Abstract
Minority literatures, such as Franco-Ontarian literature, have often been read and analyzed from the identity perspective as it relates to the socio-cultural context from which it originates. As a result, aesthetics and formal considerations were generally neglected by both critics and interpreters. Such was the case with Michel Ouellette’s early work particularly his play French Town. However, in the mid 1990’s, several critics and theoreticians, specializing in minority writings, have questioned this simplistic perspective, thus advocating a more literary approach. Hence, this article aims to verify the extent at which critics have truly abandoned their traditional method of reading minority literatures. In order to do so, the authors propose an analysis of the critical reception of French Town—between 1993 and 2003—and Le testament du couturier—produced and published 10 years later.Résumé
Les littératures minoritaires, telle la littérature franco-ontarienne, sont souvent lues et interprétées en fonction d’une grille de lecture identitaire qui établit une corrélation entre l’œuvre lue et le contexte socioculturel d’où elle émane. Ce fut le cas des premières œuvres de Michel Ouellette, dont sa pièce French Town. Or, certains théoriciens et critiques des écritures minoritaires ont dénoncé cet état de fait. Cet article cherche à déterminer si la critique a effectivement délaissé une telle grille de lecture. Pour ce faire, les auteures analysent et comparent la réception critique de French Town à celle du Testament du couturier.1 Lorsqu’on désire étudier la réception critique de la littérature franco-ontarienne, d’entrée de jeu, un lieu commun nous vient à l’esprit: la littérature franco-ontarienne a été reçue, lue et interprétée par la critique dans une perspective identitaire. C’est que, comme le signale Abbes Maazaoui dans son article « Poétique des marges et marges de la poétique », les littératures minoritaires sont le plus souvent lues à partir de grilles réductrices. L’une d’entre elles est ce qu’il nomme « la lecture référentielle », que nous appelons la perspective identitaire,1 « qui ignore la dimension esthétique (textuelle et fictionnelle) de l’œuvre et réduit celle-ci à la réalité de l’auteur et du groupe auquel il appartient » (Maazaoui 84). Maazaoui précise que cette lecture « considère le texte comme un document et l’écrivain comme un expert du groupe (ethnique, sexuel, racial, etc.) » (84). Dans le contexte franco-ontarien, ce mode de lecture a été largement privilégié. C’est ainsi que le concept d’espace a fondé, en critique littéraire franco-ontarienne, un mode de lecture. En effet, dans ce cas,[l]’espace réel devient l’interprétant auquel est confrontée la réalité fictive. On souligne alors soit que la fiction adopte telle ou telle forme à cause du contexte de production qui fait en sorte que ce genre de production littéraire soit privilégié ou au contraire négligé, soit que la mise en place d’un certain espace dans le texte témoigne de la réalité,des conditions de vie et on lui adjoint alors les autres thèmes: langue, identité, culture, minorisation, soit encore que l’espace est vécu différemment par différents auteurs ce qui donne lieu à divers type de représentation de l’espace dans les textes. Ainsi, la lecture critique des textes franco-ontariens est principalement une lecture référentielle. (Hotte, « Fortune » 350)
2 C’est d’ailleurs ce qui a amené François Ouellet à affirmer que, dans ses essais, François Paré, « construit une certaine représentation de la parole marginale, à l’aide de signes linguistiques qui miment le réel, qui créent un effet de réel, lequel réel paraît couler de source vu l’investissement de l’essayiste et sa difficulté (son refus) d’abstraire l’écriture du lieu identitaire » (« L’héroïsme » 53). Or, le colloque de 1996, intitulé « La littérature franco-ontarienne: enjeux esthétiques », visait justement à « évacuer toute référence à la dimension identitaire dans laquelle les œuvres ont été produites, donc de lire les œuvres pour leurs qualités proprement formelles, ou si l’on préfère, selon le projet esthétique plus ou moins avoué des auteurs » (Ouellette, « Avant-propos » 8). Dix ans plus tard, il y a lieu de se demander si cette « nouvelle » critique a effectivement vu le jour. Afin de sonder le terrain, nous avons choisi d’analyser la réception critique de deux pièces de Michel Ouellette, French Town et Le testament du couturier ainsi que des productions auxquelles elles ont donné lieu. Pour ce faire, nous dresserons d’abord le portrait de la critique littéraire à partir de la réception de French Town, puis celui constitué plus récemment à partir de la réception du Testament du couturier. La confrontation des deux radioscopies critiques nous permettra, en fin de parcours, de voir si la grille identitaire est toujours privilégiée, bref de déterminer dans quelle mesure s’est transformée l’approche critique de la littérature franco-ontarienne.
La réception critique de French Town: la grille identitaire en question
3 French Town a été créée à Sudbury en mars 1993 par le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) et le Théâtre français du Centre national des arts (CNA) dans une mise en scène de Sylvie Dufour, alors que Michel Ouellette est dramaturge en résidence au TNO. La pièce a aussi été présentée en 1994 à Moncton (l’Escaouette), à Toronto (Conseil des organismes francophones du Toronto métropolitain COFTM)2 et à Ottawa (CNA) dans le cadre du festival des 10 jours de la dramaturgie franco-ontarienne. Le 15 novembre 1994, Ouellette remportait le Prix du Gouverneur général pour sa pièce, qui a connu trois éditions au Nordir: en 1994, en 1996 et en 2000 dans la collection Bibliothèque canadienne-française.
