LA CORRESPONDANCE
DESROCHERS/CHOQUETTE
OU L'ÉCHO DES POÈTES

Renée Legris

Tu n'as pas à craindre de ma modestie. La modestie, ce sont les excuses qu'on fait aux imbéciles d'avoir à vivre au milieu d'eux. Quand je suis avec des gens intelligents, je ne suis pas si modeste que cela, tu le sais.1

Poètes bien connus, les plus importants de leur génération, Robert Choquette et Alfred DesRochers ont été depuis les années 1925 non seulement des écrivains soucieux de leur propre carrière littéraire mais aussi des animateurs du milieu culturel québécois. En ces années où débute leur carrière littéraire, ils se sont donné comme mission de promouvoir la publication des oeuvres de leurs collègues et de favoriser la participation des auteurs à des conférences auprès d'un public amateur de littérature. Comme journaliste à La Tribune de Sherbrooke, DesRochers rejoint un large public en région, alors qu'à la même époque, soit la fin des années 20, Robert Choquette comme directeur littéraire de La Revue Moderne, publie des critiques et des inédits, à la recherche des auteurs les plus prometteurs.

Robert Choquette s'engage déjà, avec les années 30, dans la première phase de sa carrière radiophonique avec deux programmes, Au seuil dit rêve (1930) et Rêvons, c'est l'heure (1933), dans lesquels il fait connaître la poésie québécoise au grand public. Tout en poursuivant son oeuvre poétique, il écrit ses premières dramatiques pour la radio. C'est en ces années de la crise économique, qu'il s'est lié d'amitié avec Alfred DesRochers, et par lui avec plusieurs auteurs, dont Albert Pelletier, Claude-Henri Grignon, Louis Dantin et les poétesses Jovette Bernier, Medjé Vézina, Simone Routhier.

La correspondance de ces deux auteurs retrace les divers aspects de leurs activités littéraires, de leur réflexion sur la culture québécoise, de leur vision de la poésie qui s'écrit alors au Québec. Elle nous permet de saisir la littérature en train de se faire et son rayonnement dans notre milieu et jusqu'aux États-Unis. Le style de chaque auteur s'y manifeste avec la pulsion qui les habite et l'humour que chacun manipule à sa façon. L'intérêt de notre recherche était de saisir dans ces documents inédits, conservés par les archives de la Bibliothèque nationale du Québec, des aspects encore méconnus de cette période littéraire et de ces poètes.

Le texte que nous avons posé en exergue au début de notre article est un excellent spécimen de la personnalité littéraire d'Alfred DesRochers dans sa correspondance avec Robert Choquette. Écriture fougueuse, franche qui énonce avec clarté ses émotions et sa vision des choses. Ce n'est pas sans humour que DesRochers écrit ce passage à son ami Choquette, humour qu'on retrouve dans plusieurs de ses lettres, qui tantôt s'accompagne d'un certain cynisme, tantôt prend la couleur de l'ironie légère.

Ces pratiques stylistiques sont toujours là pour exprimer quelques vérités profondes de sa pensée et elles accompagnent généralement la critique que ne ménagent ni DesRochers, ni Choquette, humoriste à ses heures.2 Les lettres sont aussi caractérisées par un style souvent télégraphique, rapide, donnant l'information sans détour, qui n'est pas sans parenté avec celui du journalisme.

Mais au-delà de l'utilité de ces formes télescopées de la mise en discours, la correspondance révèle que les deux hommes ont une compréhension mutuelle profonde. Il s'ensuit qu'ils peuvent pratiquer le demi-mot, le sous-entendu, l'allusion, la phrase choc ou l'ironie, sans avoir besoin de longues explications ni d'arguments complexes. Des "affinités électives" les relient tout autant que leur vision de la situation canadienne-française de la littérature et de la culture-leur "Ode" de la période des années 20 en est bien la preuve.

Leur correspondance se présente d'abord comme un témoignage de la qualité de leur amitié,3 de l'authenticité de leur pratique d'écriture et de leur recherche esthétique. Elle permet de connaître leur sensibilité à certains thèmes (amours, nature, tradition, pays et la critique québécoise, le rayonnement des poètes, les poncifs, les snobs), leurs amitiés communes (Émile Coderre, Albert Pelletier, Louis Dantin, Alice Lemieux et les autres qui s'ajouteront jovette Bernier, Éva Sénécal ... ), enfin et surtout leur volonté ferme de promouvoir chacun à sa façon la littérature du Québec--à tout prix--, par sa diffusion dans tout le Québec et même au Canada anglais et en Nouvelle-Angleterre.4

Très peu de lettres portent sur leur vie privée, mais certaines suggèrent des aspects plus personnels de la vie des deux hommes (le goût du sport, les rencontres amoureuses, les humeurs alcoolisées de DesRochers5 ses moments de dépression, l'énergie avec laquelle il s'investit dans ses activités, les frustrations latentes, les voyages de Choquette, l'importance des débuts de sa carrière radiophonique) par allusion surtout, et sans insister sur leur importance ou sur leurs conséquences. Une lettre de Robert Choquette à Madame DesRochers,6 pour la remercier de son hospitalité lors d'une visite à Sherbrooke, s'inscrit dans cette veine. De même les salutations de Choquette, réitérées à maintes occasions, révèlent que l'amitié pour DesRochers s'élargit à toute sa famille.

