SIGNIFICATION DE LA MULTIPLICITÉ FORMELLE DE ANGÉLINE DE MONTBRUN DE LAURE CONAN
Alexandre L. Amprimoz
Pour l'analyste qui veut étudier l'évolution formelle et technique du roman québécois, l'un des textes marquants--et donc indispensable--n'est autre que Angéline de Montbrun. Il est alors surprenant de constater qu'en tant qu'objet d'art littéraire, ce livre reste à découvrir. Autrement dit, sa littéraritésa valeur non-référentiellelongtemps été passée sous silence.
A ce sujet, on peut rappeler les formules consacrées qui ont amplement contribué à donner à cet ouvrage une image de document psycho- sociologique. C'est ainsi que le jugement, une fois prononcé, a été gravé dans les manuels scolaires: "Le premier exemple du roman d'analyse cana dien," nous dit Gérard Tougas;1 "Notre premier roman psychologique," fait écho Paul Gay.2 Il n'est peut-être pas inutile de signaler qu'une ap proche formelle de l'histoire de la littérature, telle qu'elle nous est suggérée par Michael Riffaterre, permettrait de nuancer ces jugements hâtifs, sinon téméraires; jugements de valeur dont la pertinence artistique, ou même critique, peut facilement être mise en doute.3 Enfin, il faut reconnaitre que les auteurs de manuels se sont contentés de reprendre à leur compte l'opinion d'une tradition critique.4
D'autre part Laurent Mailhot a beau affirmer, dans l'un de ses ouvrages de vulgarisation: "On a pu appliquer des méthodes structuralistes à L'Influence d'un livre (1837) ou à Angéline de Montbrun (1881); ces vieux romans rajeunissent au contact des nouveaux,"5 il en demeure cependant pas moins vrai qu'une récente édition de ce texte de Laure Conan omet dans sa bibliographie, entre autre chose, ces analyses formelles.6 Ces omissions semblent bien symtomatiques car même les études qui se fondent sur les écrits théoriques de Jacques Derrida, Jacques Lacan, Jean Ricardou et Julia Kristeva n'ont pour but qu'une appropriation du référent idéologique. Un cas flagrant, qui suffira à illustrer ce malaise, est la courte étude de Madeleine Gagnon-Mahony, étude au titre hautement révélateur. "Angéline de Montbrun: Mensonge historique et la subversion de la métophore blanche."7 L'auteur de cet article fait appel à des textes théoriques, non pas en tant qu'outils mais en tant que munitions. Tout est mis en oeuvre pour prouver que ce roman aux apparences cornéliennes n'est qu'un texte implicitement subversif. Ainsi les nouvelles idéologies dominantes, qu'hier étaient les dominées, se doivent de récupérer les classiques pour inventer une nouvelle histoire idéologique. Certaines phrases de Madeleine Gagnon-Mahony sont à ce sujet très explicites: "Nous commençons à peine, après des décennies, à relire, à déchiffrer cette histoire idéologique. Nous nous donnons maintenant des instruments qui pourront nous permettre de démasquer..."8 Il devient ainsi urgent d'étudier la fonction signifiante de ce roman car, comme je l'ai déjà affirmé, ce dernier n'a fait jusqu'à présent que l'objet d'analyses référentielles.
A première vue, il semblerait assez simple de délimiter le champ d'investigation: l'analyse de Angéline de Montbrun serait l'analyse d'un discours littéraire d'un type particulier: le roman. Une si naîve affirmation est pourtant déjà chargée de fonctions idéologiques. En effet, les écrits de George Lukacs, Lucien Goldman et Julia Kristeva ont orienté une grande partie des recherches contemporaines vers un aspect particulier du roman. Ce genre, qui serait par définition bourgeois, illustrerait la recherche de vraies valeurs au sein d'un monde dont l'unité serait en décomposition.
Si l'on peut reconnaitre, avec plus ou moins de facilité, une telle démarche dans Madame Bovary ou dans Jacques le fataliste il est clair que peu seraient ceux qui ne la verraient pas dans Angéline de Montbrun. Cette recherche de valeurs authentiques, au sein d'un monde subissant un procédé de constante décadence, a été signalée par plus d'un lecteur, tant et si bien qu'un critique a comparé le roman de Laure Conan à La Porte étroite d'André Gide.9 Pour compléter l'évocation de cette dimension romanesque et pour faciliter l'étude ultérieure du texte, je vais évoquer les grandes lignes du récit dont le roman, je me permets de le rappeler, n'est qu'un sous-genre.10
Orpheline de mère, Angéline de Montbrun vit à Valriant avec son père, un homme qu'elle aime et admire. Maurice Darville est présenté aux Montbrun par Mina, soeur du jeune homme et amie d'Angéline. Maurice commence par çourtiser cette dernière et finit par demander sa main. Cependant la mort accidentelle de M. de Montbrun vient retarder les projets des jeunes amoureux.
