6 à 13 (Chaurette 117) polarisent déjà le rapport entre la version scénique et la version imprimée, mais la décision de Ronfard de tout mettre en scène le problématise carrément, les variantes et la version première créant ensemble une sorte d'énigme dans la structure de la pièce. Il s'agit d'un point d'indétermination qui réfléchit, métathéâtralement, sur les rapports entre textes. «Savaient-ils qu'il y avait une pièce dans la pièce?» Peu importe la réponse à cette question, la prolifération des liens et des niveaux engendrée par Ronfard donnent lieu à un rhizome,20 signe concret de la multiplicité à l'oeuvre dans sa mise en scène.

En plus d'annoncer le théâtre dans le théâtre, les trois coups que donne Charles Charles vers le début de la pièce signalent une mise en scène de la théâtralité. Très concrètement, un système de panneaux pivotants21 tantôt reflétants, tantôt transparents, renferme le théâtre intérieur de Charles Charles 38. Quand celui-ci donne les trois coups, les panneaux s'activent et Charles Charles 19, son reflet théâtral, émerge par la suite. Le rôle réservé au théâtre est donc central dans cette mise en scène et la théâtralité se trouve étroitement liée à la vie. En revanche, et faisant écho à l'histoire de Narcisse au bord de l'étang, il demeure que Charles Charles est captif de sa réflexion. En effet, aux trois coups Charles Charles s'immerge dans son texte (aussi un miroir en quelque sorte) et vit le théâtre, un théâtre dont il perd le contrôle.

En plus de figurer la théâtralité sur la scène, les panneaux se rapportent aussi à l'énonciation. Rappelons que l'énonciation est un présent, un ici-maintenant éternel.22 De rnême, la représentation théâtrale a lieu dans le présent, soit l'«ici-maintenant » de la scène. Or, c'est le mouvement des panneaux qui occasionne les points de contact et la diffraction qui « écrivent » les souvenirs de Charles Charles et met ainsi l'énonciation théâtrale au devant de la scène. Dans Rhizome, Deleuze et Guattari affirment qu'« [é]crire n'a rien à voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier, même des contrées à venir» (12). Fortement postmodernes, les panneaux sont au coeur d'une écriture qui s'avère d'ailleurs profondément cryptique. En effet, ils «inscrivent» la cage en scène dans un espace de signification où la transparence et l'opacité de l'Art se confondent, construisant ainsi une topographie théâtrale incertaine et piégée. Même le regardant est appelé à repenser son rapport avec la pièce, peut-être aussi à y plonger.23

structures cryptiques

Les esthétiques d'isolement, que ce soit le modemisme, l'hyperréalisme ou le postmodernisme, constituent des façons de construire la fermeture sur la scène. Or, ces stratégies se greffent à la structure saillante existant dans chaque pièce. Comme un plan d'architecture, la pièce écrite fait pressentir les murs, les toits et les recoins d'un univers théâtral. La structure de la pièce de Chaurette par exemple, laisse entrevoir une topographie où la scène de perte et de deuil, représentée par la pièce insérée, est enterrée dans la pièce cadre:24 Ce schéma représente la composition de la pièce. Alors que les lignes en trait d'union indiquent qu'il n'y a pas d'interférence avec les autres niveaux temporels, les lignes pointillées signalent une «contamination» du niveau temporel en question par les autres. En ce qui concerne les Extraits, même si, à strictement parler, ils se trouvent en dehors des temporalités établies par la pièce, j'aurais tendance à les situer entre les Niveau II et III. Principalement, le schéma expose la crypte qui repose au coeur de la pièce, enfouie dans et protégée par les autres couches temporelles. Toutefois, il est important de noter que la crypte se veut un endroit dissimulé. Ainsi, le schéma témoigne en même temps de la profanation de ce lieu, une profanation occasionnée par l'analyse. En effet, c'est seulement en minimisant l'interférence entre les différentes couches narratives et qui protège la scène de perte, que l'on est en mesure de constater la présence de la crypte, car celle-ci, dans son «état naturel », résiste à l'oeil pénétrant et se dissimule sous la structure de surface de l'univers fictif. Partant, en ordonnant l'exhumation de cet endroit qui est censé protéger et durer «jusqu'au jugement demier», l'analyse semble ajouter à la violence initiale de la crypte.

