Legris, Renée. Hubert Aquin et la radio. Une quête d'écriture (1954-1977).
Caroline Garand1 Fruit d'une minutieuse recherche historique et documentaire, effectuée dans le cadre d'un projet d'édition critique des œuvres d'Hubert Aquin, le livre de Renée Legris se donne pour mission de démontrer l'importance de l'œuvre radiophonique de l'auteur, depuis son embauche comme réalisateur à Radio-Canada, au moment où se terminent ses études et errances parisiennes en 1954, jusqu'à sa mort en 1977. Déjà large et complexe du fait de la longue période couverte, l'étude est encore complexifiée par les choix ou, plutôt, l'absence de complaisance de Renée Legris. En effet, loin de se limiter à rendre compte de la dite production radio-phonique, l'auteure la contextualise avec rigueur et ampleur, analysant tout autant les sources d'Aquin que son influence dans le milieu culturel, prenant le pari de faire ressortir la continuité et la cohérence de l'univers aquinien en opposition aux ruptures identifiées par les études précédentes.
2 Concrètement, le livre est divisé en deux parties, comprenant respectivement trois et cinq chapitres, ceux-ci couvrant chacun une sphère ou un aspect particulier de l'activité radiophonique d'Aquin. Si le premier chapitre est d'abord consacré aux années de formation d'Aquin à Paris, montrant comment les circonstances l'ont amené à tourner le dos à une carrière dans le domaine politique pour se consacrer aux médias, il fait par la suite office de seconde introduction en proposant un rapide survol de l'ensemble de la carrière de l'auteur à Radio-Canada qui prépare les chapitres à venir.
3 Ainsi, c'est au second chapitre que l'étude commence véritablement, avec une analyse du travail de réalisation d'Aquin, dans le secteur éducatif et culturel. Au moment où Aquin y arrive, Radio-Canada propose certes des radio-romans pour conserver et augmenter son auditoire, mais, surtout, cherche développer le goût de cet auditoire pour des émissions plus en accord avec son idéal culturel et éducatif. Et Aquin fait plus que consolider la qualité du secteur, il contribue largement à y installer la modernité. Après la réalisation, c'est l'écriture dramatique qui est présentée dans le chapitre suivant. Peu connues, La toile d'araignée et Confession d'un héros apparaissent pourtant, à la lumière de la minutieuse étude qui en est faite, comme des expériences fondatrices dans le développement de l'esthétique d'Hubert Aquin. Mais, il délaissera par la suite le théâtre radiophonique en raison du nombre trop limité d'auditeurs, mot qu'il emploie au singulier et qui ne s'incarne, selon lui, qu'en la personne d'un « marin perdu dans l'Atlantique » (Lettre à Pierre Pagé, 12 février 1973).
4 La seconde partie de l'étude, pour sa part, s'articule autour du travail d'Aquin en tant que producteur d'émissions éducatives et culturelles et de documentaires. Cette partie démontre à quel point Aquin a influencé la vie intellectuelle au cours des décennies 60 et 70. En effet, que ce soit avec le programme intitulé Les hommes illustres, pour lequel il écrit des émissions sur Pascal, Dostoïevski et Malraux; L'homme américain, pour lequel il prépare les émissions dédiées à la politique; ou Philosophes et penseurs, dans lequel il va de Moïse à Sartre, Aquin identifie, discute et analyse thèmes et questions en lien avec son époque mouvementée. Il y établit ainsi les fondements de l'univers qui prendra son plein envol dans son œuvre romanesque, monument aux doutes et élans qui marquent le passage de la modernité à la postmodernité, de la soumission aux rêves d'indépendance. Or c'est particulièrement à travers les deux documentaires qu'il réalise, objets du dernier chapitre de l'étude de Legris, que son tribut à l'esthétique postmoderne s'inscrit avec éclat. Ainsi, avec Don Quichotte, le héros tragique et Paul-Émile Borduas et le Refus global, l'auteur du roman Prochain épisode signe des émissions qui défient les normes communes de la radio-diffusion en utilisant les techniques de l'art contemporain, dont le collage et le fragment.
5 Documenté avec soin, construit avec rigueur, d'une remarquable érudition, Hubert Aquin et la radio est un ouvrage précieux : non seulement permet-il de mieux comprendre l'univers aquinien en explorant une part de sa production longtemps restée dans l'ombre de ses romans, mais il rend aussi compte de la complexité d'une époque dont Aquin a été l'un des acteurs de premier plan.