Parmi les lettres personnelles de la correspondance se trouve aussi un poème de Choquette (octobre 1931) sous forme d'une lettre d'invitation à une rencontre de l'Association des auteurs canadiens (section française).7 Poème de circonstance qui ne manque pas d'humour. Un autre poème dédicacé "À mon ami Alfed DesRochers," extrait de "Suite maritime," non daté, accompagnait l'une des lettres de Choquette. Il s'agit du poème., "Le Trois-mâts échoué" dont on reconnaît dans le thème et la structure imaginaire l'influence de Nelligan, comme si le poème en était une suite ad lib.8

Dans cette correspondance qui comprend trente-six lettres retrouvées, dont six de DesRochers et trente de Choquette, il en manque un certain nombre, ce dont témoignent les faits dont il est question ou les réponses de Robert Choquette. Les lettres de DesRochers, dactylographiées et comptant plusieurs coquilles, ont l'habituel format 17x24cm. Pour sa part, Choquette écrit à la main assez souvent, sur un petit format lettres encore en usage (8), mais aussi à la dactylo sur format 17x24cm avec en-tête, soit de La Revue Moderne (3), soit de l'École des Beaux-Arts de Montréal (6), soit du Consulat général du Canada (1), où il a occupé diverses fonctions. À cela s'ajoutent une lettre à en-tête de l'Hôtel Windsor/Goyette Bros., à Granby, une carte postale de Brantome (Dordogne), écrite pour féliciter "officiellement" DesRochers pour l'obtention du Prix Edgar Poe, en 1962, et quelques autres lettres sans en-tête.

Cette correspondance permet un découpage assez net de, trois grandes périodes, celle de 1928-1932 marquée surtout par leur préoccupation de diffusion et de promotion de la production poétique, celle de 1932-1942 qui porte sur les problèmes d'écriture, particulièrement chez Choquette, et celle de 1962-1965, alors que Choquette prend une année sabbatique en Europe où il rencontre de nombreux poètes français (1962), puis comme Consul général (1965-68), faisant connaître les écrivains du Québec, tandis que DesRochers de plus en plus isolé révèle l'intense sentiment de frustration que certains échecs et les années de désaffection ont créées.

PÉRIODE 1928-1932: PROMOTION ET DIFFUSION DES OEUVRES LITTÉRAIRES

Problèmes de diffusion: conférences et publications

Dans la correspondance, particulièrement celle des années 1928-1931, les préoccupations de diffusion et de constitution d'un public sont au coeur des échanges de lettres. L'on sait que les oeuvres poétiques sont publiées à compte d'auteur le plus souvent,9 leur diffusion dans le milieu de la critique est parcimonieuse, et les poètes font appel à leurs amis pour élargir leur auditoire. C'est par des circuits de conférences10 et par la publication d'articles ou de poèmes que les deux auteurs cherchent à se faire connaître. La promotion culturelle des écrivains dont il est sans cesse question, ceux des régions tout autant que de la Métropole, favorise une circulation de la poésie11 auprès de créateurs actifs.12

Question d'écriture

Si la lutte incessante pour favoriser l'émergence de la poésie et de la littérature du Québec, avant et pendant la crise économique mondiale de 1929, fait partie des grands thèmes de la correspondance des deux écrivains, elle voisine d'autres questions concernant le contexte culturel de l'époque, qui tissent une trame dans toute la correspondance. Bien que les problèmes d'écriture soient présents13 à la plupart de leurs échanges, ils sont au plan de la réflexion critique ou théorique rarement élaborés.14 C'est au détour de réflexions sur l'esthétique de certains autres écrivains et à l'occasion de productions mutuelles15 que se révèlent leur goût littéraire mais aussi les contraintes ou la censure qu'ils doivent accepter dans la Revue16 et les journaux.

Groupes et associations de poètes

Animation du milieu des écrivains et élargissement du public des lecteurs, deux objectifs qu'ils s'imposent et auxquels ils participent à titre individuel, comme complément de l'action des groupes dont ils font aussi partie tels: la Société des poètes,17 l'Association des auteurs canadiens,18 l'Action Intellectuelle,19 le Cercle musical et littéraire.20 À l'occasion de certains événements ou de rencontres, ils font état de leurs échanges avec un certain nombre de personnalités du milieu socio-politique ou socio-économique, Edouard Montpetit, Athanase David (que connaît bien Choquette), et avec des critiques littéraires, dont Albert Pelletier,21 Jean-Charles Harvey.22 On évoque aussi Louis-Philippe Robidoux, Édouard Hains, Fortin, Henri Myriel Gendreau, de La Tribune.23 Albert Pelletier24 et Émile Coderre, que connaissent bien, les deux poètes, occupent une place privilégiée dans leur relation.25

Diffusion de la poésie à la radio et chez des éditeurs

En 1930, Robert Choquette débute à la radio (CKAC) comme responsable d'un programme intitulé Rêvons, c'est l'heure, repris, puis poursuivi sous un autre titre, en 1933-34, Au seuil du rêve. C'est par ces programmes qu'il fait connaître la poésie canadienne-française à un public qu'il tente d'apprivoiser. Sa correspondance témoigne du vif intérêt qu'il a pour la diffusion des oeuvres québécoises et sans cesse il demande des inédits à ses confrères et consoeurs: Alice Lemieux, Éva Sénécal, Jovette Bernier, Louis Dantin, et bien sûr DesRochers,26 Morin, Chopin. Ces démarches se reproduiront plusieurs fois aussi entre 1932 et 1934 et Choquette se réjouira de ce qu'il réussit de plus en plus à gagner l'intérêt du public québécois, "la masse", à la poésie.27

Il est aussi souvent question de projets de publication, et de rôles auprès de certaines maisons d'éditions, dont celle d'Albert Lévesque. En 1930, Choquette s'informe de la prochaine publication de DesRochers: "Et tes critiques? Lévesque les présente-t-il cet automne?"28 Par la suite, en 1934, Choquette écrit à DesRochers au sujet des Éditions du Zodiaque d'Eugène Achard .29

