LA FIGURE DU PAYS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS CONTEMPORAIN
Jacques Allard
Tel est, chers collègues, le titre de mon bref exposé. Que faire avec un tel sujet, dans le peu de temps qui m'est imparti? Plutôt que de vous présenter un grand panorama, j'ai décidé de vous brosser un petit tableau centré sur la thématique des années soixante et de vous proposer la lecture d'un roman récent qui tente justement de faire une synthèse de la problématique nationale. Il s'agit du récit de Roch Carrier, Il n'y a pas de pays sans grand-père, paru en 1977 mais qui nous ramène au début du siècle en citant Maria Chapdelaine, ce qui nous oblige à mettre en rapport les représentations traditionnelle et actuelle du pays rêvé et du pays vécu.
C'est au milieu des années soixante que notre discours romanesque exploite la thématique nationale avec le plus de succès. Mais ce n'était pas là le fruit d'une génération spontanée. Vous vous souviendrez de l'importance de la vague poétique, cette vague de fond qui montait depuis 1953 (avec les poètes de l'Hexagone) et qui allait déferler pendant toute la décennie alors que, peu à peu, la chanson populaire et les autres genres, dits sérieux, prenaient la relève. On a maintes fois signalé l'entreprise nominaliste de nos grands poètes contemporains: pour eux, le pays, sinon le pouvoir, était au bout des mots, dans les images, dans une sorte de fiévreuse redécouverte de la langue française enrichie des inventions propres à nos joies et à nos souffrances historiques. Ce sont eux qui à force de chanter l'unification de l'homme et de son environnement ont mis un terme à la complainte du "Canadien errant," qui nous ont conduit à la "terre-Québec" et à l'"âge de la parole": au Québec "rapaillé." Toutes ces allusions à des titres de Gérin-Lajoie, de Chamberland, Giguère ou Miron ont pour nous valeur d'exemple et de synthèse. Toutes ces paroles, par leur travail décolonisateur, témoignent de la qualité de l'embrayage poétique de tout notre discours littéraire contemporain.
Une fois rendu ce tribut à nos grandes, à nos hauts parleurs, nous pouvons maintenant baliser le terrain strictement romanesque. Pour ce faire, arrêtons-nous un moment à un texte éminemment significatif des ruptures, des changements socio-culturels propres aux débuts de la décennie. Il s'agit du Libraire de Gérard Bessette, paru en 1960. L'histoire de ce petit roman est celle d'un écrivain qui parvient à se donner un langage, une parole contre celle-là même de la société villageoise québécoise. Jodoin débusque ainsi les mots justes, les mots vrais, ceux de la liberté de pensée qui ébranle le pays dogmatique traditionnel: voilà le sens symbolique de la mise en circulation du mot "moeurs" (par le biais de la vente de L'essai sur les moeurs de Voltaire à un jeune collégien par l'apprenti-libraire).
Un autre exemple de la précarité du pays villageois nous est donné au début de la décennie par Jacques Ferron dans ses Contes du pays incertain (1962). L'histoire du cartographe illustre à souhait la déprovincialisation du Québec en questionnant justement 1'appellation de la "belle province" que l'on trouvait inscrite sur les plaques automobiles du Québec jusqu'en 1976. Comme chez Bessette, c'est encore l'humour et l'ironie qui rétablit le pays dans ses mots propres: le Québec n'est une province qu'au sens anglais et canadien. Au sens français, le Québec a ses provinces: l'Abitibi, la Gaspésie, le Saguenay, la Beauce etc., comme la France a sa Normandie ou sa Bretagne. Pour Ferron, la carte du pays ne saurait être celle des diocèses ou des comtés électoraux: tout le reste est affaire canadienne-anglaise, affaire de marécages ("A mari usque ad mare" comme le disent les armoiries canadiennes), affaire de rhinocéros ...