Peu après la mort de ce père bien-aimé, Angéline est défigurée.11 Cet incident fait changer Maurice d'attitude: sa demande en mariage même si renouvelée, semble maintenant dictée beaucoup plus par le sens de l'honneur que par l'amour. Angéline refuse donc cette offre qui ne correspond pas à Un Amour vrai.12
L'héroine finit par se retirer dans la maison de son enfance pour pleurer la mort de son père et, dans une moindre mesure, le départ de son fiancé. Dans sa retraite Angéline trouvera la paix en Dieu, dans les joies du sacrifice" (171).13
Ce résumé suffit à illustrer que Angéline de Montbrun est bel et bien un roman. Même si la conscience de l'héroîne semblerait à certains trop étroite--incapable de saisir la complexité du réel--nous aurions à faire à ce que, depuis Lucien Goldman, l'on nomme le roman de l'idéalisme abstrait, bien que le rapprochement entre Angéline de Montbrun et Don Quichotte de La Manche puisse à première vue paraître assez excentrique.
Il me semble nécessaire d'anticiper maintenant sur la suite de notre étude et de poser la question suivante: dans quelle mesure est-il possible de préciser le genre de Angéline de Montbrun? Voici quelques réponses qui se défendent: roman idéaliste, d'analyse, psychologique, autobiographique, pastoral, précieux, à thèse, épistolaire et lyrique. Certains iront jusqu'à parler de roman sentimental ou de romance mais ces deux dernières catégories sont pour moi inacceptables. René Dionne a formulé sur ce point une opinion qui mérite d'être relevée:
Angéline de Montbrun n'est pas davantage un roman noir qu'il n'est un roman rose: c'est un roman de grisaille humaine qui emprunte ses nuances de tons à la vie religieuse de nos pères.14
Dans le contexte de l'article on ne peut qu'admirer l'attitude du critique qui tâche de défendre la juste moyenne contre ceux qui ne voient Angéline de Montbrun qu'une sainte et ceux qui en font une fille obsédée par l'amour de son père. Mais quelques rectifications terminologiques s'imposent. Tout d'abord l'inceste dont il est question-- du moins dans mon étude--n'est pas une mariifestation morbide mais une réalité psychanalytique. Ensuite le terme roman noir ne doit pas être pris dans le sens négatif que lui donne aujourd'hui le langage courant. Il s'agirait plutôt d'un sous-genre du roman sentimental importé d'Angleterre et très à la mode au 18e siècle et au début du l9e. Si le prototype de ce sous-genre, The Castle of Otranto (1764) de Horace Walpole, n'est pas très connu, on peut tout de même se poser la question suivante: Peut-on classer Angéline de Montbrun dans la même catégorie romanesque que les contes de E.J.A. Hoffmann, ceux d'Edgar Allan Poe ou les romans des soeurs Brontë? Et la réponse est naturellement non. Donc Angéline de Montbrun n'est pas un roman noir, ni dans le sens général (sens de Dionne), ni dans le sens technique que viens d'évoquer.
Reste le roman rose. Là encore, le sens général est naturellement péjoratif comme ellipse de la locution "roman à l'eau de rose." Ce sens général, qui me semble aussi être celui auquel René Dionne fait recours, fausse tout d'abord la perspective littéraire. D'autre part, dès que l'on donne une définition technique du roman rose l'on se rend compte que Angéline de Montbrun ne fait guère partie de cette catégorie.
En effet, dans The Secular Scripture: A Study of the Structure of Romance--l'une des meilleures études au monde de la culture populaire--Northrop Frye donne de nombreuses définitions du roman rose ou "bassement" (dans le sens d'Aristote) sentimental. Elles semblent toutes se ramener à une distinction bien claire: 'le vrai roman' est orienté vers le discours tandis que 'le roman rose' est orienté vers le récit. Ma généralisation doit pourtant s'accompagner d'une précision que Northrop Frye exprime simplement mais magistralement dans le passage suivant:
The serious literary artists who tell stories in prose, according to this view [Platonic-Christian], also tell us something about the life of their times, and about human nature as it appears in that context, while doing so. Below them comes romance, where the story is told primarily for the sake of the story. This kind of writing is assumed to be much more of a commercial product, and the romancer is considered to have compromised too far with popular literature. Popular literature itself is obviously still in the doghouse.15
Il est ainsi clair que Angéline de Montbrun est situé aux antipodes des récits rocambolesques et que, même si le texte étudié était un roman rose, il ne serait pas inutile de l'étudier comme phénomène culturel. Le sémioticien Umberto Eco s'est lui aussi attaché à définir la culture populaire et, ce faisant, a fourni une définition du roman rose qui va encore nous permettre de montrer, selon une démarche différente, que Angéline de Montbrun n'est pas un roman rose. L'utilité de cette démonstration réside dans le fait qu'elle va nous permettre de préciser un peu plus la nature du roman de Laure Conan. Ce qu'Umberto Eco dit du roman rose c'est qu'il s'adresse à la paresse du lecteur et que l'hyperbole de ce genre de récit se trouve dans les romans où le dénouement est révélé dès l'ouverture du texte. Ainsi le sémioticien italien s'exprime sans réserve à ce sujet: "La pigrizia del lettore chiede proprio di essere blandita con la proposta di enigma che egli abbia già risolto o sappia risolvere facilmente."16
Or il est maintenant clair qu'entre Love Siory et Angéline de Montbrun il n'y a rien de commun. Si Laure Conan avait commencé son livre de la manière suivante: "Que peut-on dire d'une jeune fille qui aime intensément son père?"--puisque Love Siory commence par "Que peut-on dire d'une jeune fille qui est morte à 25 ans?"--alors elle aurait développé un roman rose qui aurait vite tourné au roman noir. Mais René Dionne résume admirablement le problème central du texte de Laure Conan lorsqu'il écrit:
Une jeune-fille, marquée par ses instincts au coin de la tourmente amoureuse, souffre en son coeur le combat que toute liberté humaine livre en face d'une destinée dont la maîtrise finale lui échappe fatalement.17
Il s'agit donc d'étudier les rapports entre la forme et le sens d'un texte à tendances romanesques, c'est-à-dire un roman dont le sous-genre reste indéterminé. Le terme "roman" sera employé conventionnellement, tout en tenant compte des quelques réserves que J'ai signalées plus haut.