Premiers échanges: un conflit évité à propos de censure

Au moment où DesRochers et Choquette amorcent leur correspondance, Robert Choquette a déjà publié À travers les vents (1925), son premier recueil de poèmes et son roman, La Pension Leblanc (1927). Il occupe simultanément les postes de directeur littéraire de La Revue Moderne (1928-1930) et de secrétaire et bibliothécaire à l'École des Beaux-Arts de Montréal (1928-1931). La première lettre conservée est celle de Choquette qui accuse réception de L'Offrande aux vierges folles, et qui de façon enthousiaste invite DesRochers à collaborer à sa revue:

Vous avez de bien beaux vers--et une oreille des plus musicales. je suis flatté de la dédicace; un indiscret me laissait entendre que l'édition était restreinte, et la distribution très "exclusive." Si c'est vrai, en parlerai-je quand même dans LaRevue Moderne? Puis-je en extraire un ou deux poèmes et les publier chez moi? Quoiqu'il en soit, j'espère bien que vous ne vous en tiendrez pas à l'envoi de votre livre. Aussi, à moins que vous ne vous y opposiez violemment, je vous compte parmi mes collaborateurs. Je voulais vous écrire; Émile Coderre m'avait parlé de vous en termes si élogieux que je m'étais promis de vous inviter à vous joindre au noyau de jeunes (fuir les poncifs) que je tâche de grouper à la revue. Le travail n'est pas aisé; il s'agit de retracer les plumes les plus intéressantes que nous ayons chez-nous, et justement ce sont celles qui se dérobent le mieux.... Et si vous avez des copains qui ont un brin de plume spirituel, vous m'avertirez?30

Cette lettre présente des objectifs qui lieront les deux auteurs et les motifs qui président à l'amitié et à l'admiration mutuelle qui les garderont solidaires, au-delà des périodes de silence, tout au long de leur vie. La réponse ne se fait pas attendre et l'on y retrouve quelques aspects du style de DesRochers qui ironise sur la question des poncifs évoqués par Choquette.

Vous frappez à mauvaise enseigne, si vous cherchez à fuir les poncifs. Cet indiscret--n'est-ce pas plutôt une indiscrète?--qui vous a parlé de ma Plaquette, avant sa parution, ne vous a-t-il pas dit que le titre original était "Variations banales sur des thèmes poncifs"?

DesRochers dès la lettre suivante propose un article31 sur les problèmes de financement d'une revue littéraire. Un "Trust des Mécènes" pour aider à la stabilité économique d'une revue. Mais Choquette censure ce texte, n'accepte de le publier que partiellement, par diplomatie, expliquant que sa propre revue est implicitement en conflit d'intérêt avec les positions de cet article. DesRochers aurait pu prendre ombrage de cette décision éditoriale, il n'en fait rien. Après discussion et justification, il propose de retirer l'article plutôt que de l'amputer ce qui lui enlèverait tout intérêt.

Pour en revenir au "Trust"? ... Je n'ai aucune objection à ce que vous mettiez en tête ou en queue de ma pendaison que vous ne partagez pas du tout ces idées, que c'est du socialisme intellectuel, que dans un pays jeune comme le nôtre, il faut laisser libre jeu à la concurrence, cette âme du commerce, etc. etc. Autrement, s'il est [l'article] "unpublishable," mettez-le simplement dans le panier....

Suite à ce premier échange où les positions de chacun s'affirment en toute bonne foi et compréhension, il semble que les liens entre eux ne feront que se raffermir, dans le respect mutuel le plus chaleureux.

DesRochers, fasciné par ce problème, dans deux lettres, reviendra sur ce thème.

Je songe de plus en plus à abandonner la littérature ... pour la mieux servir. Une littérature se nourrit d'idées et d'oeuvres. Pour que les unes et les autres s'expriment, il faut un médium. Nous n'en avons pas et n'en pouvons avoir d'ici longtemps, parce qu'il n'y a pas de public suffisant pour faire vivre une revue. Il faudrait un organe commandité. Parmi notre élite et nos mécènes, il y a trop d'attaches diverses pour qu'on peuve [sic] patroniser une telle revue. Mon point, c'est que j'abandonnerai la littérature pour faire de l'argent suffisamment pour m'offrir deux mille piastres par année s'il le faut et mettre debout une revue LITTÉRAIRE et foi de montagnais, je l'aurai, ma revue, Bordel!
Et ce me sera aussi intéressant que d'écrire moi-même des oeuvres qui ne me satisfont point, parce que je n'ai pas le temps de les rendre à terme....

Il poursuit démontrant le bien fondé de sa réflexion à propos de la publication d'inédits de Louis Dantin: "ça m'incite à persévérer dans mon intention de devenir éditeur de revue à l'usage d'adultes".32 Implicite à cette longue lettre sur le problème de la diffusion de la littérature au Québec, il y a toute la question de la censure qui, plus que le manque de préparation du public et les institutions inadéquates, gêne souvent la diffusion des oeuvres.