La structure cryptique mise à nu par le schéma se concrétise dans la mise en scène de Ronfard par le jeu des panneaux, jeu relié à l'énonciation et à l'émergence progressive d'un souvenir refoulé. Rappelons que ces panneaux pivotants sont tantôt miroitants, tantôt transparents. Il s'agit d'une organisation qui non seulement construit la crypte, mais qui érige aussi les murs qui la protègent. En tant que miroirs, les panneaux se rapportent à l'énonciation, car ils constituent le «reflet» ou «l'écriture» théâtrale. La transparence, quant à elle, communique le caractère carcéral des panneaux en montrant que le théâtre est aussi une cage de verre. Sur un plan strictement temporel, cette cage cache le secret de Charles Charles et, bien sûr, le site de sa perte (celle de 1919). Pourtant, cette perte est bien double. Non seulement Charles Charles a-t-il renoncé à son amant et à son ami, mais aussi à sa naissance théâtrale que devait occasionner sa pièce, Le Théâtre de l'immolation de la beauté. Ainsi, selon une vue d'ensemble, la cage déborde et réussit à s'immiscer dans l'ici-maintenant de l'énonciation théâtrale. Par conséquent, Charles Charles 38 perd le contrôle du théâtre et, à la fin, est contraint à regarder la scène qui se déroule devant lui, en dépit de lui.

La structure cryptique dans Le Syndrome de Cézanne est aussi reliée à la mémoire. Elle transparaît à travers les jeux de lumière dans la mise en scène, jeux qui, comme nous I'avons vu, ont pour effet de créer deux domaines sémantiques correspondant à la mémoire et au travail de la remémoration. De plus, la répétition de formes cadrées, surtout celle de la porte de garage qui enferme la scène, renforce l'organisation carcérale de la pièce. Séquestré dans ce «garage» avec la carcasse de l'automobile qui a explosé, Gilbert fouille dans ses souvenirs. l'espace de la lumière diffuse, celui de la réalité cézannesque, constitue le terrain marécageux dans lequel Gilbert creuse la tombe de sa femme et de son enfant. l'espace de la tombe proprement dit est représenté par la lumière crue et constitue le noyau autour duquel la pièce, qui à vrai dire est un espace de deuil, est placée. Notons, par ailleurs, que c'est dans un miroir que Gilbert regarde quand il monte sur la table, et parlant de sa femme, il dit «je réponds très calmement aux questions de mes chums un peu saouls qui se demandent comment je fais, mais surtout, surtout, comment qa s'est passé» (53). Le lien avec le texte devant Charles Charles saute aux yeux, étant donné que l'exploration des profondeurs de la mémoire s'effectue encore une fois par le biais d'une surface miroitante. Plus important encore, cette scène montre que, tout comme pour Charles Charles, la crypte de Gilbert est positionnée à l'intérieur. Il s'agit d'un endroit engendré par une scène de violence (l'accident et le meurtre), d'une scène qui se répète sans cesse dans chaque pièce et qui révèle le caractère irrésolu du conflit pour le sujet.

Dans la mise en scène de Provincetown Playhouse par Fortin, on isole plus difficilement la structure cryptique, car tout l'énonce passe par le jeu corporel de l'acteur. «l'anatomie ne peut être que ludique» écrit Larry Tremblay à la fin de son essai Le Crâne des théâtres (130), et justement, dans la mise en scène de Fortin, c'est le corps même de Charles Charles qui est cryptique, puisque c'est son corps qui est le théâtre. Cette existence fondamentalement théâtrale est constarnment soulignée dans la mise en scène: la technique du spectacle solo, l'emploi de masques, l'intégration du personnage au texte du théâtre et cetera. De surcroît, le titre de l'essai de Tremblay offre un autre indice qui étaye cette hypothèse. Le critique dérive son titre du poème «Ville sans sommeil» de Federico García Lorca, qu'il cite brièvement et que je reprends plus longuement ici:

La vie m'est pas un songe. Alerte! Alerte! Alerte!
Nous tombons dans les escaliers pour manger la terre humide
ou nous montons au fil de la neige avec le choeur des dahlias morts.
Mais il n'y a pas d'oubli ni de songe:
La chair à vif. Les baisers lient les bouches
et celui qui souffre de sa douleur, il en souffrira sans relâche
[ ... ]
Personne ne dort dans le monde. Personne, personne.
[ ... ]
Mais si quelqu'un a dans la nuit trop de mousse à la tempe,
ouvrez les trappes pour qu'il voie sous la lune
les coupes artificielles, le poison et le crâne des théâtres (García Lorca 526-527).

