LA PLACE DU SURTITRAGE COMME MODE DE TRADUCTION ET VECTEUR D'ÉCHANGE CULTUREL POUR LES ARTS DE LA SCËNE

LINDA DEWOLF

Despite the fact that surtitling is a rapidly expanding field which enables plays and operas to be understood by audiences in different countries unfamiliar with the original language, this research area is quite new and relatively unexplored. The question of how the actual verbal and non-verbal material is structured in surtitling has received only minimal analysis in scholarly terms so far. Very little has been written on the reasons for reduction methods. Up to now scholars seem not to have considered the new context which surtitling offers for an intertextual approach to translations. This study starts from the idea that surtitling is a translation constrained by its context, by time and space as much as by culture and the multi-semiotic levels of the performance. Opera, puppet theatre and drama are not only made of text; they involve visual and musical signs which may be looked at in a new light, from an inter-artistic semiotic perspective. Surtitling enables cultural exchanges; further investigation of its role as such is not only needed, but makes it one of several interesting new fields of research in translation and intercultural studies.


LA TRADUCTION EN COULISSE ET SOUS LES FEUX DE LA RAMPE

Alors que dans les milieux culturels l’on s’accorde généralement à reconnaître qu’une oeuvre ne peut rayonner au-delà des frontières du pays et de la langue dans laquelle elle a été conçue si elle n’est pas portée par une traduction, cette dernière fait souvent figure d’oubliée. Malgré l’attention croissante que suscite le surtitrage dans le monde du spectacle et dans le milieu professionnel de la traduction, le sujet a fait l’objet de peu d’études empiriques. Cet article a pour objectif d’aborder un travail qui passe souvent inaperçu parce que réalisé «en coulisse» ainsi que le travail qui se fait sous les feux de la rampe en régie, pas toujours au vu et au su des spectateurs.

Pourquoi avoir choisi le surtitrage comme sujet d’étude? Même si un certain intérêt se manifeste depuis peu au sein de la communauté des chercheurs, les rares études consacrées au surtitrage1 traitent surtout des méthodes pour condenser le texte, ainsi que des catégories de réduction. En revanche, on a peu parlé de la complexité de la réception de cette forme de traduction auprès du public, de l’existence d’autres contraintes non linguistiques, de la symbiose avec la dramaturgie et de la polysémie des messages reçus par le spectateur.

Mon étude se distingue des travaux analogues antérieurs en ceci qu’elle vise à apporter un éclairage inédit sur les éléments constitutifs de cette thématique et sur la problématique du surtitrage pour les arts de la scène. L’approche adoptée ici tente d’opérer une saisie bidimensionnelle de la question de la place du surtitrage: la première consiste à observer sa dimension linguistique (c’est-à-dire le processus de traduction et d’écriture) et la seconde est consacrée à sa dimension socioculturelle.

Indra Struyven, Ca va ! de De Onderneming, création Kunsten FESTIVAL des Arts 2003.

Le surtitrage pose le problème de la traduction en des termes nouveaux; les paramètres de l’analyse suivent une logique systématique des procédés de concision et d’abrègement, du rythme et des coupes qui montrent que la pratique repose sur l’application de principes techniques. Mon hypothèse de départ est que le surtitrage ne doit pas être étudié dans l’optique unilatérale d’une dichotomie adaptation-traduction, mais qu’il doit plutôt être considéré comme produit autonome, écho du texte source. Les arguments développés dans cette étude s’appuient sur une série d’articles antérieurs qui abordent les multiples aspects de la pro- blématique, tels que l’interaction entre texte, son et image ainsi que les relations étroites que le surtitrage entretient avec la mise en scène dans un corpus d’oeuvres lyriques surtitrées tirées du répertoire étranger et de représentations théâtrales (Dewolf 2000). Ce corpus comprend Die Zauberflöte de Mozart (surtitrage bilingue français-néerlandais pour le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles), Parsifal de Wagner (surtitrage néerlandais), Salomé de R. Strauss (surtitrage bilingue français-néerlandais), La Rosa de Ariadna de G. Dazzi (surtitrage français), Il Ritorno d’Ulisse de Monteverdi (surtitrage bilingue français-néerlandais), Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny de K.Weill (surtitrage français), La Dispute de Marivaux (Compagnie Pitoiset, traduction simultanée en néerlandais) 2, Les Amoureux du café désert de F. Jaïbi (surtitrage français), Faust de F. Pessoa (surtitrage français et néerlandais), Cyrano de Bergerac de E. Rostand (surtitrage français), Arturo Ui de B. Brecht (sous-titrage et surtitrage français), The Glass Menagerie de T.Williams (surtitrage partiel), Geometry ofMiracles de R. Lepage (surtitrage allemand).

