André Paiement. Les partitions d'une époque. Les pièces d'André Paiement et du Théâtre du Nouvel-Ontario (1971-1976); Micheline Fournier-Thibault. André Paiement (1950-1978), avant tout un homme de son temps

François Paré
l'Université de Waterloo

André Paiement. Les partitions d'une époque. Les pièces d'André Paiement et du Théâtre du Nouvel-Ontario (1971-1976) 2 volumes, chacun préfacé par Joël Beddows, édition préparée par Joël Beddows et Denise Truax. Sudbury, Prise de Parole, Coll. « Bibliothèque Canadienne-Française », 2004, 279 p. & 353 p. $25.00Micheline Fournier-Thibault. André Paiement (1950-1978), avant tout un homme de son temps. Sudbury, Institut Franco-Ontarien et Prise de Parole, Coll. « Ancrages », 2004, 201 p. $ 22.00.

1 La publication et la normalisation linguistique des textes dramatiques d'André Paiement et des divers collectifs du Théâtre du Nouvel-Ontario (T.N.O.) s'imposaient largement. En effet, plusieurs de ces écrits avaient fait l'objet d'une parution hâtive et surtout fautive peu après la mort prématurée de Paiement en 1978. Étant donné l'importance réelle de ce théâtre dans l'histoire récente de la littérature franco-ontarienne, il importait d'offrir aux chercheurs et au public lecteur en général une édition plus sûre et plus facilement lisible.

2 Dans les préfaces distinctes qu'il a écrites pour chacun des deux volumes, parus en 2004, Joël Beddows nous rappelle avec raison qu'il faut aujourd'hui à tout prix donner l'heure juste et rétablir l'intégralité des textes créés durant les premières années du T.N.O. Les œuvres attribuées entièrement à la plume de Paiement dans les trois tomes de 1978 étaient, à l'exception de Lavalléville, le résultat de créations collectives auxquelles la plupart des comédiens avaient contribué librement. Paiement n'en était donc pas l'unique auteur. Beddows fait remarquer le travail crucial du directeur de la troupe de l'Université Laurentienne, Pierre Bélanger, qui avait su donner à l'époque une impulsion très particulière aux œuvres produites en collaboration. Si André Paiement a été le « scribe » de la troupe, on ne peut lui attribuer entièrement l'orientation socio-politique et le contenu d'œuvres emblématiques comme Moé j'viens du Nord, 'stie ou Et le septième jour.Cela dit, le scrupule que nous ressentons aujourd'hui devant l'appropriation de ce théâtre collectif par un seul écrivain ne se pose pas avec autant d'acuité que le prétend Beddows. Une œuvre comme Et le septième jour, mettant en scène un speed-freak du nom d'André, a beau avoir été composée par l'équipe des comédiens, elle porte entièrement la signature obsessionnelle de Paiement, tant dans son langage que dans la centralité confiée à la voix auto-biographique du speed-freak.

3 Le premier volume de ces « partitions d'une époque » reprend les textes des créations collectives du Théâtre du Nouvel-Ontario. Outre Moé j'viens du Nord, 'stie, on y retrouve donc Et le septième jour, À mes fils bien-aimés et La vie et les temps de Médéric Boileau. Comme l'indiquent les responsables de cette nouvelle édition, les textes fort incorrects des trois volumes commémoratifs parus en 1978 ont été profondément remaniés et augmentés. L'édition proposée par Beddows et Truax présente un texte plus lisible et plus professionnel sur le plan des codes dramaturgiques, mais elle n'est pas sans faille. Certes, la plupart des fautes syntaxiques et des anglicismes, très nombreux dans les didascalies, ont été revus. En fait, tout le système didascalique a fait l'objet d'une refonte qui a peu à voir avec les textes antérieurement publiés. Dans sa notation à chaud des dialogues créés collectivement, Paiement n'avait pas accordé une très grande importance à la subtilité stratégique des didascalies, d'autant que les pièces, conçues sous forme d'événements spontanés, se refusaient à toute consignation dramaturgique. Dans Moé j'viens du nord, 'stie, des pages entières avaient été omises en 1978 et ont été restituées dans l'édition actuelle.

4 Cependant, certaines décisions éditoriales me semblent contestables, en l'absence de notes justificatives. En tentant de corriger la transcription approximative de l'oral dans les textes originaux, Beddows et Truax altèrent parfois considérablement le ton des répliques. La simple régularisation du « toi » en un « toé » systématique pour tous les personnages, quelle que soit la situation, alors qu'elle était variable dans l'édition de 1978, me semble une réduction déplorable.Ainsi dans la scène 5 du cinquième jour de Et le septième jour, la solennité des personnages veillant autour du speed-freak mourant me semble complètement perdue par l'utilisation du pronom « toé » ou de l'adverbe « ben ». J'ignore ce que le manuscrit de cette pièce indiquait—les éditeurs ne nous donnent pas ces variantes —, mais l'édition de 1978 était beaucoup plus complexe dans sa consignation de l'oralité.