Critiques littéraires et/ou conseillers littéraires

Il faut noter que DesRochers sollicite très rarement des appréciations sur sa poésie. Mais il en reçoit des commentaires, assez nombreux tout compte fait, et généralement élogieux. En 1929, suite à l'envoi d'une nouvelle oeuvre de DesRochers, Choquette écrit:

Je ne vous cache pas mon entière admiration; je ne vois personne chez nous qui "finisse" le vers comme vous. Si bien que, si vous n'y voyez pas d'objection, je vous adresserai quelques-uns des poèmes qui doivent figurer dans mon prochain recueil, pour que vous m'en fassiez une critique sévère, la même que vous appliquez à vos propres oeuvres.33

De même, l'intérêt de DesRochers pour le travail d'écriture de Choquette ne se dément pas.34

Il m'intéresserait, tu le sais, de voir tes inédits. Diable d'homme, tu m'en promets depuis une éternité, et je ne les reçois jamais! Est-ce que mes commentaires oraux te découragent? Quand je te dis que tes poèmes sont trop longs, je me place du point de vue du Public, car je fais mes délices de "Dieu, La Fin de Satan" et autres longues machines de Victor Hugo. Mais je crois bien qu'il y a au plus une demi-douzaine de gens capables de le faire dans la Province.
J'ai moi-même trois longues machines sur le métier: Ma patrie, La Prosopopée de l'Orford et le Bouc émissaire. je t'en ferai voir des extraits, si tu me montres des poèmes de ta dernière veine. It's a give and take proposition.35

Pour sa part, le 23 septembre 1931, Choquette annonce la publication prochaine de Metropolitan Museum,36 ce recueil qui avait permis d'engager à nouveau un dialogue sur la naissance du poème (pour lequel Louis Dantin l'encourage) et puis sur la production poétique elle-même et la diffusion. La difficulté réside dans l'accès aux clans que forme une intelligentsia, d'ailleurs assez mal définie dans cette correspondance. Les jeux d'influence et les positions critiques sont essentiels au succès des oeuvres. Aussi c'est avec nuances qu'Alfred DesRochers discutera de ce recueil publié à compte d'auteur--une édition d'art, l'une des premières au Québec--préservant son droit à la critique, auquel réagit Choquette:

Je suis heureux que tu penses que mon livre est passable. Pour le reproche que tu lui fais, celui d'être embêtant à manier, je suis de ton dire si l'acheteur s'attend d'avoir un livre, non s'il veut une plaquette prête à être expédiée chez le relieur, dès amélioration des affaires.39

Plus tard, une lettre de Choquette rappelle que les deux amis ont obtenu ex aequo, en 1932, le Prix Athanase David.40

PÉRIODE DE 1932-1942: LA RECHERCHE POÉTIQUE DE "SUITE MARINE"

Si la correspondance des années 1932 à 1942 est plus fragmentaire, elle ne manque cependant pas d'intérêt pour connaître comment évolue la production de Choquette. À l'instar de DesRochers, il poursuit son travail poétique, tantôt sur Poésiesnouvelles, tantôt sur "Suite Maritime."41 Il lui présente des extraits de "Suite maritime" qui deviendra, après de nombreux remaniements, Suite marine et il évoque l'euphorie de l'écriture, alors qu'il sollicite des inédits en vue de les diffuser à son programme radiophonique Rêvons, c'est l'heure.42 Il est clair que le poète s'est laissé emporter par ce qui l'intéresse: parler du poème. Plus tard, il annonce que déjà mille quatre-cents vers de Suitemaritime donnent forme à un projet poétique d'envergure.43

Après un silence de dix ans, alors que Choquette est entré de plein pied dans sa carrière radiophonique avec le Curé de village (1935-1938), la Pension Velder (1938-1942), Dans ma tasse de thé (1938-1939), une lettre rejoint DesRochers, à l'automne 1942, de Smith Collège.44 Choquette recommence à travailler sa Suite. Il en fait part à DesRochers, et comme en 1934, lui demande son Dictionnaire des termes de marine, rare et précieux, auquel il se réfère pour étudier la terminologie spécifique de son poème.45 Cette lettre marque la fin d'une période dans leur correspondance dont on ne retrace que vingt ans plus tard quelques lettres subséquentes, alors que la période de grande production des auteurs se termine et que Choquette occupe des postes dans la carrière diplomatique.

PÉRIODE 1962-1965: LA CÉLÉBRITÉ À REBOURS

Les quelques lettres de la troisième periode (1962-1965) ont pour objet la mise en nomination du poète et l'obtention par DesRochers des prix Edgar Poe (1962) et Duvernay (1964). Cet échange de correspondance s'accompagne de commentaires sur la poésie française, telle que perçue au début des années 60. Pour Choquette, c'est le regret d'une esthétique, classique ou romantique dans sa forme versifiée. Regret des règles de versification, conscience du désintéressement de la critique journalistique et des lecteurs, sentiment chaotique que laisse la pratique d'une esthétique du vers libre.

Quant à la lettre de DesRochers qui témoigne le mieux de sa réflexion sur la nouvelle poésie, c'est dans un contexte particulier qu'elle s'exprime, marquée d'aspects critiques qui ne vont pas sans tristesse. La candidature de DesRochers a été proposée par Robert Choquette pour le Prix Edgar Poe, comme l'un des hommages qu'il veut rendre à cet ami que le temps a trop fait oublier.46 La réponse du jury ayant tardé à confirmer sa nomination, DesRochers s'inquiète. Il s'en confie à Choquette dans cette même lettre où il reconnaît à son tour cet ami fidèle.47 Il lui rappelle, non sans un certain cynisme, le souvenir pénible d'un passé encore trop présent, alors que sa candidature avait été éliminée par le véto de Robert Rumilly qui s'était opposé à son entrée à l'Académie canadienne-française.