Rappelons que la mise en scène de Fortin réunit dans le personnage de Charles Charles les é1éments de théâtre, de meurtre et de mémoire reliés à la notion du crâne. Memento mori, ce crâne représente le théâtre poison avec lequel Charles Charles a piégé son amant et son ami, et avec lequel il s'est lui-même donné la mort symbolique. Qui plus est, Charles Charles 38 est enfermé dans le crâne des théâtres, puisque dans la mise en scène de Fortin, il joue dans le texte de sa pièce, pièce qui est «dans sa tête », comme le précisent les didascalies (Chaurette 24). Il est question d'un personnage enterré vivant dans une structure construite par sa propre pièce et par son propre corps. Comment lui signaler le danger? Même les spectateurs n'échappent pas au « dédale de l'art » parce qu'ils sont assis dans le texte avec Charles Charles, même si leur rôle n'est que celui d'un observateur, d'un Hamlet peut-être qui déclame «Hé1as! pauvre Yorick! . . . Je l'ai connu, Horatio! C'était un garçon d'une verve infinie, d'une fantaisie exquise» (Shakespeare 357).25

le corps qui gît

l'espace cryptique construit par chaque mise en scène est aussi une sépulture, car au fond de chacune gît un cadavre. Dans la mise en scène de Fortin, on voit un cadavre littéralement construit par Charles Charles. À travers les lamentations de celui-ci, nous assistons à un nivellement de tous les é1éments théâtraux dans la pièce, nivellement qui équivaut à la destruction des parois qui protégeaient la crypte. Le cadavre lui-même est composé des é1éments du théâtre rituel de Charles Charles: le masque, le texte de la pièce, et le sac qui contenait l'enfant. Ce cadavre signale très concrêtement un théâtre de la mort, car le théâtre a empoisonné le corps désiré (l'Art et Winslow). Paradoxalement, il indique la vie aussi. En effet, le corps représente le désir de Charles Charles de garder un mort intact et «en vie». Ce mort, c'estCharles Charles lui-méme, comme le confirme le baiser rituel avec lequel il réaffirme son pacte avec le thMtre. Ainsi, son corps reste ludique, pris sur la scène et vivant dans la mort.

Dans la mise en scène de Ronfard, Charles Charles voit le corps de Winslow et d'Alvan, ensemble, comme il les avait vus à Provincetown il y a 19 ans. Il s'agit d'une scène dans laquelle il n'a pas pu agir et qui se joint à toutes celles qu'il crée et dans lesquelles il intervient, fictivement, depuis 19 ans. Dans Fragments d'un discours amoureux, Barthes écrit:

[ ... ] dans le champ amoureux, les blessures les plus vives viennent davantage de ce qu'on voit que de ce qu'on sait [ ... ]. Voici donc, enfin, la définition de l'image, de toute image: l'image c'est ce dont je suis exclu [. . .], je ne suis pas dans la scène (157).

Cette scène dont Charles Charles est exclu constitue le lieu primitif de son abjection. «La crypte est un caveau du désir» affirme Derrida (18) et de fait, la cage cryptique formée par les panneaux renferment le désir de Winslow et d'Alvan, désir dont Charles Charles était exclu. Les corps qui gisent représentent donc le deuil refusé et laissent savoir la raison pour laquelle Charles Charles est pris dans un présent éternel, soit le théâtre, un temps dans lequel il reste en suspens et sans issue. À force de garantir la garde du tombeau qu'il a construit, il est lui-même pris dans le piège de l'Art et doit rôder autour de la crypte, toujours observateur et toujours en proie à la peine infligée par son exclusion. Or, cette exclusion est soulignée par la différence d'âge des personnages et par les costumes. Charles Charles continue à vieillir, fait communiqué d'ailleurs par ses habits frippés, alors que Winslow et Alvan restent jeunes et fraîchement habillés.

