Michel Vaïs , L’accompagnateur. Parcours d’un critique de théâtre.

Hervé Guay
l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Montréal

Michel Vaïs , L’accompagnateur. Parcours d’un critique de théâtre. Montréal, Varia, 2006, 384 pp.

1 L’Accompagnatrice est le titre d’un roman bref et cruel de Nina Berberova. La romancière russe, exilée à Paris puis aux États-Unis, y dépeint une pianiste à la sensibilité exacerbée que la vie a forcé à vivre dans l’ombre d’une diva. À son tour, le critique de théâtre montréalais, Michel Vaïs, reprend le terme—au masculin, cette fois—et le colore d’un sens positif pour rendre compte d’une pratique de la critique théâtrale qui s’est échelonnée sur une trentaine d’années. Ne serait-ce qu’en raison de la longévité professionnelle de celui qui l’a écrit, L’accompagnateur, paru en 2006 aux Éditions Varia, revêt un caractère exceptionnel. Il n’est pas fréquent, en effet, qu’un journaliste qui a longtemps gagné sa vie en travaillant à la radio publique comme spécialiste de théâtre revienne sur son parcours.

2 C’est d’ailleurs « [l]a disparition, en mai 2001, de la dernière émission où [il a] collaboré régulièrement, Un dimanche à la radio, et, peu après, l’abolition de toute la Chaîne culturelle » (359) de Radio-Canada qui ont conduit Michel Vaïs à composer l’ouvrage de près de 400 pages. Il appelle même un « deuil de micros » (17) le passage à vide qui l’a mené, non à se lancer dans un tout nouveau projet d’écriture, mais à tenter de faire du neuf avec du vieux. Le critique a ainsi fabriqué ses « mémoires »—la directrice du Théâtre du Nouveau Monde, Lorraine Pintal, emploie elle-même le mot dans la préface de l’ouvrage—en recyclant, à divers degrés, une centaine d’articles qu’il a publiés au fil des ans, pour l’essentiel dans les Cahiers de théâtre Jeu. Au bout du compte, ce matériau composite forme l’épine dorsale d’un itinéraire en trois étapes.

3 La première partie porte sur « Les années de formation » du jeune homme. Au départ, le critique était nettement plus enclin à jouer qu’à réfléchir sur l’art dramatique. Il y relate en gros son aventure d’acteur au sein de la troupe des Saltimbanques (1962-1969). Il donne une idée de la différence que peuvent faire des amateurs éclairés dans une vie théâtrale encore relativement peu diversifiée. Le tout est précédé d’une dizaine de pages véritablement autobiographiques, d’une réelle sensibilité, qui laissent entrevoir le tour qu’aurait pu prendre l’essai s’il eût été entièrement original.

4 Dans la seconde partie intitulée « Le métier de critique », l’auteur traite des deux milieux de travail qui furent les siens : une revue spécialisée et une radio culturelle. Il décrit, dans le détail, le fonctionnement de ces médias ainsi que les diverses affectations qu’on lui a confiées. Il fait ensuite un détour pour mettre en valeur son engagement au sein des associations québécoise et internationale de critiques de théâtre.

5 Dans la troisième partie, la plus disparate de toutes, Michel Vaïs revient sur des expériences auxquelles il a participé (Acte III) ou dont il a été témoin (le NTE, l’Espace Go, le FTA, le théâtre d’été, la sexualité et le nu) et qui ont en commun d’être situées en marge du théâtre officiel. Cette section cherche à ancrer dans l’esprit du lecteur l’idée selon laquelle, au cours de sa carrière, le critique s’est fait principalement l’avocat d’un théâtre de recherche—ce qui reste à voir.

6 Tout compte fait, L’Accompagnateur se révèle un livre d’une impureté qui, pour s’avérer actuelle, n’est pas totalement convaincante. L’auteur adopte parfois un ton franchement personnel qu’il délaisse le chapitre suivant, matériel recyclé oblige, pour décrire plus objectivement une expérience collective, pour émettre des opinions ou pour se livrer à des anecdotes où, le plus souvent, il se donne le beau rôle. Reconnaissons toutefois que ces changements de registre se font à visage découvert. En vérité, il règle quelques comptes (avec Robert Lévesque, entre autres) et cite ses sources avec un acharnement d’archiviste.

7 De plus, que faut-il penser de ses vues sur la profession ? « La posture que je propose, écrit-il, est celle du critique comme accompagnateur de théâtre. Plutôt que de demeurer constamment à distance, ce critique ne craint pas de parler à des artistes, de faire partie de jury, de décerner des prix, de favoriser la diffusion des meilleurs spectacles » (p. 19). Or, cet accompagnateur se définit davantage par ses interventions personnelles, extérieures à ce qu’il a écrit ou dit, que par la crédibilité ou l’indépendance de sa parole publique. Étrangement, cela ressemble plus à la description de tâche d’un lobbyiste qu’à la proposition d’un Todorov, par exemple, en faveur d’une critique dialogique. Du coup, le lecteur s’étonne moins que Vaïs s’étende si peu sur les spectacles qui l’ont marqué—c’est la part d’ombres de son livre—andis qu’il décrit en détails l’influence dont il a usé pour favoriser la circulation de productions qu’il a sûrement appréciées.

8 Cela étant, les trente ans de métier de Michel Vaïs finissent tout de même par brosser un portrait singulier du milieu théâtral québécois, saisi dans sa relation avec les médias, du début des années soixante jusqu’à nos jours. Son expérience rappelle surtout à quel point la critique est « une voie d’expression précaire, mal aimée, incomprise » (p. 365), mais à laquelle quelques-uns survivent plus longtemps que d’autres. Sur ce point et par le sens de la mémoire qui s’en dégage, ce récit rejoint celui de L’accompagnatrice de Nina Berberova. En revanche, le bilan que dresse le journaliste culturel d’une existence «happé[e] par le théâtre » (p. 23) n’en paraît pas moins auréolé d’un certain lustre, le théâtre, l’ayant moins déçu, au fond, que le monde médiatique et ses inconstances.