Introduction

Théâtre et immigration :

de la Loi sur le multiculturalisme jusqu’aux lieux de l’imaginaire national1

Yana Meerzon
University of Ottawa

1 Au Canada anglais, la Loi canadienne sur le multiculturalisme de 1988 a ouvert la voie à l’étude des pratiques théâtrales dites ethniques, multiculturelles et interculturelles.2 Au Québec, la Loi 101 de 1977, ou Charte de la langue française, qui statua des droits linguistiques fondamentaux de la population du Québec et devint « le fer de lance de la lutte pour la reconnaissance de la culture et de nation québécoises », circonscrit de semblables questions théoriques et artistiques (Knowles et Mündel XVI). Aujourd’hui, toutefois, avec le flux croissant d’immigrants tant au Canada anglais qu’au Québec, le public urbain tend aussi à se diversifier de façon croissante et les productions théâtrales des artistes immigrés « n’ont plus à viser le public blanc de classe moyenne fréquentant traditionnellement les grandes salles [. . .] ou les communautés strictement définies par leur culture ou leurs champs d’intérêts » (XVII). Le présent numéro thématique entend analyser, voire remettre en question, cette déclaration sous l’angle de la production culturelle, personnelle et artistique des praticiens du théâtre issus de l’immigration, mais faisant partie des communautés théâtrales canadienne et québécoise depuis plusieurs décennies.

2 Dans son ensemble, le numéro défend la thèse que la représentation de l’immigrant et de l’immigration sur scène institue un changement autoréférentiel dans le théâtre canadien. La présence croissante d’artistes immigrés contribuant activement à la vie théâtrale au Canada et au Québec invite les publics à repenser des concepts fondamentaux comme le nationalisme et le multiculturalisme. En outre, comme ce dossier veut le démontrer, les préoccupations et l’esthétique théâtrales des artistes immigrés situent les questions d’immigration dans les pratiques et dans un discours théâtral plus larges dans leur rapport à la mondialisation et à la mobilité des identités dans le monde. Ainsi, les articles retenus visent à mesurer la production théâtrale provenant des immigrants au Canada sous l’angle des théories postcoloniales et interculturelles de la performance, des études en linguistique et en sémiotique culturelle, de la psychanalyse et de la géographie culturelle. Ils poursuivent donc une réflexion amorcée dans Recherches théâtrales au Canada et dans Jeu3 et reflètent les débats, encore d’actualité, sur le théâtre et l’immigration qui ont eu lieu lors des colloques de l’Association canadienne pour la recherche théâtrale de 2013 et 2014 ainsi que dans mon propre ouvrage sur le théâtre et l’exil, paru en 2012.

3 D’un point de vue terminologique, nous avons voulu nous éloigner de la conception métaphorique et quelque peu poétisée de « l’artiste de l’exil », celui qui est ou cherche à être dans une position existentielle d’étranger ou de marginal, vision renforcée par les conditions sociales, politiques, économiques et physiques de la fuite (Meerzon 4-8).4 Le concept est plutôt pragmatique : nous utilisons le terme « artiste immigrant », suivant la définition donnée par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour les réfugiés politiques, travailleurs qualifiés, investisseurs, entrepreneurs et immigrants travailleurs autonomes admissibles à l’emploi au Canada. Cet « immigrant » doit être diplômé, au Canada ou à l’étranger, démontrer une bonne connaissance de l’anglais ou du français et avoir travaillé au moins un an sans interruption et contre rémunération dans sa profession principale (« Skilled Immigrants »). Le terme « artiste dramatique immigrant » renvoie à un nouvel arrivant titulaire d’un diplôme post-secondaire en théâtre, ayant de l’expérience dans la profession et cherchant à gagner sa vie au Canada ou au Québec dans le domaine du théâtre en anglais ou en français.

