SYLVAIN SCHRYBURT
De sa fondation en 1955 à sa soudaine disparition en 1968, la troupe amateur (ou semi-professionnelle) des Apprentis-Sorciers fut sans contredit lune des plus novatrices, je dirais même lune des plus essentielles de son temps. Cest elle qui, au Québec, défendit avec le plus dardeur le répertoire contemporain, jouant tour à tour Ionesco, Adamov et Beckett, Brecht et Ugo Betti. Elle travailla également à la création de textes québécois, proposant à La Boulangerie ou ailleurs des oeuvres de Félix Leclerc, de Yerri Kempf, de Robert Gurik ou de Pierre Perrault. On lui doit également la défense dun répertoire à facture plus classique mais trop souvent ignoré (Kleist, Ghelderode, Lorca) et, ce qui est moins connu, davoir présenté de nombreuses productions pour enfants à une époque où le théâtre était avant tout une affaire dadultes. Limportance historique des Apprentis-Sorciers ne fait aucun doute. On ne pouvait donc que saluer la parution chez VLB Éditeur dUne fenêtre sur la modernité. Les Apprentis-Sorciers (1955-1968), ouvrage au titre ambitieux rédigé par lhomme de théâtre, professeur et co-fondateur de la troupe Jean-Guy Sabourin.
Disons-le franchement, si lon retire les deux annexes, cest-àdire lutile et imposante théâtrographie et les quelque 40 pages de témoignages mi-nostalgiques mi-apologétiques rédigés par 15 collaborateurs de la troupe (anonymes à lépoque), le corps de louvrage se résume à un maigre 95 pages au nombre desquelles il faut encore retrancher 17 pages darticles de journaux reproduits sans aucune référence bibliographique. On ne peut sempêcher de penser que 80 pages cest bien peu pour retracer lhistoire dune troupe aussi importante que celle des Apprentis-Sorciers...
Ce qui souffre ici ce nest pas tant la petite histoire, amplement détaillée avec ses changements de locaux, ses roulements de personnel et sa suite quasi ininterrompue de succès critiques, mais bien la grande, celle dans laquelle sinscrivent tout naturellement les activités de la troupe. Car lépoque des Apprentis-Sorciers fut aussi celle dun milieu théâtral - et dune société - en pleine révolution, celle où présenter un tel répertoire ne se résumait pas à une simple question de goût mais impliquait une prise de position par rapport aux esthétiques dominantes, voire même un geste politique dans le contexte de la société québécoise des années 1950 et 1960. Or, de cette toile de fond pourtant nécessaire à la pleine compréhension de ce que fut les Apprentis-Sorciers, il nest guère question dans ce livre, ou peu sen faut. On peut déplorer par exemple la brièveté des développements touchant aux divergences esthétiques qui se firent sentir au sein des membres de la troupe, divergences qui menèrent pourtant à la scission du groupe et à la naissance des Saltimbanques à lété 1962. Évitant la polémique au profit du consensuel, préférant le récit hagiographique à la réflexion critique, lévénementiel à la contextualisation, lauteur reste malheureusement à la surface des choses. Plus de 35 années après les événements dont il témoigne, on aurait aimé avoir droit à davantage de distance dans lanalyse, à plus dampleur dans le propos. Sans doute Une fenêtre ouverte sur la modernité plaira-t-il à lamateur de théâtre, mais il laissera le chercheur avec le sentiment que lhistoire des Apprentis-Sorciers, lhistoire dans son sens premier denquête critique, reste encore à faire.
À lévidence, et cela malgré le titre de louvrage, ce nétait pas là le projet de lauteur. Reste alors ce témoignage dune lecture agréable, bien documenté et amplement illustré, où lon puisera volontiers une mine dinformations factuelles et où lon suivra, non sans intérêt, la chronologie des événements qui ont jalonnés le parcours de cette troupe incontournable.
Signalons cependant que lon trouvait déjà des éléments de cette histoire dans HÉTU, Lise, Les Apprentis-Sorciers, troupe de théâtre amateur, Université de Montréal, mémoire de maîtrise, août 1980, 242 pp., ill. Ce mémoire fut publié dans une version remaniée mais sans la bibliographie et la théâtrographie exhaustives quil comportait : Les Apprentis-Sorciers dans La Grande réplique, no12, 1981, 79 pp, ill.