4 Pour faire l’analyse de la réception critique de French Town, distinguons trois moments: 1) la production de la pièce (1993-1994) ; 2) la publication et la réédition de la pièce, incluant la réception du Prix du Gouverneur général, (1994-1996) ; 3) les analyses subséquentes (1996-2003).
1) French Town sur scène (1993-1994)
5 Le « rayonnement » médiatique, tant dans les médias franco-phones qu’anglophones, autour de la production de French Town se fait surtout à Sudbury: journaux, radio et télévision proposent des entrevues et des critiques.3 On peut supposer que l’horizon d’attente, pour les médias, est dessiné d’abord par le communiqué de presse du 11 mars 1993 émanant du TNO. On y souligne que la production est le résultat d’un rapport entre créateurs (Sylvie Dufour, directrice artistique qui assure la mise en scène, et Michel Ouellette, dramaturge en résidence), mais surtout, on rappelle le travail de Ouellette avec le TNO: sa première pièce (non publiée) Les Ordres du jour4 a été montée par la troupe de théâtre communautaire et son adaptation de la pièce d’André Paiement Lavalléville a été jouée par des comédiens professionnels. Le discours inscrit donc la pièce et son auteur dans une filiation sudburoise et identitaire, puisque les œuvres produites par le TNO, particulièrement celles d’André Paiement, sont d’emblée perçues comme s’inscrivant dans la mouvance de ce qui a été défini comme « la prise de parole » identitaire des années 1970. Les articles qui précèdent la première de French Town et les entrevues renforcent ce discours.
6 Les critiques de la pièce se basent, bien sûr, d’abord et avant tout sur des critères relevant du théâtre: jeu des acteurs, décor, mise en scène, mais aussi sur des éléments propres au texte: thématiques et personnages. Par exemple, dans Le Voyageur, André Girouard convient que l’atmosphère est bien créée, que les personnages sont « plus vrais que nature » (il en fait d’ailleurs une analyse freudienne fort intéressante), mais il tique sur un élément du décor, la machine à laver qui, pour lui, constitue un élément de comédie alors qu’on est dans la tragédie. Bien qu’il juge que « l’action met du temps à prendre forme », sa critique de la production demeure positive: « Comme toutes les productions du T.N.O. [sic], cette pièce appartient aux belles réussites de cette troupe » (5). Toutefois, son analyse n’est pas exempte d’allusions à la thématique identitaire puisqu’il propose une interprétation de la pièce qui s’élabore en relation avec Lavalléville: Martin, « c’est le fils de Lavalléville, revisité par Michel Ouellette, qui veut dresser sur son domaine des barrières de fierté » (Girouard 5). Dans le Sudbury Star, la critique est élogieuse: Marc Despatie accorde 4 étoiles sur 5 à la production. Sa lecture est encore plus clairement identitaire que celle de Girouard; selon lui, la pièce constitue une réflexion sur le Franco-Ontarien:On another level, French Town is a study of Franco-Ontarian society and its related problems. The influence of the Catholic church, the tradition-oriented dialogue of the common Franco-Ontarian citizen, the traditional role of the Franco-Ontarian mother and father are explored in a disturbing but realistic light. (Despatie, « A family »)Par contre, la critique de Bonfield Marcoux, publiée dans Liaison, qui s’appuie essentiellement sur des critères dramaturgiques, est plus mitigée. Si les personnages sont riches (des « personnages dostoïevskiens »), la construction de la pièce lui semble déficiente: « [l]es premières scènes nous situent dans l’antichambre des grands drames russes... On y restera. Car l’action dramatique se fait attendre, se déclingue [sic: déglingue] vite et sombre dans des narrations interminables » (37). Malgré les bons comédiens et le bon travail de mise en scène, la production déçoit ses attentes: « J’aurais tant souhaité que le Théâtre du Nouvel-Ontario engage cette décennie avec un succès éclatant. On assiste plutôt à une production de haute tenue, fidèle à la tradition de cette compagnie, mais au service d’une œuvre résolument mineure » (Marcoux). À Ottawa, à la fin de la tournée, la chroniqueure de la radio de Radio-Canada, Martine Lagacé, a aussi des réserves quant au texte: elle souligne les « limites trop étroites aussi dans l’univers de ces personnages-là, mais aussi les limites trop étroites d’un contexte politique, du danger de la culturation [sic], du danger de l’assimilation. » Bref, l’ensemble de la critique de la production est positive, avec quelques allusions à une grille identitaire, notamment à l’origine culturelle des personnages, à la minorisation et au dysfonctionnement social qui en découle, surtout dans l’article de Marc Despatie qui, fait intéressant à noter, paraît dans le journal anglo-phone de Sudbury. Quant aux critiques mitigées de B. Marcoux et de M. Lagacé, on y sent un malaise à cause de la question identitaire ; sans le dire clairement, peut-être sont-ils gênés par leur grille de lecture en partie identitaire, comme l’était un peu celle de Girouard avec la machine à laver, symbole de la misère qui serait propre à la communauté franco-ontarienne.
