LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS1:
LE LIEU THÉÂTRAL COMME ESPACE D'INTERACTION2

Christiane Gerson

My response as a spectator to La Nuit juste avant les forêts, presented on February 26th, 1999 in an old boarding house on Ontario Street East in Montreal, has drawn my attention to the impact the theatre venue has on the reception of a performance and most particularly on the spectator's perception. But how does one approach the interrelation among the venue, the spectator and the work presented? How does one speak about what happens to the spectator as he comes in contact with the environment implicated during the representation of a theatrical work? I propose here to study what "I' as spectator have experienced by adopting the following axis: the gaze the spectator lays on the elements that the architect, as well as the author, the conceivers and the actors have put in place to create the theatrical representation. The goal is to show the effect of the environment – considered as a physical space and as a community – on the perception of the spectator and how he acts, in his turn, on what he has retained of the representation. In order to do this, the action of the spectator will be described in terms of the passage he makes through the spaces – concrete and abstract, exterior and interior – he traverses successively to arrive at the chosen representation and to reintegrate the exterior space and his own interior intimate space after the performance.

«La première approche physique que le public peut avoir avec le spectacle: l'édifice théâtral...». (Decroisset 45)

«Mais la "mémoire" des lieux est présente et active et elle travaille le théâtre présent». (Mervant-Roux 11)

«Le lieu parle aux sens et ne cesse d'émouvoir parce qu'il est chargé de passé, de mémoire». (Larrue 179)

Comment le spectateur détermine-t-il les espaces parcourus? Comment en crée-t-il de nouveaux et pourquoi?

Les principaux ouvrages ayant trait à l'impact du lieu sur l'expérience spectatrice qui serviront de références sont ceux de Élie Konigson (1987), Marvin Carlson (1992), Peter G. F. Eversmann (1996) et Marie-Madeleine Mervant-Roux (1998). Au texte de cette dernière s'ajoutent les écrits de Walter Benjamin (1927- 1939), Catherine Naugrette-Christophe (1987) et D.W.Winnicott (1975) pour les aspects reliés au parcours. Les notions développées par ces études ont fourni les matériaux de base pour dresser l'axe d'analyse qui permet de rendre compte convenablement de l'interrelation lieu-spectateur-représentation.

Le spectateur regarde au présent l'environnement immédiat de la représentation théâtrale – le bâtiment situé dans un quartier déterminé de la ville, la communauté, les espaces aménagés – avec les filtres de la mémoire – le passé. Il définit les espaces selon leurs modalités d'existence – a priori/éphémère, concret/abstrait, extérieur/intérieur – alors qu'il les parcourt. Il aménage des espaces potentiels pour entrer en relation avec «l'autre» afin de l'apprivoiser – «l'autre» étant «le non-moi,» c'est-à-dire tout ce qui, aux yeux du spectateur, appartient au monde extérieur et ne fait pas encore partie de son univers, ou de son espace. Dans le cas particulier de la réception de La Nuit juste avant les forêts, «l'autre» est l'univers de l'unique personnage interprété par James Hyndman sous la direction de Brigitte Haentjens: un étranger que la majorité dominante cherche à intégrer sinon à faire disparaître avec acharnement comme tout ce qui dérange et dépareille. L'étranger lutte pour préserver son intégrité; les mots lui servent d'arme pour se protéger ou s'enfermer dans sa différence. «L'autre,» c'est également l'environnement du lieu de représentation tant et aussi longtemps que le spectateur ne l'a pas intégré à son univers, ou tout au moins l'apprivoisé.

Puisqu'il s'agit du parcours du spectateur, le cadre de références sera le sien: ce qu'il est, ce qu'il sait et ce qu'il apprend de la représentation. L'expérience spectatrice de référence sera ici, pour les besoins de cet essai, la mienne.

La fragilité du cas individuel est connue. L'argument invoqué se trouve dans les réflexions de Mervant-Roux (998) suite à une étude empirique: la salle est remplie d'individus qui agissent selon ce que chacun «veut voir (ou peut voir)» (65, 72). La subjectivité est inhérente à l'expérience spectatrice. De plus, aborder le processus de réception en montrant comment le spectateur, parcourant des espaces, tisse des liens entre la représentation et l'environnement immédiat et comment il crée des espaces pour apprivoiser le monde extérieur constitue une approche peu courante en ce qui a trait aux études du phénomène de la réception. Cette approche gagne à être présentée pour qu'elle soit, un jour, mise à l'épreuve. «Le spectateur ne voit que ce qu'il veut voir (ou peut voir). Seul ce qui le "regarde" prend vraiment de l'importance et c'est cela qui organise l'ensemble de son expérience» (Mervant- Roux 65).

Ce rappel que fait Mervant-Roux est nécessaire. Effectivement, dès le moment où le spectateur envisage d'assister à une représentation théâtrale, un cadre de références est mis en éveil.Ces références proviennent généralement de lectures et d'expériences. Elles ont trait à la production – l'oeuvre, l'auteur, les concepteurs – et au lieu – son histoire architecturale et artistique, et aussi ce qu'il représente dans son milieu. Dans le cas particulier du «je» spectatrice, ce qui nourrit la mémoire est conditionné par les intérêts professionnels – analyste et metteure en scène – et personnels; en somme, ce qui fait de la spectatrice un individu solidaire, volontairement ou non, de la communauté qui «donne forme et vie»3 à ce milieu. Finalement, c'est à partir de ce type de références, plus ou moins conscientes, que j'assemblerai les éléments constituant l'événement théâtral de manière à lui conférer une existence réelle et singulière. Les informations qui suivent permettront de mieux comprendre les réactions de ce spectateur spécifique et de son parcours. Il s'agit de rappeler sommairement des pratiques et des études illustrant ce qui habite ma mémoire à propos du lieu de représentation théâtrale, et à propos du théâtre de Koltès et des mises en scènes par Haentjens.

