1 À part les rites sacrés et toujours privés qui sont propres à certains peuples des Premières nations, le théâtre et la performance, dans cette région qui porte désormais le nom de Canada, ont toujours été marqués par l’interculturel. Même avant les premiers contacts, les Autochtones avaient conçu des cérémonies comme le potlach, sur la côte Ouest, pour négocier la différence et faciliter le commerce. On imagine facilement la qualité performative de ce contact, les « explorateurs » européens et les « découvreurs » croisant les habitants inopportuns (à leurs yeux) de Turtle Island (un espace qu’ils auraient bien aimé imaginer comme étant inoccupé), échangeant des rites mal compris et jouant des versions d’une histoire qui, désastreusement déséquilibrée et marquée par un interculturalisme appropriatif, sera destinée à mener au génocide. Depuis l’époque de ces premiers contacts, toutes les représentations publiques au Canada visent à constituer et à négocier sur scène des subjectivités qui sont inévitablement déplacées,hybrides ou diasporales, qu’elles aient lieu entre colonisateurs/envahisseurs et Premières nations, entre vagues et générations subséquentes d’immigrants issus d’horizons de plus en plus divers, ou même entre les colonisateurs/envahisseurs dominants eux-mêmes.
2 Le multiculturalisme qui domine la théorie critique sur la scène internationale depuis les guerres multiculturelles des années 1980 – pensons à Patrice Pavis et Erika Fischer-Lichte, d’un côté,et à Rustom Bharucha et Una Chaudhuri, de l’autre – est marqué par l’élan appropriatif que l’on retrouve chez des interculturalistes occidentaux tels que Peter Brook, Ariane Mnouchkine et Eugenio Barba, des praticiens qui, tout comme les modernistes qui les ont précédés, se sont appuyés sur des éléments décontextualisés de cultures marquées par l’altérité dans l’espoir de rajeunir les formes théâtrales décadentes de l’Occident1. Au Canada, des analyses de ce genre ont récemment porté sur l’œuvre interculturelle tout aussi appropriative de Robert Lepage et sur son usage de l’ « Orient » dans des productions comme La Trilogie des dragons, Les sept branches de la rivière Ota et Zulu Time (voir Fricker; Harvie). Mais, au Canada, nous avons attendu longtemps avant d’entamer un examen critique du jeu entre les cultures. Cela est dû peut-être aux politiques officielles du multiculturalisme, adoptées en 1971 et enchâssées dans la Charte des droits et libertés de 1982, lesquelles relèguent au statut non professionnel les arts n’appartenant pas aux cultures francophone et anglophone visées par la Charte. Jusqu’en 1991, les groupes minoritaires devaient demander des fonds en s’adressant à la Direction du multiculturalisme et les conseils des arts traitaient officiellement les productions culturelles non-occidentales comme du folklore « ethnique » et non comme de l’art, quelque chose à « préserver » plutôt qu’à nourrir (c’est ainsi que l’énonçait le Projet de loi C-93,la loi de 1982 pour la préservation et la mise en valeur du multiculturalisme au Canada). Malgré un accès (limité) à l’appui public, ces groupes ont commencé, dès la fin du XXe siècle, à sortir des centres communautaires et des ghettos ethniques du multilinguisme officiel et à se produire sur les scènes professionnelles canadiennes, desquelles ils avaient été pratiquement absents pendant la période nationaliste post-1967, et attirer ainsi l’attention des critiques et des chercheurs.
