Du rivage au terroir :
L'expulsion de la mer de la litterature
canadienne au XIXe siecle
Alessandra Ferraro
LES TEXTES LITTERAIRES du XIXe siecle quebecois font l'objet depuis quelques temps de renditions et d'etudes qui ont permis de franchir une etape capitale dans la comprehension de revolution des lettres quebecoises1. A la suite de ces recherches il apparait evident que la litterature canadienne-francaise natt dans des conditions materielles sensiblement differentes par rapport a l'Europe. En meme temps, les liens entre les nouvelles productions poetiques et les modeles importes du Vieux Monde sont tres forts, comme dans les autres cas de litteratures en langues europeennes, aux Etats-Unis, par exemple. Nous assistons donc a la naissance d'une litterature jeune, emergente, qui se trouve tout de suite confrontee a une tradition seculaire.
II nous semble que si l'etude de la production litteraire canadienne a l'aune des modeles francais est pertinente, car e'est vers la France que les ecrivains regardaient, il ne faut cependant pas negliger qu'aussi bien les conditions materielles de la production litteraire que le climat culturel et politique etaient differents en Amerique. Les pieces versifiees publiees a partir de 1830 jusqu'a 1860 sont le produit d'une litterature qui veut s'affirmer contre le projet politique envisage par le Parlement Britannique d'assimiler les Canadiens francais en les subordonnant et en faisant disparaitre leur langue. Les textes litteraires, sont ecrits par des intellectuels animes par un meme ideal de defendre l'identite du Canada francais, mais separes par des conceptions politiques, esthetiques et ethiques opposees. Les jeunes patriotes de 1830 sont des liberaux, interesses aux evenements de la scene internationale; ils sont catholiques et democrates et pratiquent la chanson, la poie et le journalisme engage. Au contraire l'ideologic des ecrivains se reunissant dans la deuxieme moitie du siecle autour de l'abbe Casgrain s'appuye sur le culte d'une nation basee sur la triade « race-religion-sol ».
Malgre ces differences de taille, la critique a employe l'adjectif « romantique » pour designer les deux periodes en ayant recours a des categories historiographiques importees d'Europe; on parle de notion de « pre » et de « post-romantisme » pour classer la production de l'epoque et on essaie de mesurer le degre d'intensite de romantisme present dans les ouvrages, ce qui a amene Laurent Mailhot a ecrire : « Cela fait beaucoup de romantismes — sans compter les pre et les post— pour assez peu de poesie » (299).
Pour eclairer la relation de ces ecrivains a la France il nous parait important d'analyser le moment historique ou les gens de lettres commencent a avoir conscience de la necessite de creer une litterature autochtone, nationale, pendant les decennies 1830-1860, epoque oil se dessine un champ litteraire autonome au Canada francais2. L'analyse de la production poetique de la premiere moitie du siecle renvoie l'image romantique d'un peuple se battant contre des tyrans qui souhaitent sa disparition. Les poetes filtrent leur imaginaire a travers la grille du romantisme, mais il ne s'agit que d'echos car la nouvelle litterature ne pouvait pas etre romantique au sens europeen du terme puisque la perception de l'histoire, de la nation et de l'individualite differaient forcement d'un bord a l'autre de l'Atlantique.
II faudra tout d'abord mettre en lumiere d'autres parametres importants — autres que thematiques— pour evaluer le degre de presence du romantisme dans la litterature canadienne. Si l'on examine le role attribue au poete, on remarque par exemple qu'il est envisage en tant que porte-voix et guide du peuple; le grand nombre de pieces anonymes montre en outre que l'attribution de la gloire litteraire ne comptait pas parmi les principales preoccupations des gens de lettres de l'epoque3. II n'existe pas de poetes a part entiere, mais des avocats, des journalistes, des typographes qui participent a la vie politique en ecrivant aussi des vers. Les poemes et les chansons paraissent dans des revues et des journaux oil, le plus souvent, ils cotoyent des articles concernant l'actualite litteraire : c'est pourquoi ces vers devaient etre perçus comme un temoignage respectant l'orientation du periodique qui les accueillaient.