Dans la pièce de Canac-Marquis, il existe aussi un cadavre, mais qui est moins évident parce qu'il est moins concret. Il faut voir, pour ainsi dire, avec les yeux de Cézanne. C'est le moteur que Gilbert est en train de remonter tout au long de la pièce qui représente le cadavre. Il s'agit de la résurrection d'un corps reconstruit, morceau par morceau, du fond de sa mémoire. Signe précis de la perte du personnage, le moteur déclenche aussi une série d'autres possibilités. Que fera Gilbert par la suite? D'une part, séduit par le corps réanim, il pourrait décider de se réfugier dans l'Art, comme l'a fait Charles Charles. D'autre part, on pourrait aussi se demander si le dynamisme du moteur pourrait catalyser la «guérison» psychique de Gilbert, véhiculant sa sortie de l'impasse provoquée par la scène mortifère. Dans le premier scénario, la cage se ferme sur Gilbert et il reste pris avec une machine-mémoire qui, en toute probabilit, le dévorera. Dans la deuxième possibilité, la cage en scène s'ouvre et Gilbert est libéré. La pièce se termine alors sur ce point d'indétermination, investissant son pouvoir dans le potentiel sémiosique du signe et non pas dans le sémiotisé.

conclusions

Les trois différents styles de mise en cage nous apprennent qu'il existe différentes modalités et différentes valeurs de la figure carcérale. Cette figure comprend bien sûr un enjeu spatial, mais les signes de cet espace peuvent se trouver dispersés à l'intérieur de plusieurs é1éments de la mise en scène et non pas seulement dans ses aspects plastiques. Le corps ludique de Tremblay en est un exemple, le jeu des lumières dans la mise en scène de Pintal en est un autre. Ce sont quelques-uns des systèmes qui communiquent la figure carcérale sur la scène et qui doivent être considérés dans un examen théorique de la figure.

Les trois variétés d'esthétiques d'isolation examinées viennent aussi nuancer davantage la figure carcérale, car elles nous font remarquer la façon dont le «style» de la mise en scène s'insère dans l'élaboration de l'univers clos. Le modernisme, l'hyperréalisme et le postmodernisme usent de stratégies bien spécifiques pour déceler les contours d'un monde claustrophile. Dans la mise en scène moderne de Fortin, cette statégie vise l'art comme produit. Dans celle de Ronfard, postmoderne, c'est l'art comme processus. Pour traduire une peine trop grande, l'hyperréalisme dans la mise en scène de Pintal positionne le spectateur « à deux pouces et quart de la toile» (Canac-Marquis 88). Tour à tour, ces stratégies fournissent les fondements sur lesquels s'érige tout un monde carcéral, selon l'esthétique en question, bien sûr.

Finalement, cette différentiation suggère une exploration du corps passionnel dans l'espace: d'un corps comme signe de l'âme, le corps-signifié dans la mise en scène de Fortin par exemple, ou d'un corps comme espace signifiant, le corps-énonciation dans la mise en scène de Ronfard ou encore, le corps-enquête chez Pintal.

