Book Reviews / Compte Rendus

Erin Hurley (dir.). Les arts de la scène au Québec.

Irène Roy
Université Laval
Erin Hurley (dir.). Les arts de la scène au Québec. Globe, revue internationale d’études québécoises 11.2 (2008). 241 pp.

1 Fidèle à sa mission, Globe propose à ses lecteurs un numéro qui met en valeur les dimensions sociales et culturelles des arts de la scène au Québec. Si le projet thématique de ce dossier peut paraître a priori ambitieux, le choix des pratiques spectaculaires abordées de même que l’angle d’approche privilégié par les différents chercheurs donnent un bon aperçu du paysage théâtral québécois tout en mettant l’accent sur le travail de créateurs reconnus internationalement. Pour ceux et celles désireux d’avoir une vision globale des sujets et des phénomènes à l’étude, leur dynamique évolutive, très présente dans le propos de chacun des articles, en élargit, à même l’histoire de leur transformation, le potentiel heuristique. L’introduction d’Erin Hurley offre au lecteur moins familier avec l’histoire du théâtre québécois « un bref tour d’horizon des moments et des figures clefs [. . .] qui permettent d’éclairer les contributions [. . .] rassemblées», et facilite la saisie des enjeux initiés à même le questionnement identitaire qui a donné son essor au développement dramaturgique des quarante dernières années. L’article de Robert Aird, consacré à l’évolution du monologue québécois de 1900 à nos jours, souligne l’importance de ce rapport à soi en démontrant comment, en tant que genre autonome non intégré à une pièce de théâtre, le monologue a accru son efficacité comique au fil du temps. Ce récit a le mérite de nous faire découvrir, des premiers monologuistes de la fin du 19e siècle jusqu’aux « stand up » comique d’aujourd’hui, des figures marquantes qui ont façonné l’une des manifestations spec-taculaires actuelles parmi les plus populaires.

2 L’étude comparative de trois mises en scène d’Hosanna de Michel Tremblay que propose Robert Schwartzwald réfère à une quête de soi ancrée cette fois dans des contextes sociaux qui, d’hier à aujourd’hui, ont suscité l’évolution du rapport entre marginalité et normativité. L’analyse des choix de création et des conditions de réception à trois époques différentes, au Québec et au Canada anglais, met au jour l’intemporalité et l’universalité d’une œuvre le plus souvent associée aux questions identitaires nationales et homosexuelles.

3 Le travail de Gilles Maheu, Robert Lepage et Denis Marleau, trois des metteurs en scène qui ont le plus largement contribué à la reconnaissance de la dramaturgie québécoise à l’étranger, fait l’objet d’analyses convaincantes qui apportent un éclairage nouveau à des parcours artistiques maintes fois étudiés. « De la rue à l’usine. Les lieux de Carbone 14 » met l’accent sur la relation étroite qui existe entre la création d’une œuvre et le contexte environnemental ou architectural de sa production. L’angle de vision adopté par Adeline Gendron montre bien comment le passage de l’exploration de lieux marginaux à des espaces scéniques fixes a fortement influencé le cheminement esthétique d’une compagnie qui, d’abord vouée à l’expérimentation d’une conception du jeu basée sur la stylisation du corps et du mouvement, s’est progressivement tournée vers l’exploration d’espaces métaphoriques associés au « théâtre de l’image », puis au « théâtre-danse ».

4 Si de nombreuses études ont souligné l’importance de la représentation de la diversité culturelle au sein des spectacles de Robert Lepage, telles que présentées par Karen Fisher, les problématiques suscitées par ce choix sont observées dans toute leur complexité à partir de la réception critique du spectacle Zulu time, au Québec et ailleurs dans le monde. L’auteure décortique avec minutie personnages et lieux non québécois désignés tantôt comme « clichés », tantôt comme « stéréotypes » ou « manifestations xénophobes ». Les nombreux exemples de controverses engendrées par le spectacle réfèrent à des éléments brûlants de l’actualité qui soutiennent ces réactions et font clairement ressortir qu’au-delà des intentions exprimées par les artistes, la vision de « l’autre » au sein du tissu social a priorité sur la compréhension de la signification visée.

5 L’importante question de la non-présence de l’acteur sur scène dans le théâtre contemporain est au cœur de l’examen de deux productions du spectacle Les Aveugles mis en scène par Denis Marleau. À travers cette très belle réflexion sur le passage de « l’inanimé à l’anima », insufflé par la volonté du metteur en scène de donner priorité à la profération et à l’écoute du texte, Ève Irène Therrien approfondit avec une grande justesse le « processus de désincarnation » que Marleau impose aux acteurs et les réactions que ce procédé engendre sur les spectateurs.

6 Enfin, c’est au Cirque du Soleil que revient de clore ce dossier où prédomine l’interdisciplinarité dans la structuration des esthétiques spectaculaires. À travers son analyse de l’usage des « corps multiples » - personnage, performant, charnel - qui peuplent les spectacles de cette compagnie, Erin Hurley contribue de manière originale à l’étude des spécificités qui opposent, sur le plan physique, « ancien » et « nouveau cirque ».

7 Deux rubriques viennent compléter la thématique à l’œuvre dans le dossier. Dans sa « Note critique », Marie-Christine Lesage, en initiant le lecteur aux divers concepts qui ont été mis de l’avant pour théoriser l’hétérogénéité propre aux pratiques scéniques contemporaines, facilite la compréhension d’un bagage terminologique qui pose problème à de nombreux chercheurs en théâtre. Par sa clarté et sa précision, cet article s’avère incontournable pour quiconque souhaite se doter de points de repère fiables en ce domaine. Polémique sans être alarmiste, le regard critique que porte Sylvain Schryburt sur la crise du modèle théâtral québécois ne peut nous laisser indifférent et ouvre sur l’urgence de requestionner certaines pratiques institutionnelles qui amplifient « un déséquilibre entre les générations ».

8 En conclusion, l’éventail des textes donné à lire dans ce numéro de Globe offre une vision synthèse des arts de la scène au Québec qui a tout pour intéresser le chercheur désireux de découvrir les dynamiques créatrices qui ont été à l’œuvre dans la mouvance du processus de ses transformations, d’en approfondir les enjeux ainsi que les défis inhérents à son évolution.