DOMINIQUE LAFON, dir.
Le théâtre québécois 1975-1995. Archives des lettres canadiennes, tome X. Montréal: Fides, 2001. 528 pp. Illus. $44.95, papier.

MARIEL O'NEILL-KARCH

Dans un entretien accordé à Gilbert David, André Brassard affirme qu'«un spectacle peut parler d'autre chose que ce que la pièce raconte. » Un critique aussi, comme en témoignent les vingt-trois articles qui constituent ce deuxième volume consacré au théâtre dans la série «Archives des lettres canadiennes» du Centre de recherche en civilisation canadienne-française de l'Université d'Ottawa.

L'ouvrage commence par un «état des lieux, » puis se divise en quatre parties: «dramaturgie,» «mise en scène,» «scénographie et écriture scénique,» «échanges, diffusion et réception.» Les articles figurant dans ces diverses parties contribuent tous à ce que Yves Jubinville appelle «une histoire par morceaux, par lambeaux, par miettes» (37) du théâtre québécois en invitant le lecteur à (re)vivre, avec ses collègues du collectif, le virage esthétique des années post-référendaires.

Certains noms reviennent, comme des leitmotiv: Tremblay, bien sûr, mais aussi Bouchard, Chaurette, Dubois, Laberge, Brassard, Ronfard, Lepage, Maheu, Marchessault, Danis... et chaque fois qu'ils paraissent, c'est sous un nouvel éclairage, chaque critique de ce collectif ayant une vision personnelle des oeuvres dont il/elle témoigne. Le résultat est une tapisserie, composée de fils de diverses couleurs et de divers matériaux qui s'entrecroisent pour former une oeuvre complexe aux bouts non-terminés auxquels pourront se greffer d'autres fils.

Les auteurs ont été choisis avec soin, certains approfondissant des aspects du sujet auquel ils ont déjà consacré une large partie de leur carrière. Je pense en particulier à Jean-Cléo Godin qui revient à ses thèmes-fétiches de métathéâtralité et de mise en abyme; à Dominique Lafon qui continue de relever l' «air de famille» qu'ont certains dramaturges; à Hélène Beauchamp qui a donné ses lettres de noblesse à la dramaturgie jeunesse; à Josette Féral, à qui l'on doit de fines analyses des aspects ludique et poétique de la mise en scène; et à François Paré, dont les analyses du théâtre franco-ontarien révèlent, de façon convaincante, que le théâtre, en milieu minoritaire, se crée des structures et des réseaux lui permettant de s'associer à la modernité.

D'autres ont choisi des éléments moins apparentés à leur trajectoire critique antérieure, comme Jean-Marc Larrue qui expose les prolégomènes d'une histoire de la création collective; Irène Perelli-Contos et Chantal Hébert qui suivent la carrière de Robert Lepage; Louise Vigeant qui démontre de façon convaincante que Gilles Maheu reste «un artiste qui vise l'émotion par le biais de la sensualité» (262); enfin, Alvina Ruprecht qui, en analysant «les festivals de théâtre et leurs retombées,» avance que le Québec est devenu «migrant, pris entre l'Europe, les Amériques et tous les continents d'une francophonie éclatée, un nouveau centre ouvert à toutes les influences possibles» (440).

Certains praticiens se penchent, généreusement, sur l'oeuvre de leurs collègues. C'est le cas de Paul Lefebvre qui analyse l'immense apport de Jean-Pierre Ronfard, tant sur la dramaturgie que sur la mise en scène. Ronfard, toujours lucide et ludique, s'est reconnu «pillard, plagiaire, dévoreur et restitueur de vieilles affaires, vandale, barbare» (1989, cité: 207). Pour sa part, Claire Dé jette un regard plus large sur «le costume de théâtre à Montréal» et ouvre, avec ses propos sur «la nudité sur scène» (331), une piste de recherche où les créateurs de costumes n'ont, semblerait-il, plus de place.

Parmi les jeunes chercheurs, notons Hervé Guay, qui s'inspire d'une métaphore («la grimace») d'André Brassard pour unifier une pratique dont l'artifice définit l'expression; Shawn Huffman, auteur d'un texte tout en bifurcations métatextuelles et rempli d'émotion qui ouvre sur de multiples pistes, en partie à travers les images dont il est émaillé; et Marie-Christine Lesage qui tisse des liens entre «le théâtre et les autres arts,» en particulier le multimédia, l'image, la danse et «la sculpture scénographique et sonore» (353).

Au moins deux des chapitres font allusion à une piéce inédite de Michel Marc Bouchard, Soirée bénéfice pour tous ceux qui ne seront pas là en l'an 2000 (1991), qui a connu plusieurs lectures publiques et au moins une production. Dominique Lafon y voit une nouvelle image de la famille québécoise: un véritable «cul-de- sac» (105). Pour Irène Roy, Soirée bénéfice marque une étape importante dans le développement du Théâtre Blanc de la ville de Québec (366). Je ne peux qu'espérer que cette pièce sera publiée dans un avenir rapproché.

Yves Jubinville et Rodrigue Villeneuve, comme d'autres avant eux, regrettent que des équipes inter-institutionnelles n'aient pas encore mis sur pied des projets de recherche collectifs, portant sur le théâtre québécois, voués à la production d'outils, comme des répertoires, des inventaires, un dictionnaire encyclopédique. S'il est vrai que ces instruments de base font toujours défaut, il faut aussi reconnaître qu'il y a des projets, comme celui-ci, qui fournissent énormément de matière aux futurs chercheurs. Mais cet instrument n'est pas parfait. Il l'aurait été davantage si on avait doté cet important volume d'un index. On a raté ainsi l'occasion de créer un de ces outils dont on déplore la pénurie.

Tel quel, cependant, cet ouvrage contient une foule de renseignements utiles et offre de belles synthèses sur des aspects très variés du théâtre québécois des années 1975-1995, ainsi que des analyses solides, susceptibles d'intéresser tous ceux pour qui le théâtre est un art vital.