L'argumentation, trouvée dans la plupart des études sur la relation dynamique entre le lieu, le spectateur et la représentation, se résume ainsi: l'oeuvre est représentée dans un espace qui, lui, est agencé d'une certaine manière et porteur d'une esthétique particulière, espace qui fait partie d'un ensemble d'espaces dont les composantes architecturales, sociales et urbaines entrent en synergie et constituent en définitive l'environnement de l'événement. Parmi ces études, il y a notamment celles publiées sous la direction d'Élie Konigson (1987),4 où le théâtre est présenté sous les divers aspects du phénomène urbain.Celles de Marvin Carlson (1992) et de Peter Eversmann (1996) montrent que les aspects organisationnels et décoratifs de l'espace scénographique, comprenant les espaces de jeu et du public, influencent la construction du sens et, en définitive, l'expérience spectatrice. Cependant, Carlson insiste davantage sur l'engagement du spectateur dans une relation dialectique confrontant son environnement culturel – ce qu'il est et ce qu'il sait – à celui de la représentation – ce qu'il apprend. Il met l'accent sur la notion d'événement théâtral qu'il considère comme une entité émergeant de la dialectique entre observant et TRiC / RTaC • 23.1-2 (2002) • Christiane Gerson • pp 101-117 • 103 observé (205). Il attribue ainsi au spectateur la responsabilité de la signification de l'événement. Au cours de la recherche de cohérence, le spectateur intègre effectivement au système de signi- fication non seulement les connotations que les éléments de l'environnement immédiat5 véhiculent au cours du déroulement de la représentation, mais également les liens que l'événement entretient avec les autres événements et le milieu, en tant que matrice sociale et culturelle. Carlson dit:

Culturally we learn to read the messages of theatre spaces, locations, and decoration just as we do the many related architectural and urban codes by means of which we intellectually structure our environment. (205-206)

Le spectateur est ainsi situé dans la position que Konigson lui reconnaît: une «position intermédiaire entre la ville et la scène, entre la société civile et la société théâtrale» («Le spectateur», 189).

La fonction d'intermédiaire que ces études reconnaissent au spectateur, Mervant-Roux l'aborde en mettant à l'avant-plan ce que ses observations directes, effectuées de l'intérieur des représentations,6 ont révélé que la salle et la scène sont en liaison à la manière de «deux espaces qui ont partie liée» (45).Ce qui paraît encore plus révélateur pour le moment concerne «la pratique de spectateur» (41) face à ce qui se passe scéniquement: «l'occupant de la salle, travaillé par le spectacle, entre à sa façon, dans le jeu» par l'intermédiaire du «personnage-témoin» (45). Ce «protagoniste de point de vue,» dont Mervant-Roux a remarqué la présence dans l'aire de jeu et sa fonction de «passeur à l'intérieur du drame» pour le spectateur assis dans l'aire du public (45), ne pourrait-il pas être autre qu'un personnage représenté scéniquement? Par exemple, un individu appartenant au monde réel agirait comme passeur grâce à des affinités que le spectateur lui trouverait avec le protagoniste. Il s'agirait d'un cas particulier où le passeur existerait à l'extérieur de la structure dramatique, mais pourrait faire partie de l'environnement du lieu de la représentation.

Toujours dans la perspective de circonscrire la notion d'espace par rapport à la pratique du spectateur, Mervant-Roux signale à propos de l'emprise du subjectif que le spectateur, même le plus brechtien, n'a rien d'un analyste puisqu'il «entre dans ce qu'il voit comme dans une image intérieure» (46-47). Il pénètre à l'intérieur de l'espace de «l'autre.» Il réagit aux stimuli, à ceux de la salle tout autant que de la scène; ses réactions sont affectées par les conditions physiques de l'espace du public et, plus largement, elles sont soumises à l'effet que produit l'aménagement de l'espace scénographique – espaces de jeu et du public compris. Outre le confort, Mervant-Roux précise qu'il s'agit de la distance avec la scène, du «nombre de spectateurs» et du rapport avec les autres spectateurs (10). Par contre, la place du spectateur n'est nullement réduite «au siège qu'il occupe» ni à «une présence restreinte à une zone spécifique» (7); elle est donc mobile et multiple.

En ce qui a trait à mon expérience personnelle, se rendre sur les lieux de la représentation de La Nuit juste avant les forêts peut demander une certaine dose de courage au spectateur montréalais qui, comme moi, a en mémoire un pan d'histoire de cet ancien secteur ouvrier et dur de Montréal.7 À mes yeux, les traces du passé demeurent malgré les efforts urbains de revitalisation de ce quartier et l'impact culturel et économique des théâtres – Espace Libre (Nouveau théâtre expérimental de Montréal, Omnibus), Espace Prospéro (Théâtre de La Veillée), Usine C (Carbone 14) – de restaurants bien cotés, de la présence régulière d'équipes de tournage cinématographique et d'une population gaie de plus en plus importante. La misère des travailleurs d'abord, puis des chômeurs des usines de biscuits, de chaussures, de confitures, de mélasse – d'où le nom de «Faubourg à m'lasse» donné au quartier – colore tristement les images qui résistent au temps. Elles sont, bien entendu, fondées sur des préjugés entretenus face à ces gens, sans métier et sans instruction, qui habitaient au sud de la rue Sherbrooke, en bas de la côte, presque sous le pont Jacques- Cartier. Plusieurs, venus d'autres régions du Québec, parfois éloignées des centres urbains, sans bagage ou presque, pour tenter leur chance à la «grande ville,» dormaient dans des maisons de chambres semblables à celle que Haentjens a choisie pour y produire la pièce de Koltès.Cet espace, situé au dessus du Lion d'Or – aujourd'hui cabaret bien fréquenté mais autrefois boîte de nuit contrôlée par la petite pègre, fait partie de cet environnement qui demeure à notre mémoire un secteur de prostitution et de pègre. Aujourd'hui, ce quartier porte deux identités: celle de Centre-Sud réfère à la réalité d'une population défavorisée et démunie, et celle de Terrasse Ontario est associée à l'image favorable au renouveau urbain. Ces deux réalités coexistent, comme dans certains quartiers de New York, par exemple.

