SABOURIN, JEAN-GUY, Une fenêtre sur la modernité. Les Apprentis- Sorciers (1955-1968), Montréal, VLB Éditeur, 2003, 164 pp., ill.

SYLVAIN SCHRYBURT

De sa fondation en 1955 à sa soudaine disparition en 1968, la troupe amateur (ou semi-professionnelle) des Apprentis-Sorciers fut sans contredit l’une des plus novatrices, je dirais même l’une des plus essentielles de son temps. C’est elle qui, au Québec, défendit avec le plus d’ardeur le répertoire contemporain, jouant tour à tour Ionesco, Adamov et Beckett, Brecht et Ugo Betti. Elle travailla également à la création de textes québécois, proposant à La Boulangerie ou ailleurs des oeuvres de Félix Leclerc, de Yerri Kempf, de Robert Gurik ou de Pierre Perrault. On lui doit également la défense d’un répertoire à facture plus classique mais trop souvent ignoré (Kleist, Ghelderode, Lorca) et, ce qui est moins connu, d’avoir présenté de nombreuses productions pour enfants à une époque où le théâtre était avant tout une affaire d’adultes. L’importance historique des Apprentis-Sorciers ne fait aucun doute. On ne pouvait donc que saluer la parution chez VLB Éditeur d’Une fenêtre sur la modernité. Les Apprentis-Sorciers (1955-1968), ouvrage au titre ambitieux rédigé par l’homme de théâtre, professeur et co-fondateur de la troupe Jean-Guy Sabourin.

Disons-le franchement, si l’on retire les deux annexes, c’est-àdire l’utile et imposante théâtrographie et les quelque 40 pages de témoignages mi-nostalgiques mi-apologétiques rédigés par 15 collaborateurs de la troupe (anonymes à l’époque), le corps de l’ouvrage se résume à un maigre 95 pages au nombre desquelles il faut encore retrancher 17 pages d’articles de journaux reproduits sans aucune référence bibliographique. On ne peut s’empêcher de penser que 80 pages c’est bien peu pour retracer l’histoire d’une troupe aussi importante que celle des Apprentis-Sorciers...

Ce qui souffre ici ce n’est pas tant la petite histoire, amplement détaillée avec ses changements de locaux, ses roulements de personnel et sa suite quasi ininterrompue de succès critiques, mais bien la grande, celle dans laquelle s’inscrivent tout naturellement les activités de la troupe. Car l’époque des Apprentis-Sorciers fut aussi celle d’un milieu théâtral - et d’une société - en pleine révolution, celle où présenter un tel répertoire ne se résumait pas à une simple question de goût mais impliquait une prise de position par rapport aux esthétiques dominantes, voire même un geste politique dans le contexte de la société québécoise des années 1950 et 1960. Or, de cette toile de fond pourtant nécessaire à la pleine compréhension de ce que fut les Apprentis-Sorciers, il n’est guère question dans ce livre, ou peu s’en faut. On peut déplorer par exemple la brièveté des développements touchant aux divergences esthétiques qui se firent sentir au sein des membres de la troupe, divergences qui menèrent pourtant à la scission du groupe et à la naissance des Saltimbanques à l’été 1962. Évitant la polémique au profit du consensuel, préférant le récit hagiographique à la réflexion critique, l’événementiel à la contextualisation, l’auteur reste malheureusement à la surface des choses. Plus de 35 années après les événements dont il témoigne, on aurait aimé avoir droit à davantage de distance dans l’analyse, à plus d’ampleur dans le propos. Sans doute Une fenêtre ouverte sur la modernité plaira-t-il à l’amateur de théâtre, mais il laissera le chercheur avec le sentiment que l’histoire des Apprentis-Sorciers, l’histoire dans son sens premier d’enquête critique, reste encore à faire.

À l’évidence, et cela malgré le titre de l’ouvrage, ce n’était pas là le projet de l’auteur. Reste alors ce témoignage d’une lecture agréable, bien documenté et amplement illustré, où l’on puisera volontiers une mine d’informations factuelles et où l’on suivra, non sans intérêt, la chronologie des événements qui ont jalonnés le parcours de cette troupe incontournable.

Signalons cependant que l’on trouvait déjà des éléments de cette histoire dans HÉTU, Lise, Les Apprentis-Sorciers, troupe de théâtre amateur, Université de Montréal, mémoire de maîtrise, août 1980, 242 pp., ill. Ce mémoire fut publié dans une version remaniée mais sans la bibliographie et la théâtrographie exhaustives qu’il comportait : Les Apprentis-Sorciers dans La Grande réplique, no12, 1981, 79 pp, ill.