Articles
Le théâtre à Ottawa 1870-1880 :
femmes s’abstenir

Mariel O’Neill-Karch
Université de Toronto

Abstract

Many different forms of theatre were produced in Ottawa in the 1870s, depending upon their provenance (professional touring companies from the USA., England, and France, as well as local amateur productions) and the linguistic community for which they were intended. At that time, Church censorship prevented women from appearing on Ottawa’s only francophone stage, that of the Institut canadien-français, except in the case of operettas. In spite of this ruling, francophone theatre survived and was welcomed by an appreciative public.

Résumé

Le théâtre produit à Ottawa entre 1870 et 1880 était varié, ce qui tenait à sa provenance (théâtre professionnel de tournée, venu des États-Unis, d’Angleterre et de France, ou théâtre amateur local) et à la communauté linguistique à laquelle il s’adressait. À cette époque, la censure ecclésiastique empêchait les femmes de jouer sur la seule scène francophone d’Ottawa, celle de l’Institut canadien-français, à moins qu’il ne s’agisse d’opérette. Malgré cette interdiction,le théâtre présenté en français a pu survivre et divertir un public qui en était friand.

1 Eugène Labiche, auteur d’un grand nombre de vaudevilles, fait donner à un de ses personnages une définition impitoyable du genre: « c’est toujours la même chose; le vaudeville est l’art de faire dire oui au papa de la demoiselle qui disait non » (45). À Paris, des actrices comme Anna Chéri, Blanche Pierson et Madame Grassot interprétaient avec grand succès ces demoiselles et leurs mères. À Ottawa, par contre, vers la même époque, la censure ecclésiastique empêchait les femmes de jouer sur la seule scène francophone de la ville, celle de l’Institut canadien-français, à moins qu’il ne s'agisse d’opérette. Malgré cette interdiction, le théâtre a pu survivre et divertir un public qui en était friand,comme l’atteste cet article qui est, comme on le verra, un travail d’archéologie dans des limites spatiales et temporelles précises. Nous avons en effet choisi de privilégier la décennie 1870-1880 pour répondre, en quelque sorte, au travail de Mary M. Brown sur le théâtre anglophone. Notre étude, comme la sienne, repose sur de nombreux documents d’époque dont les annonces de spectacles et programmes reproduits plus loin. Comme elle,nous nous arrêtons en 1880, mais pour des raisons différentes : c’est l’année où les femmes ont enfin pu interpréter, à l’Institut canadien-français, les rôles qui leur revenaient à condition, bien sûr, que les pièces choisies respectent la morale. L’article est suivi d’un tableau présentant les pièces les plus jouées pendant la décennie.

2 La ville d’Ottawa, capitale fédérale depuis 1857, attirait bon nombre de francophones. Le recensement de 1871 indique que, sur une population de 21 245, il y avait 7 244 Canadiens français, ce qui représente à peu près le tiers. Plusieurs chefs de famille se sont joints à l’Institut canadien-français,1 club masculin, fondé en 1852 pour répondre aux besoins les plus pressants de l’élite francophone de la ville. L’Institut servait, en effet, de cadre à des conférences, à un cabinet de lecture, et, dès 1857, à un Cercle ou « Club » drama-tique dont les membres présentaient à un rythme impressionnant, des séances musicales et dramatiques.

3 Dans une causerie donnée en 1928, Napoléon Mathé, fonctionnaire de carrière et musicien à ses heures, passa en revue ses soixante ans à l’Institut. Voici comment il décrit le théâtre, tel qu’il existait entre 1867, l’année qu’il est devenu membre, et 1877, lorsque l’Institut déménagea de la rue Sussex à la rue York:La salle de l’Institut, proprement dite, était large d’une trentaine de pieds et haute d’une vingtaine, du plancher aux poutres sur lesquelles s’appuyait le toit en mansarde. Elle pouvait contenir quatre cents personnes2 à peu près, en comptant une petite galerie, en arrière, qui logeait une cinquantaine de sièges. À un bout de la salle, faisant face à la galerie, une estrade, de quatre ou cinq pieds de hauteur, était pourvue, de chaque côté, de coulisses étroites et offrait une scène d’une douzaine de pieds de largeur et d’à peu près la même profondeur. Comme vous le voyez, ce n’était pas la scène de « l’Hippodrome » de New York. (5)Malgré sa petite taille, la salle de la rue Sussex était très fréquentée, comme le raconte savoureusement Mathé:En vous parlant de la salle de théâtre ou de concert, de l’ancien Institut, je vous ai dit qu’elle n’était pas bien vaste. Certes, elle n’était ni grande ni haute, et les soirs de grande représentation, elle ne pouvait que difficilement contenir la foule qui se pressait dans ses murs. Quant à la petite galerie, à l’arrière de la salle, dont le plancher descendait en pente vers la scène, sa rampe, ou balustrade, ne se trouvait qu’à une douzaine de pieds au-dessus du plancher d’en bas et je me rappelle qu’un soir, le Club des amateurs donnait en représentation la saynète musicale bien connue La leçon de chant d’Offenbach. On sait qu’à un moment donné un des deux acteurs, placé dans une loge près de la scène, interrompt le chanteur. Une discussion s’engage entre la loge et la scène, et l’interrupteur monte sur le théâtre pour continuer la discussion. Or, comme il n’y avait pas de loges dans le vieil Institut, l’acteur, qui était Jules Lefebvre, n’avait rien trouvé de mieux que d’aller se placer dans la galerie du fond, au milieu des assistants. Au moment voulu, au lieu de descendre par l’escalier pour se rendre sur la scène, il enjambe tout simplement la balustrade et se laisse tomber sur le sol au milieu des protestations, des cris et des menaces des spectateurs, qui ignorent que « tout ça, c’est dans la pièce ». Ceci vous prouve clairement que j’avais raison en disant que les dimensions de la salle d’alors n’étaient pas énormes. (22-23)Parmi le public qui assistait aux spectacles de l’Institut, il y avait parfois l’évêque. C’est dire qu’il fallait se surveiller.