Ce sont là les faits qui occupaient ma mémoire de spectatrice à propos du passé et du présent de l'environnement immédiat du lieu de la représentation – un quartier de la ville et sa communauté – et de l'espace concret – la maison de chambres – situé hors de l'institution théâtrale et de ses rites, et dont les modalités d'existence sont déterminées a priori par l'événement théâtral.

Le lieu de la représentation,8 qu'il s'agisse ou non d'un théâtre, est un espace concret dont l'existence précède l'événement contrairement à l'espace scénographique, dont l'existence dépend de l'action des concepteurs, des acteurs et des spectateurs, bien que certains aspects de l'agencement soient permanents. L'espace scénographique enchâsse l'espace de jeu et l'espace du public, qui sont également des espaces concrets. Les concepteurs et les acteurs donnent «forme et vie» au premier en se conformant aux exigences du projet de mise en scène, alors que les spectateurs, individuellement et collectivement, caractérisent le second en réagissant à ce qui se passe dans le premier.

Les observations face à cet environnement urbain, là où est localisé l'espace retenu par Haentjens pour La Nuit juste avant les forêts, en dessinent un portrait menaçant et semblable à celui que Julian Beck et Judith Malina (Living Theatre) privilégiaient pour leurs créations new-yorkaises pendant les années cinquante.9 Cette sorte d'environnement paraissait n'avoir rien en commun avec celui du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) où Haentjens avait présenté antérieurement une autre pièce de Koltès, Combat de nègre et de chiens.10 Ce théâtre institutionnel, le TNM, offrait un environnement qui était loin d'être en accord avec cette pièce dont Haentjens disait qu'elle n'appartenait «ni à l'institution, ni à l'"establishment"» (programme: 5). Ce «décalage géographique, social, humain, linguistique» (5), devenait réalité pour le spectateur à condition que, une fois exposé à l'étrangeté des espaces des personnages, il permette à «l'autre» d'envahir son propre espace et accepte ainsi «de se dé-payser» (Lépine 15).11 Pour La Nuit juste avant les forêts, bien avant de prendre place dans l'espace réservé au public, les messages émis par l'espace concret et son environnement immédiat étaient perçus comme une invitation à s'abandonner à la terreur, que nous avions connue avec Combat de nègre et de chiens, «à la terreur que l'Autre peut représenter» (15).

L'expérience m'a appris que les acteurs d'Haentjens répondent habituellement à cette même invitation; abandonnés à la fureur vitale des personnages, sourde ou explosive, ils permettent une introspection de l'oeuvre. Par exemple, Haentjens disait en 1996: «Mettre en scène Quartett, c'est tenter de se faire voyant» (2). C'est sans doute ce que le «je» spectatrice attendait d'elle pour La Nuit juste avant les forêts: transcender les apparences et mettre à l'avant-plan «la pulsion vitale» (Haentjens, Combat 5) du personnage face à «l'autre»; révéler la force vive du personnage solitaire, un «étranger,» alors qu'il est soumis à la menace que «l'autre» représente pour lui.Cet être va mourir en toute lucidité et sans pessimisme, comme dans Roberto Zucco.12 «Au fond, les personnages de Koltès se démènent trop pour sombrer dans le désespoir, » écrit Brigitte Purkhardt dans un essai sur l'oeuvre de Koltès (73). Haentjens, au lieu de rechercher le sens à autant de mots dans les textes de Koltès, s'attarde à «l'abondance des mots» (Haentjens, Combat 5) pour découvrir à quoi ils servent. Dans Combat de nègre et de chiens , leur abondance est un indice de «l'enfermement intérieur» (5) des personnages.

C'est en définitive avec des attitudes de citoyenne et de chercheure, entretenues par ma mémoire de Montréalaise de naissance et une curiosité accrue pour la vision de cette autre pièce de Koltès proposée par Haentjens, que je suis arrivée devant la porte du 1680 de la rue Ontario Est. Cette porte donnait directement sur le trottoir, comme dans les quartiers pauvres, et s'ouvrait sur un escalier abrupt permettant de grimper jusqu'à l'étage, là où l'on accueillait les spectateurs, en toute simplicité. Je me retrouvais de l'autre côté, dans un espace à côté ou en parallèle de l'espace urbain.

Pendant une soixantaine de minutes, l'acteur James Hyndman, seul en scène, barbe longue, vêtements sombres, pochés et usés, debout dans une encoignure du couloir, projetait les mots comme une mitraille. Il était dans l'urgence de dire, à bout de souffle et de vie, après avoir été pris en chasse par de jeunes Français qui voulaient le passer à la bastonnade parce qu'il est un «rat,» un Arabe.13 Mais, il aurait pu tout aussi bien être un marginal de la rue Ontario cherchant un abri pour la nuit ou un témoin pour l'assister dans ses derniers moments. L'éclairage – lui, l'acteur-personnage, éclairé de face et les spectateurs par derrière – intégrait l'espace du public à l'espace de jeu; le rapport intime, résultant de cet aménagement en face-à-face, n'accordait aucune autre possibilité aux spectateurs que d'être voyeurs. Il devenait pratiquement impossible d'échapper au regard de l'acteur-personnage à cause du peu de distance qui le séparait des spectateurs. Mon espace physique était défini par mon corps, comme celui de la soixantaine de spectateurs assis sur des chaises droites l'était par le leur. L'espace de jeu correspondait à la place que le corps de l'acteur- personnage occupait dans le coin – entre deux portes de chambres, l'une ouverte et l'autre fermée – et à la portée de son regard qui pouvait englober tous les spectateurs. La scène à voir était celle d'un être traqué, à bout de souffle à force de courir pour échapper à des agresseurs, réels ou imaginaires.