Après cette effusion versifiée, je te disais que, vu mon rang "paléontologique" dans l'ordre des valeurs qu'observe la critique canadienne (Saint-Denys Garneau est le premier poète canadien qui puisse se lire dans le texte, aujourd'hui), le prix n'aurait probablement aucun écho dans la presse (avec ou sans P majuscule) au Canada; qu'en tout cas, avant de faire mention de ce prix à qui que ce soit, à part Françoise et ma femme, j'attendrai d'avoir le mandat sous les yeux. Je te disais, en tant qu'il m'en souvienne (voir ler alinéa): "je ne courrai pas le risque d'un autre véto de Rumilly [Académie canadienne-française]."
Depuis lors, je me demande si, malgré ma discrétion, un tel véto n'a pas fonctionné... Dans tout cela, j'ai l'air passablement "con" comme disent les jeunes retour-d'Europe et ceux qui les fréquentent ... mais je ne vois pas que je sois blâmable à quelque stade que ce soit.48

Voilà bien dans cette dernière lettre adressée à Choquette, en complément de celle qu'il envoyait à Mme Georges-Day, chargée de solliciter des textes inédits et un curriculum vitae devant accompagner la mise en nomination pour le Prix Edgar Poe, quelques formes de la modestie que savait pratiquer DesRochers. Modestie forcée peut-être par cet échec à l'Académie! Modestie acquise avec ces années où il se retire peu à peu de l'action et qui se formule ainsi, alors qu'on lui demande de sélectionner ses meilleurs textes pour ce concours Poe:

Votre miracle m'a surpris en pleine fauchaison de grandes bardanes à 130 kilomètres de mes manuscrits e n'ai pu me rendre que dimanche à Montréal où les dits manuscrits dorment dans des caisses. J'en ai tiré pour vous un peu plus ne vous ne demandiez.... Je me sens aussi incapable de faire un choix parmi mes poèmes qu'un classement parmi mes enfants: je leur trouve à tous également de défauts, mais j'ai fait les uns et les autres de mon mieux et je les aime de tout mon coeur! Je laisse aux étrangers, comme on appelle tous les non-parents au Canada, le soin des classements. Je vous laisse donc libre de choisir parmi les extraits des six recueils que je vous soumets.49

Il n'existe plus d'échanges avec DesRochers après la période bordelaise, mais Choquette lui écrit une dernière fois pour le féliciter du Prix Duvernay. Il continue à parler de lui dans les réunions d'écrivains. Il garde son amitié présente, lui rend à son retour d'Argentine une visite amicale.50

CONCLUSION

Que nous révèle cette correspondance clairsemée? Sans doute l'attachement--au-delà de toutes les divergences d'idées et de valeurs--des deux poètes les plus notoires des années 25, mais aussi une perception aiguë de l'effort que doivent fournir les écrivains de ce temps pour produire, se faire connaître et développer un sentiment d'appartenance à une expérience collective importante pour la culture du Québec.51 Il y apparaît de la part des deux écrivains le souci commun de faire sortir le monopole de la production de la Métropole et de favoriser une diffusion élargie de la poésie.

Le désir de mettre les régions, spécialement Sherbrooke, sur la carte des espaces où la littérature canadienne-française du Québec a fructifiée,52 est un phénomène historique qui trouve aujourd'hui un écho dans les recherches des universitaires de cette région qui savent mettre en valeur leur patrimoine aujourd'hui--DesRochers est rendu à l'Histoire--tout en poursuivant l'action de DesRochers: faire connaître la poésie et les poètes de la région.

La dernière lettre de DesRochers à Choquette retrouve le ton des débuts de leur correspondance, celle des années 1929-1931, énergique, sévère, lucide, sans mesquinerie. Cependant, peu à peu relégué à l'arrière-plan de l'histoire, DesRochers a dû lui aussi payer le tribut du passé53 aux jeunes générations après les années 50. Et il lui en a coûté bien sûr comme en témoigne la brève correspondance des années 60.

NOTES

1 Lettre d'Alfred DesRochers à Robert Choquette, 16 janvier 1931.

2 Cette pratique est tout aussi importante chez Choquette, ce dont témoigne sa correspondance et son oeuvre radiophonique, particulièrement Le Fabuliste LaFontaine à Montréal, Éditions du Zodiaque (1935) et Le Curé de village, Éditions Granger et frères (1936).

3

Je réponds un peu tard à ta lettre chagrine et morose.... En tout cas, mon vieux, j'ai hâte de te revoir. Les dernières fois, nous nous sommes entrevus; je veux mieux que ça. Je tiens comme le diable à ton amitié, et ne me contente pas d'une camaraderie au bout des doigts.... tâche de secouer le cafard que tu portais le 9 septembre, quand tu m'as écrit.

4 Choquette à plusieurs reprises ira faire des conférences à Nashua, et il proposera à la radio anglaise un programme sur les écrivains et la production québécoise des poètes contemporains des années 30.

5

Maintenant que la sangsue-travail t'a retiré des veines les quelques onces de feu que tu avais l'autre soir, à la gare, je t'écris pour te demander des bouts, sinon le tout, de tes nouvelles machines poétiques--pour te rappeler d'adresser un volume à Mme Simpson et t'entendre avec elle pour une conférence.
28 janvier 1930.

6 17 février 1930.

7

Poète prends ton luth et te pousse chez Stien,
...........................
La Muse te convoque au repas fraternel ...
Apporte enfin des vers, très peu, les moins mauvais ...
Mais pour les écouter, nous boirons du Bourgogne
Dont le parfum qui grise et l'esprit bien français
Feront, mieux que tes vers, excellente besogne
Et puisqu'en notre siècle, automne comme hiver,
La lyre la plus riche est mauvaise nourrice,
Tu paieras à la caisse un dollar par couvert,
Plus un décime de rigueur pour le service.