4 Il est étonnant de constater à quel point le Canada français était soumis aux diktats de ses évêques, contrairement à la France et même à la pourtant très victorienne province de l’Ontario où les femmes avaient autant le droit que les hommes de se produire sur scène. Ce n’est pas tout. Alors qu’en France, les vaudevilles mettaient en scène des maris cocus et des femmes trompées de toutes les façons imaginables, le Canada français devait se contenter de ce qui respectait strictement les convenances. Difficile, avec ces contraintes, de faire du bon théâtre. Si on y réussissait, c’était que certains interprétaient les mandats épiscopaux de façon assez souple, comme le raconte, dans ses Réminiscences, Pascal Poirier (1852-1933):Mgr Guigues [évêque d’Ottawa de 1847 à 1874] avait de l’esprit, énormément d’esprit. Plusieurs qui s’y sont frottés s’en souviennent. Comme tous les hommes vraiment supérieurs, il ne trouvait pas mauvais que d’autres, à l’occasion, en eussent aussi et s’en servissent.
Un jour le directeur dramatique de l’Institut l’alla trouver pour avoir la permission de jouer une comédie dans laquelle il entrait des personnages féminins.
« Je ne puis vous autoriser à faire monter des femmes sur les planches de l’Institut, fut sa réponse.
— Mais des jeunes gens, des éphèbes, habillés en femme?
— Cela vous regarde. Quant à moi, les seules robes qui me conviennent sont des robes noires avec des boutons par devant, et bien boutonnées depuis le haut jusqu’au bas. »
Avant de se retirer, M. Campeau, puisque je l’ai nommé, obtint que des femmes pourraient chanter dans des opérettes, attendu que,à cause de la voix, il est impossible de leur substituer des hommes, mais dans des opérettes seulement.
À quelque temps de là, le public fut invité à une séance opératique de l’Institut. L’évêque s’y rendit.
Au lever du rideau, un chœur composé de tous les figurants entonna « En roulant ma boule roulant »; et la chanson fut suivie d’une délicieuse comédie de Labiche, avec force caractères féminins.
« Et l’opérette, hasarda Sa Grandeur, un peu intriguée.
— Attendez le deuxième acte, monseigneur, lui souffla le président. »
Au deuxième acte, le même chœur enleva « Ô Carillon, je te revois encore », et la comédie reprit son cours.
« Et c’est là votre opérette, demanda l’évêque au prési-dent?
— Oui, Monseigneur; des paroles entremêlées de chant et de musique; une partie chantée et l’autre jouée.
— Je crois bien que c’est moi qui suis joué », murmura l’évêque. Et souriant de la meilleure grâce du monde, il resta jusqu’à la fin de la comédie. » (6-7)

Une affiche annonçant une « grande soirée musicale et drama-tique » pour le 21 février 1872 indique qu’on allait jouer Un jeune homme pressé de Labiche,qui n’a que des rôles masculins,ainsi que l’opérette L’ut dièze, qui comprend deux rôles féminins (Grande soirée musicale, 1872). Cela entre tout à fait dans les « règles » de Mgr Guigues. L’année de la mort de l’évêque, une seconde affiche invite les spectateurs à assister, le 11 mars 1874, à la « seconde grande soirée dramatique du club des amateurs canadien-fran-çais » où on allait jouer deux comédies en un acte à distribution strictement masculine: Le duel ou Ce que vaut l’amitié et Monsieur sans gêne (1816) de Marc-Antoine-Madeleine Désaugiers et Michel-Joseph Gentil de Chavagnac (Seconde grande soirée dramatique).Malgré la nécessité de n’employer que des interprètes masculins, les membres de l’Institut semblent s’en être très bien tirés, selon Napoléon Mathé:Le club d’amateurs se composait d’hommes comme Adolphe Olivier, plus tard le juge Olivier, un acteur qui faisait pouffer de rire son auditoire sans dire un mot ; Jules Lefebvre, avocat brillant mort tout jeune malheureusement, qu’on appelait sur la rue « Félix Poutré » en souvenir de sa création de ce rôle célèbre; F.-R.-E. Campeau, acteur, diseur, chanteur et prestidigitateur [. . .] On y remarquait aussi l’avocat Horace Lapierre,un diseur comique; Blain de Saint-Aubin, musicien, poète et chanteur ; Édouard Châteauvert, comique inimitable; Thomas Davis, surnommé « la garce » à cause des rôles féminins travestis qu’il jouait à ravir; le docteur Charles Martin, fameux dans les rôles d’un Anglais écorchant le français; Oscar Macdonald, Félix Mathé, Jean-Baptiste Pigeon, Alphonse Filion, Lactance Olivier et nombre d’autres depuis longtemps disparus, tous d’excellents acteurs ou chanteurs. (13)Comme par les siècles passés, il semble avoir été préférable d’avoir une « garce » sur scène plutôt qu’une véritable femme.

5 Lorsqu’on compare ce qui se jouait à la même époque, en anglais, et que l’on tient compte du jeu des actrices étrangères qui se produisaient sur les scènes d’Ottawa, on peut comprendre un peu les craintes des évêques. Par exemple, The French Spy or the Seige of Conatantina (1837) de J. T. Haines, joué au Her Majesty’s Theatre en 1870, puis de nouveau en 1874, est une comédie dans laquelle une femme muette, Mathilde de Merie, se déguise en soldat français qui se présente ensuite comme Hamet, un jeune arabe, avant de se déguiser une dernière fois en femme de harem. Le personnage a été interprété par une actrice française, Marietta Ravel:In her hands it is not the conventional Spy with which we are so familiar, but a fresh, sparkling, artistic and admirable performance. Her pantomime simply speaks — her dancing is the perfection of poetry in motion — and her combats simply the most marvellous ever before exhibited by a woman. Her fight with Mr. Ed Lay was the most untiring, skillful and enduring that could possibly be achieved.In fact it is the highest perfection of swordsman skill [...] We know our English citizens will not be behindhand in appreciating a true genius, let her race be what it will. (Ottawa Times, 8 septembre 1874)Si la population anglaise d’Ottawa se précipite pour voir ce genre de spectacle, malgré la « race » de l’interprète, les évêques canadiens-français tentent d’en éloigner leurs ouailles. Voici, par exemple, comment avait réagit, le 20 août 1868, l’évêque de Montréal:Cette nouvelle [de l’arrivée prochaine d’une troupe d’acteurs étrangers] a de quoi nous affliger tous [...] et doit nous inspirer des craintes plus sérieuses que si l’on nous annonçait une nouvelle apparition du choléra ou du typhus [. . .]. Car, il s’agit d’une calamité plus redoutable que tous les maux ensemble, de la peste qui empoisonne les cœurs et d’un scandale public, qui démoralise les sociétés et attire sur le monde des fléaux épouvantables [. . .]. Les pièces qui doivent être représentées, dans ce théâtre et par cette troupe de Comédiens venus de l’étranger, sont d’une immoralité révoltante, et il n’y a vraiment que des cœurs tout à fait dépravés qui puissent n’y trouver du mal. (Cité dans Beauchamp, Julien et Wyczynski, 99)C’était condamner la population canadienne-française, dominée par le clergé, à rester bien sagement chez elle. Pourtant, comme nous le verrons, le public tient à ses divertissements.