Une première segmentation graphique s'impose au lecteur. En effet, les trois parties du roman le renvoient à trois genres différents. Il y a tout d'abord un recueil de 31 lettres (15-85). A la limite, il devrait être possible de considérer cet ensemble de textes comme un roman par lettres ouvert, un livre dont le dénouement serait laissé à l'imagination du lecteur. On peut ainsi nommer cette partie du texte Les Lettres et en faire une analyse différentielle, c'est-à-dire indépendante du reste du roman.
Les Lettres ne suit pas tout à fait la forme de ses modèles. 18 L'auteur n'a pas pris la peine de construire un encadrement pour ce texte: pas d'avis d'éditeur ou de préface de rédacteur comme dans le cas de Les Liaisons dangereuses ou de La Nouvelle Hêloise. Personne n'est là, en effet, pour indiquer au lecteur que Les Lettres a été édité pour une raison ou pour une autre, qu'elles faisaient partie d'un recueil plus important; enfin, personne n'est là pour essayer de lui faire croire qu'elles ont été trouvées dans le grenier d'une vieille demeure.
Pourtant la présence d'un éditeur se fait sentir. Avant même de tenter l'identification de ce dernier, je tâcherai d'évaluer sa performance. La Lettre 1 est précédée de la citation suivante: "L'avez-vous cru que cette vie fut la vie?" (15). On peut se demander si cette question de Lacordaire est reprise par l'auteur de la première lettre ou bien par léditeur. Deux interprétations différentes peuvent nous permettre d'attribuer l'évocation du dilemme posé par le célèbre prédicateur dominicain à l'un ou à l'autre.
Maurice est l'auteur de la première lettre et il semble peu probable que cet acteur (dans le sens sémiotique du terme) puisse contenir une isotopie basée sur le sens /mystique/. En effet, en tant qu'acteur Maurice est un être superficiel, au sujet duquel Mme Lebrun s'exclame: "Quel dommage qu'un homme qui chante si bien ne sache pas toujours ce qu'il dit!" (17). D'autre part, en tant qu'actant Maurice est soumis à la fonction du désir: il est hyperboliquement amoureux d'Angéline. Maurice fait ainsi figure d'un Cléante naïf car Molière donnait au moins à ses amoureux une intelligence pratique, un certain savoir faire. Pourtant, ce futur avocat cite "les causeries artistiques de Napoléon Bourassa" (17) et affirme que son "embarras de paroles" n'a lieu qu'en présence d'Angéline (17). Ainsi, s'il cite Lacordaire, il faut admettre qu'il le cite selon une perspective immédiate et matérialiste. Ignorant par là la dimension théologique, il le cite mal et lui donne le sens du "Carpe Diem!" de Horace. Le moins que l'on puisse dire cest que le référent est mal adapté au signifié.
Tout autre est la perspective si la citation est un commentaire implicite de l'éditeur. Dans ce cas, pour éviter l'ambiguïté, Laure Conan aurait dû réserver une première page à la citation de Lacordaire. Il n'en demeure cependant pas moins vrai qu'en tant qu'épigraphe, non seulement de Les Lettres mais de l'oeuvre entière, "L'avez-vous cru que cette vie fût la vie?" donne au roman un ton augustinien, pour ne pas dire janséniste; ton qui est confirmé par la lecture ultérieure du texte.
L'examen de la forme de Les Lettres tendrait à nous faire conclure que l'éditeur manque de cohérence. En effet, la lettre 1 est précédée de l'indication "(Maurice Darville à sa soeur)" et commence par "Chère Mina" (15). Cette forme de présentation redondante n'est pas commune à toutes les lettres. La double indication, suivant le modèle indiqué, ne précède que les lettres 1, 3, 10, 12, 13, 14, 15, 26 et 28. Dès ce premier examen formel on aurait donc tendance à exprimer des réserves quant aux jugements flatteurs portés sur Angéline de Montbrun. C'est ainsi que, dans l'un de ses articles sur Laure Conan, André Brochu affirme, sans apparente ironie, au sujet de l'expression de la romancière: "Un langage dont la qualité à fait; l'étonnement des contemporains et fait encore le nôtre."19 Naturellement on peut se demander si André Brochu emploie le mot 'langage' d'une manière vague et générale ou bien s'il veut vraiment dire 'langage' dans le sens linguistique. Il s'agirait donc de la faculté naturelle que l'homme devrait avoir pour constituer une langue, c'est-à-dire un code de communication articulé. Mais ce qui devrait étonner chez Laure Conan serait plutôt la parole (dans le sens de Saussure) c'est-à-dire la réalisation particulière et individuelle de la langue française chez Laure Conan. Ce qui surprend dans la présentation de ces lettres cest une déviance et non pas l'excellence dans l'application du code; c'est du moins là tout ce que l'analyste peut affirmer sans s'aventurer dans le domaine des interprétations douteuses.