Dans ce contexte nous allons considerer cette production comme un seul « texte national » au sens employe par Jacques Godbout4, non seu-lement pour l'absence de veritables professionnels de la litterature, mais aussi pour la recurrence de themes, d'idees, de sentiments, de figures qui en soulignent le caractere profondement unitaire et surtout pour l'unite des buts poursuivis. Michel Tetu et Pierre de Grandpre afrirment: « II se-rait fastidieux de considerer separement chacun des auteurs de cette epoque [1830-1860]. Plusieurs atteignirent a une certaine renommee avec un seul poeme [...] mais ils se ressemblent beaucoup, et il suffit de noter les themes generaux que Ton retrouvera partout » (163).
Ces ecrivains qui vantent les modeles europeens comme des exem-ples a suivre ne vouent done pas le meme culte qu'eux a l'inspiration crea-trice et au genie de l'individualisme. II est vrai que quelques themes sont abordes dans la nouvelle poesie canadienne mais, si des influences roman-tiques sont presentes, toutefois l'absence eclatante de quelques compor-tements typiques et de plusieurs topoi revele, a nos yeux, que le rapport avec le modele importe d'Europe est a etudier de plus pres5.
On peut constater le peu d'interet temoigne vers la nature par les poetes canadiens, tandis que l'emerveillement devant les paysages sauvages etait presque un poncif pour les voyageurs europeens en Amerique. Nous es-saierons d' expliquer le manque d'un imaginaire naturel a travers l'ana-lyse de la representation spatio-temporelle vehiculee par les textes litterai-res de l'epoque, en focalisant notre attention sur la presence de la mer aussi bien en tant que territoire, qu'en tant que symbole6.
Souvent dans les compositions poetiques on evoque une terre qui risque d'etre submergee par l'eau. Cette eau est rarement identifiee a l'eau marine et, les occurrences de l'evocation de la mer dans la production de l'epoque ne sont pas nombreuses7. Cela pourrait s'expliquer parce-que les principaux centres de production sont Montreal et Quebec, des milieux urbains. Cependant les raisons sont a rechercher aussi ailleurs.
La mer avec ses vagues et ses paysages ne fait pas partie de l'imagi-naire canadien de l'epoque et elle y apparait comme un symbole negatif. Souvent elle est representee comme un obstacle separant le Canada de la France : « V vous qui de la Seine habitez le rivage, / Vous dont nous con-servons les mceurs et le langage, / Nous sommes separes par l'abime des mers » (Jeaumenne, « Le Canada venge » : 457).
La mer bravee pour decouvrir et conquerir le Canada par les ai'eux francais — « ces heros voyageurs / qui des vents et des flots heureux triom-phateurs / Explorant les premiers cette contree immense, / Verserent dans son sein la corne de l'abondance » (Anonyme, « O toi qui voulus... » : 362— , est a present un territoire etranger que d'autres dominent. C'est ainsi que Pierre-Joseph-Olivier Chauveau s'adresse a Albion, la reine des mers : « Ton pouvoir qui se prete aux voeux de l'univers, / S'affermit cha-que annde, / et les blancs escadrons de tes nombreux vaisseaux / Enfin ne laissent plus de parages nouveaux, / a l'onde consternee » (866). Dans le present l'Atlantique est surtout la voie qui amene les gouverneurs anglais en Amerique (Jeaumenne, « L'Arrivee... » : 78). La mer constituait un cordon ombilical avec la mere-patrie qui a ete tranche par l'Anglais8.
Les nombreuses pieces celebrant la Capricieuse, le premier bateau francais arrive au Canada apres la Conquete, temoignent que cet evene-ment avait etç percu comme une sorte de reconnaissance de Tenfant-co-lonie delaisse de la part de la mere-patrie. On doit a Cremazie la lyrique la plus connue; il decrit l'arrivee du bateau a travers le regard d'un vieux soldat ayant jadis combattu pour la France et qui attend de revoir Hotter le drapeau francais a Quebec. Apres avoir peint l'emotion du vieux heros, le poete adresse aux marins francais une strophe oil les mots evoquant les liens familiaux sont revelateurs : « Vous partez. Et bientot voguant vers la patrie, / Vos voiles salueront cette mere cherie ! / On vous demandera la-bas, si les Francais / parmi les Canadiens ont retrouve des jreres ? / Di-tes-leur que, suivant les traces de nos peres, I nous n'oublierons jamais leur gloire et leurs bienfaits » (638. C'est nous qui utilisons l'italique).