Une fois dehors après la représentation, une scène de mendicité expérimentée sur le trottoir, qui aurait pu passer inaperçue, a modifié ma perception et surtout ma position extérieure de voyeuse involontaire. Un itinérant en vêtements sombres et sales frôlait les murs de la rue Ontario, puis il a brusquement bloqué le chemin à un passant ciblé pour lui demander de l'argent. Cette scène rendait révoltante celle de la vitrine du restaurant voisin qui montrait la surabondance: une salle bondée de clients attablés, le vin et la bonne chère. À la vue de cet écart choquant entre deux réalités, j'ai transcendé le caractère anecdotique de La Nuit juste avant les forêts et la performance de Hyndman dans le décor in situ du lieu désaffecté: l'oeuvre théâtrale devenait une prise de parole par ceux qui n'y ont pas droit, comme les ouvriers et les chômeurs qui autrefois avaient probablement dormi dans cette maison de chambres de la rue Ontario. La sensation d'avoir été mitraillée par des mots cédait la place à la pulsion d'être utile à une cause humanitaire et valorisante. En effet, il semblait à ce moment-là que tout être, même celui à qui on ne reconnaît pas le droit de parole, peut contribuer à l'histoire. Il se créait ainsi des liens entre l'oeuvre, présentée par le couple Haentjens-Hyndman, et la spectatrice que je suis.

Quels espaces avons-nous parcourus pour «entrer dans le jeu» de manière à devenir «partie liée» avec le drame (cf.Mervant- Roux) Que s'est-il passé? «La notion de "promenade" théâtrale semble aujourd'hui laisser place à celle de "parcours"voir même de "théâtre-parcours"; à l'intérieur du théâtre ou à travers la ville» (139). Cette remarque de Naugrette-Christophe évoque l'action exécutée par tout individu qui va au théâtre, qui se déplace d'un point à un autre. Inévitablement, le spectateur réalise un parcours de l'intérieur de chez-soi vers l'extérieur de l'espace urbain puis vers l'intérieur en se déplaçant en direction du lieu théâtral, et en s'introduisant dans l'espace scénographique. Naugrette- Christophe14 donne en exemple le parcours des spectateurs de 1789 (Théâtre du Soleil): ceux-ci font d'abord un trajet initiatique hors du circuit institutionnel en se rendant à la Cartoucherie de Vincennes,15 puis, debout et entourés par cinq tréteaux, ils suivent l'action en se déplaçant au centre de l'arène.16

Pour aller voir La Nuit juste avant les forêts, j'ai d'abord traversé l'espace urbain du Centre-Sud que j'ai regardé à travers de l'image cristallisée d'un milieu social constitué principalement de démunis et agité par la violence. Cette image cristallisée et filtrante a orienté ma manière de percevoir: j'ai alors ramené au premier plan de ma réflexion ce qui semble être tout à fait marginal par rapport à l'institution théâtrale et à l'«establishment» social. Aussi, j'ai fureté autour de l'espace où les observants et l'observé allaient se retrouver face à face. À ce sujet, Naugrette-Christophe situe la fonction de flâneur en amont de celle d'observant: «Avant d'être spectateur dans une salle de théâtre, l'on est ainsi promeneur, badaud – celui qui s'attarde à regarder le spectacle de la rue» (133).

Walter Benjamin a développé le concept du flâneur en s'inspirant de la poésie de Charles Beaudelaire et en parcourant luimême les arcades parisiennes construites à l'époque où le commerce du textile fleurissait. Il cherchait à expliquer comment la ville, en tant qu'institution, interagit avec la conscience humaine et lui donne forme. En 1938, il situait l'espace du flâneur par rapport à l'espace urbain:

If in the beginning the street had become an intérieur for him, now this intérieur turned into a street, and he roamed through the labyrinth of merchandise as he had once roamed through the labyrinth of the city... The flâneur is someone abandoned in the crowd. (Other Voices)

Tel le flâneur17 et de même que les autres spectateurs rassemblés pour la représentation du 26 février, 1999, j'ai exploré en toute liberté ce que cachaient les nombreuses portes de l'ex-maison de chambres: salles de bain, douches et toilettes aux tuiles de céramique blanche, bleue ou rose, chambres encombrées des restes d'un déménagement fait en tout hâte et d'autres, interdites et fermées à clé. Le carrelage, les boiseries d'un vernis jaune clair, les murs propres, dont les couleurs vieillies avaient dû être choisies pour plaire aux gens de passage, faisaient référence à une période floue d'avant 1950. L'odeur indescriptible du lieu désaffecté, les portes fermées et numérotées comme des chambres d'hôtel ou des cellules, et le plancher de ciment dégarni de son tapis créaient une impression d'enfermement et d'abandon. Les fenêtres, donnant sur l'extérieur, et les éclairages de la rue commerciale, projetant leur lumière à l'intérieur, n'atténuaient pas la forte impression que donnait ce lieu d'être une voie sans issue. J'avais la sensation de faire intrusion dans un espace qui ne deviendrait jamais le mien.

L'éclairage habituel de la rue Ontario ayant été accentué par quelques projecteurs dirigés vers l'intérieur, la lumière en provenance de l'extérieur attirait l'attention vers le dehors, c'est-à-dire vers l'espace d'où je provenais (un espace physique avec sa réalité urbaine). Cet aménagement avait pour effet de souligner mon intrusion dans l'espace de «l'autre,» une sorte de terrain de jeu où je n'étais que de passage.

L'intrusion est physique. Elle consiste en la présence d'un corps étranger, le mien, le même corps qui délimitait mon espace de spectatrice. Ce corps-espace rassemblait ce qui m'est familier, autrement dit ce qui figure au tableau des connaissances, des expériences et de la mémoire. Le familier est en même temps ce qui détermine les limites du corps-espace et, à la fois, le distingue de l'espace situé en dehors du moi spectatrice, celui de «l'autre.»