Cette déviance, qui ne garantit pas moins la littérarité du texte, va se confirmer au niveau de l'analyse logico-formelle de Les Lettres. D'ailleurs, la forme épistolaire a l'avantage, pour l'analyste, de correspondre strictement au schéma de la communication élémentaire.
Ainsi, si la première lettre (message 1) a pour émetteur Maurice et pour récepteur Mina, il reste à déterminer le code, le référent et le contact. Au-delà de l'évidence, on pourra affirmer que la langue littéraire du code se fonde sur un sous-ensemble de règles: le discours chevaleresque, dans le sens noble du terme. D'autre part on pourrait définir le référent par le simple mot "Valriant," car c'est bien toujours à cet espace (physique, psychologique et imaginaire) que le message nous renvoie.
Quelques remarques s'imposent donc sur la nature absolue du référent " Valriant. " Valriant c'est d'abord la scène du roman. En effet, si l'émetteur n'est pas à Valriant, alors le récepteur y réside. Un problème de logique épistolaire est ainsi soulevé. Au début du roman (lettres 1-8) le lecteur apprend ce qui se passe à Valriant grâce à Maurice qui écrit à sa soeur Mina--laquelle n'est, bien entendu, pas à Valriant. Quand Maurice n'est plus à Valriant (lettres 9-13) c'est alors à lui que l'on écrit de ce "cadre enchanteur ... qui ressemble fort au paradis terrestre, " selon André Brochu.20 C'est d'abord Monsieur de Montbrun, puis Angéline qui adressent des lettres au futur avocat. Quand tous les personnages connus sont à Valriant (lettres 15-27) l'auteur doit introduire une nouvelle confidente, Emma S.***, qui, elle, n'est naturellement pas à Valriant. Enfin quand Maurice est en France (lettres 28-31) c'est à lui que l'on écrit de Valriant. Ainsi si l'émetteur (= E) est à Valriant le récepteur (= R) n'y est pas et vice versa. On a ainsi une table de vérité élémentaire:
La vraie dialectique ne s'établit donc qu'entre Valriant et le monde extérieur; ce n'est ainsi pas avant tout une question de personnages, même si l'on est en présence d'un roman d'analyse psychologique, ou du moins consacré comme tel par la critique.
D'ailleurs, si l'on suit la logique épistolaire de Les Lettres, il faut reconnaître que c'est au prix d'une fictive sélection que l'imaginaire editeur s'est fait le complice de l'auteur pour sauvegarder l'intégrité de l'opposition spatiale V vs V. On peut ainsi affirmer que six lettres ont été écartées:
Lettre 'a' entre les lettres 17 et 18 puisque Mina écrit dans la lettre 18: "Décidément mes rêves patriotiques cous vont suspects" (57). La lettre dans laquelle Emma aurait fait une telle affirmation devrait constituer une réponse à la lettre 17. Inutile de chercher puisque les lettres 17 et 18 ont le même destinateur (Mina) et le même destinataire (Emma).
Lettre 'b' entre la lettre 18 et la lettre 19 puisque Mina écrit à Emma dans la lettre 19: "Vous dites, chère amie, que la seule chose triste, ce serait d'être aimée par-dessus tout" (19). La démonstration est ici identique à celle qui a été effectuée pour la lettre 'a'.
Lettre 'c' entre les lettres 21 et 22 puisque Mina écrit à Emma dans la lettre 22: "Vous prenez mon rêve bien au sérieux" (65). La même démonstration peut être faite ici.
Lettre 'd' entre les lettres 24 et 25 puisque dans la lettre 25 Mina écrit à Emma: "Vous avez raison." (71). Une fois encore, la situation est ici identique à celle du cas précédent.
Lettre 'e' entre les lettres 29 et 30 puisque dans la lettre 30 Maurice écrit à Angéline - "J'ai écrit à votre père." (81). Cette lettre ne se trouve pas dans le recueil présenté par l'auteur/éditeur.
Lettre 'f' entre les lettres 30 et 31 puisque Mina écrit à Maurice: "C'est ce qui m'a retardée quelque peu, moi le modèle des correspondantes" (82). Mais la lettre qui aurait dû précéder la lettre 31 et avait Maurice pour destinateur et Mina pour destinataire est introuvable dans le recueil.