4 Au milieu des années 1990, lorsque le gouvernement libéral a assouplit les politiques d’immigration et les conditions d’obtention du statut de réfugié, le Canada est devenu un pays de choix pour les chercheurs d’asile. Ces modifications ont entraîné ce que Bricker et Ibbitson appellent The Big Shift (2), le virage le plus important de la fin du vingtième siècle pour la population canadienne :

La population a augmenté de 5,9 pour cent depuis cinq ans [environ depuis 2010]. À peu près le tiers de cette augmentation provient de la croissance démographique naturelle (plus de naissances que de décès). Les deux-tiers qui restent—67 pour cent plus précisément—proviennent de l’immigration. [. . .] Comme le Canada est l’un des pays les plus urbanisés [. . .] les immigrants s’installent dans les villes. [. . .] Toronto est peuplé à 46 pour cent de non-natifs; Vancouver à 30 pour cent; Winnipeg affiche un respectable 18 pour cent, tandis que Halifax n’en compte que 7 pour cent. (traduction libre, 21-22)

À la lumière de ces statistiques et des récentes tentatives du gouvernement Harper visant à exercer une plus grande influence sur la composition de la main d’œuvre au Canada au moyen de nouvelles politiques d’immigration5 —entre autres, en voulant attirer des travailleurs qualifiés et des professionnels préférablement formés au Canada grâce à des permis étudiants (« Harper Government »), ce que certains perçoivent comme une tentative de modelage sociétal (Dobbin) —, il est temps d’examiner le rôle des immigrants dans la transformation de l’image que le Canada a de lui-même.

5 Un artiste immigrant ne possède peut-être pas ce que le gouvernement Harper qualifierait de compétences recherchées et utiles à l’avancement de l’économie nationale. Néanmoins, cet artiste constitue un sujet hautement symbiotique et cosmopolite, capable de questionner de l’intérieur les structures de gouvernance administratives et financières du pays. C’est une personne susceptible de questionner la morale et l’éthique collectives, de rappeler à la population et au gouvernement leurs engagements et leurs promesses et de révéler l’idéologie sous-jacente en matière d’immigration « plutôt que des solutions fondées sur des données » (traduction libre, Niren, cité dans Radia). En outre, l’approche actuelle en immigration expose le Canada à certaines erreurs récemment commises dans d’autres pays occidentaux : « [c]ontrairement à la tendance vers la mondialisation », écrit le journaliste Andy Radia, des pays comme le Royaume-Uni, la France, le Danemark, l’Italie et l’Allemagne « ont adopté des positions plus isolationnistes sur l’immigration et la citoyenneté » (Radia). Pour Radia, « [c]’est le contraire de ce dont le Canada a besoin comme approche », étant donné la longue tradition d’édification d’une nation fondée sur l’apport physique, émotionnel et social des immigrants. Ainsi, à la lumière de ces nouvelles, et plutôt dangereuses, orienta- tions données par le gouvernement Harper aux politiques d’immigration, ce numéro théma- tique aborde les questions suivantes : si le Canada doit repenser son image en tant que nation constamment remodelée par l’immigration, comment les immigrants, et en particulier les artistes du milieu théâtral, participent-ils à ce processus ? Dans quelle mesure leur voix est- elle ou sera-t-elle entendue par différents publics, par les institutions au pouvoir et leurs représentants ? Et quel programme artistique et idéologique ces artistes proposent-ils dans la réévaluation des politiques nationales de multiculturalisme et de nationalisme ?

6 Les articles sélectionnés pour ce numéro démontrent que l’apport artistique des immigrants aide les publics canadiens, qui sont diversifiés sur les plans culturel, linguistique et ethnique, à gérer leurs similitudes et de leur différences. Les articles décrivent les processus complexes de négociation qui caractérisent les mécanismes communicationnels entre immigrants et natifs, tant dans le quotidien que dans l’œuvre artistique. Chacun traite de questions fondamentales en rapport avec l’immigration et la création artistique. Parmi ces sujets, notons la re-conception/reconstruction du soi en fonction a) de la perte ou de l’acquisition de la langue et de l’accent au travail (Diana Manole); b) du rapport à l’histoire (Eury Chang); c) de problèmes d’accueil (Sheila Rabillard); d) du rapport au temps et à la mémoire (Manuel Garcia Martínez); e) de l’insertion personnelle dans l’espace (Andrew Houston); f) d’une conscience scindée (Yana Meerzon). Cynthia Ashperger et Lina de Guevara traitent d’immigration à partir de leur propre expérience. Par leur contribution dans la section Forum, ces deux actrices immigrées jettent un regard sur l’expérience vécue par les femmes immigrantes, exposées aux regards et aux jugements dont elles font l’objet non seulement dans leurs vies quotidiennes, mais aussi sur scène en tant qu’interprètes professionnelles.