L'intrusion est également sonore. Elle s'entendait par les pas, les voix qui résonnaient et attiraient l'attention des autres. Se glisser dans l'anonymat du public devenait impossible: j'étais observée par les autres autant que j'observais leurs mouvements, leurs regards et leurs commentaires. La démarcation du privé s'effritait. L'espace intérieur devenait visible aux yeux des autres spectateurs. Le privé tendait à se confondre avec le public, l'intérieur avec l'extérieur. Le besoin de re-définir ma position face à ce qui était en dehors de moi se faisait ressentir d'autant plus qu'en ouvrant les portes, des réminiscences étaient libérées; elles envahissaient mon imaginaire. Les autres spectateurs, le Hyndman-personnage avec ses réminiscences et celles de la Maison de chambres prenaient la forme d'entités; celles-ci donnaient «forme et vie» à autant d'espaces qui étaient distincts les uns des autres autant que du mien.

Il fallait renouer avec ce que je suis et ce que je sais, renouer avec ce qui constitue mon espace d'individu qui s'oppose à ces autres espaces. Pour y parvenir, je devais déterminer les modalités d'existence de ces espaces qui étaient autres que le mien. Ces modalités appartiennent à la sphère du concret et à la sphère de l'abstrait. Elles permettent de déterminer ce qui est situé à l'extérieur ou à l'intérieur de l'espace du spectateur, aussi de déterminer le repère temporel face au passé et présent. Mais, comment y arriver quand ce qui constitue l'espace est mouvance, au sens de mobilité et interdépendance? Par exemple, l'espace scénographique, englobant l'espace de jeu et l'espace du public, échappe aux limites imposées par le décor in situ ainsi que par les sièges des spectateurs. Même s'il est concrètement situé dans le prolongement de la zone où on avait accueilli les spectateurs, là où la structure de l'édifice forme un angle droit, il se multiplie en autant d'espaces qu'il y a de spectateurs et de réminiscences, celles du personnage et celles de la Maison de chambres confondues.

Les observations que Mervant-Roux effectue «de l'intérieur des représentations» (45) peuvent aider à répondre à cette question. Elle note la mobilité du spectateur: d'abord, le spectateur fréquente des espaces autres que celui qu'il occupe avec son corps peu importe la période et la forme théâtrale (7), puis, «le lieu où l'on regarde ne s'oppose pas, ne s'affronte pas brutalement à celui où l'on joue mais s'articule avec lui» (45).18 Elle ne voit pas d'affrontement entre la salle et la scène pas plus qu'entre l'espace du spectateur et l'espace dramatique. Je suis effectivement entrée dans l'espace du personnage: l'itinérant a agi en tant que «passeur à l'intérieur du drame» (45) même s'il ne figurait pas dans la structure du drame. Ce passeur, n'étant pas le «personnage-témoin» (45) à l'intérieur de l'espace dramatique comme Mervant-Roux le décrit, il n'a donc pas pu être le double du spectateur sur scène. Cependant, il était une représentation du «rat» interprété par Hyndman, situé dans un espace extérieur à l'univers de ce personnage de Koltès.

En effet, l'apparente ressemblance de la situation de l'homme de la rue et de celle du personnage était due surtout à un habillement et à l'urgence qui habitait ces deux êtres. Ces affinités ont incité à tisser des liens entre leurs univers. Le premier était, pour le «je» spectatrice, réellement présent dans l'espace urbain mais à l'extérieur du lieu de la représentation. Le second était à l'origine un produit de l'imaginaire de Koltès, c'est-à-dire une abstraction qui prenait «forme et vie» au présent grâce à l'acteur Hyndman, dans l'espace scénographique situé à l'intérieur de la Maison de chambres. J'ai donc visité ces espaces de façon concrète mais également à l'aide de la mémoire et de l'imagination. C'est ainsi qu'a pris forme pour moi cette impression de deux solitudes marginalisées par la société.

En imagination, je passais et repassais la porte du 1680 de la rue Ontario Est depuis la scène de mendicité, allant de l'intérieur, où s'était déroulé le drame fictif, vers l'extérieur, où le drame social avait vraiment pris place. De plus, ce qui avait été retenu derrière les portes numérotées des chambres à louer envahissait peu à peu l'espace dramatique: il s'agissait d'inconnus anonymes qui, contrairement au «rat» et à l'itinérant, étaient des produits de mon imagination qui, elle, est nourrie par ma mémoire. Grâce à ce jeu de va-et-vient d'un espace interne à un espace externe, mais aussi entre les sphères du concret – le jeu scénique et le drame de la rue – et de l'abstrait – les inconnus imaginés, le drame de Koltès sortait de l'espace éphémère de la représentation pour se mêler à celui, plus durable, de la rue et vice-versa.

À l'instar du flâneur de Benjamin, j'ai erré physiquement et mentalement à travers des espaces tantôt concrets, tantôt abstraits. Mes repères étaient, d'une part, concrets – le lieu de la représentation dans le Montréal Centre-Sud, Hyndman interprétant le personnage de La Nuit juste avant les forêts, la rue avec l'itinérant et la scène du restaurant – et, d'autre part, abstraits – le produit de mon imagination qui a ses propres repères, ceux que mon milieu familial m'a transmis à propos de la vie des gens de ce secteur de la ville. Je me suis retrouvée dans un entre-deux créé au cours du jeu de va-et-vient réunissant la scène de fiction à celle de la vie à l'aide de l'imagination. C'est par ailleurs au cours de ce même processus que j'ai déterminé ma position de citoyenne spectatrice.

Cet entre-deux est un espace que Winnicott19 considère opposé «(a) au monde du dedans [...] et (b) à la réalité existante» (60). En fait, il ne correspond ni à mon espace de Montréalaise chercheure et metteure en scène ni à celui du «rat» ou de l'itinérant. Winnicott affirme qu'il est un espace intermédiaire, une sorte de «terrain de jeu [...] qui se situe entre la mère [l'Autre] et le bébé [l'individu] ou qui les unit l'un et l'autre» (67). Cette aire de jeu n'appartient pas à la «réalité psychique interne,» pas plus qu'au monde extérieur (73), bien qu'elle existe en dehors de mon univers. Winnicott localise «cette aire importante d'expérience dans l'espace potentiel entre l'individu et l'environnement» (143).