6 Le nouvel évêque d’Ottawa, Mgr Duhamel, se chauffe du même bois que son prédécesseur. Lorsque certains des membres de l’Institut lui demandent d’assouplir un peu les règlements, citant en exemple l’évêque de Québec, Mgr Taschereau, le primat du Canada, Mgr Duhamel s’empresse d’écrire à son supérieur. Dans sa lettre du 12 janvier 1878, il cite un règlement de l’Institut datant du 25 novembre 1877, qui bannit non seulement les femmes, mais aussi le travestissement:Toutes pièces, représentations ou chants immoraux dans leur esprit ou dans leur forme ne peuvent être exécutés dans ladite salle [de l’Institut], et aucun personnage féminin, travesti ou non, n’y doit paraître. Exception est faite pour les opéras, dans lesquels des personnages féminins seront tolérés. (cité dans Laflamme et Tourangeau 175)Ces personnages féminins étaient à peine tolérés dans les opéras. Les membres de l’Institut voulaient autre chose et proposèrent une nouvelle formulation:Toute représentation immorale dans son esprit et dans sa forme ne peut être donnée dans ladite salle, et les clubs d’amateurs de cette ville, seuls, auront le privilège de jouer des pièces avec des rôles féminins, pourvu toutefois que les pièces soient soumises à un comité de censure composé de membres de l’Institut. (cité dans Laflamme et Tourangeau 175)C’était, semble-t-il, trop demander. Mgr Taschereau, du haut de son siège épiscopal québécois, sembla ne pas comprendre que les membres de l’Institut canadien-français d’Ottawa étaient adultes, puisque, dans ses réponses à la question posée, il parle d’« écoliers », de « couvents » et de « l’obligation des parents de surveiller leurs enfants » (cité dans Laflamme et Tourangeau 175). Et voilà les membres de l’Institut revenus à la case départ dans leurs relations avec le clergé. Le clou a été enfoncé deux jours plus tard par une lettre de Mgr Duhamel qui rend compte d’une « conférence ecclésiastique » tenue à l’Évêché : « Il a été décidé à l’unanimité que vu les grands dangers qui peuvent en résulter pour les mœurs, il n’était pas possible de permettre de jouer des pièces théâtrales où figureraient des personnages des deux sexes » (Archives 402-3). C’était on ne peut plus clair. Emmanuel Tassé, secrétaire correspondant de l’Institut, a répondu qu’il était « chargé d’assurer Votre Grandeur que l’Institut est fier d’avoir l’occasion de se soumettre au désir de l’autorité ecclésiastique » (Archives 403). Pourtant, comme nous le verrons, à peine deux ans plus tard, les choses commenceront à changer.

7 Il faut dire que c’était bien pire à Montréal, alors que les relations entre l’Institut et l’évêque de la métropole s’étaient envenimées au point qu’il était défendu sous peine d’excommunication de faire partie de l’association (Voisine et al 51).

8 Étant donné cette situation, il n’est pas étonnant que les membres du Cercle dramatique se soient trouvés dans l’obligation de continuer à monter des spectacles à distribution uniquement masculine. Le plus souvent, on prenait le parti d’éliminer les rôles féminins. Le 4 janvier 1871, par exemple, on annonce la Bataille de dames, comédie en un acte, adaptée de l’original, en trois actes, d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé (1851). On peut supposer que c’est la disparition des rôles féminins qui a permis de raccourcir la pièce de deux tiers.Augustin Laperrière, directeur dramatique et musical de l’Institut pendant une bonne partie de la décennie était, selon Pascal Poirier, le maître incontesté de ce genre d’opération: C’était à l’époque où il n’était pas encore permis de faire figurer des femmes sur le théâtre de l’Institut. Le public demandait des représentations dramatiques; et les grands comédiens, Chateauvert, Olivier, Filion, Campeau, Jules Lefebvre, voulaient des pièces, mais non pas des pièces de collège, dont le répertoire, d’ailleurs, était épuisé. Pour contenter à la fois et le public et les comédiens, Laperrière trouva une idée géniale, ce fut de retoucher les pièces en vogue sur la scène française et d’en ôter les personnages féminins. Cette opération, où il excellait, lui valut le nom d’ôteur dramatique. (7)Une seule de ces adaptations a survécu: Les pauvres de Paris (1856) d’Édouard Brisebarre et Eugène Nus, que Laperrière transforma, en 1878 (2002), d’un drame en cinq actes et sept tableaux, avec des personnages masculins et féminins, en un drame en quatre actes, avec des rôles exclusivement masculins. Pascal Poirier raconte que le succès de la production était dû autant à l’affiche qu’à la réputation de Laperrière. On comprend pourquoi:LES PAUVRES DE PARIS
Drame en cinq (sic) actes
MIS EN PIÈCES PAR M. AUGUSTIN LAPERRIÈRE

Il y eut foule, ce soir-là, à l’Institut. (7-8)

En éliminant les personnages féminins de la pièce d’Édouard Brisebarre et Eugène Nus, Laperrière a dû mettre « en pièces » ou modifier de façon substantielle l’intrigue de ce mélodrame et même sa morale. Glen Nichols a montré de façon convaincante les effets produits par ce genre de modifications:Developing out of the most minute technical alterations of language and extending all the way to the most profound modifications of plot structure and character motivation, the gender changes in these plays provide the richest field for analysis. Here the interrelatedness of various dramatic and theatrical factors is the most evident. The apparently simple masculinization of characters, even at the level of seemingly insignificant changes to vocabulary and grammar, necessitated in the minds of the adaptors subsequent modifications of the characters’ descriptions and behaviour. These altered conditions resulted in further, otherwise unnecessary, changes to the relationships between various characters, whether masculinized themselves or not. Finally, even though the fundamental plot may still resemble that of the source play, the target text must also subsequently modify the events and action in order to match the new characterizations and relationships. (161-162)Dans Les pauvres de Paris, Laperrière remplace une scène où la mère éplorée et sa fille veulent se suicider par une scène où il y a une tentative d’empoisonnement, crime commis par un homme, donc plus acceptable, croyait-il, aux yeux du public. Pourtant, dans un compte rendu de la pièce, un spectateur anonyme commente avec humour l’absence de rôles féminins:C’est [. . .] une pièce écrite pour le Canada, pour la scène canadienne, cette scène si épurée, qui ne tolère pas un cothurne féminin. L’amour maternel même en est exclu, tant les gardiens de notre vertu apportent de zèle à conserver intact notre édifice moral [...]Mais les enfants de Bernier, André, Arthur, et leur sœur Antoinette, qui ne se montre pas de toute la pièce (il n’est pas permis aux femmes de jouer un rôle, sur notre scène, qu’à condition de rester dans la coulisse) [...]Quelques-uns ont senti un vif regret d’être frustrés du mariage traditionnel au dénouement. Il faut avouer qu’il y avait là une belle occasion de noces, un père, des frères, un jeune homme haletant d’amour, une dot magnifique, enfin, il n’y manquait qu’une jeune fille. C’est encore un des inconvénients du drame sans personnages féminins. (L’opinion publique, 21 mars 1878, 134)Augustin Laperrière ne s’est pas contenté de son rôle d’« ôteur ». Il a aussi fait d’autres modifications tantôt mineures tantôt majeures pour infléchir la pièce au goût de son public ou, devrais-je dire, au goût des autorités ecclésiastiques. Parmi les changements mineurs, Laperrière croit bon remplacer le « marchand de vin » par un « marchand de chandelles » et le « fabricant de corsets » par un « fabricant de boutons à quatre trous ». Il croyait, semble-t-il, devoir aller jusque là pour sauvegarder la morale et respecter les convenances.

