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La Maculée1 de Madeleine Blais-Dahlem :

une écriture dramaturgique véridique, ludique et transgressive

Louise Forsyth
Université de Western Ontario et Université de la Saskatchewan

La Maculée/sTain (2011), the most recent play by fransaskoise playwright Madeleine Blais-Dahlem, dramatises the difficult and painful condition of a young francophone woman who moved with her new husband to rural Saskatatchewan around 1920. Her suffering is caused by her abusive husband, the difficulty of maintaining her Catholic faith, and the galloping wave of anglicisation in the Canadian West. This anglicisation has brought with it the layers of culture and the alienating institutions of a modern capitalist society, including an aggressively evangelical Protestantism. The richness and originality of the theatrical languages used by Blais-Dahlem take full advantage of the esthetic potential that can be derived from bilingualism and, at the same time, reveal the actuality of themes that are simultaneously specific and universal: solitude, exile, fear, loss of faith and language, poverty, misogyny, violence done to women. The sustained policy of the professional theatre company, the Troupe du Jour of Saskatoon, which gives priority to the encouragement of fransaskoise dramaturgy played a major role in the artistic success of La Maculée. This is a policy revolving around the activities of the Cercle des écrivains (the Writer’s Circle), in which a team of colleagues share their creative energy through workshops and dramatic readings.

La Maculée (2011), pièce récente de la dramaturge fransaskoise Madeleine Blais-Dahlem, dramatise la condition difficile et pénible d’une jeune femme francophone qui s’est installée avec son nouveau mari à la campagne saskatchewanaise vers 1920. Sa peine provient des abus de son mari, de la difficulté de préserver sa foi catholique, et de la vague galopante d’anglicisation dans l’Ouest canadien, anglicisation qui amène avec elle les couches culturelles et les institutions aliénantes d’une société moderne capitaliste, y compris un protestantisme agressivement évangélisant. La richesse et l’originalité des langages théâtraux employés par Blais-Dahlem exploitent pleinement la potentialité esthétique du bilinguisme et, en même temps, exposent l’actualité d’une thématique à la fois particulière et universelle : la solitude, l’exil, la peur, la perte de la foi et de la langue, la misère, la misogynie, la violence faite aux femmes. La politique soutenue de la compagnie théâtrale professionnelle, La Troupe du Jour de Saskatoon, qui accorde une priorité à l’encouragement de la dramaturgie fransaskoise a joué un rôle capital dans le succès artistique de La Maculée. C’est une politique centrée sur les activités du Cercle des écrivains, des ateliers et des lectures dramatiques, au sein desquelles se trouve une équipe de collègues qui partagent leur énergie créatrice.

Madeleine Blais-Dahlem, dramaturge fransaskoise

1 L’écrivaine Madeleine Blais-Dahlem fait partie de ces dramaturges de la relève fransaskoise qui, depuis plus de vingt-cinq ans, ne cessent de produire des textes formant un répertoire théâtral unique, riche et varié.2 Leurs pièces, après avoir été travaillées dans des ateliers, présentées en lecture publique et produites en scène par la compagnie théâtrale professionnelle de Saskatoon La Troupe du Jour (LTDJ), sont reçues avec enthousiasme par un public linguistiquement mixte et étonnamment nombreux.3 La dernière pièce de Blais-Dahlem issue de ce processus, La Maculée,4 dont il est question dans cet article, est à la fois un exemple de la riche diversité de ces pièces, du succès d’un travail d’équipe créateur peu ordinaire, et de la qualité théâtrale exceptionnelle de ce jeune corpus dramaturgique de l’Ouest. Comme le dit Blais-Dahlem, La Maculée a suivi un parcours de développement mis en place par LTDJ: « L’évolution de ce texte a pris trois ans dans le cycle de développement de La Troupe du Jour. Sans La Troupe, je n’écrirais pas ces textes dramatiques et je leur suis infiniment reconnaissante. »  (« Mot de l’auteure », Programme de la production de La Maculée/sTain par La Troupe du Jour en 2011). Ce cycle de développement dramaturgique fait partie intégrante de la politique et de la structure même de la compagnie, comme on l’indique dans le site web qui lui est consacré sous la rubrique « Projets de développement artistique » :

La Troupe du Jour (LTDJ) a mis sur pied pour les auteurs de la province un programme de développement dramaturgique afin de les accompagner tout au long de leur travail d’écriture. Ce processus s’étend sur un cycle de trois ans. La première année du cycle en est une de dépistage et de période intense d’écriture, pendant laquelle les auteurs d’ici sont jumelés avec des dramaturges. La deuxième année comprend un laboratoire de développement avec des comédiens et un dramaturgeconseil. La troisième année représente l’aboutissement du travail sur scène avec la production de la pièce par la compagnie, si la direction artistique de LTDJ juge que le texte est prêt et qu’il répond aux inspirations artistiques de la compagnie.

Blais-Dahlem a souligné l’importance, au cours de ce cycle de développement, du Cercle des écrivains de LTDJ et de l’appui d’Alain Jean, conseiller du Centre des auteurs dramatiques au Québec (CEAD) :

Merci à Alain Jean [conseiller au CEAD] qui a démarré la transformation d’une anecdote historique à un texte dramatique [...] Merci au cercle des écrivains lequel, depuis le début, critique mon travail avec une diplomatie si subtile. (Mot de l’auteur, programme de la production)

Le site web de LTDJ souligne de la même façon le rôle primordial joué par le Cercle des écrivains, créé il y a plus de dix ans sous la direction du dramaturge, metteur en scène et comédien Ian Nelson :

Souvent les auteurs choisis pour ce programme, [sic] ont débuté leurs textes dans le cadre des activités du Cercle des écrivains; ce Cercle s’avère donc un lieu privilégié pour repérer des textes prometteurs d’auteurs de la province.