L'expérience à laquelle Winnicott fait référence est, dans la scène de fiction, ce qui résulte du dialogue que le «rat» entreprend avec son personnage imaginaire, passeur potentiel pour le spectateur: «j'ai cherché quelqu'un qui soit comme un ange au milieu de ce bordel, et tu [personnage imaginaire] es là [...] je t'aurais dit au moins ce que j'avais à te dire» (Koltès 63, 52). Pendant la représentation, elle est le produit du dialogue de l'acteur avec son personnage et avec le spectateur interpellé par personnage interposé. Elle est également ce qui ressort du dialogue que j'ai engagé avec «l'autre » pour atténuer la part de terreur qu'il pouvait représenter, qu'il soit fiction – le «rat» – ou réalité – l'itinérant. Cette relation a été entreprise en mettant à contribution tout mon être ou, selon les termes deWinnicott, l'accumulation de mes expériences culturelles (137). Il s'agissait d'effacer l'impression de frayeur, même légère, laissée par ce qui est en dehors de mon aire de contrôle – un procédé reconnu par la psychanalyse. Les éléments qui figuraient en dehors de cette aire de contrôle sont, par exemple, l'environnement du lieu de représentation, l'itinérant et les réminiscences émanant de l'espace scénographique de même que celles du personnage.

En somme, si ce n'avait pas été de ce jeu relationnel, la dimension sociale de la pièce de Koltès aurait pu passer inaperçue. Le drame du personnage interprété par Hyndman serait demeuré une anecdote de fiction sans répercussion sur l'aspect social de la réalité. Comme d'autres spectateurs, j'aurais conservé l'impression première, plutôt désagréable, d'un personnage crachant son passé d'ouvrier étranger et mal payé et son présent de «rat,» trempé par la pluie et pourchassé, en quête d'une chambre pour la nuit ou d'une oreille pour l'écouter. Cette fiction, située à Paris ou à Lyon, serait demeurée comme un fait sans relation avec la réalité de l'itinérant de Montréal quêtant de l'argent, sans relation non plus avec le problème social des marginaux à qui les droits de citoyens ont été retirés.

Sans ce jeu de dialogue en va-et-vient, dont le but est d'effacer, partiellement ou totalement, la frayeur ressentie, je n'aurais pas confronté ma propre réalité de citoyenne montréalaise de naissance à ces deux univers. Au cours de cette expérience d'adaptation à l'environnement, j'ai déterminé les modalités d'existence de mon espace par rapport à celles des autres espaces, tels le Centre- Sud et sa communauté, la maison de chambres, la représentation de La Nuit juste avant les forêts, la scène de la rue Ontario Est. Cette expérience, au risque de me répéter, dépend du savoir, des expériences culturelles, de la mémoire et de la capacité imaginative en tant que spécialiste en théâtre, chaque élément étant indissociable de l'entité que je suis. Ce qui revient à dire que le spectateur organise son parcours en fonction de ce qui le regarde (cf. Mervant-Roux).

La nature du parcours est individuelle, mais le procédé de transition, donnant «forme et vie» à un espace intermédiaire, est universel.Cet entre-deux devient l'espace partagé, le terrain de jeu commun où le spectateur transite pour s'ajuster à ce qui lui est étranger. Il est l'espace potentiel, là où le spectateur entre en dialogue avec l'oeuvre représentée dans un environnement déterminé. Pour Mervant-Roux, il s'agit de l'espace théâtral «[qui] se constitue entre regardants et regardés, il est le champ de leur interaction» (189).

 