On remarque que la réduction des lettres 'a', 'b', 'c' et 'd' est signalée d'une manière inchoative et que cette séquence permet de réduire un dialogue épistolaire à un monologue. Cette reprise des pro pos de celui qui ne parle pas dans le texte est un procédé d'anaphorisation théâtrale, où l'apostrophe compte beaucoup plus que le destinataire (un cas célèbre de l'exploitation de cette méthode serait La Chute d'Albert Camus). Encore une fois tout converge vers l'espace restreint de Valriant. Le livre est ainsi orienté vers un seul point de vue et c'est Angéline qui est, en ce sens, privilégiée. Cette tendance se confirme tout en s'accentuant dans la deuxième et la troisième partie du roman. On passe ainsi de la perspective analytique et dialectique du roman par lettre à celle typiquement romantique et narcissique d'Adolphe de Benjamin Constant. L'égotisme semble d'ailleurs bien commun à ces romans dont le point de vue privilégié est déjà flagrant dans le titre. En effet, le roman de Laure Conan ne s'intitule pas "Angéline et Maurice" et celui de Benjamin Constant n'a guère pour titre "Adolphe et Eléonore."21
La deuxième partie du roman constitue une brève et directe intervention du narrateur (85-88). On peut se poser des questions sur l'efficacité de ce récit condensé. Il semble qu'un système de lettres, annonçant avec lenteur les malheurs brièvement decrits par le narrateur, aurait dilué l'intensité dramatique de cette partie centrale. Dans ce cas on pourrait moins bien justifier le changement de ton entre Les Lettres et les "Feuilles détachées" du journal d'Angéline qui constitue la troisième partie du roman (89-187). Cependant pourquoi ne pas justement adapter cette forme de journal pour la partie centrale du texte? Il semble même qu'un journal sobre, clair et réservé devant la souffrance aurait peut-être eu beaucoup plus d'impact. Mais cela aurait-il été possible pour une romancière qui utilise le mot "larmes" ou ses équivalents plus de 87 fois?
D'autre part, comme je l'ai indiqué plus haut, c'est le pôle discursif et non le pôle narratif qui attire Laure Conan. On reconnait là l'une des caractéristiques bien connues du roman d'analyse.22
Et par sa position, et par son contenu, cette deuxième partie est donc centrale. On pourrait l'intituler La Parabole. Il s'agit, en effet, d'un récit à l'état pur doublé d'un discours moral. L'articulation logique du récit est des plus claires. On apprend au lecteur le retour de Maurice au pays et la mort de Monsieur de Montbrun. Ce dernier événement implique, tout naturellement la remise à plus tard du mariage d'Angéline et du jeune avocat mais c'est après avoir reporté cet événement à une date ultérieure qu'Angéline est victime de l'accident qui la défigure. Ce dernier entraine à son tour, comme on l'a vu, le refus du mariage et la retraite dans la solitude de Valriant. La morale de La Parabole est des plus explicites: cette vallée de larmes, même lorsqu'elle s'appelle Valriant, n'est pas l'espace du bonheur; car ce dernier "est une plante d'ailleurs qui ne s'acclimate jamais sur terre" (86).
Le discours moral du narrateur est identique à celui de ses personnages et au lieu de roman psychologique, à partir de La Parabole, il faudrait parier de roman religieux, catholique et peut-être même édifiant. C'est, en effet, au sein de cet austère récit que l'on apprend que Mina Darville, jadis si volage, entre en religion. Montbrun, la figure du père sur la terre, est mort. On se tourne donc vers le père céleste. Il faut cependant remarquer que la dimension édifiante est beaucoup moins marquée dans Angéline de Montbrun que dans les autres romans de Laure Conan. Le premier, par exemple, qui s'intitulait Un Amour vrai et dont il a déjà été question, a pour thème fondamental le sacrifice de deux jeunes amoureux. La Catholique, Thérèse Raynol, meurt (Dieu l'ayant prise au mot) et son promis protestant Francis Douglas après sa conversion, entre au monastère.
C'est aussi dans cette partie centrale du roman qu'il faut préciser, au niveau psycho-sémiotique, les signes de l'inceste (désir subconscient) entrevus par quelques critiques.23 En effet, Angéline qui "aimait son père d'un immense amour" (86) meurt à petit feu car sur elle "la douleur semblait agir comme un poison" (87).
Ainsi l'idéologie sociale et religieuse interdit l'inceste. Ce refoulement sexuel accompagné d'un complexe de culpabilité agit sur le corps d'Angéline. La psychanalyse contemporaine nous permet d'affirmer qu'il s'agit bel et bien d'inceste, car ce dernier "se commet entre appareils psychiques plutôt qu'entre sexes."24 C'est justement en ce sens qu'il ne faut ni crier au scandale ni détourner les yeux car il vaudrait mieux s'interroger sur l'ambivalence de cette écriture.
La Parabole permet ainsi de passer du roman religieux au roman psychanalytique, sans qu'il soit vraiment question de roman psychologique dans le sens traditionnel du terme.
Marquant la disjonction entre la joie de "l'avant" et la douleur de "l'après," ces pages centrales--au-delà de la décharge idéologique--jouent un rôle fonctionnel, et donc structural, puisqu'elles "intéresseront peut-être ceux qui ont aimé et souffert" (88).
Enfin, il faut reconnaître que la troisième partie n'aurait pu être écrite sous forme de lettres car la notion de solitude absolue est difficile à conserver dans un système épistolaire. Quant à la forme narrative de la partie centrale elle aurait abrégé le roman et ce n'est certainement pas là l'intentionnalité du texte.