J’ai tenté par des études comparatistes de faire apparaître des homologies et des différences entre le surtitrage et le sous-titrage (Dewolf, «Entre contrainte»), le surtitrage et la traduction littéraire prise comme source d’inspiration (Dewolf, «Jeux de et sur le texte»), ainsi que le surtitrage pour l’opéra et le surtitrage pour le théâtre (Dewolf, «Croisement des écritures»). À ma connaissance, aucune étude n’a mis le surtitrage en perspective avec la traduction des livrets d’opéra et les traditions orales du théâtre, et pour cause: ceux-ci s’élaborent dans des conditions divergentes et ne s’adressent pas au même public. Cette constatation est à l’origine de mes premières recherches.

Quelques travaux représentatifs des théories modernes de la traductologie fournissent un cadre de référence adéquat pour l’étude de cette nouvelle discipline. La contribution des théoriciens mentionnés ci-dessous reflète deux tendances : l’étude du processus de traduction audio-visuelle et celle des textes traduits en tant que produits. Une distinction peut être faite entre, d’une part, les études établissant des classifications de typologie textuelle telles que celles de K. Reiss (33), S. Bassnett (7-8) et M. Snell-Hornby (Translation Studies 32) et, d’autre part, l’étude du mode de discours et d’interaction entre texte et image dans les genres audiovisuels. Je propose ici de substituer à ce cadre théorique une approche plus pragmatique et de s’interroger sur les multiples défis posés au surtitrage au-delà de la communication verbale puisque le surtitrage revêt une dimension polysémiotique liée au phénomène d’interférence entre les diverses exigences posées par la transposition d’un idiome à l’autre et d’un système culturel à l’autre.

La relation entre le surtitrage et la représentation existe sous différentes formes. D’abord, elle inclut la coordination temporelle entre l’apparition et la disparition du surtitre et le chant, la musique et l’action scénique. […] Un autre problème est celui que pose dans ce contexte la dépendance des répliques vis-à-vis des différents personnages; c’est surtout le cas lors des passages chantés simultanément par plusieurs personnages. Dans la mesure où on ne peut déduire de la ligne de chant à quel personnage correspond le surtitre, la relation entre le texte et l’action sur scène peut être explicitée pour le spectateur, en subdivisant la bande digitale en deux lignes ou par des moyens de mise en scène tels que la projection de lumière, par exemple. Enfin, il peut y avoir une relation d’ordre esthétique entre la scène et le surtitrage. C’est le cas lorsque le surtitrage n’est pas seulement utilisé en tant que moyen d’information mais est également intégré dans le spectacle comme élément artistique de la mise en scène: […].
(Kaindl : ma traduction)

Le principe du surtitrage

Surtitrer consiste à présenter, au-dessus du cadre de scène, le texte traduit d’une représentation lyrique ou théâtrale. Voici la définition qu’en donne le dictionnaire : «Brief translations of the text of an opera that is being sung in a foreign language, projected above the stage.»3

Il y a 20 ans, le terme «surtitrage» n’existait pas. Il s’agit d’une invention de la fin du 20e siècle, un produit du développement des médias audiovisuels. En effet, le mot «sur-titre» est adapté de «sous-titre», tout comme cette nouvelle technologie s’est inspirée du succès de la technique du sous-titrage utilisé pour des spectacles enregistrés (film ou vidéo). (Low 97: ma traduction)

