LUCIE-MARIE MAGNAN ET CHRISTIAN MORIN,
100 pièces du théâtre québécois qu’il faut lire et voir,
Montréal, Éditions Nota bene, 2002, 445 pp.

HÉLÈNE JACQUES

Un ouvrage visant à présenter les 100 pièces du théâtre québécois qu’il faut lire et voir fait nécessairement des mécontents, en ce sens que tout lecteur y remarque de grands oubliés, la présence d’auteurs qu’il ne s’attendait pas à trouver en ces pages ou d’autres dont le nom apparaît, semble-t-il, trop souvent. Bien que je doute fortement qu’il faille absolument lire ou voir Starmania pour saisir l’essence du théâtre québécois, les choix de Lucie-Marie Magnan et Christian Morin, quoique conservateurs, permettent au lecteur de faire un survol assez complet de l’ensemble de notre dramaturgie. Les auteurs commencent à répertorier les oeuvres à partir de l’apparition de Fridolin, « premier personnage typiquement québécois » (p. 9) sur nos scènes, laissant de côté les Louis Fréchette, Pierre Petitclair et autres précurseurs de notre dramaturgie, et sélectionnent ensuite « les pièces reconnues par la critique et par la majorité […] comme des incontournables [ainsi que] certaines pièces de qualité qui […] semblaient tombées dans l’oubli » (p. 10). Il fallait choisir, mais plusieurs noms brillent par leur absence. Les années 50 et 60 sont presque uniquement représentées par Marcel Dubé et Gratien Gélinas, alors qu’il aurait été intéressant de tirer de l’oubli des pièces d’Anne Hébert, de Pierre Perrault ou d’Yves Thériault auxquelles on ne pense pas de prime abord mais dont la relecture peut révéler de belles surprises (pensons à la pièce Au coeur de la rose de Perrault que Denis Marleau mettait en scène en 2002). Magnan et Morin affirment également « observer une certaine prudence » (p. 10) à l’égard des textes plus récents, « le temps n’ayant pas mis ces oeuvres à l’épreuve » (p. 10), et ils n’ont retenu, pour les années 90, que les auteurs déjà consacrés (Michel Tremblay, Marie Laberge), d’autres ayant fait leurs preuves dans les années 80 (Michel-Marc Bouchard, Normand Chaurette) et peu de nouveaux venus (Daniel Danis, Jean-Frédéric Messier). Quelques dramaturges sont ainsi curieusement exclus de la sélection, je pense à Wajdi Mouawad, Carole Fréchette, Jean Marc Dalpé, et d’autres encore qui auraient sûrement mérité de figurer dans cet ouvrage, d’autant que Magnan et Morin disent privilégier la « variété » (p. 10) alors que certains auteurs réapparaissent à de nombreuses reprises. C’est le cas de Tremblay (12 pièces) et de Dubé (8 pièces), dont je ne conteste en rien la place immense dans notre dramaturgie; toutefois, quelques pièces moins marquantes de ces auteurs auraient pu être remplacées par des textes dont le choix aurait été plus audacieux.

Si ces dramaturges se voient rejetés du panthéon des pièces à lire, c’est peut-être parce que la définition du « théâtre » de Lucie-Marie Magnan et Christian Morin est plutôt large, dans la mesure où les auteurs ne se limitent pas seulement aux textes montés sur les scènes de théâtre : ils sélectionnent des téléthéâtres, un opéra et une comédie musicale sans faire de distinction. De plus, deux spectacles de Robert Lepage sont retenus, alors que ni Vinci ni La trilogie des dragons n’ont été publiés, et que les reprises – la toute récente de La trilogie… au Festival de théâtre des Amériques, en 2003, était un événement exceptionnel –, sont presque impensables. Il est donc difficile pour le lecteur de 100 pièces de théâtre…, à moins de se procurer des enregistrements vidéo ou de consulter la « reconstitution » de La trilogie… dans la revue Jeu (no 45, 1987), de mettre la main sur ces oeuvres qui n’existent que le temps de leur représentation, de leur perfomance scénique. À ce compte, si les frontières du théâtre à lire et à voir débordent du champ littéraire et englobent « l’écriture scénique », il aurait fallu inclure les spectacles d’autres metteurs en scène qui comme Lepage ont marqué le théâtre québécois, ceux de Gilles Maheu par exemple.