9 À la fin, même si les spectateurs ont été « frustrés du mariage conventionnel au dénouement », ils quittent la salle satisfaits, sans doute, de savoir que les méchants ont été punis et les bons récompensés. Voici la dernière réplique de la pièce de Brisbarre et Nus, confiée à André, réconciliant, généreux et homme du monde : « S’ils ne tendent pas la main [. . .] ouvrons la nôtre; s’ils ne viennent pas à nous, allons à eux [. . .] » (Laperrière 48). Laperrière a préféré donner le dernier mot au capitaine: « À genoux, mon fils, et bénissons la main divine qui nous a frappés » (142). La morale sociale plus que religieuse de Brisebarre et Nus concerne l’attitude qu’il faut prendre devant le malheur des autres, en l’occurrence des pauvres de Paris, dans le sens qu’il a dans ce mélodrame. La morale édifiante de Laperrière est tout autre, puisque, comme Job, Bernier prône la résignation devant sa propre souffrance vue comme un don de Dieu. Est-il étonnant alors que Les pauvres de Paris, adapté par Augustin Laperrière, monté pour la première fois à l’Institut le 7 février 1878, puis repris les 12 et 19 février 1883, connût seulement quelques rares productions?

10 Le public anglophone ottavien, par contre, a pu apprécier au cours des années 1870 une adaptation de cette même pièce faite par le dramaturge irlandais Dion Boucicault, The Streets of New York3 (1857). À part le changement de lieu de Paris à New York et l’élimination du message social par la substitution de « streets » à « poor », Boucicault, trouvant sans doute que l’action n’était pas assez spectaculaire, y ajoute un incendie qui détruit le logement dans lequel vivaient pauvrement la veuve et la fille du malheureux capitaine. Les femmes retrouvent donc leur place dans ce mélodrame et sur scène et le mariage entre la jeune fille et son sauveur est annoncé à la fin. On peut supposer que certains francophones bilingues se sont amusés à comparer les deux versions.

11 Si quelques mélodrames ont été joués à l’Institut, il est évident, en parcourant les titres des pièces jouées entre 1870 et 1880, que ce sont les genres comiques qui dominaient. Cela répond très bien à ce qui se faisait en France à l’époque où le public semble avoir été pris d’une véritable rage de jouissance. Faut-il rappeler que c’est l’époque d’Eugène Labiche et de Georges Feydeau, les deux grands maîtres du vaudeville? Cette jouissance est, le plus souvent, fondée sur des histoires passionnantes de jeunes gens qui disent oui et de pères qui disent non, de maris infidèles, de femmes coquettes, des histoires remplies de nombreux rebondissements et ponctués de chansons. Même dans les quelques pièces de Labiche où il n’y a pas de rôles féminins, la femme n’est jamais loin. Dans Un jeune homme pressé, par exemple, Dardard, le personnage éponyme, fait irruption chez Pontrichet dont il croit avoir aperçu la fille plus tôt dans la soirée. Il en est tombé éperdument amoureux et demande avec insistance sa main à son père. La jeune femme n’est pas consultée et, après une scène où le génie commercial et les prouesses verbales du prétendant éblouissent Pontrichet, le mariage est décidé. C’était ne pas compter sur le fait qu’il y a deux jeunes filles à cette adresse et que celle qui a séduit Dardard n’est pas la fille de Pontrichet. On se demande ce que pensaient les auto-rités religieuses de la scène où Dardard découvre sa méprise en collant l’œil à la serrure de la chambre de la jeune personne, scène beaucoup plus suggestive que si le personnage était là en chair et en os. En plus, nous découvrons que la fille de Pontrichet est déjà promise à un autre « qui l’a entraînée au bord d’un précipice couvert de fleurs » (Labiche 56), image dont le sens est on ne peut plus clair. Il est donc évident que suivre la lettre de la loi—ne pas permettre à une femme de jouer—ne veut pas du tout dire en suivre l’esprit!

« Grande soirée musicale et dramatique », le mardi 19 juin [1877].

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Photo : Centre de recherches en civilisation canadienne-française.

12 Les femmes pouvaient cependant faire valoir leurs talents dans les opérettes. Pourtant, le premier opéra-bouffe de la décennie est La leçon de chant électromagnétique de Jacques Offenbach qui met en scène deux personnages masculins : Toccato,un professeur de chant italien, et un berger normand à qui il enseigne à chanter suivant la méthode farfelue de l’imposition des mains. Selon une annonce parue dans les journaux, les femmes ont eu plus de chance avec la distribution de deux autres opérettes4 d’Offenbach, jouées le 24 octobre 1877, Apothicaire et perruquier, avec un rôle féminin sur cinq, et Lischen et Fritzchen, un amusant duo mixte alsacien. Selon Napoléon Mathé, ces productions, comme toutes celles de l’Institut, étaient très professionnelles:Et pourtant, sur cette estrade exiguë, sur cette scène modeste, ont été joués des drames et des comédies, des opéras comiques et des opérettes, qui n’ont jamais été surpassés depuis en valeur artistique ou en grandeur d’organisation et d’exécution. (5)Les autres théâtres d’Ottawa offraient des opérettes présentées par des troupes de tournée, dont quatre d’Offenbach, deux de Charles Lecocq et une d’Antoine Adam. Comme l’Institut ne faisait pas partie des tournées, le menu de ses « soirées » n’était, on le comprend bien, pas aussi riche.

13 Pour compenser, on offrait des spectacles très variés. L’organisation des « soirées » de l’Institut suivait une structure assez particulière et les femmes figuraient assez souvent au programme comme cantatrice ou pianiste. Voici un programme typique:Ouverture : orchestre
Chants et romances
Valse : orchestre
Conférence5
Orchestre
Comédie en un acte
Dieu sauve la reine : orchestre

Cela répond assez bien à la définition que donne Chantal Hébert du spectacle de variétés, populaire au cours de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle autant à Paris qu’à New York et Montréal:Un spectacle composé « d’arts variés », dans lequel se succèdent différents « numéros »—une courte représentation de genre divers, où la musique prime, la comédie ou le drame— alternent des attractions, des démonstrations d’habileté, d’agilité, etc., cela sans aucun lien ou fil conducteur. (9)Il y a aussi un autre modèle pour les soirées où ni musique ni discours ne figurent au programme:Comédie en un acte
Pochade en un acte
Grande pantomime comique en trois tableaux et passes magiques

Chose certaine, on ne s’ennuyait pas à l’Institut! Un compte rendu d’un des éléments de la soirée du 8 mars 1879 en fait foi:Puis vint une jolie pantomime intitulée Jack et Jill avec changements, etc.,dans laquelle un nommé M. Patry fit des tours de dislocation réellement extraordinaires. Cette petite pièce était si drôle, si bouffonne, que le public riait à qui mieux mieux et applaudissait les acteurs à tout rompre. (Centre)Bien sûr, comme il n’y avait qu’une seule salle où l’on jouait en français, le public n’était peut-être pas trop difficile.