Comme il s’agit principalement d’une aide à la compréhension, le surtitrage ne doit pas détourner l’attention du public au détriment de ce qui se passe sur scène et doit respecter à tout moment la mise en scène. Le surtitrage offre une approche synthétique du texte original; il doit éviter la dispersion du regard en soulignant les lignes de force du spectacle. Son objet n’est pas de décrire mais d’évoquer. Le texte doit se lire le plus vite possible, compte tenu de la ligne musicale, ce qui oblige le traducteur à faire entrer des blocs de phrases dans le rythme, à combiner sur la phrase musicale et non pas sur le plan comme au cinéma. Traduire ne revient plus seulement à transmettre un contenu ni à reproduire coûte que coûte des formes initiales, mais à rechercher dans la langue et la culture d’arrivée des équivalences susceptibles d’engendrer chez le spectateur une émotion analogue. Plus la matérialité de la forme est importante (jeu sur les mots, métaphores, etc.), moins elle est reproductible dans le surtitrage et plus la phase de «déverbalisation» est cruciale afin de déterminer le message qui servira ensuite d’appui au traducteur dans sa ré-énonciation du texte. Le surtitrage relève d’une véritable technologie de décodage et d’encodage.

Reinhilde Terryn, L’incoronazione di Poppea de Charlie Degotte, création Kunsten FESTIVAL des Arts 2001.

Le procédé de surtitrage consiste à incruster la traduction/les dialogues entre les tableaux. En d’autres termes, on met sous les yeux du spectateur l’information nécessaire à la compréhension du message en reconstruisant verbalement les ambiances et en adaptant le langage écrit au langage visuel du spectacle.Dans le cas de la traduction d’un opéra ou d’une pièce de théâtre, ce procédé permet de faciliter la compréhension du déroulement de l’action. La traduction de spectacles exige du traducteur une lecture attentive du rythme et une inventivité qui lui permette de recréer, dans un univers linguistique et culturel différent, une image pertinente de l’original. A l’instar du traducteur qui effectue un transfert de culture d’une langue à une autre, le rédacteur/régisseur d’un surtitrage fait passer le message audiovisuel à travers un nouveau discours. Ce processus passe par l’analyse du message et le choix des éléments pertinents pour le réexprimer, c’est-à-dire élaborer le texte. Cette dernière opération suppose certaines contraintes qu’il est impératif de respecter. Dans le travail de préparation, le matériau visuel proposé (écrans, diapositives) prend de plus en plus d’importance, les images servent aujourd’hui de repères, de traces pour la création ou la recréation d’un spectacle.

La compression du texte ou de la traduction, faite en accord avec le metteur en scène, répond à certaines contraintes de calibrage qui rappellent celles du sous-titrage:

Le surtitrage comme processus de traduction-transposition

Chronologiquement, le surtitrage intervient à un moment où le spectacle est déjà créé, et sa facture esthétique en quelque sorte scellée. Le traducteur doit travailler en étroite collaboration avec le metteur en scène afin que la traduction soit satisfaisante pour les deux parties, c’est-à-dire adaptée de la meilleure façon à la mise en scène et cohérente avec les choix artistiques de la représentation.

Le surtitrage n’est sans doute pas une traduction idéale; on le considère comme une assistance technique, un aide-mémoire chargé de transmettre un sens minimal. Une des premières conventions du surtitrage est liée à un mécanisme de communication multiple: le spectateur lit, regarde et écoute à la fois, au point de se créer des habitudes particulières. Le regard du public est sans cesse sollicité; il doit associer, compléter, comparer, focaliser, contrôler. Les traducteurs tendent à anticiper sur ces habitudes en se fondant à la fois sur des sources écrites et audio-visuelles, en sélectionnant dans la communication verbale les éléments à garder dans le passage à l’écrit.

Le traducteur assiste aux répétitions successives (à la différence de l’auteur des sous-titres qui visionne un spectacle différé). Il commence par une «avant-traduction» du texte du livret à partir de la partition qu’il «découpe» et balise (dans le cas d’un opéra). Le traducteur repère une série de points sur lesquels il s’appuie (découpage de la partition) et il utilise à cet effet un système de notation personnel qui n’a pas en soi de valeur absolue. Les coupures opérées par le traducteur visent à une concentration de l’action; elles sont d’autant plus nécessaires que le débit du chant est forcément plus lent que la parole seule. En fait, il serait plus juste de distinguer deux types de traduction : la traduction préparatoire et le surtitrage final. La traduction de premier jet est constituée au cours des répétitions par une suite de choix qui se concrétisent dans un canevas en perpétuelle évolution:

  1. traduction (emploi d’une notation personnelle);
  2. révision (corrections);
  3. adaptation lors des répétitions (y compris lors de la répétition générale).

