FRANÇOIS-XAVIER SIMARD et ANDRÉ LA ROSE, Jean Despréz (1906-1965). Une femme de tête, de courage et de coeur. Ottawa: Éditions Vermillon, 2002. 454 pp., $24.95 CDN.

DANIELLE AUBREY

Trente-sept ans après la parution de deux biographies sur Jean Despréz, publiées peu de temps après sa mort en 1965,1 François- Xavier Simard et André La Rose publient leur propre version des splendeurs et misères de la vie d'une femme orchestre, à la fois comédienne, metteur en scène, scénariste du premier long métrage de langue française au Québec, chroniqueur pour revues et journaux, animatrice à la radio et à la télévision, courriériste du coeur et surtout, l'un des auteurs radiophoniques les plus proli- fiques de sa génération.

L'ouvrage de Simard et de La Rose est volumineux, très bien documenté et structuré selon une chronologie classique qui concourt à la clarté de l'ensemble. Fondé sur des archives familiales, de nombreux témoignages, des articles de journaux et de magazines, ce livre apporte une contribution importante à la compréhension des multiples niveaux du parcours personnel et professionnel d'une femme anticonformiste, active et complexe. En outre, contrairement aux biographies qui l'ont précédée, plutôt minces et anecdotiques, cette vie de Despréz nous offre une description approfondie du climat culturel qui régnait dans les années de formation de la future feuilletoniste, dans sa Gatineau natale et à Paris, ainsi qu'un portrait détaillé du Montréal des années 1930 aux années 1960, époque marquée, notamment, par l'avènement de la radio, les premiers balbutiements cinématographiques, l'effervescence théâtrale, les mouvements de révolte politiques et artistiques et surtout, par l'arrivée de la télévision.

Travaillant contre la montre, dans la «chair vive» des événements, comme elle le disait elle-même, Jean Despréz, comme la plupart de ses confrères, ne croyait pas que son oeuvre allait passer à la postérité et malheureusement, les faits lui ont donné raison. Les causes de cette occultation sont nombreuses:mutisme, mépris ou incompréhension de la critique journalistique et universitaire face à une littérature orale perçue comme «une forme facile et amoindrie du théâtre sur scène;»2 négligence des diffuseurs qui n'avaient ni les moyens ni la volonté de préserver les oeuvres radiophoniques dont une grande partie a été détruite; et enfin, indifférence des institutions qui n'ont pas cru bon de créer une législation pour protéger les archives radiophoniques et télévisuelles. À cet égard, il aurait été souhaitable que les auteurs de cette biographie s'attachent un peu plus à décrire l'oeuvre radiophonique de Despréz, les contraintes commerciales et les modes de production de la radio des premiers temps qui ont conditionné son écriture et surtout, qu'ils en donnent plus d'extraits. Car, aussi fascinantes qu'aient été les actions d'éclat et déconfitures du personnage public haut en couleur, extravagant et parfois pathétique que Jean Despréz s'était fabriqué, après tout, la feuilletoniste aura passé la plus grande partie de sa vie enfermée dans son bureau, enchaînée à sa machine à écrire, se consumant dans une production frénétique et évanescente dont il reste aujourd'hui trop peu de traces.

NOTES

1 La vie intense de Jean Despréz de Serge Brousseau, Montréal, Éd. Des Succès populaires, 1965 et La vie extraordinaire de Jean Despréz d'Ingrid Saumart,Montréal, Éd. Du Jour, 1965.

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2 Pierre Pagé, Répertoire des oeuvres de la littérature radiophonique québécoise, 1930-1970,Montréal, Fides, 1975.

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