7 Le second objectif de ce numéro est de démontrer que l’apport idéologique et la production théâtrale des communautés immigrantes peuvent révéler les mécanismes de construction du nationalisme canadien.6 À la suite d’Alan Filewod, pour qui le théâtre canadien procède et participe de la création d’une « communauté imaginée » par l’art (1-11), les articles ci-inclus affirment que le théâtre immigrant peut aussi être perçu comme tributaire d’un tel mouvement. Filewod applique au Canada anglais le concept de nation de Benedict Anderson en tant que « communauté imaginée » et affirme que, dans ce contexte, « l’expression théâtre canadien a toujours signifié un théâtre imaginé contraint (et souvent paralysé) par la matérialité théâtrale de l’époque. C’est une expression qui porte le désir d’une certaine collectivité nationale et qui a donné lieu à des débats houleux » (10). Ainsi, Filewod présente le récit du théâtre national canadien comme un projet historique à la recherche de sa propre authenticité, quand « théâtre et nation fusionnent à un point d’authenticité imaginée : la vraie nation est là et le vrai théâtre en est l’articulation » (10). Un tel cadre conceptuel non seulement procure une structure productive pour réfléchir sur les contextes historiques variés du théâtre canadien, mais offre également une base solide pour contextualiser de nouvelles recherches sur le rôle des artistes immigrants dans la fabrication du théâtre et la construction de nouvelles communautés imaginées dans le Canada actuel.

8 Erin Hurley, quant à elle, s’appuie sur l’idée de postmodernisme de Baudrillard en tant que culture de la simulation et de l’imitation pour proposer une définition de la culture de l’immigrant au Québec (en termes similaires à Filewod) en tant que culture de la simulation, reproduisant dans sa production artistique les structures sociales, linguistiques et artistiques de la communauté d’accueil » (90-93). Elle analyse le corpus dramaturgique de Marco Micone, auteur québécois d’origine italienne, comme exemple de ce processus, soutenant qu’il aborde « la question de la différence ethnique à partir de cet espace exigu et dans un mode de simulation » (90). Par ce choix, précise Hurley, le théâtre de Micone (et tout autre projet immigrant par extension) « répond au centre de l’institution littéraire québécoise [. . .] dans un mécanisme qui non seulement décentre le centre mais le déracine » (90). Ce faisant, il « reproduit une politique féministe qui s’oppose au fantasme national masculiniste de l’autocréation» (90).

9 Notre numéro tente d’étoffer les deux arguments: les articles de Manole, Ashperger et Guevara montrent que, depuis des années, par leurs pièces et leurs productions, leur jeu et leurs mises en scène, les artistes immigrants (consciemment ou non, soutenus ou non par la critique, les organismes subventionnaires et culturels) créent concrètement ces communautés imaginées du théâtre canadien et québécois. Souvent, par leurs discours sur des événements traumatisants de leur propre histoire, ces artistes engendrent des « ailleurs » fictionnels et des environnements scéniques du « retour au pays ». Présentés à divers publics canadiens, ces environnements autoréflexifs, accentués, ironiques, méta-théâtraux et étranges sont temporairement devenus la représentation des communautés imaginées (immigrantes) communes; ils reflètent les épreuves inhérentes à l’acquisition de la langue seconde et reconnaissent, questionnent et négocient les éléments artistiques, idéologiques et performatifs qui font que le théâtre canadien ou québécois est ce qu’il est.7 Pour de nombreux artistes immigrés, monter sur scène est en soi un processus de création de ces communautés imaginées, une nouvelle patrie, qui « transcende la spécificité culturelle et promeut le développement d’une identité forgée par la vie au théâtre davantage que dans la société » (Turner 23).

10 La première étape dans le développement d’une communauté imaginée au théâtre est d’élaborer une nouvelle dramaturgie mettant en scène l’image que la nation se fait d’elle- même » (Filewod 7-8). Le même raisonnement peut s’appliquer au théâtre immigrant : tout commence par l’établissement d’un canon dramaturgique. Par exemple, les pièces de Marco Micone offrent un bon exemple de l’esthétique et du répertoire thématique du théâtre immigrant. Ces pièces se penchent sur des questions comme la perte et l’acquisition de la langue, les conflits intergénérationnels, la nostalgie, le déplacement, les difficultés écono- miques et le désir de l’immigrant de reconstituer une image de la patrie dans le nouveau pays. Ces sujets sont souvent abordés dans la littérature et la dramaturgie de l’immigration. Plus important encore, comme Martínez le montre dans son article, les pièces de Micone s’attaquent au problème du temps : une catégorie existentielle de l’expérience humaine devenue, dans le contexte de l’immigration, une caractéristique culturelle et un outil artis- tique pour mesurer l’aliénation psychologique et culturelle vécue par les immigrants dans un nouveau pays.