2) French Town: la publication et le Prix du Gouverneur général (1994-1996)
7 François Paré, dans Liaison, aborde la pièce par le thème de la langue, thème privilégié par la critique identitaire, développant une vision pessimiste quant à l’image et au message véhiculés par le théâtre franco-ontarien qui serait « habité, non pas seulement par la peur de parler, de trop parler, mais par la peur de trop bien parler » (« Genèse » 33). Un profond « sentiment d’impuissance » en découle, en particulier vis-à-vis l’institution littéraire québécoise: « On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a, dans cet usage du français populaire, et des sacres [. . .], un compte à régler avec l’institution littéraire et avec le Québec notamment » (« Genèse » 34). Ainsi, French Town confirmerait la vision misérabiliste du théâtre franco-ontarien, son enfermement (comme dans Lavalléville) – le « trou à marde » (« Genèse » 34) –, participerait d’un théâtre qui n’aurait pas changé depuis André Paiement et qui témoignerait d’une « grande impuissance à évoluer dans le langage » (« Genèse » 34). French Town proposerait une esthétique dépassée, voire un propos éculé. En regard de l’horizon d’attente québécois, ce dont témoigne Lucie Robert, French Town, « allégorie de l’aliénation, [. . .] conserve certaines revendications politiques que le théâtre québécois a reléguées aux oubliettes de son histoire préréférendaire » (671). Selon elle, la pièce ne propose pas de renouvellement esthétique, reprenant des « lieux communs de la dramaturgie québécoise en créant deux personnages aux usages linguistiques diamétralement opposés » (670).5 Sylvie Bérard, dans Lettres québécoises, en fera une lecture plus positive, plus axée sur la structure que sur les thèmes: « Le théâtre, chez Michel Ouellette, n’est pas une réplique de la vraie vie ; il en est un microcosme où chaque élément, chaque événement est résumé à sa substantifique moelle » (55).
8 À l’automne 1994, Michel Ouellette remporte le Prix du Gouverneur général, ce qui n’empêchera pas les critiques les plus dévastatrices pour la pièce. Ainsi, Louis Bélanger, dont le compte rendu critique porte sur French Town et l’essai de François Paré, Les littératures de l’exiguïté (Prix du Gouverneur général 1992), souligne le fait que la reconnaissance des œuvres franco-ontariennes dépend d’une instance de légitimation externe: « ce doublé franco-ontarien démontre la précarité culturelle d’une communauté déchirée entre le confort illusoire de son repli identitaire et la douloureuse nécessité de l’Autre dans le processus de consécration de sa valeur littéraire » (15). Faut-il aussi y lire une certaine gêne que cette pièce dont on ne voit que la thématique identitaire et misérabiliste soit devenue emblématique du théâtre franco-ontarien? La référence au misérabilisme ainsi que la comparaison avec Lavalléville et Le Chien tendraient à confirmer cette hypothèse. Pour Bélanger, en continuant de développer des thèmes identitaires, Ouellette jouerait le jeu des « littératures hégémoniques », se conformant ainsi à l’image que ces littératures ont des « petites » littératures. Bélanger suggère qu’il faut sortir de la problématique identitaire qu’il appelle « une esthétique du"petit" ».
9 Mais le coup de grâce pour la pièce est sans aucun doute la critique de Pierre Karch dans Francophonies d’Amérique, qui s’attarde surtout, avec un ton condescendant, à la langue utilisée: « comme cela se dit encore dans un pays où bien parler est aussi mal vu que d’avoir des manières et de se tenir à table » ou encore « Franco-Ontariens, Franco-Ontariennes, tant que sera primé ce genre de discours, vous ne serez pas sortis du bois » (« French Town » 91-92). Selon Karch, French Town, qu’il compare à La terre paternelle, « n’apporte rien de nouveau au portrait du colonisé » (91). Plus encore, il tourne en dérision le choix des membres du jury du Prix du Gouverneur général « qui ont pris un malin plaisir à primer une pièce franco-ontarienne mettant en scène un héros qui nous fait honneur comme des caleçons troués sur une corde à linge » (91). La thématique de la pièce serait dépassée: « À l’heure du village global et du libre-échange, penser en termes de racines me paraît aussi profond que creux » (92). On peut certes lire ici un refus de voir le caractère universel de la pièce, chose qu’avait pour-tant souligné le jury. La critique est-elle exacerbée, encore une fois, par le fait que la pièce ait reçu le prix? Une chose est certaine: c’est la thématique identitaire, son versant « misérabiliste », qui sert de grille d’analyse au critique.