L'image la plus courante est cependant celle du Canada represente par la metaphore du bateau au milieu d'une tempete d'ou parfois il peut sortir indemne, comme, par exemple, dans ce poeme anonyme: « Au loin em-porte par l'orage, / le navire touche au port; il ne faudra plus qu'un effort / pour le preserver du naufrage » (« Enfin le jour de la justice... » : 161), ou bien ou il peut sombrer : « Partout on dit, l'ceil fixe sur les flots, / L'es-quif brise s'abime sous l'orage. / Canada! Ton nom n'a plus d'echos / Et tes enfants cheris ont fait naufrage » (Garneau, « Chanson » : 399).
Ces representations marines — metaphoriques, symboliques et sou-vent ideologiques— sont inferieures en nombre par rapport a revocation de la mer qui separe l'exile ou le voyageur de sa patrie.
Des poetes de toute orientation evoquent le sort malheureux de ceux qui, ayant participç a l'insurrection patriotique de 1837-1838, ont ete eloignes vers des bords lointains. Si done cette vogue s'explique pour des raisons contingentes, il est a remarquer cependant que la figure de l'exile avait paru sur la scene litteraire avant cette date et qu'elle l'occupe pendant plus d'une decennie. L'exil se configure sous des formes differentes : parfois comme l'exil du voyageur (Garneau, « L'Etranger » : 332-333) ou des orphelins des immigres a l'etranger (Anonyme, « Plainte... » : 249-251) ; tantot l'exile est un etranger sur le sol canadien (Potel : 137) tantot on chante l'exil d'un personnage historique comme Napoleon (Aubin : 506).
La separation de la patrie est representee selon des modalites differentes : il peut s'agir soit de la description du triste sort de l'exile raconte par un narrateur exterieur qui a partir de la patrie assiste a son depart: « Vous quittez vos foyers pour des rives lointaines » (Cherrier : 105) ou bien le sujet enonciateur est l'exile meme qui, assis devant la mer, se plaint de sa destinee malheureuse: « Sur ce rivage, / Canada, Mon pays ! / Dans l'esclavage, / Loin de toi, je gemis » (Morin : 575). Souvent on s'adresse aux exiles a travers des vocatifs et le temps de la narration est le present, ce qui permet d'agir plus directement sur le narrataire : « Vous allez oil ? Dans une tie lointaine. / Pour bien du temps ? — Nous ne le savons pas / Qu'y ferez-vous ? — Nous subirons la peine / d'etre en pays ou vivent les forcats » (Anonyme, « Le Depart » : 104). Bien qu'il s'agisse de perspectives opposees du point de vue spatial et temporel9, la mer est percue comme agent disjoncteur. II est a remarquer ensuite qu'on privilegie la dimension passive de l'evenement : le sujet apparait contraint dans son choix par d'autres — que ce soient des sujets politiques ou des raisons su-perieures. L'eloignement de la patrie est peint comme une separation dou-loureuse meme si le voyageur est parti de son gre : « Sçpare par les mers d'une terre cherie / c'est alors seulement qu'on aime sa patrie » (Qeaumenne], « L'Expatrie » : 443)- On remarquera que la meme vision preside a l'organisation narrative des romans de l'epoque ; dans Les Fiances de 1812, Une de perdue, deux de trouvees et Charles Guerin l'aventure au dela des mers entraine des consequences disphoriques, ce qui est confirme par le fait que le denouement heureux ne peut avoir lieu qu'au Canada.
Dans revocation de la mer on ne trouve done ni les images romantiques du poete seul face aux elements naturels, ni I'expression d'une empathie entre l'homme et l'eau percue comme le symbole d'une union entre l'hu-main et le naturel. Les images marines sont marquees au point de vue ideologique. L'eau implique une dimension disphorique, negative, repro-duisant le climat d'incertitude et d'angoisse ou est plonge le peuple cana-dien-francais dont le territoire n'est pas assure car il se rdduit a une en-tite theorique. La representation de l'espace du sujet lyrique renvoie a un modele du monde parcouru par une frontiere qui separe le nous des Ca-nadiens francais des autres10; la mer entoure l'espace communautaire; ce-lui-ci est represente sous la forme d'un territoire incertain que l'eau as-siege, en tant que « bateau» , « tie », « roc », « rive », « plage », « bord », auxquels on s'accroche, mais qui risquent a tout moment d'etre submerges par l'element liquide.