2 Les premières performances de La Maculée, avec soirées alternant avec et sans surtitres anglais, ont eu lieu en février-mars 2011 dans une mise en scène de l’auteure, metteure en scène et enseignante québécoise Marie-Ève Gagnon dans quatre villes de la Saskatchewan : North Battleford, Bellevue, Zenon Park et Saskatoon. Comme le montrent les comptes rendus dans les médias d’information, la réception du spectacle fut partout chaleureuse et enthousiaste.5

3 Madeleine Blais-Dahlem est la première femme fransaskoise à créer pour une scène professionnelle un corpus dramaturgique original. Cette œuvre remarquable, qui tire ses sujets du contexte saskatchewanais passé et présent, ouvre de fraîches perspectives sur une thématique dont la pertinence est à la fois particulière et universelle. Cette thématique aborde des problèmes tels que la solitude et l’isolement, la misère, la recherche d’une identité, la mémoire à la fois précieuse et pénible, la fraude religieuse, l’indifférence envers autrui, l’exil, l’assimilation, les valeurs trompeuses de la société de consommation et la violence faite aux femmes. L’auteure invente de nouvelles approches scéniques et jongle avec les langages et l’agencement de ses pièces pour s’assurer que la représentation de l’univers de ses personnages soit fidèle à leur condition. Il s’agit en effet pour Blais-Dahlem de faire entendre la voix et de faire voir le réel vécu de gens dont les expériences et la mémoire sont rarement représentées, des gens qui restent culturellement et politiquement invisibles et qui ont peu d’occasions de raconter leur histoire : les francophones de l’Ouest, les personnes âgées ou gravement malades, les femmes isolées dans leur foyer et les membres des Premières Nations. Il existe peu de modèles dans le répertoire théâtral national ou international mettant en scène de tels personnages et offrant une représentation scénique de leurs histoires personnelles et collectives.

4 En même temps que Blais-Dahlem développe sa riche thématique réaliste, elle explore une nouvelle esthétique théâtrale dont la modernité est frappante. Les dialogues vifs qu’elle crée entre les personnages—en faisant ressortir leur situation marginale et, souvent, en faisant résonner les registres dissidents des deux langues officielles du pays—sonnent toujours juste. La simplicité directe des mots échangés par les personnages fait rire, bien que ce soit d’un rire grinçant. La structure de ses pièces, loin d’être chronologique, linéaire ou spatialement cohérente, comme le veut la tradition du réalisme littéraire, se construit à partir de fragments qui permettent de passer rapidement d’une scène à l’autre. L’action bondit d’un moment et d’un lieu à un autre selon la logique de la problématique de la pièce et l’orientation affective des personnages.

5 Madeleine Blais-Dahlem a commencé sa carrière de dramaturge en 1992, époque où elle était encore enseignante dans une école secondaire d’immersion à Saskatoon. Ses premiers textes dramatiques étaient des saynètes et des pièces en un acte, qui restent inédites mais qui étaient montées dans plusieurs festivals par les membres des Calembours, club estudiantin qu’elle a fondé pour offrir à ses élèves l’occasion de parler, de créer et de jouer en français. Pendant onze ans, les productions des Calembours ont attiré l’attention d’un public admiratif à Saskatoon et ailleurs en Saskatchewan et en Alberta et ont remporté de nombreux prix. Au cours de cette même période, Blais-Dalhem a traduit ses textes en anglais, les a produit sur scène dans les deux langues, et a commencé son exploration innovatrice du bilinguisme comme ressort théâtral.

6 En 1995, elle a participé à un atelier où elle a travaillé à une ébauche de sa première pièce pour adultes, Les Vieux péteux.6 L’écriture d’autres pièces, des travaux en atelier, des lectures publiques dans plusieurs endroits et des mises en scène de ses textes dramatiques par La Troupe du Jour ont suivi ce premier pas dans le théâtre professionnel. Deux de ses pièces ont par la suite été publiées : Foyer et Tournesol. Toutes ses pièces existent en versions française et anglaise. Normalement elles sont écrites d’abord en français et Blais-Dahlem en fait ensuite la traduction anglaise. Elle ne propose pas cependant de simples traductions qui laisseraient entendre que le passage d’une langue à l’autre se fait sans effort ou que les deux versions de la pièce sont identiques. L’un des objectifs majeurs de Blais-Dahlem dans tous les volets de sa vie de femme de théâtre est d’attirer l’attention de celles et ceux qui recevront ses textes sur le fonctionnement sociopolitique de la langue, son rôle primordial comme fondement de l’identité et de la réalité individuelles et collectives, autant que sur la divergence de fonction contextuelle qu’aura l’ouvrage dans la langue de départ et dans la langue d’arrivée. Les versions françaises et anglaises de ses textes dramatiques sont ce qu’elle appelle des pièces parallèles ou des transcréations puisqu’elle sait, comme ses compatriotes fransaskois et fransaskoises, qu’elle n’a pas la même voix dans les deux langues bien qu’elle les parle toutes deux très bien (Courriel de Madeleine Blais-Dahlem à l’auteure). Ainsi, elle sait que ses pièces prennent différentes significations devant des publics anglophones et francophones, et même devant des publics francophones d’autres provinces, pour des raisons qui dépassent largement le simple langage textuel. Cette différence provient de la diversité des horizons d’attente des publics auxquels ses pièces s’adresseront. Dans le contenu de ses pièces, Blais-Dahlem tient compte de cette différence dans les expériences quotidiennes vécus par des francophones qui, dans l’Ouest du pays, n’ont pas d’autre choix que d’être bilingues. Donc, en plus d’exister en deux versions, française et anglaise, ses textes dramatiques tissent des fables et développent des anecdotes qui emploient la langue et le bilinguisme comme métaphores, métonymies et outils de création d’une culture fransaskoise.