Ces deux leçons de choses sémantico-sociologiques allaient ensuite se faire de plus en plus politiques. Déjà, en 1961, Ashini de Yves Thériault mettait en scène un vieux chef indien en quête de son peuple. Et bientôt de moins en moins incertaine, la figure du pays romanesque se traçait avec violence dans Le couteau sur la table de Jacques Godbout (1965) et Prochain épisode de Hubert Aquin (1965). Dans le roman de Godbout, le choix était posé dès le titre original qui était Iniminimaïnimo, de la comptine anglaise qui sert à désigner une victime. Il s'agissait, pour le narrateur et principal personnage, de quitter l'armée canadienne et de tuer sa riche maîtresse anglophone. Cette thématique du "lit défait" que relevait à l'époque. H. Aquin, dans la revue Parti pris, à partir de l'actualité canado-quêbécoise, a largement servi à déconstruire la figure du pays canadien dans l'imaginaire québécois. Le premier roman d'Aquin tentait parallèlement de construire le pays québécois par la révolution, mais c'était celle des mots de l'intervalle, du temps mort; l'autre, armée, était projetée dans un prochain épisode. Ces deux exemples illustraient bien à quel point on était passé du pays incertain au pays perplexe que nous ne cessons de retrouver depuis, après l'aventure Parti pris et celle du terrorisme qui eut son chant du cygne en 1970. Mais ajoutons que l'incapacité de prendre parti (c'est la définition de la perplexité) a sans doute trouvé une sorte d'exutoire dans le discours de la joie et de l'humour qui lui ne s'est pas démenti: que l'on pense aux récits postérieurs de Godbout (Salut Galarneau, ou D'Amour, P.Q.) ou à ceux de Ducharme, pour ne nommer que ceux-là.
Voilà des éléments de l'hypothèse que je vous propose d'examiner à la lecture du roman de Roch Carrier, Il n'y a pas de pays sans grand-père. Dans ce court récit, il y a une volonté programmatique, idéologique très marquée dans l'affirmation tranchante du titre et tout l'emballage du livre. Et l'histoire racontée constitue une démonstration soutenue de l'annonce idéologique, sans que le texte soit une oeuvre à thèse, au sens étroit du terme.
On y voit un grand-père, Vieux-Thomas, ruminer son passé de coureur de bois et son présent de retraité: il est arrêté, immobilisé dans sa chaise berçante comme son petit-fils préféré, Jean-Thomas, qui est emprisonné à Québec pour avoir manifesté contre la visite de la Reine. Et c'est dans sa "jonglerie" que le vieux en viendra peu à peu à mettre en rapport passé et présent: son monologue en vient ainsi à se conjuguer aux voix des autres petits-enfants vivant autour de lui mais qu'il n'entend pas. Il se souvient toutefois des lectures que lui faisait Jean-Thomas, l'emprisonné, et se propose de reprendre contact avec lui, pour refaire la "marche de la terre," son domaine, mais surtout de reconquérir la forêt et la nature primordiale.
D'où sa décision finale de se porter au secours de Jean-Thomas. Un matin il quittera sa berçante et ira vers l'église, mais plutôt que d'aller à la messe, il prendra l'autobus, en direction de Québec. Il "prendra" littéralement cet "avion sans ailes," il le détournera en menaçant le conducteur de son couteau de chasse. Comment la violence peut-elle ainsi venir au coeur d'un vieil homme? Par le goût irrépressible de la liberté, celui d'un pays à construire.