11 La deuxième étape dans la construction d’un théâtre national est la production d’œuvres reflétant les changements survenus dans l’élaboration de la nation. Dans le cas de l’immigration, cela signifie mettre en œuvre des projets théâtraux reflétant les changements dans les pratiques de migration et dans leur interprétation artistique, comme le démontrent Eury Chang et Sheila Rabillard. Cette étape s’applique plus particulièrement au travail des immigrants de deuxième génération, désireux d’explorer comment l’identité de l’immigrant peut se construire sur scène. Pour les artistes arrivés au Canada lorsqu’ils étaient enfants ou qui sont nés après l’immigration de leurs parents, comme c’est le cas pour Marty Chan, David Yee, Betty Quan, Johnny Trinh, David Lam, Nancy Tam et Mani Soleymanlou (pour ne nommer que ceux-là), les questions d’appartenance, d’identité personnelle et linguistique, les problèmes de classes et de représentations ainsi que les conflits père/fils passent au second plan. Ces artistes s’intéressent plutôt à la dualité du moi, approfondissent les mécanismes de représentation et explorent les propriétés métathéâtrales et métahistoriques de la performance. Parallèlement, ainsi que Houston et moi le soutenons dans nos articles respectifs, par leur fonction thérapeutique, ces œuvres mènent à l’autoréflexivité de la forme qui rend explicites les procédés narratifs et représentatifs.

12 Ce changement artistique témoigne de la transformation radicale des conditions de vie et de pratique des immigrants au Canada depuis les années 1970. Il donne aussi à penser que la culture de l’immigration se fonde sur le questionnement et la représentation de la subjectivité, caractéristique rapprochant le théâtre immigrant d’une esthétique théâtrale nationale et cosmopolite. Ce numéro illustre ce point également : il discute des œuvres d’artistes immigrés portant en eux des environnements représentationnels multiples et superposés, des voix plurielles, en constant changement. Les articles présentent l’immigration comme un processus solitaire et unique, conditionné par les circonstances de départ et d’arrivée, les compétences et aspirations professionnelles et la capacité de l’artiste à faire des compromis et à s’adapter aux nouvelles exigences et contingences professionnelles. Ils dévoilent les problèmes liés aux jugements que les immigrants subissent régulièrement en raison de leur apparence, de leur accent et de leur écriture, ainsi que de l’absence de financement et de réseau professionnel. Sur ces aspects, le travail et le destin de l’artiste immigré ressemblent à ceux de l’exilé. Le théâtre de l’immigration, basé sur des principes d’amalgames et de continuité, s’adapte aux structures sociales, culturelles et économiques de son nouveau public. Les immigrants ont tendance à adopter une nouvelle identité artistique tout en demeurant fidèles aux aspirations artistiques de leur contexte d’origine. Leur théâtre n’est pas binaire : il effectue une synesthésie culturelle et cognitive et provient d’une fusion entre les traditions culturelles héritées et celles d’un monde nouveau, ce qui met continuellement en scène les tensions entre continuité et différence.