La Maculée7 : mise en défi de la langue française et de la voix des femmes

7 La Maculée est une pièce en deux actes dont l’action a lieu en Saskatchewan dans les années 1920. Le sujet et la thématique de la pièce tournent autour de la voix et de la langue comme éléments identitaires de base dans la vie d’individus et de collectivités. L’individu qui n’a pas droit à la parole et la collectivité sur le point de perdre sa langue n’existent pour ainsi dire pas aux yeux d’autrui. Ils manquent d’estime de soi et ne possèdent ni les moyens ni l’agentivité nécessaires pour exercer leur propre volonté et contrôler leur propre destin. À cause de l’immigration massive de colons anglophones et allophones dans l’Ouest du Canada, un grand nombre de francophones qui y étaient déjà établis ou qui s’y installèrent vers la fin du 19e siècle et dans les premières décennies du 20e siècle ont vu leurs voix étouffées et ont perdu leur langue. À plusieurs reprises au cours de La Maculée Blais-Dahlem fait entendre sur scène et hors scène des voix dérangeantes anglophones et francophones : des voix autoritaires et dogmatiques, des voix qui entrent dans la maison familiale grâce à la nouvelle technologie de la radio (y compris des annonces publicitaires toujours en anglais), des sermons, des enseignements bibliques (toujours en anglais) et des morceaux de musique chantée. Ces voix forment un environnement sonore reproduisant les discours dominants qui exerçaient dans le passé et continuent d’exercer encore une influence profonde sur les colons. Les personnages qui veulent à tout prix protéger leur propre voix ont à choisir entre emboîter le pas à ces voix envahissantes, tomber dans le silence et se laisser étouffer et assimiler, ou prendre la parole en leur nom propre dans un acte extraordinaire de courage et de détermination.

8 Le personnage éponyme de La Maculée s’appelle Françoise, femme solitaire dans un lieu isolé. Francophone et catholique, elle s’installe avec son mari dans les années 1920 dans un homestead situé à douze milles du village le plus proche, l’un de ces homesteads « éparpillés sur les plaines comme des jouets abandonnés [...] à coté de la réserve indienne » (46).8 La vieille Nokom, qui « a les mains douces » et « le don de passer quand je me sens trop seule » (46) est la seule personne compatissante que Françoise connaît, la seule qui l’aide lors de ses accouchements difficiles. Le conflit dramatique de La Maculée se développe entre la volonté de Françoise de rester fidèle à ses origines (racines de son identité et de sa réalité) et les forces idéologiquement, psychiquement et matériellement «  maculantes  » qui s’imposent dans sa vie. Son enfermement dans « l’immensité vide des prairies » (1) lui impose une solitude ontologique et une situation familiale d’abus, d’oppression et de violence.

9 Jeune et rieuse, Françoise a l’intention lors de son arrivée en Saskatchewan de passer l’été à « respirer un peu d’air frais » (47) avant de retourner au Québec et d’entrer dans un couvent. Toutefois, elle ne retourne pas au Québec puisqu’elle rencontre Bernard dès son arrivée, en tombe amoureuse, l’épouse, s’installe à la campagne, et fonde une famille qui inclura cinq enfants. Malheureusement, l’idylle ne dure pas. Assaillis par l’isolement implacable, la réalité ambiante d’une communauté anglophone dominante et de plus en plus envahissante, un évangélisme protestant agressif9 et les valeurs matérialistes de la société moderne, Françoise et Bernard voient leurs rapports amoureux se faner et empirer jusqu’au point où Françoise finit par être mentalement confuse et moralement angoissée. Sa condition catastrophique est celle décrite par le Docteur : des « femmes abruties par des accouchements à répétition / Les fermières qui travaillent comme des bêtes de somme » (17).

Échec de la voix humaine : abus domestiques violents et paroles trompeuses

10 La Maculée commence à la fin des onze années de mariage de Françoise et Bernard, années au cours desquelles Françoise subit des agressions psychologiques et physiques et fait une tentative de suicide. Ce sont également des années au cours desquelles l’isolement social (occasionné par la géographie des vastes plaines et aussi par l’absence d’autres francophones) et la solitude (renforcée par le double sentiment de la culpabilité et du péché puisqu’il lui est impossible d’aller régulièrement à la messe) pèsent lourd. Elle n’a personne à qui parler. Son angoisse est devenue si extrême au début de la pièce qu’elle commence à douter même de sa propre existence : « Je commençais à penser que j’existais pas. / Peut-être l’écho d’une voix disparue.../ Pas plus » (46). Les personnages évoluent dans un décor qui aura au cours de la pièce à représenter tout le contexte familial et social du couple, ce qui permet à BlaisDahlem d’exposer la signification globale des expériences de Françoise. Il y a donc des changements scéniques rapides entre une grotte sombre, un hôpital psychiatrique, l’intérieur de la maison du couple, une gare et une tente d’évangélistes. Le décor est simple et « réduit à l’essentiel » (1) symbolique. La scène est dominée par un grand moulin à vent. Ce moulin à vent et la petite grotte qui en fait partie suggèrent ironiquement par leur forme et leur fonction une parodie visuelle de l’église paroissiale que Françoise n’est pas en mesure de fréquenter.

11 Deux scènes emblématiques servent au début de la pièce à capter l’état d’âme désespéré de Françoise et à présenter les traces de son histoire pénible de pionnière francophone en Saskatchewan. Ces deux scènes initiales révèlent l’espace du dedans, troublé mais vaste, de Françoise. Elles montrent rapidement son parcours par touches et font sentir le poids des pressions qui l’oppriment et auxquelles elle essaie, futilement pour le moment, de résister.

