Compte Rendus/Book Reviews

Rosalind Kerr, ed. Queer Theatre in Canada. Vol. 7

Hervé Guay
Rosalind Kerr, ed.
Queer Theatre in Canada
Critical Perspectives on Canadian Theatre in English. Vol. 7.
Toronto: Playwrights Canada, 2007. 282 pp.

1 Dirigé par Rosalind Kerr, Queer Theatre in Canada est le septième volume de la collection «  Critical Perspectives on Canadian Theatre in Canada  ». Comme ce recueil de textes est paru en 2007, il peut paraître étrange au lecteur de le voir recensé si tardivement. Mais il en va parfois ainsi pour de tels livres quand presque l’ensemble des chercheurs qui travaillent dans une spécialité figure dans la table des matières d’un ouvrage, il est alors moins aisé de trouver quelqu’un pour en faire le compte-rendu. D’où l’idée étrange de faire appel à un francophone, avec les difficultés que cela suppose quand le terme central du titre ne trouve pas d’équivalent dans la langue de celui qui doit en signer la recension. En fait, je ne connais aucun vocable français dont la signification et les connotations recouvrent celle de «  queer  ». Le syntagme le plus proche serait « diversité » utilisé lors des célébrations de la fierté gaie de Montréal. Or, en plus de ne pas renvoyer directement à la question de l’orientation sexuelle, ce substantif ne procède pas à la revalorisation d’un mot autrefois jugé péjoratif. À moins qu’on ne se rebatte sur le qualificatif « étrange », encore plus vague que le précédent. En effet, « diversité » possédait au moins l’avantage d’inscrire le phénomène dans la cité et de s’attaquer au caractère normatif de sa définition habituelle.

2 Quoiqu’il en soit, l’un des intérêts de ce florilège—car il s’agit d’une sélection d’une bonne vingtaine textes portant sur le théâtre gay, lesbien, bisexuel et transgenre (GLBT)—est justement qu’il montre l’évolution du phénomène au Canada : d’une dramaturgie gay à des manifestations et à des performances qui en viennent à être regroupées sous le terme rassembleur de queer. Du coup, estil souligné, le mouvement passe de la radicalité et de la fixité à une ouverture et une fluidité plus grandes. Toutefois, ce tournant, soutiennent certains, en gomme le caractère critique et subversif, voire prépare le terrain au retour de l’exclusion au sein même de la communauté GLBT. Les pages les plus éclairantes à ce sujet sont signées par J. Paul Halferty, Sky Gilbert, ainsi que par la directrice de la publication. Le premier observe avec subtilité l’évolution de l’usage du mot queer de la part des dirigeants de Buddies in Bad Times Theatre. Le second, qui a jadis été le directeur artistique de cette compagnie, déplore cruellement le fait qu’aujourd’hui, les jeunes soient surtout incités par les tenants du théâtre queer actuel à se fondre dans la société sans manifester de différence qui puisse choquer. Pour sa part, Rosalind Kerr est d’avis que le « queer theatre » n’a peut-être été qu’une « utopic fantasy », car, dans leur abandon du militantisme pour une interrogation de la normalité, écrit-elle en citant Sue-Ellen Case, ses tenants ont oublié le pouvoir intégrateur du patriarcat, du capital et de la nation.

3 Cette dernière est avec Michel Foucault, Judith Butler et quelques autres les principales sources théoriques auxquelles s’abreuvent les quelques 21 auteurs des articles réunis ici. On ne retrouve donc pas une très grande diversité sur ce plan. À cette faiblesse relative s’ajoute un petit nombre de témoignages et d’amis écrivant sur des gens avec qui ils ont travaillé, ce qui donne à penser que l’ouvrage aurait pu être resserré sans perdre pour autant de sa pertinence. Par exemple, les deux derniers articles du recueil n’apportent rien que le lecteur n’avait pas déjà compris.

4 Queer Theatre in Canada a cependant d’autres qualités. Le livre comporte de fines études de pièces de John Herbert, Michel Tremblay, Tomson Highway, Brad Fraser et Sonja Mills, tandis qu’à des époques et à travers des perspectives différentes, Robert Wallace (1994) et Rosalind Kerr (2007) font respectivement un survol des pièces gaies et lesbiennes produites au Québec, dans un cas, et au Canada anglais, dans l’autre. Susan Bennett signe également une analyse perspicace de la réception critique au pays d’Angels in America. La représentation n’est pas ignorée, qu’elle concerne les prestations de travestis, de transgenres ou le projet formidable de Shawna Dempsey et de Lorri Millan (Lesbian National Park Rangers) ou encore l’apport de Pol Pelletier et du théâtre féministe québécois au mouvement expérimental et à la recherche de nouvelles formes remettant en question l’hétéronormalité scénique. C’est aussi une excellente idée que d’inclure la décortication de manifestations moins traditionnelles, telles celles des rituels de deuil queer, du rôle des drags dans deux défilés de la fierté (Pride Parades) ou encore une critique de la lutte professionnelle. En fait, les meilleures études sont celles qui sous-estiment le moins la difficulté qu’il y a à résister à des normes qui ne se laissent pas facilement oublier. Ironie, parodie, outrance, ludisme et crudité de la langue constituent donc autant d’outils pour critiquer, voire tourner en dérision, ceux qui possèdent le pouvoir de définir ce qui est soi-disant universel.

5 À ce propos, la principale différence que l’on peut observer si l’on compare la situation canadienne à la situation québécoise en matière de théâtre queer s’avère cependant qu’au Québec, le mouvement s’est développé à la fois sur les grandes et les petites scènes, trouvant rapidement un public relativement vaste, tandis qu’au Canada anglais, il paraît avoir été plus souvent confiné à la marge et davantage destiné à la communauté GLBT elle-même. Autrement dit, les Tremblay, Brassard, Poissant, Lepage et Pelletier ont toujours cru que la singularité de leur point de vue était nécessaire à l’ensemble de la société, alors que la chose a l’air moins vraie pour certains artistes queer canadiens-anglais. Mais cela n’est peut-être qu’une impression. Il n’en demeure pas moins que l’exploration de l’orientation sexuelle au théâtre a grandement participé à la transformation de la société canadienne. Sans doute cette transformation a-t-elle surtout bénéficié à l’homosexuel blanc de la classe moyenne, comme le signale Rosalind Kerr, mais il serait étonnant que d’autres ne profitent pas de ce que la porte a maintenant été entrouverte.