NOTES

1. Cet article a été présenté sous une autre forme pour la conférence annuelle de l'Association pour la recherche théâtrale au Canada lors du Congrès des Sociétés savantes en 1995 à l'Université du Québec à Montréal. Je tiens à remercier Mariel O'Neill-Karch et Pascal Riendeau pour leurs suggestions et pour leurs commentaires. J'aimerais aussi remercier le CRSH dont le soutien financier me permet de poursuivre mes recherches sur les figures d'enfermement dans le théâtre québécois.
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2. Pour d'autres études concernant les figures carcérales, voir mon article sur la figure d'enfermement comme stratégie énonciative dans «Noirceur blanche: Black Venus' Tale et Jeanne Duval», Présentation et Représentation, s.l.d. Corine Renevey, Toronto, GREF et Éditions GFA (à paraître 1996) ou encore mon article sur les figures d'enfermement et la spatialité dans «L'Enfermement et le bref chez Adrienne Choquette, Gabrielle Roy et Anne Hébert», La Nouvelle québécoise au XXe siècle, s.l.d. Michel Lord, Québec, Nuit blanche (à paraître 1996).
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3. Bachelard établit très clairement le lien entre 1'espace et le temps: « [d]ans ses mille avéoles, 1'espace tient du temps comprimé. L'espace sert à ça» (27). Dans un contexte théâtral, Anne Ubersfeld affirme que «La rhétorique spatio-temporelle est le lieu d'un fonctionnement du temps» (197).
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4. Je pense ici aux pièces « circulaires », comme La Cantatrice chauve d'Ionesco ou encore En Attendant Godot de Beckett. La technique du « théâtre dans le théâtre » constitue une autre forme de répétition, pensons par exemple au téléscopage analeptique et proleptique du Meurtre de Gonzague, la pièce insérée dans Hamlet. Citons aussi la répétition tout court, relise toujours au temps et à la mémoire et exemplifiée par Soudain l'été demier de Tennessee Williams.
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5. J'adopte la convention utilisée par Chaurette dans la pièce pour identifier Charles Charles à différents âges. Ainsi, Charles Charles 38 désigne le personnage à l'âge de 38 ans et Charles Charles 19, à 19 ans. Quand j'emploie le nom de Charles Charles sans indication d'âge, j'entends les deux en même temps.
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6. Je tiens ici à remercier Larry Tremblay, Alice Ronfard, Rodrigue Villeneuve, Gilbert David, les gens de l'ancien Théâtre de la Rallonge, les gens du Théâtre de l'Espace Go et l'Agence Goodwin pour leur encouragement, leur disponibilité et pour leur générosité concernant la documentation vidéographique et photographique. Sans l'accès qu'ils m'ont accordée, contact capital dans le domaine de la mise en scène et de la scénographie, je n'aurais pas pu mener à bien mes recherches.
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7. Larry Tremblay, entretien personnel, le 6 décembre 1994, Montréal.
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8. Rosalind Kraus, en établissant les différences entre la littérature moderne et postmoderne, écrit à propos du modernisme que « l'un des principes de la littérature moderne concernait la création d'une (oeuvre qui obligerait le lecteur à réfléchir sur les conditions de sa construction, qui insisterait davantage sur la lecture en tant qu'acte critique conscient» (40).
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9. Notons en passant que le croisement des cultures n'est pas forcément un é1ément du postmodernisme--plusieurs grandes figures du modernisme: Joyce, Pound, et Eliot se sont appropriés d'autres langues et d'autres cultures dans leurs oeuvres artistiques.
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10. Le kathakali est un style de danse/théâtre classique de l'Inde qui possède des codes de maquillage, de costume et de geste distintifs. Voir Le Crâne des théâtres de Larry Tremblay, surtout pp. 71-99, pour de plus amples détails.
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11. J'entends « valeur » dans son sens sémiotique. Selon Saussure, les valeurs sont constituées:

10 par une chose dissemblable susceptible d'être échangée contre celle dont la valeur est à déterminer;
20 par des choses similaires qu'on peut comparer avec celle dont la valeur est en cause (159).

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12. Dans d'autres mises en scène de Pintal d'ailleurs, celle de Ha!ha! ... de Ducharme ou encore, celle d'Ines Pérée et Inat Tendu du même auteur, on voit encore une fois la réduction du monde et la fragmentation associées à l'hyperréalisme.
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13. Carole Fréchette, dans son compte rendu, «Le Syndrome de Cézanne», fait remarquer que « les jeux de lumières, particulièrement soignés, créent toute une gamme d'ambiances [. . . allant] de l'hyperréalisme à l'onirisme» (184-185). À mon avis, seuls les deux extrêmes figurent dans la mise en scène de Pintal et j'aurais même tendance à décrire les deux comme étant à la fois hyperréels et oniriques. Il serait donc peut-être plus juste de parler d'éclairage cru et d'éclairage doux, correspondant respectivement à une représentation de la mémoire et à une représentation de la remémoration.
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14. À propos du célèbre peintre, Gilles Plazy remarque qu'il voulait « [a]rrêter le temps ... [, que] Cézanne partage[ait] le grand rêve baudelairien d'une éternité ici et maintenant, d'un monde où les choses se tiennent immobiles, inchangées, dans la lumière» (34).
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15. Dans un entretien accordé à Spirale, Stéphane Roy, le scénographe de la production à l'Espace Go, affirme que:

Le processus [de la scénarisation] a été très différent [...]et a permis [...] plus de liberté de la part de chaque créateur. Des rencontres ont été organisées, regroupant 1'éclairagiste (Michel Beaulieu), la metteure en scène (Alice Ronfard), la conceptrice des costumes (à l'origine Ginette Noiseux) et moi-même, qui n'avaient pas pour but d'en arriver absolument à une proposition scénique globale, mais qui se présentaient comme des lectures actives du texte de Chaurette (17).