Lors des répétitions sur scène, le surtitrage est ainsi testé tant sur le plan du contenu que sur le plan purement technique et adapté à la mise en scène ainsi qu’à l’orchestration musicale. Les remarques de l’équipe de production sont évidemment prises en compte car, à ce stade, il est encore possible d’introduire des modifications. Cette étape est comparable à la simulation4 opérée pour le soustitrage des films. La dernière phase est celle du spectacle surtitré présenté au public. Une imprégnation aussi profonde que possible de l’oeuvre est indispensable pour surtitrer correctement car, en surtitrant, le traducteur agit «avec les yeux du spectateur.» Selon le système utilisé, le texte qui apparaît sur un panneau de projection placé sur scène n’est pas toujours similaire à celui qui défile à l’écran de l’ordinateur.

L’interaction avec la dramaturgie et la scénographie

Le choix de surtitrer un spectacle ne se fait pas en fonction de sa «traduisibilité,» car le surtitrage conduit toujours à une forme de simplification du texte. Il introduit une «dérégie» dans la représentation et un choix à opérer, d’abord au niveau de la technique utilisée. Pour des raisons de commodité technique, le choix du système de traduction par surtitrage ou interprétation simultanée se fait pour chaque spectacle en fonction de la scénographie et de la dramaturgie, et la décision relève de la responsabilité des programmateurs. Les auteurs et/ou metteurs en scène optent pour le système de surtitrage le mieux adapté à leur oeuvre et s’efforcent d’intégrer l’appareillage technique dans l’environnement scénographique. Le metteur en scène choisit le système en fonction du degré de compression du texte et de l’importance attribuée par l’auteur à son texte. Dans chaque cas, il faut examiner si la préférence pour l’un ou l’autre des systèmes est liée à la dramaturgie et dans quel intérêt (budget, scénographie ou pure esthétique). La décision est largement influencée par l’organisation, la politique du théâtre et des compagnies théâtrales. Il existe une dramaturgie et une scénographie du surtitrage.

La corrélation entre le surtitrage, la musique et la mise en scène, de même que la transmission technique, nécessitent lors de l’élaboration de ces textes la coopération du traducteur avec d’autres experts tels que, par exemple, le co-répétiteur, le régisseur, le technicien du son, etc. Le déroulement de la production du surtitrage est traité différemment dans chaque maison d’opéra. L’influence de la mise en scène sur le contenu du surtitrage dépend de la politique de traduction de la maison d’opéra. C’est ainsi que Mackerras, en tant que régisseur du surtitrage au Royal Opera House de Covent Garden, défend le point de vue selon lequel le surtitrage doit fournir une information neutre au sujet du texte original et être, par conséquent, aussi indépendant que possible de la mise en scène. De tels surtitres ont l’avantage de pouvoir être utilisés pour plusieurs mises en scène différentes d’un même opéra. Si le rôle que doit jouer le surtitrage dans la mise en scène dépend du cas individuel, il fait cependant toujours partie de la représentation et, en tant que tel, il contribue au succès global de l’opéra. (Hurt & Widler 262-3 : ma traduction)

Le système de surtitrage peut conformer la succession des titres aux rythmes propres du spectacle, selon les «tempi» musicaux notamment, en s’aidant de commandes spéciales telles que les «fondus enchaînés» (comme au cinéma), les variations de vitesse d’apparition ou d’effacement des images. Cette temporisation est applicable à toute image de manière autonome et l’on peut modifier à tout instant l’un de ses paramètres pendant la préparation de la régie, l’objectif essentiel étant d’assurer en permanence au regard du spectateur une lisibilité confortable des surtitres et une perception rapide de leur sens par une présentation aérée.