8

C'était un grand voilier qui ne partirait plus
.........................
Le grand voilier dormait dans les sables sonores
Mais sourd au vent, aveugle au retour des aurores,
Vers la terre penchant ses trois mâts superflus,
Ignorant dans la mort l'offrande séculaire
Du flot qui, chaque jour, déposait à ses flancs
Un tribut de varech plein de sombre lumière.
Le grand voilier dormait parmi les goélands,
.........................
C'était un grand voilier qui ne partirait plus ...

9 Dans une lettre de DesRochers cette question de la fonction d'éditeur et de diffuseur de ses oeuvres se pose (Sherbrooke, 9 décembre 1928), exprimé avec un humour quelque peu cynique.

... ayant d'abord décidé de tirer absolument hors commerce, je me suis ravisé et en ai offert aux buses 150 exemplaires, à SOIXANTE-QUINZE SOUS!!! pour m'aider à payer les frais d'impression.
Cette manière d'agir est parfaitement en accord avec mes théories socialo-anarcho-communo-bolchévistes. Malheureusement, en notre pays, les théories, poétiques ou sociologiques, ont la vie maigre. Des 150 exemplaires OFFERTS, il me reste 145 rossignols.
De même pour Choquette qui éd ite à compte d'auteur Métropolitan Museum.
Je t'adresse enfin mon "Metropolitan Museum". Je me sens délivré d'un grand poids. Que je crève, l'ouvrage a sa vie indépendante. La préparation typographique a exigé tant de soins et de retouches que je suis, pour le moment du moins, fatigué de mon poème et n'en veux plus entendre parler! Malheureusement, je dois en parler, et à ce propos deux mots: je me trouve à être mon propre éditeur, donc distributeur, voire emballeur. C'est à ces titres que je t'écris.... Je t'en adresse un avec plaisir, mon cher Alfred; je ne crois pas m'abuser en attendant de toi un article solide et étoffé. Le plus tôt sera le mieux, vu l'approche des Fêtes.
17 décembre 1931.

10 Les conférences dont il est souvent question dans la correspondance, s'adressent surtout à des femmes préoccupées de culture (17 janvier 1930) et à quelques intellectuels férus de littérature.

11 Les cercles dans lesquels évoluent les deux auteurs sont reliés aussi au travail d'animation culturelle de deux ou trois femmes dont Mme Simpson,"l'âme de l'opérette canadienne et fondatrice du Cercle musical" à Montréal ( 28 janvier 1930 et 15 janvier 1931) et Mlle Moore active aussi à Sherbrooke (7 septembre 1930) et amie de DesRochers.

12 cf Richard Giguère et coll. À l'ombre de DesRochers. Le mouvement littérairedes Cantons de l'est, 1925-1950 (La Tribune et les Éditions de l'Université de Sherbrooke,1985).

13 Si je peux attaquer le sujet d'une main assez ferme-d'un brascohorte comme tu dis, je me propose de parler de toi et de l'innovation que tu apportes chez nous. Que ta modestie s'y refuse ou non, je t'envoie au bonhomme; mieux que cela, nous irons te chercher pour t'installer en première rangée. Je te dirai d'ici quelques jours si je me sens capable de traiter du sujet, (car je me propose bien de développer autour de toi toute une théorie sur la langue canadienne--à peu près telle qu'enseignée par maître Pelletier, J'y arrive de jour en jour; il t'intéressera peut-être de trouver dans mes tout récents vers des archaïsmes de chez-nous, etc).
17 janvier 1931.

14 Quelques aspects cependant de leurs considérations ouvrent des perspectives sur le type de réflexions auxquelles ils pouvaient s'adonner:

La conférence marche à mer-veille: j'espère que tu seras amusé des 'variations' que je fais sur toi, les prêcheurs de 'bon langage' y sont passés au tordeur, avec les poètes de terroir que tu balaies d'un coup de poumon. Je pense que je vais t'appeler "un romantique qui se retient"; j'ai un bout qui t'amusera, où je te rapproche du cas Flaubert (Salambo vs Mme Bovary).
Lettre de Choquette, 28 janvier 1930.p

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Quand le coeur vous en dira, adressez-moi vos pages inédites. Je ferai pondre un article sur vos vers. Je trouve assez ingrat le plaisir de vous critiquer; je sais bien que vous prendriez les choses dans un esprit sportif (si j'avais des petites malices à dire; j'en aurais d'ailleurs si peu), mais le public, que vous connaissez aussi bien que moi, y verrait de la jalousie de confrère.
Lettre de Choquette, Montréal, 13 janvier 1929.

16

Merci de tout coeur pour l'envoi des poèmes. Mon cher, je vous admire en toute sincérité. Vous avez une concision qui est rare chez nous, je dirais n'importe où. Je vous porterai une envie éternelle pour ne pas m'avoir laissé écrire votre "Lune de Miel" et votre "Hypocrisie". Je me demande si je pourrai, autrement dit si on me permettra de les passer dans la Revue. Quoiqu'il en soit, je ne peux les mettre dans le numéro de Pâques; dans lequel il faut des poésies légères enguirlandées de grelots.

Lettre de Choquette, 12 mars 1929. Cette censure notée par Choquette amènera de la part de DesRochers un fort désir de lancer une revue littéraire d'un autre type, comme il est signalé plus loin.

17 Dans une lettre, Choquette évoque l'une des activités à laquelle il se doit de participer. "Désilets a annoncé, en effet, que je donnerais une conférence sous les auspices de la Société des poètes, mais ... avant de m'en parler." Et il ajoute:

Je publierai quelques impressions sur les trois autres Muses dont traitait ma conférence. Il y a certaines choses qu'on peut dire mais qu'on préfère ne pas écrire. je ne parle pas de méchancetés, ma conférence n'en abritait aucune, mais des mots qui font sourciller les bonnes demoiselles 'prolongées', comme disait Montpetit.
Lettre de Choquette, 8 avril 1929.