J'appellerais tout naturellement cette troisième partie Le Journal. Il s'agit de 98 pages où viennent s'intercaler quelques lettres. On nous dit qu'il s'agit de "Feuilles détachées" (89) et l'expression ne manque pas d'ambiguïté car on vient de signaler au lecteur que "cette noble jeune fille, qui s'isolait dans sa douleur, avec la fière pudeur des âmes délicates, écrivait un peu quelquefois" (88). La vraisemblance de Le Journal peut ainsi facilement être mise en doute. En effet, on remarque la présence d'en-têtes: "Maurice Darville à Angéline de Montbrun" (181); la mystification de certains noms: "Le P.S.***missionnaire, à Angéline de Montbrun" (172) et enfin, parmi les "Feuilles détachées," de lettres dont Angéline est le destinateur: "Angéline de Montbrun à Mina Darville" (157). Comme dans la première partie les lettres ne sont pas datées. A cette censure de l'éditeur-narrateur correspond une datation des plus sommaires de Le Journal. En effet, l'année n'est jamais indiquée dans cette troisième partie du texte.25 L'auteur continue donc ainsi à négliger la fonction référentielle et cette perspective modifie, tout naturellement, la temporalité du texte.
Voici un autre défi lancé au vraisemblable. Ce journal commence le 7 mai et finit le 7 novembre. On pourrait voir ici un symbolisme basé sur la numérologie. Mais il est plus probable que l'opposition printemps vs automne au niveau symbolique ait dicté cette symétrie.
On retrouve également les méthodes de censure utilisées dans Les Lettres. Ainsi Angéline écrit à Mina Darville: "Merci et encore merci de vos si bonnes lettres" (99). Naturellement ces lettres sont introuvables dans le texte. Il est alors clair que l'auteur-narrateur a opéré une sélection à ce niveau. Mais les lettres à Mina Darvifle ne sont pas les seules à être censurées:
A part quelques billets bien courts à ma tante, je n'écris absolument à personne. Il me vient quelques lettres de celles qu'on appelait mes amies. (Pauvre amitié! Pauvres amies!). (99).
Le lecteur pourrait naturellement croire que ces lettres exprimant "leur sympathie profonde " (99) tendent à irriter Angéline. Dans ce cas ce serait une censure du personnage, mais l'on sait que ce dernier n'est que l'actant de l'auteur-narrateur, c'est-à-dire le véritable acteur.
D'ailleurs l'unité fonctionnelle est sauvegardée, puisqu'à la limite on pourrait considérer Le Journal comme un ensemble de lettres où le destinataire et le destinateur seraient confondus. Cependant il faut reconnaître que Le Journal a parfois Dieu pour destinataire: "Mon Dieu, agissez avec moi, ne m'abandonnes pas à la faiblesse de mon coeur, ni aux rêves de mon esprit." (92).
Oral, écrit, prière et citation--tout se fond dans cet élan vers Dieu. L'enchaînement des clichés, des maladresses et la pauvreté du texte donnentâ Le Journal l'air d'une littérature qui s'affirme par son manque, pas son absence. Invraisemblable parfois au niveau référentiel Angéline de Montbrun construit sa vérité à partir de celle de la syntaxe des signes, c'est-à-dire de la littérarité.
On peut donc conclure que le volume revêt des formes impliquant, de la part de l'auteur, une conscience de techniques préalablement établies.26 Une certaine originalité se trouve dans l'utilisation synthétique que l'auteur fait de ces méthodes et les formes du roman tendent, d'ailleurs, à voiler l'aspect hautement narcissique du récit. Ainsi si Angéline de Montbrun est le premier roman psychologique de la littérature québécoise, il est également le premier texte égotiste, du moins dans le domaine de la fiction. Le mysticisme des "Feuilles détachées" ne peut cacher que le vrai culte est le culte du moi. La multiplicité des formes, qui peut à première vue distraire l'analyste, finit par révéler ce qu'elle voulait cacher; et c'est peut-être là l'un des grands intérêts de cette fiction.
NOTES
1 Gérard Tougas, Histoire de la littérature canadienne-française, Quatrième Edition (Paris: Presses Universitaires de France, 1967), p. 58.
2 Paul Gay, Notre Roman (Montréal: Editions Hurtubise HMH, 1973), p. 20.
3 Michael Riffaterre, "Pour Une approche formelle de l'histoire littéraire," in La Production du texte (Paris: Seuil, 1979), pp. 89-109.
4 A titre d'exemple, voici cinq de ces jugements qui ont établi cette tradition critique: "La psychologie d'Angéline est singulièrement attachante," Charles Ab Der Halden, Nouvelles Etudes de littérature canadienne-française (Paris: F. R. deRudeval, 1907), p. 199; "Toujours est-il que Laure Conan fut notre première romancière et qu'elle eut cette préoccupation de joindre au récit l'étude psychologique des personnages," L'Illettré, Le Droit (10 septembre, 1961), p. 2; "Il [Angéline de Montbrun] ne ressemble à rien de ce qui s'était écrit auparavant au Canada," Gilles Marcotte, Une Littérature qui se fait, (Montréal: HMH, 1964), p. 16; "Elle [Laure Conan] annonce, cinquante ans à l'avance, la naissance du roman psychologique chez nous," Soeur Jean-de-L'Immaculée, Le Roman canadien-français (Montréal: Fides, 1964), p. 122: ".... [A] tel point que Angéline de Montbrun qui passe pour la première tentation de roman psychologique. . . " Madeleine Ducrocq-Poirier, Le Roman canadien de langue française de 1860 à 1958: Recherche d'un esprit romanesque (Paris: Nizet, 1978), p. 696. (L'auteur, qui accuse parfois d'autres critiques d'"écrire trop hâtivement" (p. 149), a sans doute voulu dire "tentative" et non" tentation." Ailleurs, Madeleine Ducrocq-Poicier se trompe dans l'ordre des trois parties du roman: "Le roman se présente sous forme de lettres (117 pages) suivies d'un journal intime (153 pages) et d'un bref récit (5 pages)" (p. 136). Il est clair que le critique a inversé la deuxième et la troisième partie du roman!)