3 La Carlos Bulosan Theatre Company de Toronto est un exemple modèle de la trajectoire qu’ont suivi bien des artistes et compagnies de théâtre « ethnique ». Fondée en 1982 par le regretté Fely Villasin sous l’enseigne du Carlos Bulosan Cultural Workshop, la compagnie était au début une troupe de théâtre amateure dont les productions traitaient des identités des immigrants philippins et des problèmes que devaient affronter ceux d’entre eux qui se trouvaient désormais en Amérique du Nord. Citons, à titre d’exemple, Carding (1984), l’histoire d’un Philippin immigré au Canada; If My Mother Could See Me Now (1989), le récit de domestiques d’origine philippine travaillant au Canada; Carlos Bulosan (1992), une pièce sur la vie et l’œuvre d’un Philippin immigré aux États-Unis; Home Sweet Home (1993), une pièce sur la violence faite aux femmes dans la communauté philip-pino-canadienne; Noong Kapanahunan…Not on My Time (1994), une pièce sur le conflit des générations, un sujet populaire parmi les communautés d’immigrants. Lorsque la direction artistique a été confiée par le fondateur à sa fille, Nadine Villasin, la compagnie Carlos Bulosan a entamé un processus de professionnalisation avec sa première production professionnelle, Miss Orient(ed), en 2003. En 2008, Carlos Bulosan marquait une ère nouvelle avec sa production de People Power, présentée dans le cadre de la saison régulière du théâtre Passe Muraille de Toronto, véritable bastillon du nationalisme canadien, grâce au financement accordé par les conseils des arts du Canada, de l’Ontario et de Toronto. La compagnie Carlos Bulosan s’inscrit dans l’écologie rhizomique, indépendante et interculturelle que constitue la communauté théâtrale de Toronto et du Canada. Son site Web affiche l’adresse de Native Earth Performing Arts et du fu-GEN Asian Canadian Theatre Company, deux compagnies torontoises, celle de Teesri Duniya Theatre, une compagnie montréalaise d’origine sud-asiatique (mais très interculturelle), et bien sûr celle de Cahoots Theatre Projects, une compagnie interculturelle de Toronto. Ces liens sont symboliques des liens véritables qui jalonnent un réseau de plus en plus vaste. On pourrait citer un bien plus grand nombre d’artistes et de compagnies minoritaires d’un bout à l’autre du pays qui, dans un certain élan de solidarité interculturelle, cherchent à mettre au défi l’hégémonie de la « blancheur » représentée sur les scènes du pays, à forger de nouvelles subjectivités et à former de nouvelles communautés au sein des diasporas.
4 Il ne faut pas croire pour autant que ces artistes, ces compagnies et ces communautés œuvrent sur des terrains égaux les uns aux autres et comparables à ceux du théâtre « grand public ». Il y a encore beaucoup à faire en ce qui a trait au financement, à l’accès, aux politiques et aux pratiques « multiculturelles », à la souplesse des structures organisationnelles et aux autres contraintes agissant sur la forme et le contenu des productions qui échappent aux modèles occidentaux facilement reconnaissables. Mais tous ces aspects commencent à être contestés par « en dessous », au fur et à mesure que diverses communautés réclament leur droit, par la performance, à décider de leur représentation et de leur développement.
5 Ce double numéro thématique de Recherches théâtrales au Canada/Theatre Research in Canada donne à voir des exemples d’un tel travail et, bien que les contributions n’abordent pas toutes explicitement la dimension interculturelle de la question, toutes reconnaissent que l’interculturel est aujourd’hui une réalité de la vie au Canada. Le théâtre et la performance au Canada ne sont plus interculturels en vertu d’une répartition des rôles insensible à la couleur de la peau, ce qui a pour effet de nier la différence, ni en raison d’emprunts aux cultures étrangères par des metteurs en scène et des compagnies théâtrales dominantes. L’interculturalité n’est plus le résultat de productions faites par des groupes minoritaires pour un grand public en mal d’exotisme (les spectacles du créneau « diversité » des grands théâtres) ou porté au voyeurisme. Au XXIe siècle, le théâtre et la performance au Canada ne sont plus interculturels en vertu de ce que l’on représente sur scène ou de ce qui se passe entre les comédiens sur scène et le public. L’écologie de la performance dans un pays qui a toujours été constitué de peuples divers, déplacés et déracinés fait en sorte que le théâtre canadien est interculturel en raison de son auditoire, lequel se compose de gens issus de différentes cultures qui se réunissent pour négocier leurs identités individuelles et communautaires. Peut-être faut-il désormais adapter la question que posait Northrop Frye à la conclusion de son histoire littéraire du Canada en 1965. Plutôt que « Où est ici? », il faudrait se demander « Qui est ici? »
6 À cette question, une réponse s’impose : tout le monde. Les artistes et les compagnies qui constituent l’interculturel canadien ne sont pas tous représentés dans ce numéro, mais ceux qui le sont, qu’ils aient signé les contributions ou qu’ils en fassent l’objet, sont d’origines diverses : on y retrouve des Anglo-Canadiens, des Africains-Canadiens d’un peu partout, des Tchékoslovaques, un Canado-Tchékoslovaque, un Libano-Québécois, un Canado-Argentin, une Canado-Chilienne, une Canado-Australienne, un Canado-Américain, une chercheuse canadienne d’origine judéorusse qui travaille dans trois langues, divers membres de la nation Anishinaabe et Déné Métis, un Terre-Neuvien et des personnes handicapées. Sans compter les personnages qui peuplent les pièces dont il est question entre ces pages, des personnages qui nous transportent dans des lieux encore plus lointains – le Chili, le Japon, le Liban probablement, les Etats-Unis et ailleurs encore.