14 Par contre, en 1870, il y avait au moins deux salles où l’on jouait du théâtre de langue anglaise: Her Majesty’s Theatre et le Rink Music Hall. En 1873, Lady Dufferin, épouse du Gouverneur-général, ouvrit les portes de Rideau Hall pour accueillir divers spectacles. Vers la fin de la décennie, on y ajouta deux salles d’opéra: le Grand et Gowan’s. Ann Saddlemeyer, dans son livre Early Stages : Theatre in Ontario 1800-1914, a révélé ce qui se faisait au cours du dix-neuvième siècle au théâtre, en anglais, à Ottawa et ailleurs en Ontario. Les années 1870 ont été particulièrement importantes à Ottawa et ont été étudiées dans le détail par Mary M. Brown.

15 Les Canadiens anglais d’Ottawa ont eu droit, au cours de la décennie, à de nombreuses productions, montées surtout par des troupes de tournée professionnelles venues des États-Unis ou d’Angleterre.Malgré les menaces épiscopales, plusieurs Canadiens français bilingues auraient assisté aux productions de langue anglaise. Surtout qu’il y avait, de temps en temps, des traductions de pièces françaises de Blum, Dennery, Meilhac, Sardou et Scribe, entre autres, dont certaines très peu de temps après leur création à Paris. Il y a eu aussi des adaptations pour la scène de contes de Perrault et de Madame LePrince de Beaumont et de romans aussi variés que Notre-Dame de Paris et Le tour du monde en quatrevingts jours. La dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, pièce connue en anglais sous le titre de Camille, semble avoir été particulièrement prisée, car il y a eu des productions en 1870, 1876 et 1879. Difficile d’imaginer cette histoire d’amour entre un jeune bourgeois et une courtisane sur la scène de l’Institut! De fait, étant donné que certaines de ces œuvres étaient à l’Index, et que la majorité de la population était catholique,6 il faut croire que l’Église n’arrivait pas à exercer son pouvoir autant qu’elle l’aurait voulu. Il y a peut-être un autre facteur qu’il faudrait prendre en considération. Philippe Boutry explique qu’« à partir des années 1870, l’activité de l’Index se ralentit notablement et tend à se restreindre au strict champ de ses anciennes compétences théologiques et ecclésiologiques ». Il semblerait qu’Ottawa suivait les tendances européennes.

16 D’autres pièces d’origine française offertes au public anglophone ont un côté osé que la critique attribue aux Parisiens:A drama entitled "Retribution," taken from the French play "La Loi du Talion,"7 was placed on the stage last night, and, as the bills announced, it was the first time it has been acted in Canada. Of the play itself, we cannot say much that is favourable, there being an undercurrent of that laxity of morals throughout the whole, for which Parisians are so famed. Not that there was anything that could be actually laid low of even by a prude—but still the idea was conveyed of woman’s subtlety, woman’s frailty, and man’s revenge for wrongs endured through woman’s fickleness. [. . .] To sum up, "Retribution" is a sensational yellow-backed French novel, boiled down. (Ottawa Times, 28 février 1873)Cette pièce semble être un bon exemple de ce que le clergé canadien-français essayait d’éviter à ses ouailles. Il y en a eu beaucoup d’autres qui auraient inquiété, comme le délicieux Froufrou où Valréas avoue à Gilberte pourquoi il préfère la suivre à cheval : « Parce qu’il est infiniment plus agréable de galoper derrière vous que devant vous: vous avez une si adorable petite façon d’être à cheval! » (Meillac et Halévy 6). Comment résister à pareil délice théâtral, même en traduction anglaise?

« Grand Opera House, The Great Fashionable Event », le lundi 17 Juin [1878]

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Photo : The Ottawa Times

17 Lors du passage d’une troupe française à Ottawa en 18788 la chance de voir des Parisiens—et peut-être surtout des Parisiennes—interpréter des pièces françaises a dû tenter plusieurs des membres de l’Institut et autres Canadiens français et anglais de la région. C’est sans doute pourquoi on était prêt à faire des dépenses supplémentaires pour l’accueillir mieux que les autres:Mr. Kero, proprietor of the Opera House, is showing a great deal of enterprise in his engagement with the Parisian company. It is said that he gives this company double the terms of any company that has ever visited Ottawa. (The Citizen, 13 juin 1878)On comptait, sans doute, sur le succès de cette troupe.

18 La première pièce à l’affiche, Mademoiselle de la Seiglière (1851), d’après un roman de Jules Sandeau, est une comédie d’intrigue doublée d’une histoire d’amour. L’action se situe près de Poitiers, au début de la Restauration et il y est question des droits de la noblesse, des distinctions de classe,de l’honneur de la famille, le tout dans une atmosphère mêlée de ruse et de bons sentiments. Après bien des péripéties, l’héroïne épouse l’homme qu’elle aime. Comme Sandeau lui-même l’a écrit dans son roman:Pour peu que vous possédiez vos auteurs comiques, vous n’êtes pas sans avoir remarqué sans doute que toutes les comédies finissent par un mariage, si bien qu’il semble que le mariage ait été spécialement institué pour l’agrément et pour l’utilité des poètes. Le mariage, monsieur le marquis, c’est le grand ressort, c’est le deux ex machina, c’est l’épée d’Alexandre tranchant le nœud gordien. Voyez Molière, voyez Regnard, voyez-les tous : comment sortiraient-ils de leurs inventions, s’ils n’en sortaient par un mariage? Dans toutes les comédies, qui rapproche les familles divisées? Qui termine les différends? Qui clôt les procès, éteint les haines, met fin aux amours? Le mariage, toujours le mariage. (213)Il semble donc inévitable que cette comédie se termine par un mariage, contrairement au roman qui se termine de façon mélodramatique par la mort du jeune homme et au renoncement de tous ses biens par Mademoiselle de la Seiglière. De toute façon, le clergé n’avait rien à craindre. Même si la pièce contient des rôles féminins, la morale est sauve.