12 La première scène, brève comme une vidéo qui capte hors contexte un moment résumant l’essence d’une vie, fait voir Françoise seule dans la petite grotte pratiquée dans le moulin à vent. La grotte, qui devrait être un lieu de pureté et de calme, est « maculée par des ombres de corneilles en vol [qui] croassent » (2). Françoise commence sa prière à la Vierge suivant la formule habituelle: « Je vous salue, Marie, pleine de grâce », mais s’arrête tout de suite et, hésitante, pose la question: « Bienheureuse, vous êtes là? » (2). Françoise souligne alors que, même si elle parle, sa voix a perdu sa fonction : personne ne l’écoute, même pas la Vierge. Elle n’a pas d’interlocuteur ou d’interlocutrice. La solitude et le doute signalés par cette question reflètent une incertitude ontologique profonde en ce qui concerne sa foi, sa place dans le monde, la langue qu’elle parle et sa valeur personnelle. Rien ne la rassure sur sa religion ni sur ses paroles ni sur son appartenance sociale. Dans cette grotte maculée, substitut pauvre, ironique et dérisoire d’un lieu sacré, elle se voit comme une pécheresse, une femme abandonnée, une apatride.

Marie-Claire Marcotte dans La Maculée, La Troupe du Jour, 2011Photo : Marianne Duval
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13 La deuxième scène, qui a lieu dans un hôpital psychiatrique, fait démarrer le conflit dramatique et ancre le sens de dislocation extrême éprouvé par Françoise dans un contexte familial, social et historique. Dans sa première réplique, Bernard annonce au Docteur qu’il considère sa femme totalement folle et qu’il veut s’en débarrasser : « Bon, j’ai signé. Je m’en lave les mains. Elle a complètement perdu le nord » (3-4). Le comportement arrogant de Bernard quand il informe le Docteur de son propre changement radical d’identité suggère, dès ce moment, qu’il est au moins en partie responsable du désarroi de Françoise. Autrefois monsieur Bourtambour, cultivateur francophone catholique, Bernard s’est transformé en Reverend Drummond, pasteur anglophone.

14 La déclaration de Bernard, à savoir qu’il considère sa femme mentalement malade, est suivie immédiatement dans cette deuxième scène d’un intervalle tout à fait fantaisiste offrant une perspective poétique sur les chimères qui hantent Françoise. Cette femme unilingue francophone et extrêmement pieuse, que nous venons de voir dans la petite grotte, se transforme de façon complètement inattendue et « se lance sur scène dans un Charleston burlesque désespéré, avec un élément de strip-tease » (4). Elle chante en anglais une chanson de jazz populaire dans les années 1920 Bye bye blackbird. L’oiseau noir de cette chanson fait écho aux ombres des corneilles de la première scène qui « maculent » la grotte et souligne l’aliénation de Françoise. Néanmoins, le chant et la danse dont elle se montre capable dans cet intervalle étonnant révèlent en même temps son caractère résilient, son imagination et sa capacité de s’exprimer, malgré la torture que lui impose le Docteur dans cette scène, les mauvais souvenirs et les cauchemars terrifiants qui l’obsèdent. Cette chanson et cette danse captent à merveille, malgré leur improbabilité, la souffrance désespérée de Françoise et son refus de se laisser écraser. Cette intervention ludique nous permet de croire tout au long de la pièce qu’elle n’est pas tout simplement une victime docile et silencieuse. Elle a une voix, un corps sexué et un fort désir d’authenticité :

Pack up all my care and woe/ ’ere I go, singing low/ Bye, bye, blackbird!/ Where nobawdie wait for me/ Just a warm cup of tea [...]/ Bye, bye, blackbird/ No one ‘ere can love or understan’ me/ I don’t need a man to under’and me .../ ‘here I go, singing low,/ Blackbird, bye bye (4-5).

La signification de cette performance faite par Françoise, qui révèle une femme dynamique et sensuelle, est amplifiée au cours de la pièce par d’autres indices de la force de sa sensibilité affective et corporelle. Françoise est une femme qui aime faire l’amour. Elle désire « Ta chaleur, je veux ta chaleur…/ ta belle chaleur animale… » (8). Elle avoue sans hésitation qu’au début de leur mariage elle aimait son mari corps, âme et voix : « Dès le premier moment, j’étais amoureuse de toi./ Je te voulais./ Je t’ai choisi./ Ta belle chaleur humaine./ Ta voix [...] belle voix ensorcelante » (68-9).

15 Les scènes qui suivent les deux scènes initiales d’exposition se rythment selon une alternance régulière entre le séjour de Françoise au présent à l’hôpital et des retours au passé de la vie conjugale du couple. Ce sera à l’hôpital qu’elle trouvera une écoute et qu’elle arrivera à une prise de conscience lucide grâce à l’infirmière, Louise, sympathique et compétente. Les sauts dans le passé dramatisent l’assimilation progressive de Bernard à une société anglophone et à une secte pourrie et la résistance impuissante de Françoise à la tournure catastrophique que cette assimilation prendra dans leurs rapports. Ils servent à représenter une situation socio-culturelle beaucoup plus large que la simple situation d’un seul couple. Ces tableaux, qui passent rapidement, font le portrait du groupe de pionniers et pionnières francophones de l’Ouest du Canada et mettent en lumière les choix cruels auxquels ils sont toutes et tous confrontés. Les deux courants de l’action— l’exploration difficile à l’hôpital des actions et des motivations de Françoise et les événements qui occasionnent au cours des onze dernières années la destruction des rapports amoureux du couple—ouvrent une perspective de plus en plus large sur la société saskatchewannaise des années 1920 et sur la collaboration discursive et performative des institutions dominantes (à majorité anglophones, mais aussi l’Église catholique) qui travaillaient pendant cette période historique à fonder leur hégémonie dans un territoire nouvellement ouvert aux colons.