5 Laurent Mailhot, La Littérature québécoise (Paris: Presses Universitaires de France, 1974), p. 5.
6 Laure Conan, Angéline de Montbrun, Chronologie, bibliographie et jugements critiques d'Aurélin Boivin, (Montréal. Fides, 1980). Signalons, à titre d'exemple et en toute humilité, l'absence de notre étude: "Polarisation spatiale d'une critique romanesque: Une Lecture d'Angéline de Montbrun de Laure Conan," Présence Francophone, No. 12 (Printemps 1976), pp. 79-101. A remarquer aussi un certain nombre d'erreurs: par exemple la dernière édition de Angéline de Montbrun, citée à la page 157, date de 1967 et non de 1968. Enfin, certaines courtes études comme celle de Jean Ethier-Blais et celle de Suzanne Paradis ne sont pas répertoriées, contrairement à certains comptes rendus de peu de valeur. Des erreurs et des imprécisions se sont glissées également au niveau des dates attribuées aux diverses éditions des autres oeuvres de Laure Conan. A la page 157, par exemple, la date de publication de Larmes dAmour est fausse et il nest pas indiqué que cette édition de Un Amour vrai fut imprimée sans l'autorisation de lauteur.
7 Madeleine Gagnon-Mahony, "Angéline de Montbrun: Le Mensonge historique et la subversion de la métaphore blanche," Voix et Images du Pays V (Montréal; Les Presses de l'Université du Québec, 1972), pp. 57-68.
8 Ibid., p. 61.
9 Marie-Louise Wittenberg, "La Porte étroite et Angéline de Montbrun: une comparaison," Présence Francophone, No. 4 (Printemps 1972), pp. 125-138.
10 Comme l'a si bien démontré Frank Kermode dans The Genesis of Secrecy: On the Interpretation of Narrative (Cambridge, Massachusetts: Harvard University Press, 1979), le résumé d'un récit--si objectif que l'on puisse le désirer--est déjà une interprétation: "The summary I shall now offer is a substitute for a fore-understanding of the whole, no doubt, as I say, subject to that benign distortion, which usually or always accompanies interpretations, a civilized form of the old violence and stealth" (p. 4).
11 Dans la première version du roman la défiguration est dûe à une tumeur, dans la deuxième à une chute de cheval. L'interprétation psychanalytique d'un tel changement semble plutôt évidente, la tumeur étant le symbole physique d'une tache morale selon le code éthique lisible dans un tel roman.
12 Un Amour vrai est un premier récit (La Revue de Montréal, Vol. II, No. 9 - Vol. III, No. 5-8, septembre-octobre 1878 à juillet-août 1879) inspiré de l'aventure avec Pierre Alexis Tremblay. De nombreux critiques se sont penchés sur ces rapports entre la vie personnelle et la fiction de Laure Conan. C'est ainsi, bien qu'il ait été reconnu depuis longtemps que la vie privée d'un auteur n'est pas pertinente quand on en vient à l'étude purement littéraire, que Roger Le Moine semble confondre, volontairement sans doute, deux disciplines distinctes: "Tout comme Un Amour vrai, Angéline de Montbrun repose sur une imposture. Car Laure Conan a tenté d'y revivre son aventure sentimentale sans que le lecteur s'en aperçoive. . . [C]ertaines constantes ne trompent pas, surtout lorsquon les retrouve non seulement dans l'oeuvre, mais aussi dans la biographie de lauteur." (Oeuvres Romanesques 1, Introduction de Roger Le Moine, Montréal. 1975, p. 93). Une fois de plus, on ne peut que conclure que l'analyse littéraire de Angéline de Montbrun pourrait offrir au lecteur une autre voie, en dehors de celled'ailleurs déjà toute tracéede l'interprétation biographie.
13 Toutes nos citations se réfèrent, sauf indications contraires à l'édition suivante: Laure Conan, Angéline de Montbrun (Montréal: Fides, coll, "Bibliothèque canadienne- française," 1967).
14 René Dionne, "Entre Terre et ciel. Pour une lecture littéraire de l'oeuvre de Laure Conan," Lettres québécoises (mars 1976), pp. 19-20.
15 Northrop Frye, The Secular Scripture: A Study of the Structure of Romance (Cambridge, Massachusetts: Harvard University Press, 1976), p. 41.