13 Dans ce contexte, la création de Polyglotte lors du Festival TransAmériques (FTA) de 2015 à Montréal doit être mentionnée. Œuvre d’Olivier Choinière, l’un des hommes de théâtre non immigrants les plus en vue au Québec, et de sa collaboratrice Alexia Bürger, Polyglotte présente un groupe de non-acteurs récemment immigrés offrant aux non-immigrants leur vision (parfois radicalement opposée) du Canada. Choinière explique que les participants étaient invités, collectivement, à offrir « un regard actuel sur le pays réel, sur le territoire [. . .]; à renverser la façon dont nous nous représentons nous-mêmes, et ce, particulièrement au théâtre : comme une société toujours et encore blanche, le plus souvent unilingue et diablement homogène ». Coproduite par le FTA et la compagnie de Choinière, L’Activité, Polyglotte visait à sortir l’auditoire de sa zone de confort et à le pousser à regarder en face sa propre « vision fantasmée du Canada et du Québec » (Larochelle). Inspirée des disques éducatifs des années 1960-70 destinés à l’apprentissage de l’anglais et du français, langues secondes, pour les immigrants et intitulés Poly-glot Method of French Conversation/ Méthode polyglotte de conversation anglaise, Polyglotte mettait en scène l’irrésoluble tension entre le drame de l’immigration et la tragicomédie de la rencontre entre un nouvel immigrant et le pays d’accueil. S’appuyant sur « une quarantaine de leçons composées de phrases sur un nombre ahurissant de sujets, répétées dans les deux langues avec différentes intonations » la pièce recréait l’impression « de Big Brother dans la langue désincarnée de ces disques ». Polyglotte donnait à ces non-acteurs un lieu pour exprimer leur étonnement et leur frustration envers leur nouveau pays. « Des immigrants, armés de ces phrases, jouent le rôle des résidants qui guident les spectateurs vers la citoyenneté canadienne », explique Choinière. Un public ayant en mémoire les audiences qui ont mené à la Charte des valeurs au Québec devrait prendre conscience que « pour nous voir collectivement en 2015, le regard de l’immigrant, le regard de cet autre qui fait partie de nous, est nécessaire. C’est par lui [le nouvel arrivant] que je [Olivier Choinière, non-immigrant, blanc, mâle, citoyen québécois] peux m’extraire de mes propres clichés, comme de toutes ces images qui nous figent ». Ainsi Polyglotte poursuit, par cette position artistique et politique, l’œuvre d’artistes de l’immigration tels que Mani Soleymanlou au Québec ou Carmen Aguirre au Canada anglais, qui ont tous deux tentés de sortir la question de l’immigration du carcan du « théâtre minoritaire », carcan créé par les politiques culturelles et économiques du multiculturalisme, et de s’intégrer personnellement dans ce que l’on pourrait appeler « le théâtre canadien grand public ».

14 Le but de ce numéro thématique est semblable : dans leur ensemble, les articles aspirent à refléter les changements dans les tendances sociales, culturelles et économiques de la culture canadienne suscités par la culture du « grand changement ». Ils soulignent l’importance croissante de l’influence des artistes immigrés sur les scènes canadiennes et québécoises. Ils démontrent que plus la présence et la visibilité de ces artistes seront grandes, plus leurs projets artistiques et politiques seront puissamment articulés, plus les artistes non immigrants seront poussés à prendre en considération l’épreuve de l’immigration et à s’y intéresser eux-mêmes artistiquement. La construction de communautés imaginées requiert toutefois du temps et des efforts. Pour l’instant, ce projet demeure une utopie. Ce numéro souhaite amorcer le dialogue sur le sujet : il suggère qu’en période de grands changements, les pratiques de multiculturalisme, de cartographie et d’accueil, de réconciliation et de construction de communautés imaginées à travers les arts pourraient constituer un nouveau mode de vivre-ensemble au Canada et au Québec.