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16. Cette «prolif6ration», déjà notée dans le théâtre de la nouvelle dramaturgie par Louise Vigeant, « [les pièces en question] cumulent plutôt des faits, plus ou moins logiquement reliés, et donnent nettement l'impression d'un éclatement» (106), peut se manifester de bon nombre de façons: subversion du genre (avec, la vidéo par exemple), problématisation du réel et du fictif, ébranlement référentiel, intertextualité, écriture rhizomatique, identité sociosexuelle, etc. Voir de Toro, 1993, surtout la page 27, pour une discussion de ces caractéfistiques au sein d'une poétique postmodeme.
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17. L'énonciation et la prolifération des niveaux de l'histoire ont fait l'objet d'étude de nombreuses chercheuses et de nombreux chercheurs dans le domaine du postmodemisme. Citons à titre d'exemple Linda Hutcheon, qui écrit à propos de l'énonciation: «[...] the lesson of postmodern art is that we must not limit our investigations to just readers and texts; the process of production too cannot be ignored » (80).
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18. Évidemment, dans un article qui traite de la mise en scène, le terme « texte » est quelque peu problématique. Ici, à moins de renvoyer explicitement au texte écrit par « texte dramatique », j'entends ce mot dans toute l'ambiguït théâtrale ouverte par la mise en scène de Ronfard, c'est-à-dire, à la fois « texte » au sens de tissage de tous les systèmes signifiants sur la scène et «texte» au sens de la pièce écrite dont les professionels du théâtre se servent pour monter une pièce et la forme sous laquelle la diffusion littéraire a lieu.
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19. Je veux souligner que ces observations ne constituent aucunement un plaidoyer pour le postmodernisme. À mon avis, la pièce de Chaurette demeure fondamentalement plurielle et offre plusieurs lectures possibles.
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20. Dans Rhizome, Deleuze et Guattari affirment que le rhizome opère selon un « [p]rincipe de multiplicité: c'est seulement quand le multiple est effectivement traité comme substantif, multiplicité, qu'il n'a plus aucun rapport avec l'Un comme sujet ou comme objet, comme réalité naturelle ou spirituelle, comme image et monde» (21). Effectivement, dans la mise en scène de Ronfard ni Charles Charles ni la pièce ne peuvent occuper la place de I'Un; ils sont multiples.
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21. Souvent décrits par la critique comme des miroirs, les panneaux pivotants sont en fait tantôt reflétants, tantôt transparents, selon 1'éclairage. Alice Ronfard, lors d'une entrevue qu'elle m'a accordée, a insisté sur ce point.
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22. Ici, je me refère aux travaux d'Émile Benveniste sur les pronoms; voir surtout pp.252-253.
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23. Lors d'un entretien, Alice Ronfard a fait remarquer que les panneaux étaient positionnés de sorte que les spectateurs les plus proches pouvaient se voir, sur la scène, reflétés dans les miroirs. Il s'agit là d'une mise en évidence quelque peu troublante de la fonction surveillante du spectateur au théâtre, fonction «assimilée », semble-t-il, à la fiction de ce cas.
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24. À noter que ce schéma ne tient pas compte des Variantes fournies par Chaurette à la fin de la pièce, versions qui peuvent faire l'objet d'une mise en scène comme l'a montré Alice Ronfard dans sa production.
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25. Le lien avec Charles Charles est tragiquement évident:

CHARLES CHARLES 19

Charles Charles, 19 ans. Auteur dramatique et comédien. Je suis l'un des acteurs les plus prometteurs de la Nouvelle-Angleterre. Je suis de la relève.(27)
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OUVRAGES CITÉS

Artaud, Antonin. Le Théâtre et son double. col. « Idées ». Paris: Gallimard, 1964.

Artaud, Antonin. «La Douleur et son rêve». Oeuvres complètes: Cahiers de Rodez, Mai-juin 1945. Tome 16. Paris: Gallimard, 1981, 231.