L’image «jeu de texte» signifie toute forme de jeu sur et avec les mots et toute manipulation de compression de texte. Cette expression montre à quel point la traduction de spectacles lyriques ou théâtraux est complexe, puisqu’elle est obligée de tenir compte d’un élément musical et poétique important. Non seulement le surtitrage impose-t-il ses propres règles, différentes de la traduction libre, le surtitrage bilingue demande en outre une cohérence et une synergie entre les deux blocs de texte. Le découpage effectué alors dans une langue influence les coupes effectuées dans la deuxième langue.

Le devenir du texte dans le surtitrage

Le texte résultant du surtitrage n’est jamais réellement une traduction complète, c’est un texte amaigri, disséqué. De plus, le public est amené à le lire de multiples façons tout en le regardant comme une image, ce qui rejoint l’hypothèse selon laquelle les titres seraient un texte multi-médial, selon la définition et la classi- fication établies par Katharina Reiss:

Il s’agit dans ce cas à chaque fois de textes qui sont en effet écrits,mais qui parviennent à l’oreille du destinataire par un moyen non linguistique sous forme parlée (ou chantée), les moyens non linguistiques contribuant dans une mesure plus ou moins grande à la réalisation d’une forme littéraire mixte. (Reiss 34 :ma traduction)

Ce concept est aussi commenté par Mary Snell-Hornby:

Peuvent être considérés comme textes multi-médiaux, non seulement les textes destinés à la scène, à la radio et au cinéma, tels que les libretti et les Lieder, mais aussi les bandes dessinées et la publicité, dont la totalité du texte est transmise par des moyens linguistiques et également par d’autres éléments tels que l’image et le son. Le texte théâtral est un texte parlé dont les sons sont articulés: la plupart du temps les critiques semblent partir du fait que ce sont précisément ces éléments qui disparaissent inévitablement lors d’une traduction. (Snell-Hornby 236-7 :ma traduction)

Le surtitrage est un texte hybride, qui voyage entre l’oral et l’écrit. Les paroles empruntent des formes diverses et des genres métissés (opéra et théâtre). Les textes du surtitrage ne cherchent pas à produire des effets littéraires; ce sont des écritures nouvelles, souvent d’auteurs contemporains, mais ils côtoient des oeuvres du répertoire. Le texte au théâtre peut en outre devenir image, amplifiant le statut qu’il possédait dans le cinéma muet, et les surtitrages de spectacles étrangers sont plus ou moins intégrés à l’ensemble scénique. Magnifié par l’image et la mise en scène, le texte est soumis à un nouveau traitement: les technologies, qui n’en sont qu’à leur début, permettent au metteur en scène de l’écrire sur le plateau et au public de le lire de multiples façons tout en le regardant comme une image. L’apparition de ce texte scénique intrus est lié à un nouveau mode d’écriture, pratiqué par un «écrivain de plateau» qui intègre les nouveaux outils de création et de communication et qui travaille non de façon linéaire,mais par glissement, association, déplacement, transformation, voir par «coupé-collé.» Le surtitrage est un écrit éphémère, fait en principe pour être lu et non relu, en sa qualité de texte dont la durée de vie est très courte et qui est par essence très fragmenté. Une «traduction par surtitrage» ne peut donc être éditée; tout au plus permet-elle une lecture globale acceptable par tous les spectateurs. Les sous-titres forment un texte dérivé, substrat, intrus dans l’image, épiphyte (une graphie dans une composition d’image) puisqu’il offre un substitut intégré du discours original.

Intégration dans l’architecture des lieux: la place du surtitrage dans le cadre de scène