NOTES

1 La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, dans la mise en scène de Brigitte Haentjens, avec l'acteur James Hyndman, présentée par les Productions Sibyllines, au 1680 rue Ontario Est, Montréal (Québec), le 26 février 1999 à 20h30.
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2 La présente réflexion a été initiée au cours des discussions qui ont émané de la recherche Autour des lieux théâtraux que Hélène Beauchamp (professeure à l'École supérieure de théâtre de l'Université du Québec à Montréal) a dirigée de 1999 à 2000. Ce projet a été subventionné par le CRSH. Stéphanie Fernet, Stéphane Grenier et Yves Raymond ont également participé au groupe de recherche.
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3 Cette expression est empruntée à Élie Konigson (1987) qui présente les «études des membres de l'Équipe d'Histoire du théâtre, des Spectacles et des Fêtes du Laboratoire de Recherches sur les Arts du spectacle du CNRS» (Les Voies de la création théâtrale 15. 1987). Ces études investissent le théâtre en tant que «phénomène urbain,» elles dévoilent les liens étroitement tissés entre le théâtre et la ville «morphologiquement, culturellement, économiquement. » Elles mettent en évidence les manifestations tangibles des «caractéristiques de cette relation particulière entre un art – le théâtre – plus que tout autre dépendant du champ social, et le cadre où il s'inclut et qui lui donne forme et vie» (11).
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4 Les collaborateurs aux Voies de la création théâtrale 15 sous la direction d'Élie Konigson sont: Georges Banu, Françoise Decroisette, Bernard Faivre, Élie Konigson, Irène Mamczarz, Danièle Monmare, Catherine Naugrette- Christophe, Marcel Oddon.
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5 Marvin Carlson considère l'environnement immédiat selon les aspects extérieurs et intérieurs. L'environnement extérieur comprend l'emplacement dans la communauté, l'organisation physique et les éléments décoratifs de la structure physique d'accueil de l'événement théâtral. L'environnement intérieur inclut les éléments auxquels le spectateur est exposé au cours de la représentation, tels ceux de l'aménagement de l'espace et de la décoration. L'étude historique de Carlson révèle que «in every historical period and in every culture the physical matrices of the theatrical event – where it takes place within the community, what sort of structure houses it, and how that structure is organized and decorated – all contribute in important ways to the cultural processing of the event and must be taken into consideration by anyone seeking to gain an understanding of its dynamics» (204-205).
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6 Marie-Madeleine Mervant-Roux mène une réflexion à partir de données empiriques qu'elle a elle-même recueillies. Au lieu d'utiliser un questionnaire validé par un groupe pilote de spectateurs, méthode adoptée par Eversmann (1996), elle privilégie l'observation de la réalité des salles afin de réduire l'écart entre le discours théorique et la pratique. Elle se sert des résultats d'observations directes pour construire le questionnaire et la grille d'analyse: «Le travail a d'abord consisté à suivre plusieurs fois le déroulement du même spectacle de l'intérieur de ses assistances successives afin d'avoir une première appréhension de ce qui pouvait tenir à elles» (10).
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7 André G. Bourassa, historien du théâtre et professeur associé à l'École supérieure de théâtre de l'Université du Québec à Montréal, a visité des membres de sa famille qui habitaient dans ce secteur de la ville de Montréal. Il a été interrogé pour vérifier la correspondance de ses souvenirs avec les nôtres. Pour la même raison, les services de planification de la Communauté urbaine de Montréal ont été consultés, également des publications utilisées à des fins touristiques mais aussi pour la recherche: Pierre Dupont (Guide de Montréal. Montréal:Quinze, 1978), Céline Grenier (Guide de Montréal. Montréal: Libre Expression, 1983), Betty Quernsey (Montréal à pied. Trad. de Louis Bertrand Raymond.Montréal: Fidès, 1980).
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8 Cette typologie des espaces est issue d'une réflexion qui puise à même les expériences de mise en scène et d'enseignement du théâtre de l'auteure de cet essai. Elle se réfère également à la pratique de metteurs en scène tels que Brigitte Haentjens, Robert Lepage et Jean-Pierre Ronfard, de même qu'aux ouvrages théoriques cités précédemment. La description des espaces par Louise Vigeant présente les avantages d'être générique et d'indiquer les distinctions et les rapports entre les principaux espaces impliqués lors de la représentation théâtrale: «le lieu théâtral et l'espace scénographique forment un dispositif fixe, qui installe les émetteurs et les récepteurs du spectacle dans une relation spatiale spécifique avant même que le spectacle commence, tandis que l'espace scénique est un espace dynamique en constante transformation puisqu'il est cet espace "dessiné"par l'utilisation que l'on en fait, l'espace où les comédiens en action et les objets entrent en relation» (43). Elle rappelle que ces espaces ont été «produits par des émetteurs différents,» «souvent à des moments différents» et «ils remplissent des objectifs qui leur sont particuliers» (42).
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9 En 1990, le Living Theatre avait pignon sur rue dans un quartier que les Newyorkais déconseillaient de fréquenter à pied (272 East Third Street). Nous y avons assisté à une représentation de German Requiem d'Eric Bentley, dans une mise en scène de Judith Malina (juin 1990).
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10 Antérieurement à La Nuit juste avant les forêts, nous avons vu trois mises en scène de Haentjens: Caligula d'Albert Camus, Nouvelle compagnie théâtrale (NCT), salle Denise-Pelletier, 1993; Quartett de Heiner Müller, Espace Go, 1996; Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès, TNM, 1997. Par la suite, nous avons vu, toujours mis en scène par Haentjens, Marie Stuart de Dacia Maraini, TNM, 1999; Électre de Sophocle, Espace Go, 2000; Malina, librement inspiré de l'oeuvre de Ingeborg Bachmann, Espace Go, 2000; Hamlet-Machine de Heiner Müller, Alliance Française, 2001.
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11 Il s'agit d'un entretien avec Brigitte Heantjens, réalisé par Stéphane Lépine qui a été publié dans le programme de Combat de nègre et de chien, 1997.
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12 Nous avons vu Roberto Zucco de Koltès dans la mise en scène de Denis Marleau, présenté au Théâtre Denise-Pelletier (Théâtre Ubu/NCT/FTA) alors que Haentjens était directrice artistique de la NCT en 1993.
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13 «Chasser le rat: sport pratiqué par une certaine jeunesse française qui consiste à chercher des Arabes dans le but d'une bastonnade» («Petit lexique». Dans le programme de La Nuit juste avant les forêts, 1999. 4).
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14 Naugrette-Christophe (1987) examine les caractéristiques architecturales des théâtres – l'emplacement dans la ville, la conception, les dimensions et la décoration tant extérieures qu'intérieures. Elle y observe que, sous le Second Empire, le bouleversement de la carte théâtrale est à l'image de la restructuration de l'habitat urbain et de la ségrégation des classes sociales. Le renouveau urbain (Haussmann) favorise la mise en place d'un réseau de théâtresmonuments entraînant la scission «entre les publics bourgeois et populaires qui auparavant cohabitaient dans les mêmes théâtres» (138). Par exemple, l'intérieur de l'Opéra de Paris devient le prolongement de l'extérieur, le nouvel habitat urbain et du nouvel ordre social.Cette «restructuration du théâtre et de son public dans l'espace de la capitale» (138) est accompagnée de la diminution du nombre de places dans les salles et de l'augmentation de leur prix. Par conséquent, en allant habiter en périphérie, les classes populaires et peu fortunées désertent les théâtres.
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15 Ce bâtiment militaire désaffecté – entrepôt de munitions, situé à Vincennes, hors du centre névralgique parisien, n'était pas destiné aux représentations théâtrales au moment de 1789. Il «abritait en 1970 un certain nombre d'activités artistiques: ateliers du peintre Dubuffet; entrepôt de décors de Jean- Louis Barrault, chassé de l'Odéon; lieu de répétitions pour Jean-Marie Serreau et le Théâtre du Soleil» (Faivre 194).
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16 D'après Denis Bablet, l'aménagement de l'espace scénographique pour 1789 favorise l'interpénétration acteurs-spectateurs: l'action se déploie sur des tréteaux, trois d'un côté et deux de l'autre reliés par des passerelles, parfois pénètre et traverse le public debout au centre de l'arène rectangulaire, tandis que le public assis sur les gradins regarde le spectacle en y «participant» moins directement (79).
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17 Nous nous référons également à l'essai de Petra Kuppers (chercheure dans le domaine des arts du spectacle à Manchester Metropolitan University), «Moving in the Cityscape: Performance and the Embodied Experience of the Flâneur» (1999). Elle emploie le concept du flâneur pour faire contrepoids à certains aspects de la théorie contemporaine présentant le corps humain comme la métaphore de l'inscription des pratiques. Elle effectue une relecture du concept du flâneur en établissant la relation entre le corps-dans-larue (l'idée de Benjamin) et celles du corps-métaphore et du corps-mouvement. C'est à l'aide d'une importante documentation qu'elle a repéré les multiples images du flâneur: un voyeur désintéressé, un solitaire à travers les rues de la ville, une personne qui regarde le spectacle de la vie moderne, un consommateur libéré des contraintes du travail grâce à la modernité, un être vivant y trouvant son espace privé dans l'anonymat de la foule. Elle cite entre autres Valerie Briginshaw (1997) qui associe le flâneur à la liberté de balayer du regard, de visiter les cafés et les magasins à rayons, de se perdre dans la foule, d'observer et d'être observé. La notion de corporalité, sur laquelle Kuppers insiste, a permis d'attirer notre attention sur la présence du spectateur en tant que corps physique (ce que Mervant-Roux a déjà amplement développé, 1998), de même que espace privé dans un espace public. Le privé est pour le spectateur ce qui est intérieur et le public, ce qui est extérieur.
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18 L'auteure de l'essai souligne.
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19 D.W.Winnicott, au cours de sa carrière de psychanalyste, a observé les très jeunes enfants et les bébés en train de jouer. Il considère le jeu comme un phénomène assurant «une transition entre moi et non-moi, [...] l'enfant et la mère» (IX, X). Il s'agit d'un jeu d'adaptation à notre environnement (XIII) cherchant à contrôler l'espace externe et l'espace interne, le dehors et le dedans (XIV). (J. B. Pontalis, traducteur et préfacier.Winnicott. Jeu et réalité. 1975.)
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OUVRAGES CITÉS