10 Pourtant, d’autres critiques élargissent leurs perspectives: plus nuancée et abordant la pièce non seulement sous l’angle de la thématique identitaire mais également sous celui de l’écriture dramatique, Mariel O’Neill-Karch affirme que « [l]’intérêt de cette pièce ne repose pas sur les rapports prévisibles entre ces trois personnages, ni sur la dialectique passéiste colonisateur-colonisé, ni même sur l’histoire de la destruction par le feu, en 1936, du quartier français de Timber Town » (« Lettres canadiennes 1994 » 120), mais réside plutôt « dans la facture même, inspirée de la distanciation brechtienne avec ses intertitres didascaliques6 se rapprochant des pancartes du maître, ses parallèles fortement marqués et ses mises en abyme » (121). Il est intéressant de noter que, dès que la critique s’attarde à d’autres considérations que les thèmes de l’identité franco-ontarienne et de la condition minoritaire pour se pencher plutôt sur la forme de l’œuvre, elle devient moins sévère.
3) French Town: le point tournant (1996-2003)
11 En 1996, lors de la deuxième édition de la pièce, les critiques positives, essentiellement celles qui sont basées sur des critères dramaturgiques, sont bel et bien choses du passé pour French Town. C’est exclusivement sur le texte que les critiques se penchent à présent. Pour cette seconde édition, l’éditeur prend soin de rappeler en quatrième de couverture les critiques élogieuses de Lettres québécoises et du jury du Prix du Gouverneur général. En contrepoint, une préface de Stefan Psenak souligne et dénonce la réception négative de la pièce en Ontario français, sous forme d’un règlement de compte avec « une certaine élite intellectuelle et universitaire bien-pensante qui se sent investie du mandat de "faire" la littérature franco-ontarienne » (7). Il ne peut s’agir ici que des critiques de François Paré, de Louis Bélanger, et surtout, celle de Pierre Karch. Selon Psenak, la pièce aurait été « boudée dans le milieu théâtral franco-ontarien » (7). Au printemps 1997, Diane Godin, dans Nuit blanche, s’appuie sur la réception critique négative relayée par la préface de Psenak dans l’édition de 1996; c’est donc dire que les critiques positives de la production et de la pièce ne font plus partie du portrait critique de French Town et que la préface de Stefan Psenak oblitère complètement la réception critique positive de l’œuvre pour se concentrer sur l’aspect négatif, venu se greffer au discours plus d’un an après la production et la publication de la pièce, et ce, malgré le Prix du Gouverneur général.
12 Or, si les critiques franco-ontariens (notamment Paré, Bélanger, Karch)7 ont condamné la pièce en la lisant à travers une grille identitaire (la langue, le « misérabilisme » découlant de la situation minoritaire des protagonistes), les critiques de la production ou les critiques québécois n’ont pas nécessairement abordé la pièce de ce point de vue, à commencer par le jury du Prix du Gouverneur général (formé de Jean-Louis Roux, Élizabeth Bourget et André Ricard) qui a souligné le caractère universel de French Town:Une pièce dense et forte qui s’inscrit dans la grande tradition tragique. Le destin implacable qui s’acharne sur les personnages les place dans une universalité qui déborde le cadre de cette petite ville industrielle du nord de l’Ontario, où ils sont emprisonnés. (Ouellette, 1996 French Town, 4e de couverture)Ainsi, la critique québécoise, à laquelle la critique franco-ontarienne (Paré, Bélanger, Karch) semble accorder de l’importance, dépasse le critère identitaire: « Mais là s’arrête la comparaison; Michel Ouellette signe, avec French Town, une pièce dont les enjeux sont d’abord et avant tout politiques, qui attribue l’oppression d’une communauté tant à l’ordre social qui la régit qu’ à son rapport à la question linguistique » (Godin). Les analyses qui suivront, en particulier de nouvelles études de François Paré et de Pierre Karch, viendront cependant nuancer les propos négatifs fondés sur une lecture privilégiant l’angle identitaire.
13 Dans un article de 1996, François Paré constate que le paysage de la critique a changé, bien qu’il soit encore difficile, selon lui, d’évacuer la dimension identitaire. Dans cet article, il propose d’analyser le « rapport entre la rupture souhaitée et l’existence obsessive d’un récit fondateur, condition même du rassemblement et de l’institution » (« Pour rompre » 13) à partir entre autres de French Town. À propos de la littérature franco-ontarienne (en particulier du théâtre), « porte-parole » de la question identitaire depuis 30 ans pour les Franco-Ontariens (17), Paré parle de « fragilité », d’« une conception cataclysmique de l’histoire collective des Franco-Ontariens » (17) qui sont « devenus de puissants illusionnistes de la disparition » (17). Pourtant, on sent un vent de changement, puisque selon Paré on en est « à créer de l’espace de réverbération pour la littérature » (14). Son analyse de French Town s’est donc nuancée: si la première lecture a été faite en inscrivant l’œuvre de Ouellette dans la lignée de celle de Paiement, la seconde, même si elle se fonde toujours sur l’identitaire, arrive à des conclusions fort différentes qui remettent en question cette vision de l’histoire et de la communauté. Ainsi, pour Paré, French Town témoigne désormais de « l’éclatement du discours fondateur de la communauté [qui] est renforcé par la dénonciation du mensonge collectif » (20). Le constat est clair:Il ne fait pas de doute que si la littérature a permis de proposer à la collectivité minoritaire le récit cohérent de son origine dans le temps et dans l’espace, elle a aussi alimenté une critique de ce récit fondateur. Il me semble que c’est la voie sur laquelle s’est engagée la littérature franco-ontarienne actuelle. (23)French Town devient ainsi le moment de rupture non pas avec la problématique identitaire, mais avec la lecture identitaire de la littérature franco-ontarienne.