Les logiciels de surtitrage visuel simultané sont exploités depuis les années quatre-vingt-dix. La combinaison entre le surtitrage, le spectacle et l’architecture des théâtres dits «à l’italienne » n’obéit pas à des schémas classiques, elle pose la question de la multiplication des écrans sur la scène et suscite la construction d’espaces spécialement conçus à cet effet. Lors du festival d’Avignon de 1999 par exemple, on a vu à quel point, par une succession d’aménagements, on a tiré parti des structures de la Baraque Chabran, qui n’étaient pas initialement destinées à la représentation de la mise en scène qu’a faite Thomas Ostermeier du spectacle Unter der Gürtellinie (Sous la ceinture) de Richard Dresser, surtitré en français. Cet endroit reproduisait les conditions d’un assemblage de baraques de chantier près du Deutsches Theater berlinois, ce qui permettait justement au metteur en scène de développer son style de scénographie. À Salzbourg en 1999, Luciano Berio a conçu son opéra Cronaca del Luogo (La chronique du lieu) , pour un lieu étrange, l’école d’équitation (Felsenreitschule) taillée dans le roc de la montagne à côté du Festspielhaus; le mur de cet espace est percé de cavités comme des loges d’opéra où se tiennent les chanteurs et les instrumentistes. L’utilisation de cet espace totalement différent a permis de renouveler le rapport avec le spectacle et de créer divers niveaux de degrés de lecture et d’audition.

La régie de plateau doit préalablement s’entendre sur le choix et l’emplacement du système de surtitrage. Par exemple, lorsque le spectacle se déroule en même temps sur scène et dans la salle, le système audiovisuel est impossible car il est fixé au-dessus de la scène. Le choix d’une traduction simultanée est donc évident. Au théâtre, la visibilité et l’acoustique peuvent varier selon les catégories de sièges. L’emplacement des écrans de surtitrage est déterminé en fonction de la conception scénique de la production, mais dans la salle toutes les places ne permettent pas aux spectateurs de suivre ce surtitrage car, sur les côtés, tout dépend de l’angle de vision.

Le surtitrage et son ancrage dans la programmation des festivals et des maisons de théâtre

Désireux de provoquer une confrontation stimulante entre les écritures dramatiques contemporaines étrangères et la dramaturgie d’expression française, les théâtres et les festivals proposent désormais un large éventail de textes d’une nouvelle génération d’auteurs accompagnés d’une traduction. Le surtitrage permet de faire connaître à la fois aux professionnels du théâtre et au public, toute la variété des styles et des thèmes de l’écriture dramatique contemporaine.

Reinhilde Terryn, L’incoronazione di Poppea de Charlie Degotte, création Kunsten FESTIVAL des Arts 2001.

L’intérêt manifeste des maisons de théâtre, des centres culturels et des festivals de renommée internationale pour le surtitrage semble confirmer que cette méthode de traduction interpelle les organisateurs de manifestations culturelles et les instituts de théâtre dont le souci est de favoriser l’échange interculturel. Les spectacles accompagnés de traductions simultanées témoignent de la volonté des instances culturelles qui encouragent et pratiquent le surtitrage de s’ouvrir à la diversité culturelle. S’il arrive que la notoriété de l’oeuvre ou le style du spectacle fassent en sorte que le surtitrage ne semble pas indispensable, il en va autrement dans le cas d’oeuvres méconnues. Les surtitres permettent alors au public de comprendre une situation jouée sur scène dans une langue parlée ou chantée qu’il ne connaît pas. La compréhension directe et simultanée du texte est d’une importance cruciale pour traverser la barrière de la langue et éviter la frustration que provoquerait l’absence de traduction. Les surtitres permettent ainsi au spectateur d’entendre la langue de l’auteur et de conserver la dimension culturelle originale de l’oeuvre et, par conséquent, son authenticité. Dans le domaine de l’opéra et des pièces de théâtre, on n’a cessé de rechercher des réponses adéquates aux problèmes de compréhension et c’est ainsi qu’est né le surtitrage. Cette évolution semble cependant mieux implantée dans certaines institutions qui disposent de moyens matériels pour offrir l’assistance technique nécessaire au surtitrage. Pour situer l’apparition du surtitrage dans son contexte historique, il faut rappeler que cette pratique était pratiquement inconnue il y a quinze ans dans les arts de la scène.

Subtitling for the stage has only come to its own, however, with the advent of computerised subtitling, and today there are several different systems on the market. Most of those use a large format LED display […]. (Ivarsson 158)

Comme le fait remarquer Peter Low, le surtitrage est apparu au moment où le public s’est habitué à voir l’opéra retransmis à la télévision accompagné d’un sous-titrage.