Bablet, Denis. «Différent le Théâtre du Soleil.» Dans Travail théâtral (supp.). Lausanne: La Cité, février 1976.

Carlson, Marvin. Places of Performance: The Semiotics of Theatre Architecture. Ithaca (N.Y.): Cornelle University Press, 1992.

Decroisset, Françoise. «Florence et ses théâtre (XVIIe-XVIIIe s.).» Dans Les Voies de la création théâtrale - 15. Éd. Elie Konigson. Paris: CNRS, 1987.

Eversmann, Peter G. F.De ruimte van het theater. Een studie naar de invloed van de theaterruimte op de beleving van voor stellingen door de toeschouwer. dissertation universiteit van Amsterdam:Amsterdam, 1996.

Faivre, Bernard. «Décentrements (Suresnes 1951; Aubervilliers 1965; La Cartoucherie 1970).» Dans Les Voies de la création théâtrale - 15. Éd. Elie Konigson. Paris: CNRS, 1987.

Haentjens, Brigitte. Dans programme: Quartett. Espace Go, du 9 avril au 11 mai 1996.

—. «Mot de la metteure en scène.» Dans programme: Combat de nègre et de chien. Théâtre du Nouveau Monde, 11 novembre au 6 décembre 1997.

Koltès, Bernard-Marie. La Nuit juste avant les forêts. Paris: Les Éditions de Minuit, 1998.

—. «Le théâtre par ceux qui le font.» Dans Europe, revue littéraire mensuelle 61e année, nº 648.

Konigson, Élie. «Le spectateur et son ombre.» Dans Le Corps en jeu. Éd. Odette Aslan. Paris: CNRS, 1995.

—, éd. Les Voies de la création théâtrale 15, «le Théâtre dans la ville.» Paris: CNRS, 1987.

Kuppers, Petra. «Moving in the Cityscape: Performance and the Embodied Experience of the Flâneur.» In New Theatre Quaterly 60 (1999): 308-317.

La Nuit juste avant les forêts, programme. Productions Sibyllines inc., du 2 au 20 février 1999.

Larrue, Jean-Marc, «Le Sens du lieu: nouvelles approches.» Dans Étudier le théâtre, Studying Theatre, Estudiar el teatro, Actes des colloques 1997 et 1999 de l'Association internationale du théâtre à l'université, Salaberry-de- Valleyfield: AITU Press/Presses collégiales du Québec, 2001.

Lépine, Stéphane, «L'Afrique: le lieu de passage.» Dans programme: Combat de nègre et de chien. Théâtre du Nouveau Monde, 11 novembre au 6 décembre 1997.

Mervant-Roux,Marie-Madeleine. L'Assise du théâtre: pour une étude du spectateur. Paris: CNRS, 1998.

Naugrette-Christophe, Catherine. «La fin des promenades: les bouleversements de la carte des théâtres dans le Paris du Second Empire.» Dans Les Voies de la création théâtrale - 15. Éd. Elie Konigson. Paris: CNRS, 1987.

Other Voices: The (e)Journal of Cultural Criticism. Chief Ed. Vance Bell. 1997. English Dept., Pennsylvania U. The Flâneur, 31 Mar 2002.

Purkhardt, Brigitte. «Bernard-Marie Koltès et la face cachée du désespoir.» Dans Cahiers de théâtre JEU 87 (1998): 2.

Vigeant, Louise. La Lecture du spectacle théâtral. Laval (Québec):Mondia, 1989.

Winnicott, D.W. Jeu et réalité. L'espace potentiel. Trad. de Claude Monod et J.-B. Pontalis. Préface de J.-B. Pontalis. Paris: Gallimard, 1975.