Si cette opposition ne comportait qu'une dychotomie entre la mer — espace exterieur domine par l'ennemi— et la terre — domaine du nous communautaire— , cela renverrait a un conflit topique. Cependant cette representation de l'espace est problematique car les poetes s'apercoivent que leur peuple ne possede pas de territoire a lui. Us commencent alors a batir cet espace a travers l'elaboration de la notion de nation: ils recher-chent l'ame canadienne dans le passe national et essaient de transformer le territoire oil ils vivent en un pays, ayant des coutumes, des lois, une histoire. Cette operation cependant — comme le remarque Michel Pierssens— est basee sur une aporie :
Si Chateaubriand et Mme de Stael et bien d'autres ont raison, puis-que les Americains n'ont ni passe ni present, s'il doit malgre tout y avoir des literatures en Amerique, nous en deduirons que c'est peut-etre en refusant la logique romantique de l'identification a la memoire ou au milieu, dont ils heritent, malgre eux de leurs lectures enthou-siastes. Ce coup de force n'a peut-etre pas encore eu lieu, ou du moins pas partout. Je ne suis pas sur que « notre » Amerique soit encore sortie de cette aporie, 150 ans plus tard. (24)
Aporie resultant du fait qu'espace et temps ont ete percus et filtres a travers la grille romantique de la nation. Dans l'impossibilite d'elabo-rer d'une facon originale le rapport a l'espace et au temps, les poetes in-ventent sur la base du modele romantique un territoire et un passe justifiant l'existence du peuple francophone au Canada.
Cependant cette volonte de creer les assises d'une nation rencontrait deux obstacles majeurs : les racines francaises avaient ete coupees par leurs aieux et le Canada, — le territoire ou les Canadiens vivaient— est bri-tannique.
L'espace appartient a d'autres, les frontieres sont incertaines; l'his-toire renvoie le recit d'une perte et d'un abandon; le present l'image de la domination, le futur la perspective de l'assimilation. La nation se presents done comme un point theorique, abstrait, qu'il faut construire a partir d'une notion importee d'Europe. Le motif chronotopique11 de la rive, representatif de la litterature de l'epoque, est le fruit de cet imagi-naire: la « rive », la « plage », les « bords » qui reviennent incessament dans les poemes sont le symbole de ce sentiment de depossession spatiale et temporelle et representent cet entre-deux ou se situait la patrie pour Pin-tellectuel francophone avant 1860.
Par la suite la litterature canadienne a essaye d'affermir ces territoi-res incertains sur le plan symbolique : c'est ainsi que pour se proteger de l'eau envahissante, symbole disphorique de l'alterite, on a imagine une terre isolee au point de vue spatial et temporel, reproduisant un systeme clos base sur des cycles terriens. Au nceud chronotopique du bord s'est substitue pendant presque un siecle celui du terroir, redevable de Is idee romantique de nation. Jusqu'au debut de la Seconde Guerre mondiale les oeuvres du Canada francais renverront done l'image d'un Quebec agricole et cadiolique refusant tout germe de progres et de changement. Ces bords qu'on avait elargis par le truquage ideologique de la nation jusqu'a la dimension d'un territoire, il fallait les defendre de toute influence exte-rieure percue comme destabilisatrice. La litterature canadienne reste done arrimee au paradigme d'un romantisme propage en France par une tradition conservatrice, pendant qu'en Europe l'evolution de la litterature conduit a l'autonomie de l'espace litteraire (Saint-Jacques). Cela empe-chera les ecrivains de nourrir un imaginaire americain, celebrant les espa-ces percus, non pas a travers la grille ideologique ou politique, mais en tant qu'extensions naturelles12.
La mer en tant que motif chronotopique de l'ailleurs, de la rencontre, de l'expansionnisme commercial, de la decouverte geographique et de la plongee dans fame humaine a ete expulsee du champ narratif de la litterature du terroir. Elle n'y sera reintegree qu'au moment oil la poesie que-becoise s'emparera de la parole pour entreprendre une exploration du moi sur une echelle cosmique; il suffit pour le constater de citer les titres de quelques recueils de poemes de Ydge de la parole: Les lies de la nuitd' Alain Grandbois, Escales de Rina Lasnier, Suite marine de Robert Choquette ou Mes naufrages de Francois Hertel. Pour ces auteurs l'immersion dans la mer devient un acte volontaire permettant de realiser une sorte d'osmose regeneratrice entre le poete et l'eau.