19 On se demande un peu pourquoi cette troupe aurait choisi comme deuxième spectacle Le roman d’un jeune homme pauvre, d’après un roman d’Octave Feuillet (1858), étant donné l’accueil parisien assez peu enthousiaste : « La pièce est restée roman, et, par conséquent, un peu longue, se repliant sur elle-même avec trop de complaisance [. . .] » (Lucas 97). Maxime a perdu sa fortune et se trouve dans l’obligation de prendre une place d’intendant dans une famille bretonne. L’inévitable arrive. La fière et riche Araminte combat l’amour qu’elle ressent pour le pauvre Maxime en lui faisant subir toutes sortes d’humiliations. Encore une fois, il n’y a rien là pour choquer, comme l’indique d’ailleurs une édition récente du roman par le Club du livre catholique international.

20 La grâce de Dieu ou La nouvelle Fanchon (1841), par Adolphe Dennery et Gustave Lemoine, est le troisième spectacle monté par la troupe parisienne. Ce vaudeville met en scène Marie, une jeune savoyarde sortie directement de la culture populaire. C’est un mélodrame social, opposant riches et pauvres, campagne et ville, vice et vertu et, bien sûr, « à la grâce de Dieu », la vertu triomphe, dans un cadre champêtre. Les bien-pensants ont dû apprécier. Ce n’était cependant pas le cas d’Émile Zola:Il faut se rappeler le succès de ce mélodrame. On en a peint les principales situations sur des assiettes; on en a tiré une série de gravures, qu’on rencontre encore pendues aux murs des paysans. Toute la France a sangloté sur les malheurs de la pauvre Marie. Et voilà maintenant qu’on éclate de rire, lorsqu’on entend la vielle de Pierrot et qu’elle pousse ce cri du cœur : « C’est la voix de ma mère! » Que s’est-il passé, grand Dieu! (248-249)Zola conclut que le chef d’œuvre de Dennery s’était fané comme les modes de 1841 ce qui est, d’après lui, un des bienfaits du passage du temps.

21 Comme on a pu le constater, le théâtre joué à Ottawa entre 1870 et 1880 était varié, ce qui tenait à sa provenance (théâtre professionnel de tournée, venu des États-Unis, d’Angleterre et de France,ou théâtre amateur local) et à la communauté (anglophone ou francophone) à laquelle il s’adressait. La censure ecclésiastique, sans avoir réussi à étouffer la passion du théâtre chez les membres de l’Institut canadien-français d’Ottawa, a eu un effet certain sur le genre de théâtre qu’on y jouait et sur la structure même des pièces qui ne devaient pas contenir de personnages féminins. Nous avons montré que le théâtre joué à l’Institut canadien-français a été grandement influencé par cette censure a priori imposée à ses membres, ainsi que par l’auto-censure pratiquée par ceux qui adaptaient des pièces françaises, en réponse à la morale bien-pensante. Pourtant, en 1880, comme le raconte Pascal Poirier, les choses commencent à changer:L’Institut canadien, dont [Monseigneur Duhamel] était le patron, se trouvait, vers 1880, dans un état voisin de la banqueroute. La dette était considérable, et aucun argent ne rentrait plus. L’une des rares sources de son revenu était le théâtre ; mais le répertoire des pièces de collège, aussi bien que les drames en vogue affranchis de leurs personnages féminins, était épuisé. D’ailleurs le public n’en voulait plus, et les acteurs encore moins. Quand nous voulions faire du vrai théâtre sur la scène de l’Institut, une délégation, toujours la même, du « Comité de Régie », s’en allait, chaque fois, trouver l’évêque et lui demander :« Monseigneur, permettez-vous aux jeunes gens de jouer sur la scène de l’Institut canadien-français des pièces où il entre des femmes ? Et Sa Grandeur répondait invariablement :Vous savez bien, mes enfants, que l’Église n’encourage pas ce théâtre-là. »Et messieurs du Comité de régie s’en revenaient nous dire que nous ne jouerions pas ; que Sa Grandeur nous en faisait défense.Fréchette, vers ce temps-là, écrivit Papineau, qui eut assez de succès sur les tréteaux de Montréal. Les amateurs d’Ottawa mirent résolument la pièce en répétition, et un beau jour, en annoncèrent la représentation sur la scène de l’Institut. Il y eut foule, et grand succès, et une centaine de dollars de bénéfices au profit de l’Institut. Le lendemain, Adolphe Olivier, qui depuis fut juge, Oscar Macdonald, qui fut dans la suite l’un des premiers journalistes du Canada, et un troisième, s’en allèrent, assez hésitants, trouver l’évêque.« Nous avons joué Papineau sur la scène de l’Institut, hier au soir, Monseigneur.— J’en ai vu le compte-rendu dans le journal.
— Il y a des personnages féminins.
— J’ai lu la pièce.
— C’est que nous aurions dû venir plus tôt demander votre autorisation, dit Olivier, du ton grave dont il personnifiait M. Perrichon9; mais nous avons été si occupés...
— C’est bien, interrompit Mgr Duhamel. Quand, à l’avenir, vous jouerez une pièce canadienne, bien morale ; que tout se passera comme il faut durant les répétitions, venez me voir le lendemain.» (Massicotte 69-70)

C’est le début d’un assouplissement dont l’histoire reste à faire.

SPECTACLES AVEC UN LIEN À LA CULTURE FRANÇAISE MONTÉS À OTTAWA 1870-188010 En français

*Monté à l’Opera House par une troupe française itinérante
** Joué à l’Institut par des étudiants du collège Saint-Joseph
*** Joué à l’Institut par le Cercle dramatique des Zouaves pontificaux

Anon., Les amoureux de la ferme, pantomime

Anon, Le barbier dentiste, pantomime

Anon., Le calcul militaire, pochade en un acte

Anon., Un duel à poudre, pochade en un acte (Voir Deuxième grande soirée), sans doute une adaptation de la pièce en trois actes du même nom (1868) de Raphäel-Ernest Fontaine de Saint-Hyacinthe

Anon., La surprise, pochade en un acte

Anon., Le duel ou Ce que vaut l’amitié

Anon., Le diable rouge, grande pantomime comique en deux tableaux et passes magiques (Voir Deuxième grande soirée; et Première soirée)

Anon., Jack et Jill, pantomime

Anon., Le proscrit11, drame en trois actes

Augier, Émile et Alfred de Musset, L’habit vert (1849), proverbe en un acte et en prose

Brisebarre, Édouard et Eugène Nus, Les pauvres de Paris (1856), adaptation d’Augustin Laperrière

*** Carmouche, Pierre-Frédéric-Adolphe et Paul Vermond, Le marquis de Lauzun (1848), vaudeville en un acte

Caspers, Louis-Henri-Jean, Charles-Henri Ladislas et Alexandre de Bar, Dans la rue (1859), pochade en un acte