16 Nous apprenons dans la troisième scène de La Maculée que c’est le Real Preacher Man qui ébranle la vie du couple. Le Real Preacher Man est un scélérat, personnage sans profondeur psychologique plutôt dans la tradition du mélodrame, qui se présente au jeune couple comme un « commis voyageur pour la compagnie REAL PRODUCTS et Disciple de la vérité » (12). Son affirmation « Je suis ici pour vous sauver ... » (12) est de la plus grande ambiguïté. Il est évident que c’est un homme qui sait profiter des peurs, des souffrances et de la crédulité des gens à son propre avantage. Évangéliste protestant et colporteur hypocrite, il enjôle les fidèles et les clients potentiels en faisant miroiter des promesses miraculeuses de cures de toutes sortes : des remèdes aux douleurs physiques, des richesses et le salut. Bernard se laisse séduire par les boniments du Real Preacher Man en s’intégrant à la communauté que celui-ci représente : la langue anglaise, l’évangélisme protestant agressif, le commerce opportuniste et frauduleux. Le comique des scènes où Bernard fait des efforts pour apprendre l’anglais afin d’être en mesure d’imiter le Real Preacher Man dans ses enseignements bibliques tonitruants, ses sermons et ses harangues font rire, tout en soulignant la complexité du bilinguisme qui était en train de s’imposer dans l’Ouest du Canada. Plus Bernard s’intègre à la Weltanschauung du colporteur évangélisateur anglophone, plus il exploite le pouvoir que lui confère la nouvelle identité du Reverend William Henry Drummond et plus il se fâche contre Françoise et se montre abusif et violent envers elle.

17 Cependant, Bernard n’est pas tout simplement un monstre. C’est un homme faible et crédule vivant dans la pauvreté. Il se laisse séduire par la volonté du pouvoir et la promesse du gain qu’il entrevoit dans le monde anglophone. Françoise en est consciente dans la deuxième scène et le condamne: « Tu nous as vendus, Bernard » (8). Elle va encore plus loin à la fin de la pièce:

T’as pris mon âme dans tes deux mains./ Tu t’en es servi dans un tour de passe-passe/ Pour berner les gens./ Tu as abusé de moi de la façon la plus infâme./ Tu m’as abusé corps et âme./ Le trafic des âmes en mal de Dieu est une abomination./ Je ne serai pas ton outil. (70)

Cependant, ni Françoise ni Bernard ne savent se protéger contre le raz-de-marée de l’anglais et la culture matérialiste véhiculée par cette langue qui envahit le pays qu’ils ont choisi. Marginalisé, le jeune couple est pris, sans échappatoire, dans un contexte anglophone et une culture étrangère.

18 La confrontation violente inégale entre les deux langues, les deux religions et les deux univers a lieu dans la tente du revival à la fin du premier acte. Blais-Dahlem a créé une scène éblouissante par ses qualités théâtrales et ses nuances psychologiques. La scène se joue simultanément sur deux fronts, en français entre Bernard et Françoise et en anglais lorsque Bernard, paniqué, poursuit tant bien que mal sa harangue illuminée devant la foule anglophone. Françoise, qui en a assez de sa solitude et qui est motivée par le désir de rejoindre Bernard et leurs enfants, se rend à la tente, prête à croire pour le moment que le Dieu des catholiques et celui des protestants est le même: « Je suis allée te rejoindre, Bernard/ Toi et les enfants./ Je me suis dit que peut-être tu as raison,/ Que c’est le même Dieu,/ Que ma religion travaille contre tout ce que j’aime./ Je suis allé au revival pour te dire oui./ Oui à ton rêve, à tes ambitions » (69).

19 Cependant, cette initiative de la part de Françoise échoue à cause de la mauvaise foi et de la rhétorique hallucinante de Bernard. Il n’entend pas ce que Françoise est venue lui dire. Il va même jusqu’au point de feindre devant l’assemblée de ne pas la connaître. Au cours de cette confrontation publique houleuse, Bernard l’insulte, la menace et lui « donne une gifle retentissante » (39) qui la fait s’écrouler.

20 Ce sont la langue anglaise et les stratégies discursives abusives de Bernard et du Real Preacher Man qui sortent triomphantes de cette confrontation. Blais-Dahlem dramatise l’hégémonie de l’anglais en Saskatchewan, ainsi que celle des institutions et des pratiques socioculturelles qui l’accompagnent. À partir de cette scène cruelle dans La Maculée, les rapports entre Françoise et Bernard deviennent de plus en plus tendus, de plus en plus abusifs et violents. Bernard finit même par voler le précieux chapelet de Françoise et l’utilise pour l’étrangler jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse quand il l’entend parodier ses sermons à cause de leur « air ridicule » (50).

21 Bernard n’est pas le seul personnage masculin responsable par ses paroles et ses actions de l’oppression de Françoise. BlaisDahlem la représente prise dans l’engrenage inexorable de l’autorité et du pouvoir masculins : l’engrenage du mariage, de la religion et de la médecine. Les ailes du moulin à vent qui ne cessent de tourner tout au long de la pièce forment un rappel visuel des voix qui lui imposent les conditions de sa vie et même une façon de penser. Isolée à la campagne, Françoise ne peut pas aller à la messe pendant un an. Elle doit se contenter de son chapelet, de la présence de la Vierge qu’elle invente, et de sa grotte. Quand elle arrive enfin à aller faire ses Pâques, le curé insensible lui refuse l’absolution. Car il lui reproche son absence de la messe, la condamne quand elle dit qu’elle aime faire l’amour, et insiste sur son devoir de continuer à faire des enfants, malgré le risque pour sa santé: « Vous y prenez plaisir? C’est un devoir. Le péché nécessaire pour assurer la survivance de notre race. Je ne peux pas vous donner l’absolution de vos péchés. Rentrez chez vous, faites votre devoir de femme. Voilà le moyen de rentrer en état de grâce » (57). L’impact maculant sur Françoise des reproches sévères du curé est si fort qu’elle croit être damnée et tente par la suite de se donner la mort:

J’me sens sale./ Se jette par terre et roule, se lave le visage avec de la neige./ Je suis sale! Maculée!/ Je suis rough! Rough et laide de fond en comble./ Rough!/ Rough!/ Le mot devient un aboiement et elle hurle comme un coyote./ Je vais vous montrer qu’y a rien là!/ Y a pas de péché là!/ L’ambiance devient cauchemardesque. Une Voix INFERNALE gronde comme le tonnerre. FRANÇOISE saisit un bout de bâton, se le plonge dans le ventre. Elle tombe face au sol (58).

22 Le docteur est un autre personnage responsable de l’aliénation de Françoise. Dans la scène d’hôpital qui lance l’action dramatique de La Maculée, il lui impose cruellement, comme une sorte de parodie de la cérémonie du baptême chrétien, un « bain calmant » (5) glacé. C’était le traitement le plus commun au début du 20e siècle pour les femmes dites hystériques. Au deuxième acte, le Docteur fait semblant, pour ses propres raisons opportunistes, de s’intéresser à l’histoire et aux visions de Françoise. Il la prend pour un cas. Cela l’arrange, dans son diagnostic, d’accepter pendant un certain temps la triste explication de Françoise affirmant que ses blessures, infligées quand Bernard l’a étranglée dans la grotte, sont des stigmates. Le Docteur veut bien entrer dans les illusions de Françoise puisque, comme il le dit, il y voit l’occasion d’en tirer des avantages professionnels : « Freud a fait beaucoup de travail avec les femmes hystériques. Mais lui, il n’a jamais eu une stigmatisée! Je pourrais préparer une conférence » (43). Malgré cette indifférence à la souffrance de Françoise, le Docteur est le seul personnage masculin à entrer en conversation avec elle, à lui poser des questions sur ses actions et son état affectif. Par conséquent, c’est en partie grâce à lui et à la prise de conscience qu’il provoque que Françoise finit par résister aux pressions idéologiques et matérielles exercées sur elle. Elle peut alors regarder en face sa solitude insupportable et faire entendre sa voix pour parler d’elle-même : « Qu’est ce que vous comprenez de la solitude des femmes, docteur?/ Au plus profond de mon âme, je suis seule/ Seule à l’intérieure de ma famille./ Seule dans mon mariage./ Seule dans ce grand pays vide » (62). À la fin de La Maculée, le Docteur déclare que Françoise n’est ni stigmatisée, ni hystérique ni malade. Il accepte que sa douleur provienne de la cruauté insouciante de son mari, du rejet du curé, de son isolement et de la dureté de la vie sur les vastes plaines de l’Ouest. Malheureusement, le Docteur, plutôt borné dans sa compréhension, n’a d’autres solutions aux malheurs de Françoise que de lui conseiller de reprendre sa vie conjugale en rentrant chez elle avec Bernard.

23 C’est l’infirmière Louise, qui prodigue des soins avec tant de compassion à Françoise pendant son séjour à l’hôpital, qui voit clair dans sa situation. C’est elle qui sait dès le début que le « bleu le long de sa mâchoire » (6) est le résultat de la violence de Bernard et que la blessure que Françoise essaie de cacher sous un foulard et que le Docteur veut voir comme des stigmates remonte au moment où Bernard a sorti le chapelet de Françoise de sa poche et l’a utilisé pour l’étrangler.

Marie-Claire Marcotte dans La Maculée, La Troupe du Jour, 2011Photo : Jean-Philippe Deneault>
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24 Les deux dernières scènes de La Maculée nouent ensemble les fils doubles de l’action dramatique tissés au cours de la pièce entre le séjour de Françoise à l’hôpital et les retours à certains moments dans la vie conjugale de Françoise et Bernard. L’avantdernière scène nous montre la première rencontre de Françoise et Bernard. C’était le coup de foudre des deux côtés. Le souvenir de cette belle première fois éveille du regret et de la nostalgie. Par contre, la scène finale à l’hôpital réunit le couple pour la dernière fois. C’est la rupture définitive. Françoise, refusant de reprendre sa vie abusive avec Bernard, coupe ses liens avec lui et les enfants. Comme Nora dans La Maison de poupée d’Henrik Ibsen, elle prend la parole devant son mari et les autres pour expliquer que sa première priorité doit être la connaissance d’elle-même.

La Maculée : résistance de voix individuelles et collectives à l’extinction

25 La Maculée se veut une accusation complexe des individus et des institutions responsables des causes de la violence physique et morale faite aux femmes au sein de leurs familles et dans une société misogyne qui prive les femmes de leur voix, jette des regards accusateurs sur leur corps sexué, les enferme dans des lieux isolés et crée des obstacles infranchissables à leur liberté. C’était un problème urgent dans les premières décennies du 20e siècle, un problème qui n’est pas encore réglé aujourd’hui. Tandis que l’époque de la colonisation de l’Ouest canadien est révolue, il y a encore de nos jours des femmes dont la condition est aussi sordide que celle de Françoise, condition produite par des pratiques et représentations culturelles, des situations économiques, l’exil et l’immigration, la maladie et les handicaps physiques et mentaux. La Maculée de Madeleine Blais-Dahlem est aussi un acte d’accusation puissant contre ceux qui, cyniquement et hypocritement, abusent des mots, du pouvoir, de leur situation privilégiée, de la violence, de l’autorité et des désirs des autres pour mieux exercer leur contrôle tyrannique et en tirer profit. La pièce suggère que les institutions dominantes qui, il y a un siècle, se sont taillé un territoire linguistique, culturel, politique, idéologique et géographique dans l’Ouest canadien, ont facilité de tels abus. Les discours complémentaires de ces institutions—entre la religion et le commerce, par exemple—légitiment aux yeux d’une collectivité crédule le pouvoir absolu qu’elles exercent. Ce sont les avantages dont en tirent ces institutions qui l’emportent sur le bien-être d’individus comme Françoise, isolée dans son propre foyer ou sa grotte pathétique.