II est probable qu'une etude plus approfondie des representations marines, elargie a d'autres periodes de la litterature canadienne, ouvrirait d'in-teressantes pistes de recherche. D'ailleurs tout recemment Monique LaRue — en s'interrogeant sur l'avenir de la litterature quebecoise— a choisi de donner a sa conference le titre L 'arpenteur et le navigateur. Elle utilise une metaphore marine pour designer un type d'artiste symbolisant
-1 ces navigateurs, [...] ces explorateurs qui, comme tout artiste veritable, partent vers l'inconnu pour trouver du nouveau, des nomades qui ne s'abaissent pas a arpenter la terre et qui savent d'autant plus, mainte-nant que la planete entiere est arpentee, que la terre est a tous. (21-22)
L'ecrivain, se demande done si ce n'est pas la voix de l'arpenteur, — celui qui « cree des frontieres [...] mesure la superficie des terres par des mesures agraires, ramene [les Quebecois] a [leurs] origines paysannes » (22-23) — qui [les] empeche eternellement d'acceder a l'urbanite veritable, au monde veritablement pluriel qu'est une ville » (25).
Dans l'opposition entre la terre et l'eau qui a hante l'imaginaire quebecois depuis le XIXe siecle les valeurs sont renversees, l'eau represen-tant maintenant le symbole d'une alterite positive que longtemps la lit-terature canadienne a refusee.
La dychotomie evoquee par Monique LaRue entre la campagne et la ville — presente egalement dans le corpus quebecois des le debut— nous invite a emettre l'hypothese qu'entre la mer et la ville il pourrait exister des analogies : l'analyse des representations marines pourrait reveler alors que la mer partage avec la ville des valeurs de pluralite, de moder-nite et d'ouverture.
Pierre Nepveu, en rapprochant dans son poeme Marie montante la ville et la mer dans une meme image, parait nous indiquer la recondite de cette voie :
J'Steins ce texte
comme une lampe
qui a trop brule les yeux.
Le livre n'est plus visible
sur la table, les pages
fument oil quelque bonheur
pressait le corps
de livrer ses sources,
ami toujours vert.
Je me leve a froid
dans un souci devenu
mien, dans un neant
qui me deborde.
J'ouvre la porte
et j'entends la mer
dans Montreal. (54)13
NOTES
1Depuis quelques anndes, par exemple, l'e"quipe de recherche de l'Universite Laval dirigee par Maurice Lemire a rçpertorie la majorite des textes litteraires du XDCC siecle dans le Dictionnaire des oeuvres UtteWaires du Quebec, Jeanne d'Arc Lortie et Yolande Grise ont edit£ des milliers de textes poetiques disperses dans de centaines de revues (Textes poetiques du Canada francais) et Gilles Dorion a publie les romans les plus importants du XIXC siecle (Les meilleurs romans quebecois du XLX' siecle). L'equipe de La vie littiraire au Quebec a mis en lumiere tous les aspects concernant la production culturelle au XIXC siecle au Canada francais.
2L'etablissement d'une periodisation commune concernant le dix-neuvieme siecle ne fait pas l'unanimite au sein des histotiens de la litterature quebecoise qui proposent des cou- pures sur la base de la presence ou de l'absence de themes romantiques dans la poesie de l'epo- que (Tetu-Grandpre" 133; Vie II 337).
3On remarquera que le nombre de pieces anonymes ou signees sous des pseudonymes represents presque quatre fois le nombre de pieces attribuables a des auteurs connus et cela depend moins de la peur de sanctions legales — les sujets des pieces des deux groupes ne different pas sensiblement- que de la conception meme de l'ecriture litteraire. L'auteur est concu comme le potte— parole des desirs et des craintes d'une communaute. II nous parait alors d'autant plus pertinent de considerer la poesie de cette epoque non pas comme l'expression reelle d'une individuality precise identifiable a l'auteur, selon le postulat romantique repris par Kate Hamburger (241), mais comme la production d'un sujet enonciateur fictionnel separe du sujet originaire. A travers l'hypothese du decrochage du premier du second sujet reel, il est possible ainsi d'envisager la coincidence des differentes instances fictionnelles qui sont a l'origine de la production poetique canadienne-francaise (Cf. Cappello 385-388).