14 Dans son article, « Étude psychocritique, jungienne, de French Town », paru en 2003, Pierre Karch nuance lui aussi sa première lecture de la pièce de Ouellette en proposant trois perspectives différentes, dont celle d’André Girouard, qui faisait une lecture freudienne des personnages dans sa critique de la pièce datée de mars 1993. En fait, ce ne sont pas tant les lectures qu’il propose, que le fait qu’il en propose trois qui nous intéresse. Peut-on en déduire que l’horizon d’attente a résolument changé? Du moins, s’il convenait encore, dix ans plus tôt, de n’évaluer une pièce qu’à travers la grille identitaire pour la dévaloriser, ce n’est certes plus le cas. Par cette nouvelle lecture, Karch donne raison aux membres du jury du Prix du Gouverneur général qui avaient vu le caractère universel de French Town.
15 Et dix ans après French Town, comment lit-on Le testament du couturier?
La réception critique du Testament du couturier: toujours l’identitaire?
16 Le testament du couturier a été présenté à Ottawa du 19 février au 1er mars 2003 par le Théâtre La Catapulte dans une mise en scène de Joël Beddows.8 Le texte et la production du Testament du couturier ont été reconnus par l’institution littéraire et le monde du théâtre, qui leur ont décerné plusieurs prix ou mentions: Prix Trillium, Palmes 2002-2003 de la meilleure mise en scène et de la meilleure interprétation décernées par le Cercle des critiques de la capitale, Masque de la meilleure production franco-canadienne. La pièce fut également désignée « Coup de cœur » de l’année 2003 par les chroniqueurs culturels Mélanie Riendeau de la Première Chaîne de Radio-Canada et Claude Naubert de l’émission Passeport de la chaîne TV5. Enfin, Joël Beddows a reçu le Prix théâtre Le Droit pour sa mise en scène.
17 Avant de connaître cette production professionnelle louangée, la pièce avait fait l’objet d’une lecture publique, faite par Michel Ouellette à Ottawa, le 26 janvier 2001. Le premier article à faire état de la pièce, porte sur cette première lecture. Dans son étude intitulée « Michel Ouellette: les pièges de la communalité », Dominique Lafon voit dans cette toute dernière pièce de Ouellette une sortie des « sentiers battus, du tracé d’écriture » (271) identitaire. Selon elle, le théâtre de Michel Ouellette, « après avoir suivi les sentiers fléchés de la thématique collective [. . .] s’est engagé sur la voie d’une inspiration autre » (273). La critique l’a-t-elle suivi sur cette voie?
18 On peut distinguer trois types de textes critiques sur Le testament du couturier: 1) les articles qui précèdent et annoncent le spectacle ; 2) les critiques du spectacle et 3) les critiques du texte publié.
1) Le discours anticipatoire
19 Les articles qui précèdent la première représentation accordent une place importante aux entrevues avec l’auteur, avec le metteur en scène et avec la comédienne Annick Léger. Le 15 février 2003, deux articles paraissent dans le journal Le Droit. Le premier, une entrevue avec Michel Ouellette, met l’accent sur la forme éclatée de la pièce. La journaliste, Geneviève Turcot s’intéresse plutôt à l’histoire, établissant un lien entre 1984 de George Orwell, dont Michel Ouellette affirme s’être inspiré, et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, que le dramaturge dit ne pas connaître. Le second article se fonde sur des entrevues avec Joël Beddows et Annick Léger, qui soulignent, eux aussi, la forme inhabituelle du texte. Cette originalité concourt, selon eux, à lui donner « quelque chose de sacré, de spirituel » (Turcot, « Testament »). Toutefois, selon la journaliste, il est « difficile d’identifier quel public sera séduit par ce Testament ». Il n’en demeure pas moins que tout le discours autour de la pièce est laudatif: « Le Testament du couturier va toucher et ébranler, mais surtout, faire réfléchir »,« la naissance d’un classique »,« une excellente histoire ». L’article de Jean Saint-Hilaire, qui annonce la présentation de la pièce à Québec, s’inspire aussi largement d’une entrevue avec Joël Beddows. Il s’ouvre sur une phrase de Beddows qui ne manque pas de surprendre:Au gré de votre serviteur, l’entrevue est terminée, mais Joël Beddows, qui n’a pas la langue dans sa poche, ne raccrochera pas sans une mise au point. « Les compagnies franco-phones de l’Ontario, part-il, sont reconnues pratiquer un théâtre très identitaire. Nous, à la Catapulte, on est dans le contre-mouvement de tout ça. On s’est donné le mandat de se débarrasser de cette esthétique que je trouve réductrice. Des théâtres comme le Nouvel-Ontario (Sudbury) et la Vieille 17 (Ottawa) ont fait de belles choses, mais ils sont nés des revendications d’une autre génération. Nous, on est entouré [sic] de jeunes créateurs ; l’identité, c’est réglé pour nous. On veut faire du théâtre basé sur la recherche formelle plutôt que la recherche identitaire. On n’a pas de frontières ; moi, mon pays, c’est le théâtre. » (Saint-Hilaire « Soliste »)
20 Si Joël Beddows sent le besoin d’avertir le critique du Soleil que la pièce ne correspond pas à ses attentes, ou du moins à ce que le metteur en scène perçoit comme tel, ce ne doit pas être le cas à Ottawa puisque aucun des articles parus dans Le Droit ne fait état de cette mise en garde. Que penser de cette mise en garde alors qu’en fait, la critique québécoise de French Town était beaucoup moins axée sur l’identitaire que la critique franco-ontarienne qui y faisait constamment allusion, ne serait-ce que pour regretter qu’on produise encore des pièces identitaires? Cette méfiance découle sans doute du fait, attesté par de nombreux chercheurs s’intéressant aux littératures minoritaires, que ces littératures n’intéressent la critique « majoritaire » que dans la mesure où les œuvres sont « exotiques » et parlent du contexte socioculturel propre au groupe minoritaire. C’est ce que Madeleine Ouellette-Michalska nomme « l’amour de la carte postale ».