* Dennery, Adolphe et Gustave Lemoine La grâce de Dieu (1841), vaudeville en cinq actes

Désaugiers, Marc-Antoine-Madeleine et Michel-Joseph Gentil de Chavagnac, Monsieur sans gêne ou L’ami de collège (1816), vaudeville en un acte

** Duvert, Augustin et Lauzanne de Vauroussel, Prosper et Vincent (1853), vaudeville en deux actes

* Feuillet, Octave, Le roman d’un jeune homme pauvre (1858), adapté pour la scène

Fréchette, Louis, Félix Poutré (1871), drame historique en quatre actes

Grangé, Eugène, L’ut dièze (1858), opérette

Jouhaud, Auguste, Un duel sans témoins (1873), comédie en un acte (Voir Soirée littéraire)

Labiche, Eugène, Un jeune homme pressé (1848), vaudeville en un acte

Labiche, Eugène et Marc-Michel Soufflez-moi dans l’œil (1852), comédie-vaudeville en un acte (Voir Deuxième grande soirée)

Lebardin, abbé, Les jeunes captifs (1876), drame en trois actes, avec chants et musique, à l’usage des collèges, sociétés de jeunes gens, etc.

Maréchalle, Alexandre Marie et Charles Hubert, Les deux Turenne (1822), vaudeville anecdotique en un acte, adapté en opérette en un acte pour garçons par Luigi Bordese

*** Marquet,Armand Delbès et X., Jeanne la maudite (1867) transformée en Jean le maudit ou Le fils du forçat, drame en trois actes et un prologue, arrangé spécialement pour Cercles de jeunes gens par J. G.W. McGown12

Molière, Les fourberies de Scapin13

Offenbach, Jacques et Ernest Bourget, La leçon de chant électromagnétique (1867), opéra-bouffe en un acte

Offenbach, Jacques, Lischen et Fritzchen (1863), opérette en un acte

Offenbach, Jacques, Apothicaire et perruquier (1861), opérette en un acte

Picard, Louis-Benoît, Monsieur Musard ou Comme le temps passe (1808), comédie en un acte14

* Sandeau, Jules et Émile Auger, Mademoiselle de la Seiglière (1851), comédie en quatre actes

Scribe, Eugène et Ernest Legouvé, Bataille de dames (1851), comédie en un acte

En anglais

Auber, Daniel-François-Esprit et Eugène Scribe, Fra Diavolo (1830), opéra comique

Antier, Benjamin, Saint-Amand et Polyanthe, L’auberge des Adrets (1823), drame en trois actes à spectacle, adaptation de C. Selby

Blum, Ernest, Rose Michel (1875), adaptation de Steele MacKay

Brisebarre, Édouard et Eugène Nus, Les pauvres de Paris (1856), adaptation de Dion Boucicault sous divers titres, dont The Streets of New York (1857)

Dennery, Adolphe et Philippe Pinel Dumanoir, Don César de Bazan (1844), drame, adaptation de Dion Boucicault et B.Webster

Dennery, Adolphe et Eugène Cormon, Les deux orphelines (1874), adaptation anonyme sous le titre The Two Orphans

Dumas fils, Alexandre, Camille

Hugo, Victor, The Hunchback of Notre-Dame, adaptation de W. H Abel

Hugo, Victor, Les misérables

Hugo, Victor, Ruy Blas

Labiche, Eugène et Marc-Michel, La peine du talion (1838), adaptée par Harry Lindley sous le titre Retribution

Lecocq, Charles, La fille de Madame Angot (1872)

Lecocq, Charles, Giroflé-Girofla (1874), opéra bouffe

Le Prince de Beaumont, Madame, Beauty and the Beast, adaptation de J. R. Planché

Meilhac, Henri et Ludovic Halévy, Froufrou (1869), adaptation d’Augustin Daly

Offenbach, Jacques, La Grande-Duchesse de Gérolstein (1867), opéra-bouffe sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy

Offenbach, Jacques, Geneviève de Brabant (1867), opéra-bouffe en trois actes

Offenbach, Jacques, La Périchole (1868), opéra-bouffe

Offenbach, Jacques, Barbe Bleue (1866), opéra-bouffe

Perrault, Charles, Bluebeard, adaptation de Grant Seymour

Perrault, Charles, Cinderella

Sardou, Victorien, Dora (1877), adapté sous le titre Diplomacy

Scribe, Eugène, Le chalet or Home From the War, opéra comique en un acte

Verne, Jules, Around The World in Eighty Days15

Ouvrages Cités

Archives de l’archidiocèse d’Ottawa. Registre des lettres de Mgr Joseph-Thomas Duhamel, 1874-1878.

Beauchamp, Hélène, Bernard Julien et Paul Wyczynski, Le théâtre canadien-français, Montréal, Fides, coll. « Archives des lettres canadiennes », tome V, 1976.

Beraud, Jean. 350 ans de théâtre au Canada français. Montréal: Le Cercle du livre de France, 1958.

Boutry, Philippe. « Papauté et culture au XIXe siècle. Magistère, orthodoxie, tradition.» Revue d’histoire du XIXe siècle 28 (2004). 10 October 2008 <http://rh19.revues.org/document615.html>.

Brown, Mary M. « Pepper’s Ghost is Tearing Its Hair: Ottawa Theatre in the 1870s. » Theatre History in Canada / Histoire du théâtre au Canada 4.2 (1983): 121-123.

—, et Nathalie Rewa. « Ottawa Calendar of Performance in the 1870s. » Theatre History in Canada / Histoire du théâtre au Canada 4.2 (1983): 134-191.

Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadien-français,V18, spicilège contenant des programmes et des coupures de presse.

The Citizen. Journal. 13 juin 1878.

Deuxième grande soirée, le lundi 3 février [1879]. Programme de théâtre. Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadien-français, V18, spicilège.

Grand concert de la fête nationale, le lundi 25 juin 1877. Programme de théâtre. Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadien-français, V18, spicilège contenant des programmes et des coupures de presse.

"Grand Opera House, The Great Fashionable Event." Le lundi 17 juin [1878]. The Ottawa Times.

Grande soirée dramatique, le samedi 30 juin [1877]. Programme de théâtre. Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadien-français, V18, spicilège contenant des programmes et des coupures de presse.

Grande soirée dramatique, le lundi 9 juillet 1877. Programme de théâtre. Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadien-français, V18, spicilège contenant des programmes et des coupures de presse.

Grande soirée musicale et dramatique, le mercredi 21 février 1872. Programme de théâtre.Archives de la famille d’Augustin Laperrière.

Grande soirée musicale et dramatique, le mardi 19 juin [1877]. Programme de théâtre. Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadien-français, V18, spicilège contenant des programmes et des coupures de presse.

Hébert, Chantal. Le burlesque au Québec. Un divertissement populaire. Montréal: Hurtubise, 1981.