4« II n'y a au Quebec qu'un seul ecrivain : NOUS TOUS. La litterature qudbecoise est un texte unique qu'on deroule comme un tapis de catalogne, chaque guenille coloree est un auteur, un livre; nous n'en sommes pas encore a la litterature individualiste ou anarchique, chaque texte doit done rentrer dans le rang sans quoi il tombe dans l'oubli. » (150).
5Recemment l'apport du mouvement europçen a la jeune litterature est remis en pers pective : si Ion admet g£ne"ralement que des themes, des images, des sujets, des doctrines lit- teraires et politiques ont ete retenus par la culture canadienne, on remarque aussi que d'autres n'ont pu passer au Canada qu'au prix d'importantes deformations (Romantisme; Vie II-III).
6Dans notre article « L'acqua nella poesia di Francois-Xavier Garneau » nous avions dtudie la conception de I'espace qui etait a la base de la production poetique de celui qu'on considere comme l'intellectuel le plus representatif de la culture canadienne-francaise du XIXe siecle.
7Nous avons constate qu'a peine une centaine des 1151 textes poçtiques parus entre 1830 et 1855 evoquent des images ou des symboles marins.
8Selon Gilbert Durand la mer est une image feminine, elle symbolise le giron mater- nel : « C'est l'abyssus feminist et maternel qui pour des nombreuses cultures est l'archetype de la descente et du retour aux sources originelles du bohneur » (256).
9La voix narratrice se situe au Canada souvent au moment du depart pour l'exil, tan- dis que l'exile se plaint a partir du pays Stranger.
10D'apres Iouri Lotman : « Les modeles historiques et nationalo-linguistiques de I'es pace deviennent la base organisatrice de la construction d'une « image du monde »— d'un modele ideologique entier, propre a un type donne de culture ». (311).
11Mikhail Bakhtine definit ainsi cette notion : « Nous appellerons chronotope, ce qui se traduit, litteralement, par « temps-espace » : la correlation essentielle des rapport spatio- temporels, telle qu'elle a 6t6 assimilee par la literature. [...] Dans le chronotope de l'art lit teraire a lieu la fusion des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret. Ici le temps se condense, devient compact, visible pour l'art, tandis que I'espace s'intensifie, s'en- gouffre dans le mouvement du temps, du sujet, de l'Histoire » (237). Dans les observations finales le critique russe remarque que les chronotopes « se presentent comme les centres orga- nisateurs des principaux evçnements contenus dans le sujet du roman, dont les « nceuds » se nouent et se denouent dans le chronotope » (391). D'apres Bakhtine l'evolution des genres litteraires est parallele a la representation du temps et de I'espace qui serait dictee sur la base des conceptions idçologiques du sujet de l'ecriture. Bien que son analyse ne conceme que le roman, il n'exclut pas qu'on puisse l'elargir a d'autres genres en reconnaissant que « route image de l'art litte"raire est chronotopique » (ibidem). Pour une analyse de l'evolution de quelques chronotopes presents dans la litterature francophone du Canada, nous renvoyons a Ferraro, // continente.
12A la meme epoque aux Etats-Unis, la literature, ayant elabore et integre les influences europeennes pour mieux s'en delivrer, parvenait a exprimer une nouvelle perception du rapport liant l'hornme a la nature du continent americain et a l'element symbolique. Dans Moby Dick (1851), le chef-d'oeuvre de Melville par exemple, la mer ainsi que la baleine -elements reels et en meme temps symboliques- nous montrent le combat de l'hornme face aux forces primitives de la nature, a l'immensite de l'Ocian et a la terreur de ses monstres. La poesie de Walt Whitman s'enracine profondement dans la planete ame"ricaine d'ou chaque feuille d'herbe tire son energie vitale (Leaves of grass, 1855).
REFENCES BIBLIOGRAPHIQUES TEXTES
Note: Pour les textes poetiques du XIXC siecle nous nous sommes bases sur l'edition Textes poetiques du Canada francais 1606-1867. Ed. Jeanne D'Arc Lortie et Yolande Grise. Montreal: Fides, III (1827-1837) 1990; IV (1838-1849) 1991; V (1850-1855) 1992. Dorenavant on se referera a cet ouvrage en utilisant le sigle TP.
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