21 Lors de la tournée québécoise, le discours anticipatoire mise à plein sur les prix reçus par le spectacle pour souligner la qualité de la production. L’ensemble du discours est donc élogieux. Si celui-ci porte principalement sur des questions relatives à la représentation (le jeu « époustouflant » d’Annick Léger, la mise en scène ingénieuse de Joël Beddows, la scénographie « quasi mystique » de Glen Charles Landry et l’environnement sonore d’Éric Vani) le texte n’est pas pour autant ignoré. Outre le fait que les critiques, qui ont eu l’avantage de lire la pièce déjà publiée à ce moment9 et les comptes rendus des premières représentations, soulignent la forme exigeante du texte qui nécessite la participation du spectateur, nombreux sont ceux qui parlent des thématiques abordées afin de souligner le fait qu’il n’y est pas question d’identité franco-ontarienne. Ainsi, Anne Michaud, après avoir à maintes reprises rappelé que « tous les artisans proviennent de l’Ontario français », signale que « pour la première fois, son sujet n’avait aucun rapport avec la vie en milieu linguistique minoritaire. » Pour Anne-Marie Cloutier, « [i]l était temps que la dramaturgie franco-ontarienne sorte des sentiers battus et des questions identitaires » (« Les cinq rôles » 5). On est en droit de se demander dans quelle mesure cette précision émane du discours des « artisans », puisque, parmi toutes les personnes qui parlent des thèmes de la pièce, seule Annick Léger mentionne l’identité: « Le texte explore des thèmes comme la maladie, l’isolement, l’identité, mais aussi l’omniprésence de l’informatique et de la technologie dans nos vies » (Bérubé). Toutefois, comme le signale Hervé Guay dans sa critique de la production: si « [p]lusieurs ont salué dans cette œuvre l’abandon de la part des auteurs de l’Ontario français de la problématique identitaire », ce n’est pas qu’elle est absente, mais bien qu’« elle se décline plutôt sur un autre plan ou, si l’on préfère, d’une manière plus indirecte. » En effet, la thématique identitaire est bel et bien présente dans la pièce. La question de l’appartenance à la Banlieue ou de l’exclusion de cet espace, par exemple, pourrait donner lieu à une lecture identitaire. Alors que les premières critiques de French Town étaient axées sur la question de l’identité franco-ontarienne, celles du Testament du couturier s’évertuent à signaler qu’on s’en éloigne en postulant que la pièce ne s’y prête plus. Or, ce qu’affirme Guay, c’est qu’une telle lecture est encore possible, tout comme les dernières études de French Town montrent que cette pièce dépasse largement la question identitaire.
2) Les critiques de la pièce
22 Les critiques de la production accordent toutes une place importante au jeu, à la mise en scène et au décor ainsi qu’à la forme. Caroline Barrière dans Le Droit soutient que « [d]e par sa forme et sa construction, la création de la pièce Le testament du couturier laissera sans aucun doute un héritage majeur au théâtre franco-ontarien. » Aucune référence à l’identitaire dans cet article qui présente la pièce comme un « texte très littéraire qui ne laisse absolument aucun répit aux spectateurs » (32). Et cette absence de l’identitaire ne conduit pas à une critique négative. Au contraire, « Le Testament du couturier constitue une véritable réussite à tous les points de vue, à condition bien sûr de se frotter sans réserve à un exercice exigeant et rigoureux » (32). La critique de Danièle Vallée dans Liaison est moins dithyrambique. Comme Caroline Barrière, elle fait état du décor, de la mise en scène et du jeu, qui ne la laisse pas froide. Cependant, il est peu question du texte. Un court résumé présente l’intrigue sans plus. Le jugement final explicite cette dichotomie: « On ne peut que saluer bien bas l’étonnante mise en scène de Joël Beddows, féliciter sa joyeuse équipe. Ils ont tous guidé et soutenu une comédienne bien solide, afin qu’elle arrive à franchir les barbelés d’un texte épineux, sans jamais s’y écorcher. » On ne peut qu’en conclure que le texte a laissé la critique perplexe. Mais on ne constate aucune allusion à la thématique identitaire, comme si la question n’était pas pertinente.