The Canadian Opera Company claims credit for inventing the practice of surtitling in 1983, and for coining the terminology (including the French «sur-titres» and «surtitrage »). Before long there were operas with surtitles in New York and San Francisco, then in parts of Europe. Covent Garden, for example, introduced them for schools’ matinees in 1984, and then fully in 1986 (for Janacek’s Jenufa). By the 1990s, dozens of opera companies were using surtitles for some, if not all, of their foreign-language productions. (Low 97)

Aujourd’hui, les grandes scènes internationales telles que l’Opéra de Paris, le Nederlandse Opera d’Amsterdam, l’Opéra de Monte Carlo, l’Opéra de Toulon, le Théâtre National de Chaillot, le Barbican, le Lincoln Centre et les grands festivals parmi lesquels le Festival de Théâtre des Amériques de Montréal, le Festival de Hollande, le Kunstenfestival des Arts ainsi que des théâtres comme les De Singel, Hebbel Theater et Onafhankelijk Toneel offrent l’assistance du surtitrage pour rendre les représentations lyriques et dramatiques accessibles à un plus large public.

Les enjeux d’une politique ouverte au surtitrage : l’exportation des oeuvres

Le domaine du spectacle constituant un champ privilégié de l’action culturelle, il importe de bien saisir comment les politiques linguistiques affectent les stratégies de surtitrage et comment les divers mécanismes en jeu interfèrent les uns avec les autres afin de discerner les problèmes qui en découlent, par exemple au niveau de la dramaturgie et de l’architecture scénique. L’argument essentiel en faveur du surtitrage est qu’il contribue à stimuler la traduction et, par conséquent, la circulation des créations théâtrales. Compte tenu des besoins en matière de traduction, il faudrait considérer les avantages des systèmes de traduction simultanée et leur donner, à court terme, une place reconnue dans les théâtres. C’est une problématique dont l’étude concerne non seulement les traducteurs et les auteurs dramatiques, mais aussi les directeurs de théâtre, car elle doit rejoindre le plus grand nombre d’instances culturelles et théâtrales afin d’être valorisée et reconnue comme mode de traduction original et novateur. Ce n’est qu’en encourageant les théâtres à pratiquer une politique d’accueil d’oeuvres étrangères surtitrées qu’il sera possible d’élargir la diffusion transfrontalière de créations (et de tournées) qui, sans traduction, resteraient confinées sinon à une aire linguistique, du moins à un public limité.Dans son intention de dynamiser les arts du spectacle, le Parlement européen a élaboré un document de travail définissant une panoplie de mesures visant à faciliter la circulation d’oeuvres contemporaines grâce à la traduction et au surtitrage:

Les productions chorégraphiques, circassiennes et lyriques, aisément compréhensibles par tous les publics nationaux tournent davantage en Europe que le théâtre, confronté à des barrières linguistiques. Le surtitrage et la traduction sont désormais des outils indispensables; la traduction d’oeuvres dramatiques s’impose. (Document de séance du Parlement européen 2002)

Les spectacles accompagnés de surtitres favorisent la circulation des textes à travers les continents. Les innovations techniques sont porteuses d’une nouvelle culture et modifient en profondeur les possibilités du spectacle. Elles introduisent au théâtre des créations d’un type nouveau, interdisciplinaire, et suscitent la construction d’espaces spécialement conçus à cet effet. Elles permettent en même temps de travailler avec des professionnels qui se trouvent dans des endroits parfois fort éloignés et qui communiquent à travers des écrans, créant des spectacles inédits parce qu’ils opèrent dans plusieurs villes.

L’apport du surtitrage au niveau culturel : la dimension internationale du surtitrage

Le surtitrage facilite l’échange interculturel, car il permet de découvrir de nouveaux sujets d’écriture dramatique, de faire connaître des pièces contemporaines, des textes inédits, d’autres façons de faire du théâtre et d’autres auteurs. La traduction simultanée répond, d’une part, aux attentes du public de festivals internationaux et, d’autre part, à un intérêt croissant de la part des metteurs en scène qui veulent se faire entendre par un public aussi large que possible. L’argument majeur en faveur de la traduction simultanée des spectacles vivants est lié à l’aspect international des festivals qui rend précisément la traduction indispensable. Au-delà de son intention première, qui est de faciliter la compréhension, le surtitrage fonde une problématique nouvelle pour les arts de la scène. Il opère une médiation interculturelle qui contribue à la valorisation et à la reconnaissance mutuelle d’idées originales par une pratique novatrice qui respecte les identités de chacun. Utilisée en premier lieu comme un moyen destiné à favoriser l’ouverture et les échanges entre des artistes d’horizons extrêmement variés et désireux de découvrir ce qui est différent, la pratique du surtitrage dans les festivals internationaux montre qu’il existe une volonté réelle de permettre la rencontre de créateurs de cultures diverses.