7 Ce numéro double englobe diverses approches de l’interculturel, un terme que je préfère à ceux de multiculturel, métaculturel, extraculturel, transculturel, préculturel, postculturel ou ultraculturel parce qu’il est important de s’attarder aux espaces entre les cultures, des espaces marqués par la contestation, l’agitation, l’inégalité et qui sont des sites de négociation en performance. La plupart des auteurs réunis ici portent une attention spéciale à de tels espaces. Trois articles ont vu le jour dans le contexte de la conférence accompagnant le quatrième festival de dramaturgie afri-canadienne en 2006. Ils portent sur différentes facettes de la dramaturgie africaine-canadienne. George Elliot Clarke, Joanne Thompkins et Jerry Wasserman savent bien qu’être africain-canadien signifie exister dans une sorte de « nations-unies » africaines. La «diversité» est un mot « africain-canadien ». Portant leur attention sur des pièces très différentes au sein du corpus canadien des Caraïbes, trey anthony, l’Africadienne Louise Delisle et Clarke, luimême un dramaturge, librettiste et poète acclamé dont il sera question ailleurs dans ce numéro, décèlent des lieux de « symposiums » dans les salons de coiffure et les cuisines où les différences interculturelles peuvent être l’objet de discussions et de dialogue.
8 Si le théâtre est selon Clarke un lieu de symposium pour les dramaturges afro-canadiens, il est, aux yeux de Joanne Tompkins, un « espace diasporal » où s’entrelacent le national et l’extra-national, un espace prolongé d’appartenance pour un groupe diversifié et interculturel d’Africains-Canadiens. Tompkins se sert de pièces signées par Andrew Moodie, Lorena Gale et George Elroy Boyd pour explorer les négotiations qu’entament des personnages entre eux lorsqu’ils vont de l’invisibilité à l’hyper-visibilité en tant qu’Africains-Canadiens vivant en milieu urbain. Chacune des pièces examinées par Tomkins montre la difficulté de situer ou de constituer des subjectivités afro-canadiennes; elles illustrent divers moyens de situer l’identité dans un lieu, elles contestent les frontières et les histoires canadiennes en construisant de nouveaux espaces diasporaux affichant divers degrés de solidarité entre les multiples positions occupées par les sujets.
9 Le chemin qu’emprunte Jerry Wasserman pour aborder l’interculturel est celui de l’esthétique déjà multiple du blues, que Houston Baker qualifie de « toile d’impulsions qui se croisent et s’enchevêtrent », semblable peut-être à ce qui fait office de symposium et d’espaces diasporaux chez Clarke et Tomkins. Wasserman s’attarde aux pièces Whylah Falls: The Play de George Elliott Clarke, Gideon’s Blues de George Elroy Boyd, Harlem Duet de Djanet Sears et The Lady Smith d’Andrew Moodie, qu’il voit comme des « pièces blues », pour tracer l’adoption et les adaptations de la forme musicale afro-américaine afin de « former une poly-conscience diasporale afro-canadienne » qui fournit des outils précieux pour l’exploration du vécu des Canadiens de race noire.
10 Outre ces trois articles portant sur un corpus afro-canadien, ce numéro thématique offre diverses interprétations des représentations faites sur scène d’un Canada de plus en plus interculturel. Barry Freeman s’intéresse à ce qu’il appelle un « théâtre interculturel collaboratif » (marqué par la collaboration internationale et interculturelle de groupes divergents) et montre que le processus de création fait lui-même office de forum et fonctionne de façon comparable au symposium, à l’espace diasporal et à l’esthétique du blues auxquels s’intéressent Clarke, Tompkins et Wasserman. Freeman prend du recul par rapport à l’approche (inter)sémiotique qui sert normalement à l’analyse de la performance interculturelle et examine une coproduction théâtrale entre des compagnies de Prague, de Toronto et de l’île Manitoulin à travers la lentille de l’ethnographie postmoderne (post-James Clifford). Ce faisant, il s’attarde non pas au produit de la collaboration, ni aux sens qu’ont pu en tirer ses divers publics, mais à l’expérience inter-culturelle qu’ont vécu les participants. De nombreuses personnes ont participé à la coproduction : des étudiants et un professeur de l’Université de Toronto (campus de Scarborough); un metteur en scène et des comédiens de la compagnie Ypsilon Theatre de Prague; un directeur artistique anishinaabe et des membres de la compagnie De-Ba-Jeh-Mu-Jig de l’île Manitoulin; et le dramaturge Daniel David Moses, du Delaware, chargé d’animer le processus créatif de cette collaboration interculturelle qui devait mener à des productions présentées à Prague, à Toronto et sur l’île Manitoulin. Freeman se concentre sur une seule scène, met de côté la question de la réception du public pour s’intéresser à l’expérience interculturelle des personnes qui ont collaboré au processus, plus particulièrement les interprètes.