Les auteurs présentent les 100 pièces choisies selon des thèmes qu’ils exposent brièvement en début de section dans de courts textes souvent très convenus (l’amour « en arrive parfois à se confondre avec la haine » et fait naître chez le spectateur « toute une gamme d’émotions », p. 13) et menant parfois au pléonasme (« Ce qui relève de la tragédie, dans la dramaturgie du Québec, c’est le caractère inéluctable de la fatalité qui frappe », p. 189). Une telle classification oriente évidemment la lecture des pièces puisque les auteurs soulignent un thème dominant, et cette lecture – ici réside ma principale réserve à propos de l’ouvrage –, est principalement sociologique et psychologique, les auteurs envisageant le théâtre, à travers les thèmes de la condition féminine, de la critique sociale, de la famille, du pays, et cetera, comme le reflet de la société et de ses idéologies. Si ce discours permet d’éclairer convenablement un bon nombre de pièces, il réduit la portée d’autres oeuvres qui ne visent pas à imiter le réel. Par exemple, la section « Étapes de la vie » réunit des pièces qui illustrent les périodes charnières de l’existence humaine; Magnan et Morin y ont classé Albertine en cinq temps en raison de ses cinq personnages représentant autant de moments distincts dans une vie difficile. Le thème est effectivement présent dans l’oeuvre, mais les auteurs n’insistent pas assez sur le travail formel auquel s’est adonné Tremblay en multipliant un même personnage, et ils ne font qu’effleurer des thèmes dépassant celui du « combat qu’il reste à faire contre l’ignorance » dans notre société (pp. 149-150) qu’ils lisent dans cette pièce :l’identité, la responsabilité de l’homme face à son destin, la mémoire, etc.

Dans les sections thématiques, les auteurs consacrent trois pages à chacune des oeuvres qui sont d’abord judicieusement résumées en quelques lignes; ils font ensuite un certain nombre de remarques concernant les personnages, l’espace, le temps et la langue. Ces analyses, bien que sommaires, se révèlent utiles pour qui veut avoir une idée générale du propos d’une pièce. Toutefois, quelques commentaires sont alourdis par des imprécisions d’ordre syntaxique, la fluidité et la clarté n’étant pas toujours au rendez-vous : « On pourrait mentionner l’efficacité remarquable de l’économie de moyens qui souligne les accents véritables qui s’en dégagent, leur permet de prendre toutes leurs forces » (p. 18). Enfin, les commentaires présentent certaines redites: les auteurs affirment dans les analyses de trop nombreuses pièces, par exemple, que les espaces exigus correspondent à « l’enfermement » des personnages. Les observations auraient parfois gagné à être plus précises afin de souligner la spécificité de chaque oeuvre et d’éviter les redondances.

Quels sont, finalement, les destinataires d’un tel ouvrage? Il ne s’agit pas nécessairement d’une initiation au théâtre québécois qui pourrait s’adresser à des publics étrangers puisque ni les auteurs ni les pièces ne sont présentés dans leur contexte historique et littéraire. 100 pièces du théâtre québécois qu’il faut lire et voir, en tant que banque de résumés éclairants, s’avérera profitable aux professeurs des niveaux collégial et secondaire qui désirent faire découvrir de nouvelles oeuvres à leurs élèves. Plus largement, le lectorat y trouvera l’occasion de parcourir l’ensemble (un peu troué) de notre théâtre pour y saisir au vol ce qui attire son regard et réaliser ensuite une lecture plus approfondie.