18 Un poème de Choquette, envoyé aux membres pour les convoquer à une rencontre, pour le 22 octobre, fait partie de la correspondance en date d'octobre 1931.

19 Lettre de Choquette, 20 septembre 1930, où il est aussi question de Pierre Dansereau.

20 cf lettres de Choquette, le 28 janvier 1930, de DesRochers le 15 janvier 1931, à propos de Mme Simpson, la fondatrice, et de Choquette, à propos de Mlle Moore, le 17 janvier 1930.

21 2 mars, 8 avril 1929, 28 janvier 1930 et 23 septembre 1931.

22 14 janvier 1929 et 12 mars 1931.

23 9 décembre 1928.

24 Il question à plusieurs reprises de son action auprès de DesRochers, Choquette et d'autres auteurs. Cf aussi l'article de Richard Giguère sur cette question.

25 Voir l'article de Richard Giguère dans Voix et Images, Automne 1990.

26 Lettre de Choquette, 15 janvier 1931. Il évoque aussi la série de conférences, "talks," qu'il donne en anglais à la radio sur les écrivains du Québec.

27

Je ne sais pas si tu prêtes parfois l'oreille à mes programmes de radio "Rêvons, c'est l'Heure". En tout cas, j'ai annoncé, mardi dernier, que mon programme de mardi prochain sera en partie consacré à votre gang de Sherbrooke. J'ai écrit et demandé à Dantin un de ses poèmes inédits: je le joindrais à vous autres. Quelle Muse désires-tu escorter? Jovette ou Éva? ... --et tâche d'être au radio mardi soir prochain, à 10.30 p.m.: tu sais que tes vers seront débinés avec accompagnement d'orchestre??
15 janvier 1931.

28 7 septembre 1930.

29

Eugène Achard se fait éditeur. Son idée est excellente, je crois: publier douze livres par années [sic], triés sur le volet; chaque volume répondra à l'un des signes du Zodiaque; les couvertures seront les mêmes, sauf pour la couleur. Je lui ai suggéré une anthologie de quatre ou cinq poètes; oeuvres inédites; il a songé à un titre: "La pléiade poétique canadienne." Il m'a chargé de recueilir les élus, ce qui est tâche délicate, tu le comprends; je n'ai pas besoin de te dire que tu es élu d'avance. Ca t'irait? Je vois bien ton Titus là-dedans; je demanderais à Chopin. Je songe à Morin, mais il va probablement m'envoyer au diable, et je ne voudrais pas lui donner ce plaisir, parce qu'il est tout probable qu'en retour je lui mettrais le pied aux fesses. Qui demander, après ceux-là? Clément est-il assez mûr? Je n'ai rien vu de lui depuis un an passé. Dois-je m'en tenir aux mâles? Les femmes feraient probablement une pléiade à elles seules, pour un volume l'année suivante. Peux-tu me suggérer les autres noms, deux ou trois au plus? ...
Lettre de Choquette, 6 septembre 1934.

3O Choquette, 7 décembre 1928.

31

Depuis la réception de votre lettre, j'ai toutefois pris le temps d'écrire pour votre revue un long article que je vous inclus. L'ayant relu, je me suis demandé s'il conviendrait à votre périodique. Il n'accepte pas comme parfait l'état de chose actuelle et c'est une hérésie au Canada.
Je vous l'envoie quand même, vous laissant juge de sa 'publiabilité'.
Lettre de DesRochers, 9 décembre 1928.

32 Lettre de DesRochers, 16 janvier 1931.

33 Lettre de Choquette, 29 novembre 1929.

34 Lettre de DesRochers, 16 janvier 1931.

35 Lettre de DesRochers, 16 janvier 1931. Cette même lettre débute avec un ton des plus énergiques.

Envoie à ta force! Si les 'jeunes' ne se couvrent pas eux-mêmes, ils ne trouveront pas de saint-martins parmi les anciens, c'est moi qui te le dis, à toi qui le sais. Tu as toute latitude en ce qui me concerne, et je me mets immédiatement en communication avec Jovette, pour qu'elle t'adresse quelques-uns de ses inédits, qui sont plus forts que ses anciens poèmes. Tu n'as pas à craindre de ma modestie. La modestie, ce sont les excuses qu'on fait aux imbéciles d'avoir à vivre au milieu d'eux. Quand je suis avec des gens intelligents, je ne suis pas si modeste que cela, tu le sais.

36

Metropolitan ... paraîtra au cours d'octobre. Les bois de Holgate sont splendides; le papier et le caractère en conséquence. Je t'inclus deux pages-spécimen: je te permets de me suggérer quelques noms d'acheteurs probables (à qui nous adresserons une de ces pages-échantillons. Donne-moi le nom et adresse, sans plus te déranger--si ça ne t'ennuie pas trop, bien entendu. L'édition sera limitée, numérotée et vendue par souscription. Et voilà. Excuse-moi de t'avoir parlé de ça, je n'en avais nullement l'intention en prenant la plume.

37

J'arrive, avant-hier, des États-Unis.... J'ai en même temps lu ton invitation imprimée.
Je suis désolé. Je sais ce que j'ai manqué par la voix de l'invité même que j'ai vu à Cambridge le lendemain de son retour.
Je reviens riche d'idées et d'émotions; j'ai visité les plus beaux musées de New-York et de Boston, j'ai passé plus de deux semaines au bord de la mer.
Dantin m'a parlé, m'a dit deux mots plutôt, de ta prochaine oeuvre en vers, dont tu nous avais, aux Moore et à moi, donné d'ailleurs quelques extraits, certains soirs d'hiver. Dantin trouve ton travail vivement intéressant. J'ai pour ma part, bien hâte d'en connaître davantage.
7 septembre 1930.