Herman Sorgeloos, Zeno at 4 made William Kentridge, création Kunsten FESTIVAL des Arts 2001.

Conclusions et perspectives

Avec le surtitrage, les questions touchant aux cultures et à leurs échanges trouvent un terrain de prédilection pour éprouver des hypothèses et tenter des expériences d’interculturalisme. Le pari linguistique et culturel qu’il pose vise à préserver l’identité d’une communauté et la place préservée de chaque patrimoine culturel en procurant, au-delà du divertissement et du spectacle visuel, une découverte esthétique, une jouissance intellectuelle et une palette d’émotions qui nous font découvrir un nouveau langage théâtral, un jeu et une écriture. Le surtitrage représente un moyen de susciter le dialogue entre diverses communautés linguistiques et culturelles, d’inciter à la circulation des créations. À ce titre, il faut qu’on reconnaisse la place importante qu’il doit occuper dans les théâtres, où il permet d’étendre et de systématiser le travail de diffusion international à un plus grand nombre de lieux. Jamais la circulation des cultures n’a été si intense, jamais il n’y a eu une telle diversité de propositions. Les oeuvres d’auteurs comme Peter Brook, Ariane Mnouchkine, Robert Wilson, Robert Lepage, Peter Sellars, Christoph Marthaler et bien d’autres s’exportent plus facilement grâce au surtitrage. Une série d’événements fortement médiatisés comme les festivals internationaux (Avignon, Salzbourg, etc.) leur a permis d’avoir une visibilité mondiale. La multiplication des déplacements est un facteur de développement et les outils techniques pour le faire existent. C’est, par conséquent, de la capacité d’innovation des lieux de diffusion que dépendra demain le sort de la traduction des oeuvres.

Cet article ne prétend pas cerner la question du surtitrage sous toutes ces facettes; il est à considérer comme un préambule à un champ de recherche relativement embryonnaire qui mérite d’être approfondi par des études descriptives complémentaires afin de voir dans quelle mesure les relations complexes entre la scénographie, les messages polysémiques et les modes de perception qui sont exprimées ici se vérifient au sein d’un corpus plus large. De ces constatations préliminaires se dégagent des pistes de réflexion qui vont au-delà du passage d’un idiome à un autre, d’un phénomène acoustique à un phénomène polyvisuel et d’une culture à une autre, car ce ne sont là que quelques aspects du phénomène. Pour mieux refléter la complexité d’un sujet transversal comme celui-ci, on devra le placer dans un contexte pluridisciplinaire et on ne pourra acquérir une meilleure connaissance du domaine qu’en l’étudiant sous l’angle de la communication multisémiotique des messages.

 

NOTES

1 Plus précisément, les ouvrages suivants: Riitta Virkkunen, Surtitling as a Part of the Operatic Performance (thèse en préparation); M. Sario et S. Oksanen, «Le sur-titrage des opéras à l’opéra national de Finlande» dans Les Transferts linguistiques dans les médias audio-visuels (Presses Universitaires, 1996).
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2 Système de surtitrage associé à un vidéo projecteur: des diapositives contenant le texte de surtitrage sont transmises à un vidéo projecteur connecté à un ordinateur.
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3 The Collins English Dictionary, 1998.
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4 La simulation est l’opération au cours de laquelle les soustitres sont testés sur simulateur, un procédé qui permet au traducteur de revoir son travail sur une bande vidéo comme une relecture d’épreuves.
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OUVRAGES CITÉS

Bassnett-McGuire, Susan. Translation Studies (2e éd). Londres:Methuen, 1991.

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