Book Reviews / Comptes Rendus

Sylvain Schryburt. De l’acteur vedette au théâtre de festival. Histoire des pratiques scéniques montréalaises (1940-1980). Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2011. 395 pp.

Louise Ladouceur
University of Alberta, Campus Saint-Jean

1 Cette étude suit l’évolution du théâtre d’expression française à Montréal sur quatre décennies pour y mettre en relief les différents régimes qui ont marqué la pratique théâtrale au cours de ces années. Un des mérites de l’ouvrage est de dégager non seulement ce qui appartient en propre à chaque régime, mais les facteurs contribuant au changement de régime et la façon dont chacun s’articule au précédent pour ensuite modifier l’horizon d’attente du milieu théâtral et du public montréalais. Ce n’est plus une histoire « par morceaux » (11) mais un récit qui met les morceaux en place, jetant ainsi un nouvel éclairage sur leur articulation.

2 L’ouvrage est divisé en cinq chapitres. Le premier situe l’étude dans le champ historiographique du théâtre québécois, décrit la structure de l’ouvrage et présente les différents régimes théâtraux sur lesquels porte l’analyse. Les chapitres suivants sont consacrés à l’étude des trois régimes qui constituent des états successifs du champ théâtral montréalais marqués par des principes structurants distincts. Le premier régime, qui va de 1937 à 1952, est fondé sur l’acteur vedette : « hérité des pratiques du XIXe siècle et caractérisé par une approche commerciale du théâtre, centrée sur le vedettariat de l’acteur, l’absence de metteur en scène et le renouvellement hebdomadaire de l’affiche » (16).Vers la fin de cette période, émerge un metteur en scène qui deviendra la figure structurante d’un nouveau régime qui couvre les années de 1951 à 1960 et qui tend vers un « modèle de pureté » (91). Ce régime se caractérise par « une rigueur accrue dans la conception des spectacles (par rapport à l’ancien régime), une centralisation des pouvoirs entre les mains du metteur en scène et un rythme de production espacé qui permet d’augmenter le temps alloué aux répétitions (16). Avec la mise en place d’organisme subventionnaires, tel que le Conseil des Arts fondé en 1957, on passe d’un champ « embryonnaire » (127) à une structuration construite sur une « dynamique de distinction » (127) dans laquelle les compagnies bien établies vont se professionnaliser et affirmer leur spécialisation. Sous ce nouveau régime, qui va de 1958 à 1969, les théâtres institutionnels, comprenant le Théâtre du Nouveau Monde et le Théâtre du Rideau-Vert, développent un jeu épuré privilégiant l’élégance du geste et vouent un culte au texte de haute tenue littéraire. Les véritables innovations viennent des troupes avant-garde de la marge, telles que le Théâtre des Saltimbanques et Les Apprentis-Sorciers. Ce théâtre amateur explore les ressources spatiales, visuelles et sonores de la scène dans des spectacles qui invitent à l’expérimentation. C’est l’époque où les théâtres de poche se multiplient, menant des recherches incessantes qui contribuent « à élargir l’espace des possibles du théâtre montréalais » (168). Bousculant l’horizon d’attente du public montréalais, ces théâtres de la marge obligent les producteurs établis à dépasser les modèles qu’ils ont mis en place. L’entrée en scène du théâtre québécois coïncide avec un troisième régime, qualifié de « collectif » puisqu’il se définit par « un partage des pouvoirs entre les mains d’un groupe collectivement responsable de la production du sens du spectacle » (16). Couvrant la période 1968-1980, ce régime privilégie la création collective, qui se pratique surtout au sein des troupes non institutionnelles pendant que le metteur en scène devenu pigiste, et non plus associé à une seule troupe, affirme son art avec éclat. L’auteur analyse plus particulièrement les contributions de trois metteurs en scène : Paul Buissonneau, André Brassard et Jean-Pierre Ronfard. Il se penche aussi sur le fonctionnement de la troupe phare de la création collective, le Grand Cirque ordinaire, et sur le mouvement du Jeune Théâtre, dont quelques troupes d’extrême gauche engagées dans une recherche où « le politique prime sur le culturel » (309). Il analyse enfin la pratique d’autogestion propre au théâtre d’expérimentation et l’esthétique qui se dégage des derniers spectacles du Théâtre expérimental de Montréal. L’auteur conclut, finalement, à un nouveau régime structuré par les festivals, qui s’installe au début des années 1980. Possédant son système de financement, le festival se réclame d’une esthétique qui lui est propre et opère une ouverture du théâtre québécois à la scène internationale.

3 Cette excellente étude s’appuie sur une riche documentation comprenant des archives sonores et audiovisuelles, des écrits et entretiens des praticiens, des archives journalistiques et des textes critiques. Elle propose une analyse nuancée, appuyée par d’abondantes ressources documentaires qui mettent en relief des aspects moins connus de l’histoire du théâtre qui se pratique à Montréal entre 1940 et 1980. Finaliste pour un Prix du Canada en sciences humaines de la Fédération canadienne des sciences humaines en 2013, l’auteur propose avec cet ouvrage une lecture fascinante d’une époque effervescente de l’histoire théâtrale et culturelle montréalaise.