16 Umberto Eco, Il superuomo di malsa (Milano: Cooperativa Scrittori, 1976), p. 33. Umberto Eco développe d'ailleur ce point et donne l'exemple convainquant de Love Story:
Un ultimo meccanismo che rientra nella categoria dell'agnizione inutile è il topos del falso sconosciuto. Il romanzo popolare sovente, ad apertura di capitolo, presenta un personaggio misterioso che dovrebbe essere ignoto al lettore: "lo sconosciuto, nel quale il lettore avrà già riconosciuto il nostro X.. ." Ancora una volta abbiamo un mezzuccio narrativo do poco conto, grazie al quale il narratore introduce una voita di più, in misura degradata, il piacere del riconoscimento. Giova tuttavia osservare che se, dal punto di vista di una stilistica dell'intreccio, questi mezza degradati costituiscono altrettante zeppe narrative, dal punto di vista di une psicologia della fruizione e di une psicologia del consenso, esse funzionano a meraviglia, perché la pigrizia del lettore chiede proprio di essere blandita con la proposta di enigmi che egli abbia già risolto o sappia risolvere facilmente.
La categoria generale del riconoscimento degradato, ridondato, inutile o falso, costituisce perciò un artificio mercatile giustificato dalla ideologia consolatoris del romanzo popolare.
Non sarà quindi ingiustificato avanzare il sospetto che una delle ragiono del successo di Love Story sia dato proprio dalla sua frase iniziale: "Che cosa si può dire di una ragazza morta a venticinque anni?"
In termini di stilistica dell'intreccio l'arrivo della malattia dovrebbe piombare come un colpo di scena che cambia colore emotivo a tutta la vicenda precedente, trasformando l'idillio in un dramma e rimettendo in luce problematica tutto quanto narrato sino ad allora (p. 33).
17 Dionne, p. 20.
18 Il sagit naturellement ici de modèle formel (formes de l'expression) et non pas de modèle au niveau des formes du contenu.
19 André Brochu, "Le Cercle et l'évasion verticale dans Angéline de Montbrun," in L'Instance critique: 1961-1973 (Montréal; Leméac, 1974), p. 123.
20 André Brochu, "La Technique romanesque dans Angéline de Montbrun, in LInstance critique: 1961-1973 (Montréal: Leméac, 1974), p. 112.
21 Les rapports entre le narcissisme et le narrateur ne sont pas simples d'autant plus que les critiques qui se penchent sur la question semblent être eux-même affectés du complexe en question. C'est ainsi que Linda Hutcheon, dans une étude par ailleurs intéressanteNarcissisilic Narrative: The Metafictional Paradox (Waterloo: Wilfred Laurier University Press, 1980)semble ignorer une étude capitale du domaine considéré: Jean Rousset, Narcisse romancier (Paris: Corti, 1973). Voilà donc encore un aspect de Angéline de Montbrun qui reste à explorer.
22 Dans le domaine de lintrospectionterme que je préfère à analyseLaure Conan fait vraiment figure de précurseur dans les lettres canadiennes. Il faudra, en effet, attendre les années 40 pour retrouver le roman d'analyse, Le premier exemple valable étant celui de Ils posséderont la terre (Montréal: L'Arbre, 1941) de Robert Charbonneau. Dans ce texte, le personnage d'Edward semble constituer l'hyperbole du narcissisme car au fond de Lys, la femme qu'il aime, il n'y a que le miroir de sa propre image. La dynamique et les stratégies d'un tel désir n'ont pas encore été complètement explorées.
23 En particulier André Brochu, voir la note précédente. D'autre part, Suzanne Paradis dans Femme fictive, femme réelle: Le Personnage féminin dans le roman féminin canadien-français (Québec; Garneau, 1966) prouve résolument que "dans les termes les plus hauts, les plus purs[Angéline] se révèle intensément amoureuse de son père" (p. 11). Cependant la signification profonde de cet inceste virtuel reste à explorer, surtout d'une manière psycho-sémiotique. Il faudra, en effet, se poser la question suivante: Quels sont les rapports entre la thématique de l'inceste et la structure du discours romanesque.
24 J.-B. Pontalis, Entre Le Rêve et la douleur (Paris: Gallimard, 1979), p. 268.
25 Il ny a peut-être là quune convention littéraire dont le sens reste tout de même à explorer. Pour ne citer que deux exemples québécois, on peut facilement vérifier le
procédé dans Le Libraire (Montréal: CLF, 1958) de Gérard Bessette et Mon Fils pourtant heureux (Montréal; CLF, 1956) de Jean Simard.
26 Il ne faut pas oublier qu'à lépoque de Laure Conan un certain nombre de raisons pratiques venaient s'ajouter aux principes qu'auraient pu être dictés par la technique littéraire. En effet, les romans étaient publiés d'abord sous forme de feuilleton dans les journaux ou dans les revues. Il est clair que la lettre, le journal et le récit condensé sont des formes tout à fait adaptables aux exigences d'éditeurs. La situation était analogue au Canada anglais et a été relevée par un spécialiste: David Arnason. Ce dernier, dans son anthologie Nineteenth Century Canadian Stories, place toute la première partie du siècle sous le titre hautement révélateur: "Early Beginning: The Story as Letter" (Toronto: MacMillan, 1976), pp. 1-59.