L’opinion publique. Journal. 21 mars 1878, 134.

Labiche, Eugène. Un jeune homme pressé (1848). Théâtre II, édité par Gilbert Sigaux. Paris : GF – Flammarion, 1979.

Laflamme, Jean et Rémi Tourangeau. L’Église et le théâtre au Québec. Montréal: Fides, 1979.

Laperrière, Augustin. Les pauvres de Paris, Une partie de plaisir à la caverne Wakefield ou Un monsieur dans une position critique, et Monsieur Toupet ou Jean Bellegueule. Édition préparée par Mariel O’Neill-Karch et Pierre Karch. Ottawa: Éditions David, 2002.

Lucas, Hippolyte. Histoire philosophique et littéraire du théâtre français depuis son origine jusqu’à nos jours. Deuxième édition revue et augmentée. Tome III. Paris: E. Jung-Treuttel, 1863.

Massicotte, E.-Z. Anecdotes canadiennes, suivies de mœurs, coutumes et industries d’autrefois. Montréal: Beauchemin, 1913.

Mathé, Napoléon Magloire. « L’Institut de l’ancien temps », causerie donnée devant le Cercle littéraire de l’Institut canadien-français d’Ottawa, le 1er mars 1938. Tapuscrit. Fonds C36/1/1. Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Université d’Ottawa.

Meillac, Henri et Ludovic Halévy. Frou-frou. Paris: Calmann-Lévy, 1900.

Nichols, Glen. « Interpreting Multi-Text Analysis: Is A Theory Of Adaptation Possible? ». Theatre Research in Canada / Recherches théâtrales au Canada 13.1-2 (1992): 152-67.

Ottawa Times. Journal. 28 février 1873 et 8 septembre 1874.

Ouellet, Fernand. L’Ontario français dans le Canada français avant 1911: contribution à l’histoire sociale. Sudbury: Prise de parole, 2005.

Pelletier, Jean Yves. L’Institut canadien-français d’Ottawa (1852-2002): survol historique et biographies des patrons, des présidents d’honneurs et des présidents, suivis d’une liste des membres. Ottawa: Institut canadien-français, 2006.

Poirier, Pascal. Institut canadien-français d’Ottawa: Réminiscences. Ottawa: A. Bureau et frères, 1908.

Première soirée. Cercle des familles, le mercredi 19 février 1879. Programme de théâtre. Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadien-français, V18, spicilège contenant des programmes et des coupures de presse.

Programme de la soirée du mardi 19 juin 1877. Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadienfrançais, V18, spicilège contenant des programmes et des coupures de presse.

Publicité montréalaise pour la Compagnie d’artistes parisiens, L’Événement, le 16 mai 1878.

Saddlemeyer, Ann. Early Stages : Theatre in Ontario 1800-1914. Toronto : UTP, 1990.

Sandeau, Jules. Mademoiselle de la Seiglière. 5e édition, revue et corrigée. Paris : Charpentier, 1858.

Seconde grande soirée dramatique, le mercredi 11 mars 1874. Programme de théâtre.Archives de la famille d’Augustin Laperrière.

Soirée littéraire, musicale et dramatique, le jeudi 21 février 1878. Programme de théâtre. Centre de recherches en civilisation canadienne-française, Fonds C36, Institut canadien-français, V18, spicilège contenant des programmes et des coupures de presse.

Voisine, Nive, avec la collaboration d’André Beaulieu et de Jean Hamelin. Histoire de l’Église catholique au Québec, 1608-1970. Montréal: Fides, 1971.

Zola, Émile. Nos auteurs dramatiques. Paris: G. Charpentier, 1881.

Notes

1 Jean-Yves Pelletier vient de publier une histoire détaillée de l’institut.

2 La nouvelle salle de la rue Sussex était beaucoup plus vaste, pouvant contenir « au moins douze cents personnes ». Voir Grande soirée musicale, 1877 Figure 1

3 D’abord intitulée The Poor of New York, la pièce a aussi été jouée avec succès sous le titre The Poor/Streets of London, The Poor/Streets of Liverpool… Dublin… Philadelphia… Scranton... Selon Mary Brown et Nathalie Rewa, la pièce a été jouée à Ottawa le 10 mai et le 21 septembre 1870, le 7 mars 1873, le 22 août 1874, le 1er septembre 1876 et le 13 décembre 1879.

4 24 octobre, 1877. « Deux opérettes d’Offenbach seront jouées par Mlles Alphonsine Peachy, Alphonsine Lapierre et MM. E. Kimber, F. R. E. Campeau et Robert Peachy » (Grande soirée dramatique, le 9 juillet 1877).

5 Il s’agissait d’habitude de sujets tirés de l’histoire du Canada.

6 Selon le recensement de 1871, il y avait, à Ottawa, 1 342 chefs de famille canadiens-français et 1 419 irlandais. Les membres de ces deux groupes étaient presque sans exception catholiques. Voir Ouellet page 431.

7 Il s’agit vraisemblablement de La peine du talion (1839) d’Eugène Labiche et Marc-Michel.

8 Jean Béraud affirme qu’il s’agissait de la Compagnie Dramatique française (47), qui s’était produite à la Nouvelle-Orléans et à Montréal, avant d’arriver à Ottawa. La publicité parue dans L’Événement le 16 mai 1878 annonce que la troupe, qui se préparait à jouer à Montréal et à Québec, venait « d’accomplir une saison brillante à New York, Boston, Nouvelle-Orléans et Philadelphie ». (Voir Figure 1:"Grand Opera House"; et Publicité montréalaise)

9 Personnage de Labiche.

10 Les dates entre parenthèses dans le tableau indiquent soit la première représentation à Paris ou la date de publication.

11 Plusieurs auteurs français ont mis en scène des proscrits, dont Guilbert de Pixerécourt (1814), Pierre-Frédéric-Adolphe Carmouche et Adolphe Adam (1833) et Frédéric Soulié (1839). Impossible, pour l’instant,d’identifier plus précisément le proscrit en question.

12 Le programme de la soirée du 30 juin 1877 en donne un résumé (Grande soirée dramatique, le 30 juin [1877]).

13 Malgré le fait que le programme de la soirée du lundi 25 juin 1877 (Grand concert) proclame qu’il s’agit d’une « célèbre comédie de Molière », on donne un synopsis détaillé de chacun des trois actes. Pourtant, lors de la reprise le 9 juillet, on ne donne pas de résumé (Grande soirée dramatique, le 9 juillet 1877).

14 Spectacle bien prisé (Programme de la soirée; et Grande soirée dramatique, le 9 juillet 1877).

15 Il s’agit probablement d’une traduction de l’adaptation du roman faite pour la scène par Adolphe Dennery qui a eu sa première à Paris en 1875. La pièce a été jouée à Ottawa en 1876.