Bachelard, Gaston. La Poétique de l'espace. 10e éd. Paris: PUF, 1981.

Barthes, Roland. Fragments d'un discours amoureux. Paris: Seuil, 1977.

Benveniste, tmile. « La Nature des pronoms ». Problèmes de linguistique générale, 1. Paris: Gallimard, 1975. 251-257.

Canac-Marquis, Normand. Le Syndrome de Cézanne. Montréal: Les Herbes Rouges, 1988.

Chaurette, Normand. Provincetown Playhouse, juillet 1919, j'avais 19 ans. Montréal: Leméac, 1981.

Deleuze, Gilles et Fé1ix Guattari. Rhizome. Paris: Éditions de Minuit, 1976.

Derrida, Jacques. l'Écriture et la différence. Paris: Seuil, 1967.

Derrida, Jacques. «Fors » in Abraham, Nicolas et Mafia Torok, Cryptonymie: Le Verbier de l'homme aux loups. Paris: Aubier Flarnmarion, 1976. 7-73.

de Saussure, Ferdinand. Cours de linguistique générale. Édition critique de Tullio de Mauro. Paris: Payot, 1976.

de Toro, Fernando. «Post-Modem Fiction and Theatricality, Simulation, Deconstruction, and Rhizomatic Writing». Gestos 16 (novembre 1993). 23-49.

Eco, Umberto. « Serniotics of Theatrical Performance ». Drama Review 21, 1 (1977). 107-117.

Fréchette, Carole. «Le Syndrome de Cézanne». Jeu 46 (1988). 183-185.

Hutcheon, Linda. The Poetics of Postmodernism: History, Theory, Fiction. New York et Londres: Routledge, 1988.

Kraus, Rosalind. «Poststructuralism and the 'Paraliterary'». October 13. 36-40.

Lacan, Jacques. Le Séminaire. Les psychoses. Livre III. col. « Le Champ freudien ». Paris: Seuil, 1981.

Lorca, Federico García. «Ville sans sommeil ». Oeuvres complètes. tome 1. col. « La P1éiade ». Paris: Gallimard, 1981. 526-527.

Plazy, Gilles. Cézanne ou la peinture absolue. Paris: Levi, 1988.

Provincetown Playhouse, juillet 1919, j'avais 19 ans. Bande vidéographique. Texte de Normand Chaurette. Mise en scène: Pierre Fortin. Avec: Larry Tremblay (Charles Charles 38, Charles Charles 19, Alvan et Winslow). Production de la compagnie Les T8tes heureuses. Filmé A la Maison Caffée, Chicoutimi, 1984.

Provincetown Playhouse, juillet 1919, j'avais 19 ans. Bande vidéographique. Texte de Normand Chaurette. Mise en scène: Alice Ronfard. Avec: Robert Brouillette (Winslow), René Gagnon (Charles Charles 38), David LaHaye (Charles Charles 19), et André Robitaille (Alvan). Production de I'Espace Go. Filmé au Théâtre de l'Espace Go, Montréal, 1992.

Ronfard, Alice. Entretien personnel. Le 10 décembre 1994.

Roy, Stéphane. « Chercher l'espace unique ». Entretien avec Yves Jubinville. Spirale 116 (été 1992). 17.

Shakespeare. «Harnlet». Richard III, Roméo et Juliette, Hamlet. trad. François-Victor Hugo. Paris: Garnier-Flammarion, 1964. 253-373.

Le Syndrome de Cézanne. Bande vidéographique. Texte de Normand Canac-Marquis. Mise en scène: Lorraine Pintal. Avec: Robert Lalonde (Gilbert), Hélène Mercier (Elle) et C1ément Cazelais (Thomas Wancicovski). Production du Théâtre de la Rallonge. Filmé à La Licorne, Montréal, 1987.

Tremblay, Larry. Le Crâne des théâtres. Montréal: Leméac, 1993.

Tremblay, Larry. Entretien personnel. Le 6 décembre 1994.

Ubersfeld, Anne. Lire le théâtre. Paris: Messidor/Éditions sociales, 1982.

Vigeant, Louise. « De l'écriture baroque ou les nouveaux défis de la mise en scène ». l'Annuaire théâtral 10. 103-124.