26 Dans le contexte évoqué à l’intérieur de ces systèmes, BlaisDahlem nous invite à écouter la voix intime de ses personnages, souvent refoulée. L’action de sa pièce est agencée comme des fragments lumineux d’un kaléidoscope qui ne cesse de tourner. À l’intérieur de ce kaléidoscope théâtral nous passons rapidement d’une scène réaliste à une scène intérieure animée par la fantaisie, l’imagination, la soif de spiritualité, la peur, la culpabilité ou la mémoire. Par l’ordre non-chronologique des scènes et leur juxtaposition dérangeante, Blais-Dahlem met en lumière les qualités trompeuses et abusives des apparences qui servent à faire disparaître des réels vécus et authentiques. La juxtaposition de ces scènes, leur alternance et leurs écarts spatiaux et temporels permettent à l’auditoire et au lectorat de tirer leurs propres interprétations de la pièce.

27 La Maculée représente théâtralement l’institutionnalisation de la langue anglaise comme langue plus ou moins unique de l’Ouest canadien. Il restait, bien entendu, et il reste encore aujourd’hui des îlots d’autres langues comme le français, le cri, l’allemand, le norvégien et j’en passe. Le couple formé par Françoise et Bernard illustre les deux choix les plus évidents pour ceux et celles dont l’anglais n’était pas la première langue : l’isolement ou l’assimilation. Ni l’un ni l’autre n’est optimal. L’approche esthétique et thématique de Blais-Dahlem dans La Maculée et dans son parcours dramaturgique en entier met en évidence un troisième choix, celui du bilinguisme. Dans ses conversations, messages et causeries, Blais-Dahlem insiste constamment sur les nombreux avantages de posséder plus d’une langue.

28 J’ai mentionné à plusieurs reprises au cours de cette étude les diverses manifestations de la problématique linguistique complexe qui s’est développée pendant la période de la colonisation de l’Ouest par une majorité d’anglophones et l’infrastructure qu’ils ont rapidement construite. Cette problématique sert de toile de fond à l’action et à la thématique de La Maculée. Or la représentation théâtrale de cette problématique, du bilinguisme qui en découle et de son impact sur la vie des familles et des individus obligés d’y avoir recours nécessite l’invention de nouvelles formes au sein desquelles les manifestations du bilinguisme peuvent participer et entrer en jeu. C’est dans les voix et les actions de personnages en mal de langue et d’identité que les spectateurs et les spectatrices, même unilingues, auront la possibilité de vivre cette dépossession. Le grand défi pour la dramaturge et la metteure en scène était de représenter fidèlement cette condition socioculturelle du bilinguisme, tout en s’assurant que la pièce passe la rampe. Défi qu’elles ont relevé avec succès.

29 La Maculée est une pièce bilingue qui n’aurait pas de sens si on essayait de la mettre en scène en n’utilisant qu’une seule langue. Ainsi, Blais-Dahlem collabore avec les autres dramaturges fransaskois et fransaskoises, et avec ses collègues de La Troupe du Jour, à une sorte de laboratoire permanent dont le produit est une esthétique théâtrale hautement originale basée sur un jeu, une écriture et une scénographie bilingues. Depuis plus de vingt ans ces artistes explorent de nouvelles approches de la mise en scène qui vont au-delà des conventions établies sur l’action scénique, l’éclairage, la répétition, la dimension matérielle et sonore ou les nouveaux médias afin de faire ressentir l’expérience (angoissante, libérante) de ne pas avoir un code linguistique fiable—ou d’en avoir plusieurs. Les artistes de La Troupe du Jour comme Madeleine Blais-Dahlem explorent leur situation linguistique et socio-culturelle particulière de façons multiples, imaginatives et souvent ludiques.

