Présentation / Introduction

Les théâtres francophones de l’Ouest canadien : investir sa marginalité

Louise Ladouceur
Rédactrice Invitée

1 Éloignés des centres francophones de l’Est du Canada et de leurs institutions théâtrales, les créateurs et créatrices de l’Ouest œuvrent dans l’extrême marge de la francophonie canadienne. Investissant cette marginalité qui leur est propre, les artistes des communautés francophones de l’Ouest donnent à voir des réalités souvent méconnues dans des œuvres dont la théâtralité reflète les contextes dont elles sont issues. Le questionnement identitaire généré par une hybridation culturelle imposée ou consentie— laquelle se manifeste autant dans le texte que dans sa performance—, l’ouverture à une diversité jugée nécessaire à la survie, l’engagement d’une communauté dans le développement de sa dramaturgie, la valorisation de la langue et de la culture métisses sont des aspects abordés dans les articles réunis ici qui mettent en lumière les préoccupations et les aspirations d’artistes œuvrant au sein des communautés francophones de l’Ouest canadien, ainsi que les moyens dramatiques qui façonnent leur œuvres.

2 Les participants au colloque sur le théâtre de l’Ouest canadien organisé en 2011 à Saskatoon par Marie-Diane Clarke ont pu admirer le dynamisme de la communauté théâtrale fransaskoise réunie autour de la Troupe du Jour, un dynamisme dont témoignent plusieurs articles inclus dans ce numéro. Avec l’inauguration du Centre de production en 2011, la Troupe s’est dotée de locaux et de moyens accrus pour poursuivre l’élaboration d’une dramaturgie fransaskoise, amorcée déjà depuis une dizaine d’années avec la mise sur pied du Cercle des écrivains. Jouant un rôle central dans le processus d’appui dramaturgique de La Troupe du Jour, le Cercle a suscité l’émergence de textes et accompagné les auteurs afin qu’ils mènent à terme leur projet d’écriture en vue d’une création sur scène. Comme le montre le texte de Mariette Théberge et Francine Chaîné, la démarche adoptée au Cercle se conçoit comme un processus systémique de développement dramaturgique procédant d’une volonté ferme de créer un répertoire fransaskois qui a mené à la création de nombreux textes.

3 Dans son étude du trajet suivi depuis la fondation de la troupe Unithéâtre à l’Université de la Saskatchewan en 1969-70 jusqu’à l’inauguration du Centre de production de la Troupe du Jour, Marie-Diane Clarke suit le parcours d’un théâtre et d’une dramaturgie qui se veulent le reflet de réalités fransaskoises de plus en plus diversifiées. On mise d’ailleurs sur cette diversité pour contribuer au dynamisme de la francophonie saskatchewannaise comme le préconise le rapport de la Commission sur l’inclusion de la communauté fransaskoise déposé en 2006 à l’Assemblée communautaire fransaskoise sous le titre De la minorité à la citoyenneté.1 Cette ouverture à la différence incite aussi les auteurs fransaskois à explorer leur bilinguisme dans des pièces qui mettent en scène la dualité linguistique qui est au cœur de leur histoire et de leur réalité quotidienne. Dans le même esprit d’ouverture, certaines représentations de ces pièces sont accompagnées de surtitres anglais afin de rejoindre non seulement le public anglophone mais aussi les artistes anglophones avec lesquels on veut entretenir un dialogue jugé essentiel. Issue du processus dramaturgique mis en place au Cercle des écrivains, la pièce de Madeleine Blais-Dahlem, La Maculée, a été créée à la Troupe du Jour en 2011. Dans son étude de la pièce, Louise Forsyth met en relief la condition des pionnières isolées dans l’immensité de la plaine, coincées entre deux langues, soumises aux pressions des hommes et de l’église et pour lesquelles la folie pouvait offrir une échappatoire. Elle examine aussi comment la pièce de Blais-Dalhem exploite la potentialité esthétique du bilinguisme.

4 La pièce de Joey Tremblay et Jonathan Christenson, Elephant Wake, est l’objet de deux études qui en soulignent l’originalité textuelle et théâtrale. Nicole Côté traite de la résilience de la minorité franco-canadienne de l’Ouest, dont la survie passe par de constantes négociations avec le groupe hégémonique. Elle fait voir à travers son analyse de la pièce qu’il est impossible de fixer une identité et que la seule issue réside dans une pluralité d’appartenances identitaires. On peut aussi observer cette résilience dans la façon dont le comédien Joey Tremblay adapte sa performance aux ressources linguistiques de son auditoire, comme le démontre l’étude de Nicole Nolette. Cette dernière fait voir, en outre, que le monodrame est une forme d’expression théâtrale privilégiée par les artistes francophones de l’Ouest puisqu’il reproduit dans sa forme, sa thématique et ses conditions de production l’exiguïté propre à ces régions. Enfin, Lise Gaboury-Diallo et Mariyka Hrynyshyn examinent l’emploi novateur du mitchif dans Li Rvinant de Rhéal Cenerini, créé au Cercle Molière à Saint-Boniface en 2011. Elles proposent aussi une analyse mythocritique de la pièce à travers la « rhétorique du métissage » qu’elle met de l’avant.

5 Dans la section Forum, Ian Nelson fait l’historique d’Unithéâtre, troupe universitaire qu’il a lui-même fondée en 1969 et dont il a longtemps guidé les destinées. Deborah Cottreau, pour sa part, étudie la nouvelle dramaturgie issue des structures de développement dramaturgique mises en place à la Troupe du Jour et son rayonnement sur les scènes nationale et internationale. Elle souligne le rôle crucial joué par le directeur actuel de la troupe, Denis Rouleau.

6 Certains de ces articles sont le résultat de recherches effectuées dans le cadre d’une Alliance de Recherche Universités-Communautés (2008-2013) portant sur les identités francophones de l’Ouest canadien. Je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada de son indispensable appui financier.

Notes
1 Ce document est accessible à l’adresse suivante : www.fransaskois.sk.ca