11 Yana Meerzon situe la rencontre interculturelle d’une toute autre façon, non pas dans le domaine social des corps à l’intérieur d’un espace réel, mais à l’intérieur du dramaturge de l’exil — celui ou celle qui porte le trait d’union — et entre le dramaturge, la mise en scène et le public. Comme Rustom Bharucha, Meerzon s’intéresse à l’intraculturel tel qu’il s’applique au soi exilé « en tant que lieu temporel et psycho-physique où se croisent les contextes culturels ». Ce faisant, elle situe le symposium dans un lieu intérieur, là où le sujet-en-exil agit en tant que « territoire de multiples discours non marqués ». Comme étude de cas, Meerzon se sert de la personne et de l’œuvre du dramaturge libano-québécois Wajdi Mouawad. La mise en scène multivocale de Mouawad, la formation en exil de subjectivités interculturelles chez l’adolescent, les processus de créolisation culturelle en tant que « manifestation de l’absence des frontières, de la souplesse et du mouvement libre entre des identités culturelles, ethniques et communes distinctes », voilà ce que nous propose la contribution de Meerzon.
12 Guillermo Verdecchia, qui est, tout comme Clarke, un drama-turge reconnu, situe la rencontre interculturelle au croisement du texte de théâtre et des outils de la production théâtrale — le cadre physique de la représentation, le mandat de la compagnie, la constitution de son public cible, sa théâtrologie, le discours publicitaire, les affiches ainsi que les pages de renseignements « utiles » qu’on fait paraître dans les programmes. Verdecchia explore cette dynamique à partir d’une production de la pièce Léo de la Canado-Chilienne Rosa Laborde au Tarragon Théâtre de Toronto en 2006, une pièce qui « s’inspire de la mémoire culturelle complexe (chilienne et latino) du coup de 1973 qui a renversé le gouvernement de Salvador Allende ». Or, comme le montre Verdecchia, l’interculturel qui caractérise la production est discutable en ce qu’il enferme la mémoire culturelle latino dans le discours institutionnel, le naturalisme et l’évocation d’un nationalisme canadien (multiculturel) bienveillant propres au Tarragon Theatre, évitant la question de la participation du Canada à la répression du régime d’Allende. Verdecchia conclut qu’une performance interculturelle n’est pas nécessairement le chemin le plus facile vers une meilleure compréhension de ses enjeux et démontre les effets de ce que Marvin Carlson appelle « l’expérience théâtrale globale » — non seulement le contenu de la pièce, mais aussi ce qu’on dit dans les discours qui l’encadrent (xiii).
13 Tout comme Verdecchia, Robin Whittaker se penche sur la mémoire culturelle et s’intéresse à l’interculturel en ce qu’il a trait à la dramaturgie et à l’idéologie. Il s’attarde à la construction complexe de souvenirs chronotopes interculturels par le croisement de l’espace et du temps. Suivant Bahktine, Whittaker centre son propos sur « l’interdépendance intrinsèque des rapports spatio-temporels ». Il a retenu pour son étude la pièce Burning Vision de Marie Clements, une création dans laquelle les « poignées de mains interculturelles » englobent Hiroshima, New Mexico, Port Radium et d’autres lieux, traversant le temps et l’es-pace pour créer une sorte de « dramaturgie chronotope » inspirée des prophécies dénées non linéaires mais profondes qui la structurent. Selon l’interprétation qu’en fait Whittaker, la voix plurielle et interculturelle de Clements unit des sites temporels et ethnographiques d’une façon qui résiste à la temporalité historiographique et dramaturgique propre à l’Occident — le contrôle des différences — et relie des espaces-temps qui forment une nouvelle configuration dramaturgique transculturelle. La pièce se réclame des logiques temporelles et spatiales indigènes abolies par la colonisation et la conception occidentale d’un temps et d’un espace linéaires.