Ouvrages Cités
Blais-Dahlem, Madeleine. Courriel à Louise Forsyth. 3 juillet 2011.
—. « Foyer. » Le théâtre fransaskois. Recueil de pièces de théâtre. Tome 2. Ed. Françoise Sigur-Cloutier et Stéphane Côté. Regina : Éditions de La Nouvelle Plume, 2007. 121-167. Une première version de cette pièce paraît dans L’R libre. L’Air, Aire, Ère libre. Théâtre et contes urbains. Saint-Boniface : Éditions des Plaines, 2002. 57-66. Imprimé.
—. « Mot de l’auteure, » Programme de la production de La Maculée/sTain. La Troupe du Jour 2011. Imprimé.
—. « sTain / La Maculée. » New Canadian Realisms. Eight Plays. Eds. Roberta Barker & Kim Solga. Toronto: Playwrights Canada Press, 2012. 359-428. 2011.
—. « Tournesol. » Le théâtre fransaskois. Recueil de pièces de théâtre. Ed. Françoise Sigur-Cloutier et Mireille Lavoie. Tome 4. Regina : Éditions de La Nouvelle Plume, 2009. 1-15. Imprimé.
Culp, Holly. « My French is awful, but I am pretty sure this plays is ‘très bon’. » The Sheaf 11 mars 2011: B5. Imprimé.
Forsyth, Louise H. « Les enjeux d’une pratique théâtrale et dramaturgique francophone à Saskatoon. Notes pour un historique d’Unithéâtre et de la Troupe du Jour. » Revue historique 11 (1 octobre 2000) :1-10. Imprimé.
—. « La Troupe du Jour de Saskatoon: une compagnie-laboratoire. » Les théâtres professionnels du Canada francophone. Entre mémoire et rupture. Ed. Hélène Beauchamp et Joël Beddows. Ottawa: Le Nordir, 2001. 135-150. Imprimé.
—. « Creating Francophone Theatre in Saskatchewan. » West-Words. Ed. Moira Day. Regina : Canadian Plains Research Centre, 2011. 128139. Imprimé.
—. « La Troupe du Jour, Saskatoon’s Professional French-Speaking Company/La Troupe du Jour, théâtre professionnel francophone de Saskatoon. » Encyclopedia of French Cultural Heritage in North America. 2010. Web. 10 mai 2012.
Francois, Robert Barry. « Theatre Review: La Maculée/Stain, » FFanzeen: Rock’n’Roll Attitude with Integrity». 13 avril 2011 : 1-6. Web. 15 juillet 2011.
Fuller, Cam. « Bilingual Play Deals with Religion. » The Star Phoenix 4 mars 2011: B1. Imprimé.
Gareau, Laurier. « L’activité culturelle et artistique dans la communauté francophone canadienne de la Saskatchewan au début du XXe siècle. » Pratiques culturelles au Canada français, Ed. Gilles Cadrin, Paul Dubé, Laurent Godbout. Edmonton : Institut de recherche de la Faculté Saint-Jean, 1996. 241-254. Imprimé.
La Troupe du Jour. Web. 15 février 2012.
Léveillé, J.R. « Entrevue avec Laurier Gareau, le parrain du théâtre fransaskois. » Liaison 135 (2007) : 17-20. Imprimé.
McKay, Stephanie. « New Play Lets Everyone in. » The Star Phoenix. 7 mars 2011: B1. Imprimé.
Thomas, Meagen. « Five Qs: Local Playwright. » Verb 28 février 2011 : 10. Imprimé.
« Projets de développement artistiques. La Troupe du Jour. » Web. 15 février 2012.
Notes
1 L’étude faite dans cet article est basée sur le manuscrit envoyé par Madeleine Blais-Dahlem à l’auteure le 12 janvier 2011. BlaisDahlem a travaillé La Maculée en atelier dramaturgique en 2009 à Montréal avec l’auteure, metteure en scène et enseignante québécoise Marie-Ève Gagnon. La Troupe du Jour en a fait une lecture publique sur sa Second Scène en 2010 et l’a créée sur sa scène principale au cours de sa saison 2010-11. sTain, la version anglaise de cette pièce, a été travaillée en atelier et présentée en lecture publique en 2009 dans le Groundswell Festival of New Plays de Nightwood Theatre à Toronto.
2 Le parrain (voir Léveillé) de la dramaturgie fransaskoise est l’historien, écrivain, metteur en scène, animateur culturel et rédacteur de la Revue historique, Laurier Gareau, auteur de plus de quarante pièces. Il ne cesse d’écrire et de faire créer en scène de nouvelles pièces, tout en donnant son appui précieux à tous ceux et toutes celles qui travaillent au théâtre partout en Saskatchewan. Il est le fondateur à Regina du théâtre communautaire L’Oskana. Voir http://www.artenlys.ca/laurier_gareau_dramaturge_auteur_comedien_ot1_n397.html
3 La Troupe du Jour, fondée en 1985, a souligné dès le départ la priorité que ses membres accordaient à la création dramaturgique. Elle a depuis exploré une gamme de stratégies innovatrices, surtout celles qui rehaussent la qualité théâtrale par l’exploitation de la richesse du bilinguisme, pour faire survivre le théâtre francophone professionnel dans un contexte minoritaire. Le journal hebdomadaire fransaskois L’Eau vive rend régulièrement compte des productions de La Troupe et d’autres compagnies théâtrales communautaires, amateures et scolaires de la province. Voir les études mentionnées ci-dessus dans « Ouvrages cités » et aussi www.latroupedujour.ca.
4 Voir note 1.
5 Ouvrages consultés: Culp, Francois, Fuller, McKay, Thomas.
6 La pièce Les Vieux péteux est inédite. Elle fut lue dans un atelier au Périscope à Québec (2007) et produite en scène à Saskatoon par La Troupe du Jour (2008). Old Farts, version anglaise de cette pièce, fut sélectionnée pour le Spring Festival of New Plays, Saskatchewan Playwrights Centre (2008).
7 L’usage que Blais-Dahlem fait de la notion du maculage n’est pas commun. Le gérondif n’est pas normalement employé comme substantif pour désigner une personne. Une macule est une salissure ou une trace d’encre sur une feuille de papier. On macule des vêtements, une table ou un manuscrit. Ni le substantif la macule ni le verbe maculer n’a de connotation morale. Par contre, le contraire de maculé, immaculé, véhicule avant tout une forte charge morale. Ce qui est immaculé est sans tache de péché. Le titre de la pièce de BlaisDahlem suggère donc, très ironiquement, que quelqu’un ou quelque chose a sali une jeune femme innocente, l’a rendu coupable, comme si elle était une chose qui devait rester sans souillure. Le néologisme de Blais-Dahlem se prête de façon exquise à des connotations particulièrement morales, moralisantes, et ironiques suggérées par la thématique de la pièce.
8 Les chiffres entre parenthèses dans cette étude renvoient à la page du manuscrit de La Maculée du 12 janvier 2011.
9 Les nombreux «  revivals  » de l’époque, organisés par des sectes protestantes, étaient des assemblées religieuses destinées à raviver la foi de ceux et celles pour qui les religions traditionnelles, comme le catholicisme et l’anglicanisme, ne semblaient plus pertinentes.