Book Reviews / Comptes Rendus

S. Bay-Cheng, C. Kattenbelt, A. Lavender, and R. Nelson. Mapping Intermediality in Performance.

Marine-Christine Lesage
l’Université du Québec à Montréal

S. Bay-Cheng, C. Kattenbelt, A. Lavender, and R. Nelson. Mapping Intermediality in Performance. Amsterdam : Amsterdam UP, 2010. 304pp.

1 Ce livre collectif se présente comme une véritable cartographie de l’impact des médias numériques sur le théâtre, dans une perspective intermédiale. L’ouvrage adopte la forme de cinq portails (Portal  : Performativité et connaissances corporelles; Temps et espace; Culture numérique et post-humanisme; Mise en réseau; Praxis Pédagogique) qui se clôturent par une rétrospective (une synthèse historique). Chaque portail s’ouvre avec un ou deux articles théoriques de fond sur la question abordée, suivi de nœuds (Node) qui offrent des définitions de termes clés. Le portail et les nœuds sont exemplifiés par des analyses (Instances) de spectacles et créations théâtrales permettant de développer concrètement les notions initiales. Ainsi l’ouvrage offre-t-il l’avantage d’une consultation dynamique et efficace au lecteur. Cette composition d’ensemble est tout à fait appropriée pour un ouvrage collectif, car il ne prétend pas offrir un développement unifié mais table au contraire sur la diversité et la ramification des points de vue entre eux. Comme l’affirment les auteurs, ce livre utilise la métaphore de la carte pour essayer de décrire et théoriser le théâtre intermé-dial contemporain.

2 Les différents portails abordent la question de la remise en question de la conception que l’on a du théâtre, dans le contexte de l’intégration des médias de production, d’enregistrement, de stockage et de l’interactivité, en déplaçant le regard posé sur celuici d’un portail à l’autre. Dans l’ensemble, on y défend l’idée selon laquelle les technologies numériques ont permis de développer la «  multimodalité  » du théâtre et ouvert la porte à de nouveaux rapports au temps et à l’espace. De plus, le champ du théâtre devrait aujourd’hui être élargi à la notion de performance, ce qui rejoint la thèse défendue par Chris Salter dans son livre Entangled. Les études présentées dans l’ouvrage sont toutes fondées sur l’intermédialité, comprise comme un pont reliant les différences existant entre les médias et reposant sur leurs similitudes. Les différents exemples développés analysent les spécificités des interrelations entre les médias existant dans diverses performances à l’ère numérique. Selon C. Kattenbelt, le théâtre est particulier par son aptitude à mettre en scène d’autres médias, à les incorporer sans les transformer et sans abandonner la spécificité de ce qui le constitue, un art « live » de l’ici et maintenant.

3 Le premier portail, consacré à « Performativity and Corporal Literacy  », présente deux chapitres théoriques fort intéressants quant aux questions touchant à la performativité dans les arts. Kattenbelt développe une réflexion sur la manière dont l’intermédialité dans la performance peut être comprise comme un mode de performativité qui relèverait de la mise en scène de médias, et Bleeker discute de la manière dont l’intermédialité dans le théâtre et la performance est reliée à des processus synesthésiques et de perception. Le texte de Kattenbelt évoque le tournant performatif dans les arts, qu’il relie à la médiatisation de la culture et de la société tout au long du 20 ème siècle : il observe une radicalisation des aspects performatifs qui renforce la matérialité expressive des créations esthétiques. Selon l’auteur, la situation esthétique est un événement de mise en scène et de construction de monde(s) dans l’ici et le maintenant, qui intensifie l’incarnation de l’expérience esthétique. Il ne considère pas que la sémiotique (le sens, la signification) s’oppose à la phénoménologie (l’expérience perçue) : le sens ne se situe pas dans un objet mais dans l’expérience esthétique qu’on en fait. Il considère également que le théâtre est devenu le paradigme des arts en général et que le tournant performatif est aussi un retour au théâtre. On retrouve aussi dans cette section (sous Node) les définitions des termes  : Experiencer, Embodiment, Intimacy, Presence, Immersion. Les exemples développés ensuite portent tant sur Second Life « on Stage », sur le VJing que sur une création du groupe Rimini Protokoll, Mnemopark (2005). Fondée sur la manipulation d’objets dans une maquette miniature qui est filmée et projetée sur un grand écran, la performance se présente comme un processus dévoilant la manière dont les supercheries de «  l’authenticité  » et de la «  vérité  » sont fabriquées. De plus, l’usage de la technologie permet de théâtraliser l’illusionnisme, repoussant ainsi les limites du théâtre. Chacun des exemples développés dans les Instances emploie des termes qui ont été définis dans les Nodes.

4 On retrouve, à la section « Temps et espace », deux articles théoriques : « Temporality » de S. Bay-Cheng et « Spatiality » de B. Wiens, qui abordent les nouvelles relations entre les dimensions auparavant fixes du temps et de l’espace. Les termes définis donnent un aperçu de ces changements  : Displacement, Deterritorialisation, Glocalisation et Telematic. Bay-Cheng explique que le modèle classique du temps, une ligne qui s’étend horizontalement et progressivement, a été remplacé par une vision moderniste du temps : une pile verticale, où chaque instant est imprégné simultanément du passé, du présent et du futur. Ce changement de temporalité est advenu tardivement au théâtre, car la performance a toujours été une expérience linéaire et temporelle. Quant à la spatialité, elle est maintenant vue comme un agent actif selon B. Wiens, grâce aux espaces plurimédiaux interconnectés. La conception du théâtre est troublée par les pratiques intermédiales. Les espaces médiaux peuvent interagir dynamiquement de manière à modifier le critère «  live  » des événements en temps réel. La scène devient une plateforme, une interface où des espaces réels, imaginés et virtuels peuvent se reconfigurer les uns les autres. L’auteur se réfère amplement à l’ouvrage de S. Dixon, Digital Performance, pour étayer son argumentation. Les spectacles analysés sont très intéressants  : Purgatoire (2008) de la compagnie Socìetas Raffaello Sanzio est abordé à la lumière des notions de déplacement, d’hyperréalité et d’élargissement de la perception du spectateur; Modell 5 (2001) du groupe Granular Synthesis parle des manières dont le traitement du son et de la vidéo numérique affecte notre expérience du « présent » dans la performance.

5 Les deux autres portails sont tout aussi riches en réflexions théoriques et analyses de créations : on retrouvera dans le portail « Digital Culture and Posthumanism » une étude approfondie des caractéristiques clés de la culture numérique  : le fait que des médias, des phénomènes et des catégories apparemment distincts sont interreliés de manière productive. De plus, les performances intermédiales sont hybrides, elles impliquent simultanément la fragmentation et la synthèse, l’immédiateté et la médiation, l’engagement individuel et la séparation. R. Remshardt développe cette idée en relation avec le « posthumain », suggérant que les corps sont des parties d’un système et que nous sommes à une ère « postbiologique » comme l’a affirmé Ascott. Les termes de matérialité, transparence et virtualité sont abordés dans les Nodes. Le portail suivant traite du « Networking » et on y trouvera de très bonnes analyses des créations de R. Lepage et F. Castorf. Le livre se clôt sur un dernier portail consacré à la « Pedagogic Praxis » et une « Retrospection : the Pre- and Proto-digital » qui permet, en conclusion, de situer l’intermédialité dans le contexte plus large des arts au 20 ème siècle. Dans son ensemble, cet ouvrage propose des avenues de réflexions stimulantes et pertinentes, parfois controversées, pour aborder les scènes contemporaines intermédiales et performatives.