14 Kirsty Johnston, enfin, fait valoir que l’invalidité relève aussi d’une interculture interne fort diverse qui se constitue à travers la performance. Johnston part du principe que le handicap est un identificateur complexe, inextricablement lié à la performance et que nous sommes tous partie prenante à divers degrés et de façon multiples d’une culture de l’invalidité « polyvalente » au Canada, aussi diversifiée que le sont les cultures afro-canadiennes examinées par Clarke, Tompkins et Wasserman. Johnston élargit à profit le sens que l’on donne communément à la notion d’interculturalité afin de l’appliquer à la performance interculturelle qui traverse les cultures de l’invalidité dans le cadre de festivals tenus à Calgary, Toronto et Vancouver, cherchant ainsi à former un réseau national. En faisant valoir que l’invalidité est à la fois multiple et consituée par la performance, de même que le sont la race, l’ethnicité, la classe sociale et le sexe, Johnston promouvoit une façon syncrétique de voir la culture de l’invalidité qui prend racine dans les processus du « dialogue interculturel ». Il est clair que le concept d’« invalidité » s’inscrit sur un continuum plutôt que dans une binarité capacité/invalidité, ses définitions et ses manifestations sont performatives plutôt qu’ontologiques. Examiner les cultures de l’invalidité dans le contexte de la performance interculturelle, c’est faire une grande avancée dans notre façon de comprendre à la fois la nature performative de la culture et les cultures performatives de l’invalidité.
15 Les articles qui composent ce numéro ne font pas qu’examiner la production interculturelle au théâtre; elles nous montrent aussi quelles formes peut prendre la recherche interculturelle. Une partie de l’article que signe le Néo-Écossais George Elliott Clarke porte sur un dramaturge africadien avec qui il entretient une profonde affinité, et l’Argentin-Canadien Guillermo Verdecchia, en sa qualité de Latino-Canadien, peut revendiquer une proximité avec son « objet d’étude », la Canado-Chilienne Rosa Laborde. Tous les articles rassemblés ici travaillent et négocient entre les cultures le rapport qu’entretien le chercheur avec son sujet. La recherche interculturelle privilégie une approche qui s’éloigne de la démarche traditionnelle en ce qu’elle empêche le chercheur de se poser en « autorité » qui évalue objectivement un « objet d’étude » passif (pas plus qu’un ethnographe ne pourrait poser un regard objectif sur une « autre » culture statique). Les articles rassemblés ici abordent cette problématique sous différents angles, et plusieurs chercheurs adoptent une position de collaborateurs au sein de l’ensemble des productions sur lesquelles porte leur étude, interagissant activement au sein de la société que nous habitons tous et à laquelle nous participons. Parmi les auteurs réunis ici, Freeman est celui qui aborde la question de la façon la plus directe à travers une « ethnographie postmoderne » qui reconnait pleinement le rôle de participant joué par l’auteur dans la création de nouvelles communautés issues de l’œuvre créée. Si les autres auteurs participent moins directement aux projets dont ils traitent, ils reconnaissent toutefois entretenir avec eux un autre type de rapport. C’est le cas de Whittaker, qui parle de l’espace-temps des créations et des interprétations proposées par Clements et aborde la relation ambivalente entre la théorisation occidentale et la cosmologie dénées. C’est aussi présent chez Johnston qui nous parle du mouvement des arts de l’invalidité, auquel il participe et contribue. Meerzon, pour sa part, traite de la condition de l’exilé au sein d’une culture transnationale dont elle fait partie : « Je reconnais le besoin incessant qu’ont ces artistes, un besoin qui est aussi le mien, de négocier le sens, d’alterner constamment entre les codes malgré la peur fréquente de disparaître dans la traduction » (Meerzon). Ce numéro est donc le produit et une partie d’un plus vaste symposium, où les chercheurs se joignent aux conversations et aux négociations qui ont lieu dans les salons de coiffure et les cuisines, les espaces diasporaux et les « blues callaloos » d’une culture de la performance transformationnelle et transnationale au Canada.
Ouvrages cités
Carlson, Marvin. Theatre Semiotics: Signs of Life. Bloomington, Indiana UP, 1990.
Fricker, Karen. « À l’heure zéro de la culture (dés)unie. Problèmes de représentation dans Zulu Time de Robert Lepage et Ex Machina ». Globe. Revue internationale d’études québécoises 11.2, 2008. 81-116.
Frye, Northrop. « Conclusion to A Literary History of Canada ». The Bush Garden: Essays on the Canadian Imagination. Toronto, Anansi, 1971. 213-51
Harvie, Jennifer. « Transnationalism, Orientalism, and Cultural Tourism: La Trilogie des dragons and Seven Streams of the River Ota. » Theater sans frontières: Essays on the Dramatic Universe of Robert Lepage. Ed. Joseph I. Donohoe Jr. and Jane M. Koustas. East Lansing, Michigan State UP, 2000. 109-25.
Knowles, Ric. Theatre & Interculturalism. Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2009.
Meerzon,Yana. Message électronique envoyé à l’auteur, le 21 novembre 2008.
Notes