Ouvrages cités
Bashevkin, Sylvia B. True Patriot Love: The Politics of Canadian Nationalism. Don Mills, ON: Oxford UP, 1991. Imprimé.
Bricker, Darrell and Ibbitson, John. The Big Shift: The Seismic Change in Canadian Politics, Business, and Culture and What It Means For Our Future. Toronto: Harper Collins Publishers, 2013. Imprimé.
Choinière, Olivier. « Interview with Olivier Choinière. » FTA 2015. Web. 10 juin 2015.
Dobbin, Murray. « Harper’s Plan to Dismantle Canada’s Safety Nets. » TheTyee.ca 7 nov. 2011. Web. 15 mai 2015.
— « Harper plays at neoliberal social engineering. » Rabble.ca 7 nov. 2011. Web. 15 mai 2015.
Filewod, Alan. Performing Canada: The Nation Enacted in the Imagined Theatre. Textual Studies in Canada Monograph Series: Critical Performance/s in Canada. Kamloops, BC: Textual Studies in Canada, 2002. Imprimé.
« Harper Government Shows Foresight in Immigration Reform » (Editorial). The Chronicle Herald 2 jan. 2013. Web. 12 mai 2015.
Hurley, Erin. National Performance: Representing Quebec from Expo 67 to Céline Dion. Toronto: U of Toronto P, 2011. Imprimé.
Knowles, Ric et Ingrid Mündel. Introduction. “Ethnic”, Multicultural, and Intercultural Theatre. Dir. Ric Knowles et Ingrid Mündel. Toronto: Playwrights Canada P, 2009. VII- XVII. Imprimé.
Larochelle, Samuel. « FTA 2015—Olivier Choinière vous convie à un examen de citoyenneté canadienne dans ‘Polyglotte’. » Le Huffington Post Québec 27 mai 2015. Web. 10 juin 2015.
Meerzon, Yana. Performing Exile—Performing Self: Drama, Theatre, Film. Hampshire: Palgrave Macmillan. 2012. Imprimé.
Radia, Andy. « Harper Government Considers Tightening ‘Citizenship by Birth’ Rules. » YahooNews. Canadian Politics 18 août 2014. Web. 12 mai 2015.
« Skilled Immigrants (Express Entry). » Government of Canada. 2 fév. 2015. Web. 12 mai 2015.
Turner, Jane. Eugenio Barba. London: Routledge. 2004. Imprimé.
Wright, Robert W. Economics, Enlightenment, and Canadian Nationalism. Montreal : McGill-Queen’s UP, 1993. Imprimé.
Notes
1 J’aimerais remercier tout particulièrement tous les lecteurs, réviseurs et conseillers qui ont collaboré à cette édition spéciale. Je remercie aussi mes « aides personnelles » : Joël Beddows (Université d’Ottawa) et Marlis Schweitzer (York), ainsi qu’Isabelle Léger pour la traduction de cet article.
2 Voir le numéro thématique de Canadian Theatre Review (55 : 1988) dirigé par Natalie Rewa intitulé « Theatre and Ethnicity ».
3 Nous renvoyons les lecteurs aux numéros thématiques suivants : « Performing Intercultural Canada » (2009, Theatre Research in Canada 30.1-2) dirigé par Ric Knowles; « Canadian Performances / Global Redefinitions » (2013, Theatre Research in Canada 34.1) codirigé par by Gilbert Reid et Marc Maufort; « Portraits d’auteurs » (2001, Jeu 98.1) dirigé par Patricia Belzil; « Paroles d’auteurs » (2006, Jeu 120.3) dirigé par Raymond Bertin.
4 Dans mon livre Performing Exile—Performing Self, je définis l’artiste exilé en ces termes : « La fuite et le désir de retour des artistes exilés se manifestent dans le processus de consolidation de l’identité artistique. Cette identité prend forme dans l’évolution graduelle de la perception que l’artiste a de lui-même comme sujet ethnoculturel et donc national dans le passé et dans son pays d’origine vers une reconnaissance de soi en tant que représentant d’une profession – poète, directeur de théâtre, écrivain, danseur ou cinéaste –, quelqu’un dont la vie ailleurs, dans le présent, doit être définie par le travail et non par le lieu, la langue ou la culture auxquels il appartient. » (traduction libre, 8-9).
5 Dans les dernières années, le gouvernement Harper « a aboli le programme fédéral pour les investisseurs; [. . .] a resserré les règles entourant l’immigration de parents et de grands-parents; a revu la Loi sur la citoyenneté; [. . .] et s’est attaqué aux fraudes dans les mariages et les demandes de statut de réfugié » (Radia).
6 Historiquement, le premier pas que le Canada devait faire pour affirmer un « nationalisme canadien » était de se distinguer des États-Unis (Wright ix-xiii) en mettant de l’avant un ensemble de principes culturels et intellectuels, les fondements de sa « conscience nationale », tels que suggérés par certains artistes et intellectuels canadiens de premier plan comme Margaret Atwood, Harold Innes et Alex Colville (x). Toutefois, comme l’écrit Bashevkin, le projet de nationalisme canadien a commencé à connaître de sérieuses difficultés politiques et idéologiques au début des années 1990, contesté par les mouvements féministes, environnementaux, autochtones et étudiants, ainsi que par la croissance rapide du nombre d’immigrants (184-85).
7 Il est plus sage de reporter à plus tard la question portant sur la représentation de l’Autre (l’immigrant) dans le théâtre canadien non immigrant par les auteurs, producteurs, metteurs en scène et acteurs ayant à côtoyer des collègues de multiples origines. C’est une question importante, mais elle dépasse le cadre du présent numéro.