23 Quelques critiques québécois poseront un regard plus dur sur le texte. Alors que Josée Bilodeau le trouve « réducteur » et stéréotypé, Blaise Guillotte soutient que « malgré un texte moyen et cliché, l’œuvre dans son entièreté est provocatrice et dérangeante », et Stéphane Despatie juge qu’il s’agit d’« un spectacle beau et bien mené, mais qui laisse un arrière-goût, un malaise ». Jean Saint-Hilaire, dans sa critique du spectacle, parle de cette « fable futuriste », comme d’un « objet de théâtre singulier et aussi séduisant qu’ombreux et bousculant » (« Le Testament »). La pièce étonne,c’est le moins qu’on puisse dire,par son caractère novateur. On note donc un changement important dans la façon qu’ont les critiques de juger cette dernière pièce de Ouellette: qu’ils aient apprécié ou non, la pièce n’a plus rien à voir avec la présence ou l’absence de la thématique identitaire, mais plutôt avec la qualité formelle de la pièce.
3) De la scène au livre
24 Les articles annonçant le spectacle ou en faisant la critique établis-sent de nombreux rapprochements avec diverses œuvres littéraires: 1984 de George Orwell et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury dans celui de Geneviève Turcot, 1984, Brave New World d’Aldous Huxley et La peste d’Albert Camus dans ceux de Jean Saint-Hilaire.10 On est loin des références québécoises qui avaient servi à inscrire French Town dans la littérature identitaire et à en dénoncer l’anachronisme.11 Cette lecture « générique » de la pièce, c’est-à-dire fondée sur un rapport intertextuel avec des œuvres appartenant au même « genre », soit celui des récits d’anticipation ou de science-fiction, est en partie suggérée par le communiqué de presse qui parle d’un « drame de science-fiction de haute voltige » et par la pièce elle-même, qui répond aux attentes génériques des critiques et des spectateurs. Les critiques de la pièce publiée abonderont aussi dans ce sens: Mariel O’Neill-Karch, dans la revue annuelle des œuvres littéraires de University of Toronto Quarterly, et Jane Moss, dans Francophonies d’Amérique, inscrivent toutes deux la pièce dans la filiation de Brave New World, 1984 et The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood. Les deux articles, même si celui de O’Neill-Karch ne fait que soulever la question, proposent une lecture politique et idéologique de la pièce, non plus fondée sur la question franco-ontarienne, mais bien sur la nature humaine. Pour Jane Moss,L’intrigue du Testament du couturier prouve encore une fois qu’un État totalitaire ne peut jamais réprimer les pulsions élémentaires qui constituent la nature humaine. En dépit de la technologie moderne, de tous les systèmes de surveillance et de toute l’idéologie moralisatrice, le Mal s’infiltre dans la Banlieue sous différentes formes – la jalousie, l’ambition, la passion adultère, le désir de vengeance – et ces émotions impures mènent aux crimes, à la folie et à la mort (118).
25 Le contenu thématique et la forme du Testament du couturier ont sans aucun doute contribué à diriger la critique vers une grille de lecture plus universelle et littéraire et moins identitaire. Pourtant, François Paré affirmait clairement dans Théories de la fragilité: « Je ne crois pas qu’il soit possible d’écrire une œuvre où les lieux d’appartenance identitaire ne constituent pas déjà un tracé de lecture » (12). Ce tracé de lecture, personne ne le suit pour parler de la dernière pièce de Ouellette.
La mort annoncée de la grille identitaire
26 Certes, on pourrait croire que l’évolution de la critique ne fait que suivre le cheminement de l’œuvre du dramaturge. Cependant, si French Town, la première pièce de Ouellette montée professionnellement, s’inscrit, comme l’écrit Dominique Lafon, tant par ses thèmes que par l’espace où elle se déroule, « dans les frontières du tracé de lecture qu’avait fixées la consécration du Chien » (266-67), et que sa dernière pièce, Le testament du couturier, au contraire, « joue le va-tout d’une décontextualisation spatiale et temporelle » (271), ne s’en tenir qu’à cette conclusion serait réduire la portée des premiers textes de l’auteur. En effet, si les premières pièces de Michel Ouellette, dont French Town, donnent prise à une lecture identitaire à cause de l’espace où elles se déroulent, de la langue populaire qu’elles adoptent et de certaines thématiques abordées, elles comportent malgré tout des éléments qui permettent des lectures autres qu’identitaires. La preuve étant que, dans son article de 2003, Pierre Karch propose trois pistes de lecture qui ne relèvent pas de l’identitaire. Pour Michel Ouellette, il ne fait aucun doute que French Town ne peut être ramenée qu’à cette seule thématique. Il affirme sans ambages:Je voudrais que ce soit clair que French Town est universel, qu’une pièce de théâtre dont l’action se déroule dans un espace identifiable peut être universelle, que ce n’est pas le non-lieu qui fait l’universalité. [. . .] C’est trop facile de voir dans le Testament une sorte de rupture. Il faut plutôt revoir mes autres textes différemment, avec un regard neuf qui peut voir l’universel dans la spécificité. (Courriel)