38 "David et Montpetit sont emballés; je compte là-dessus pour attaquer les snobs." Lettre de Choquette, 17 décembre 1931.

39 Lettre de Choquette, 17 décembre 1931.

40 "Il m'a semblé que je te devais des félicitations; et, d'un autre côté, c'est embêtant de t'en faire sans avoir l'air de m'en faire en même temps!" Lettre de Choquette, 20 octobre 1932.

41 Lettres de Choquette à propos de "Suite maritime", 31 septembre 1931 et 17 décembre 1931, alors qu'il publie Metropolitan Museum:

... je me sens séparé de "Suite maritime" et j'en ai mal au ventre.
J'approche le millième vers, soit la moitié du poème tel que je l'entrevois complété. C'est celui-là que je rêve de voir en plaquette avec illustrations. Enfin, j'ai le temps d'y penser et probablement d'abandonner le projet.

42

Ça va? Moi je nage dans mon poème sur la Mer. Quel sujet mon vieux! Ça me sort par les pores. Je viens de terminer un long morceau; la Grotte de Neptune, qui finit, après quatre-vingt vers de fantaisie débordante, par être un petit cabaret de nuit décoré en bas-fond de mer, où le héros s'aventure avec l'aimée par une nuit de lune. Un extrait:
Mais vois d'abord, laissant le sourd roulis des lames
Délier sur leur front comme un buisson de flammes,
Ces sirènes d'écaille aux cheveux verticaux
La conque, où l'Océan met d'immortels échos,
Silencieuse dort aux mains de la première;
Les autres, secouant des frissons de lumière,
Tressent hâtivement des chaînes de corail
Où, parmi le feuillage aux lueurs de vitrail,
Fouillent l'huître, cherchant l'extase d'une perle!
.. ........................
Excuse cette digression poétique, mais j'étais encore tout chaud du morceau à peine éclos.
Lettre de Choquette, 16 novembre 1931.

43 Dans une lettre du 20 octobre 1932, il y reviendra (3 août 1934) et (6 septembre 1934), il commente:

Je voulais en faire un poème de 2000 vers; ce serait là, si je continue dans l'esprit commencé, sa longueur organique, logique; mais je me demande si je ne ferai pas entre les chapitres, des transitions plus brusques, plus spirituelles que matérielles.J'ai arrangé l'affaire pour que, par des répétitions de mots et de coupes, on sente circuler tout le long le souffle de la mer (excuse du peu!), ce qui pourrait, et peut-être avec avantage, remplacer les transitions subtiles, verbales.

44 C'est aussi au cours de cette année 1942 que Choquette réfléchit particulièrement à la théorie de l'écriture radiophonique. Il a accepté de donner un cours aux étudiants de Smith Collège, Mass. sur le sujet. En 1941, il avait publié dans Le Droit à ce sujet. Mais c'est de cette dernière expérience qu'il s'inspire pour présenter à la radio la série didactique Le Catéchisme du radio-dramaturge (1945, reprise en 1951) comme il en évoque la préparation dans sa lettre du 1er décembre 1942.

45 ler décembre 1942.

46 Alors boursière du Gouvernement français à Paris, j'avais rencontré à quelques reprises, en 1962, Robert Choquette qui y séjournait et il m'avait fait part de ce projet qu'il chérissait.

47

Quant à ta lettre du 4 juillet, je me suis dit qu'elle avait rencontré la tienne [sic] et qu'aussitôt la 'récompense' arrivée, je t'en donnerais 'reconnaissance' en bonne et due forme sur écorce de bouleau, à la manière de mes ancêtres.
Il lui commente ce poème: "Quant à mes vésicules que je te dédiais, les voici ... en partie. . . ." Lettre d'Alfred DesRochers à Robert Choquette, À la Claire-Vallée, 3 août 1962.

48 Lettre d'Alfred DesRochers à Robert Choquette, À la Claire-Vallée, 3 août 1962.

49 Lettre de DesRochers, À la Claire Vallée, St-Sylvère, 18 juin 1962.

50 Cette visite dont il m'a déjà parlé a laissé Choquette à la fois triste et ému devant ce grand homme abîmé par la vie et avec lequel il partageait de si nombreux souvenirs.

51 cf Conférence à Sherbrooke de Choquette à Nashua. Lettre, 14 janvier 1929. Conférence chez Mme Simpson de DesRochers. Lettre, 16 janvier 1931.

52 Par ces intermédiaires, associations et sociétés arrivent à regrouper de nombreux écrivains. D'autre part DesRochers est conscient de la difficulté du travail en région pour acquérir les moyens dont jouit la Métropole. "Et nous autres, de province, nous avons tant à édifier, que nous ne pouvons même avoir la pensée subconsciente de détruire ce qui est fait pour le simple plaisir de ce faire." 14 janvier 1929.

53 C,est un peu le sens d'un passage de la lettre de Robert Choquette, datée du juillet 1962, à laquelle semble faire écho DesRochers, un mois plus tard.

J'ai un bien vif plaisir à te féliciter, mon cher poète. Il me semble que l'arrière-garde ait encore son mot à dire. De plus en plus, en France, depuis maintenant un an que je m'y trouve, et v circule, j'entends les gens se plaindre de l'absence de forme, de l'hermétisme qui ne cache rien de valable, du refus des éléments qui ont toujours constitué la poésie: lyrisme, chant, musique, rythme... Qui sait? Peut-être reviendrons-nous à l'avant-garde par le seul fait que nous croyons encore aux valeurs éternelles.