5 Cela dit, on admirera sans réserve les textes du volume 2, et surtout l'adaptation étonnante par André Paiement du Malade imaginaire de Molière. Il ne fait pas de doute que cette œuvre devrait faire l'objet d'une étude approfondie dans le contexte de projets semblables au Québec et aux Etats-Unis à la même époque. L'édition Beddows-Truax présente en appendice les notes manuscrites de Bienvenue nineteen eighty-four, pièce que Paiement n'a jamais pu développer, et la musique des nombreuses chansons de Robert Paquette et de Marcel Aymar qui accompagnaient les pièces du T.N.O. En dépit de certaines décisions discutables, Les partitions d'une époque relanceront à coup sûr l'étude de ce théâtre de création, en tant qu'objet esthétique, et attireront l'attention sur ses limites intrinsèques.

6 Pour accompagner cette nouvelle version des créations collectives du Théâtre du Nouvel-Ontario, les éditions Prise de Parole ont choisi de publier simultanément l'essai biographique de Micheline Fournier-Thibault sur André Paiement. On sait que le suicide de Paiement, à l'âge de 28 ans, a mis fin à une carrière théâtrale et musicale aussi brève que fulgurante. Comme Beddows et Truax, Fournier-Thibault cherche à rétablir les faits bruts que la mort prématurée de Paiement, rapidement sacralisée, a grandement obscurcis. S'inspirant du journal personnel et surtout de l'abondante correspondance de Paiement, la biographe reconstitue certains éléments de l'enfance de l'écrivain à Sturgeon Falls dans le nord de l'Ontario, puis les études « ratées » au Collège du Sacré-Cœur et à l'Université Laurentienne de Sudbury. Nous y découvrons Paiement dans la mouvance contreculturelle qui gravite autour de Pierre Bélanger et de Fernand Dorais au début des années 70. Collaborateur à la sensibilité charismatique, le jeune comédien réussira peu à peu à s'imposer comme la figure centrale de la troupe universitaire. Au moment où il succède à Bélanger à la tête du T.N.O., Paiement a déjà la stature victimaire, menacée de l'intérieur à l'exemple de la culture minoritaire elle-même, dont toute l'entreprise du T.N.O. et plus tard de CANO-Musique se nourrira.

7 Curieusement, la biographie trop brève de Micheline Fournier-Thibault nous en apprend moins sur le travail d'André Paiement que sur celui, étonnamment plus important, des premiers directeurs de la troupe de l'Université Laurentienne, surtout Pierre Bélanger et Yvan Rancourt. Il est certain que, sans ces deux hommes, convaincus de l'engagement politique de la scène, le théâtre franco-ontarien moderne ne serait pas né de l'effervescence culturelle sudburoise. Certains éléments de la biographie de Paiement confirment également le rôle crucial de Robert Paquette et de Michael Gallagher qui font tous deux le pont entre l'expérience du T.N.O. et celle de CANO-Musique. Enfin, Micheline Fournier-Thibault attire notre attention sur les liens étroits entre l'équipe de Pierre Bélanger au T.N.O. et le milieu théâtral québécois. On a souvent noté que le théâtre franco-ontarien était issu d'une lecture enthousiaste des mouvements contre-culturels américains. Cette interprétation oblitère l'expérience directe d'André Paiement au Théâtre Populaire du Québec et les nombreux contacts qu'entretenait les membres du T.N.O. avec les instances montréalaises.

8 Cet ouvrage reste plutôt superficiel dans son analyse des événements biographiques, et surtout il s'aventure rarement dans l'histoire des textes. Il aurait été intéressant d'offrir aux lecteurs et lectrices des extraits de la correspondance d'André Paiement (le catalogue des lettres en fin d'ouvrage n'est pas très utile!). On aurait dû abstraire de cet ouvrage toute auto-censure. L'utilisation de lettres (K., P., J., etc..) pour parler des individus ayant côtoyé André Paiement renvoie à une histoire mal assumée et démontre à elle seule la faiblesse de cet ouvrage en tant que travail d'érudition.

9 Ces trois livres réussiront sans doute, parfois malgré eux, à replacer la figure d'André Paiement dans le contexte institution-nel où elle a pu naître et s'abolir dans le récit de naissance de toute une culture. Les magnifiques photographies qui accompagnent l'ouvrage de Micheline Fournier-Thibault rendent compte à la fois de la véritable passion qui animait cette institution et du caractère caricatural des masques et des voix qu'elle faisait miroiter sur scène.