27 Or, la grille de lecture privilégié au moment de la parution de French Town est résolument identitaire, et cela, même lorsque les critiques souhaitent que la pièce parle d’autre chose, voire, manifestent une certaine gêne d’en être encore là alors qu’au Québec on est ailleurs. Pourtant, ce sont les critiques qui, à ce moment-là, se cantonnent dans l’identitaire, lecture en partie entérinée par le communiqué de presse émis par le TNO. Cette ambivalence de la critique expliquerait ce que Dominique Lafon présente comme un paradoxe. Elle s’étonne que l’institution littéraire ait boudé Ouellette en dépit du fait qu’il ait suivi la voie de l’identitaire nettement privilégiée par la critique: « les sentiers fléchés de la thématique collective [. . .] paradoxalement, l’on conduit à une sorte de cantonnement institutionnel » (273). En fait, la perception qu’ont les critiques des pièces de Ouellette est d’emblée orientée par le fait que Michel Ouellette ait été, à l’époque, associé au TNO, perçu comme le haut lieu du théâtre identitaire, et qu’il ait adapté Lavalléville d’André Paiement, – et cela même si le texte de son adaptation n’a jamais été analysé – ainsi que par la thématique de French Town, que les critiques ont d’entrée de jeu associée à Lavalléville et au Chien de Jean Marc Dalpé, pièces consacrées comme identitaires, dont la seconde a été couronnée par le Prix du Gouverneur général en 1989. En fait, depuis le début des années 1970, la critique franco-ontarienne, marquée par les travaux de Fernand Dorais et de René Dionne, accordait, et peut-être accorde toujours dans une certaine mesure, une place primordiale à la question identitaire. Que ce soit François Paré qui, dans un article paru en 1982 dans La Revue du Nouvel-Ontario, forge les concepts de « littérature de la conscience » et de « littérature de l’oubli » (« Conscience »), ou Robert Yergeau qui parle de « littérature surcontextualisée » et de « littérature décontextualisée », ou encore Margaret Cook et la « poésie du pays » ou « poésie de l’être », le corpus littéraire est toujours appréhendé dans un rapport d’opposition entre les textes qui marquent au fer rouge leur appartenance au milieu franco-ontarien et ceux qui occultent cette dimension.
28 En fait, « le problème » de la réception du théâtre de Ouellette est qu’il est arrivé sur la scène littéraire au moment où la grille de lecture de la critique était en pleine transformation. Lorsque French Town est montée et publiée, la grille identitaire est encore privilégiée, bien que dans une moindre mesure, pour parler de la production. Toutefois, à cette époque, les textes identitaires sont moins prisés par la critique franco-ontarienne, plus particulièrement par la critique universitaire. La pièce suffit toutefois à identifier Ouellette à ce courant. Dès lors, la grille identitaire devient un détour obligé pour quiconque parle de l’œuvre de Ouellette, mais elle ne correspond pas nécessairement aux pièces et y correspondra en fait de moins en moins. Le jury du Prix du Gouverneur général n’a-t-il pas souligné en 1994 le caractère universel de la pièce? Lors de la production du Testament, seuls Joël Beddows, Annick Léger et certains critiques québécois parlent encore d’identitaire. Dans le cas du metteur en scène, ce n’est pas étonnant puisqu’il a été parmi ceux qui ont associé le théâtre de Ouellette à l’identitaire, n’hésitant pas à dire en entrevue « qu’il n’a jamais été un admirateur de Michel Ouellette. » « J’ai toujours énormément respecté son travail, dit-il, mais je n’ai jamais aimé sa dramaturgie, elle ne m’intéressait pas" » (Turcot, « Testament »). Comme le note Dominique Lafon,[p]as assez minoritaire pour les uns, trop identifié à la minorité pour les autres, le théâtre de Michel Ouellette aurait été pris au piège de la double contrainte critique décrite par François Paré. Le tracé de lecture, la mise en demeure semblent avoir dessiné les frontières implicites d’un corpus en exil, d’une solitude qui est désormais le lieu d’une individualité parfaitement assumée. (275)
29 En outre, l’obtention du Prix du Gouverneur général pour French Town n’a en rien contribué à une meilleure réception critique en Ontario. Au contraire, la critique aurait peut-être été moins virulente si la pièce n’avait pas remporté ce prix. En effet, les critiques regrettent que le Prix vienne légitimer une pièce qui propose, à leur avis, une image de la littérature franco-ontarienne dont ils souhaitent se dissocier. Il n’en est pas de même lorsque Le testament du couturier est primé. Est-ce la nature des prix, plus locaux ou reconnaissant une production « franco-canadienne », donc d’une portée symbolique moins grande, qui joue ici?
30 Certes, la seule analyse de la réception de deux pièces de Michel Ouellette ne permet pas de tirer des conclusions pour l’ensemble de la critique, mais il y a fort à parier qu’une analyse comparative de la critique des œuvres parues au milieu des années 1980 et de celles qui sont créées au début des années 2000 nous permettrait de voir la même évolution.
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Notes