Nous avons affaire ici à un conte davantage qu'à un roman, alors que le vieux monologue interminablement, allant d'un souvenir à l'autre, prenant Dieu lui-même à partie, s'adressant à lui avec toute la familiarité de Don Camillo. Mais en même temps, la parole du vieux est constamment relayée, soutenue par celui d'un narrateur qui fait souvent office de traducteur et d'"écouteur," venant à la rescousse du premier quand les mots lui manquent et à celle du lecteur-destinataire qui n'entendrait, autrement, que ce qu'un vieux sourd veut bien entendre. Il y a ainsi, dans la structure énonciative, une sorte de marcottage très étudié qui assure l'efficacité de cette machine narrative. Le recours à Dieu, ce tout puissant Lecteur joue un rôle phatique que l'on peut qualifier de détourné: dans le conte traditionnel le conteur interroge fréquemment son auditoire, pour mesurer ses effets. Or ici, tous les appels à Dieu peuvent être ressentis comme autant d'appels au lecteur ordinaire, le faisant juge des pensées et des projets du vieux. C'est là un bon exemple de l'efficace narrative dans l'énoncé idéologique: même Dieu ou son lecteur délégué est entraîné dans l'aventure. Résultat: humour et manipulation" (force de la démonstration: qui n'aime pas à se prendre pour Dieu le père lui-même?).
Avec cette caution divine, quelle est donc la figure du pays manifesté? Elle est d'abord celle de la tradition, des ancêtres proches et lointains. C'est d'abord la petite partie (natale, villageoise, beauceronne) qui s'inscrit ferme dans la parole directe et indirecte de Vieux-Thomas. Puis, progressivement, c'est la grande patrie, le territoire non plus régional mais celui, collectif, si fréquemment dénommé "pays de Québec" et opposé, à plus d'une reprise, à un Etat dominant, oppressant qui, lui, n'est pas nommé. Cette grande patrie se construit dans les retrouvailles anticipées ou rappelées au souvenir du grand-père et de Jean-Thomas, comme dans les conversations des autres petits-enfants que la narration nous fait entendre. Cette double dimension patriotique se maintiendra jusqu'à la fin, à la faveur du fil narratif de l'emprisonnement et de la tentative de libération, alors que sont proposés le retour aux racines du passé et la réconciliation avec la modernité. Mais il va de soi que cette dernière n'est pas favorisée, puisqu'elle ne nous parvient qu'à travers le filtre de la mémoire et de l'oreille embrouillées du grand-père.
Par ailleurs, la patrie n'est pas assurée, confortée dans son présent. D'où l'importance des valeurs de conquête sans cesse proposées: par l'alliance de l'avant-hier et de l'aujourd'hui, ce sont les valeurs du travail créateur de la construction, du combat. Au bout du combat se trouvent: la réappropriation de soi, de la forêt de la terre; de la liberté, de la Nature, de l'Histoire; du Destin, si l'on veut. A ces éléments essentiels, ajoutons: une anglophobie marquée et un point de vue nettement écologique.
Aussi, si l'on met à part cette dernière note, tout cela paraîtra familier, sinon agaçant pour le lecteur averti: n'est-ce pas là le programme nationaliste tel qu'il traverse toute notre littérature depuis près d'un siècle? Comment peut-on écrire ou relire tout cela en 1977 ou 1979? Si vous songez surtout à la reprise des textes, nommément cités de Maria Chapdelaine et de Menaud maître-draveur, vous serez confirmés dans votre première réaction. Vous constaterez même que Carrier ne relit Hémon qu'à travers ce qu'en a retenu Félix-Antoine Savard. Il oublie, par exemple, ce qu'oubliait Savard quand il citait le fameux passage des voix qu'entend Maria Chapdelaine. La deuxième phrase du passage contient ces mots, données dans la perspective d'un retour éventuel des Français de France au Canada: ". . . s'il est vrai que nous n'ayons guère appris, assurément nous n'avons rien oublié." Cet aveu d'ignorance, le roman de L. Hémon a eu bien soin de la souligner auparavant par l'analphabétisme des habitants, par exemple. Cette carence de la fidélité traditionnelle ne sera pas oubliée par Albert Laberge avec La scouine, ou Arsène Bessette dans Le débutant ou encore Ringuet dans Trente arpents, et d'autres qui vont écrire après Hémon et avant Savard qui, lui, ne conservera que la revendication du souvenir français, que ce thème de la fidélité, ignorant l'ignorance au profit d'une valorisation religieuse, mystique du territoire à défendre. Davantage: Savard oubliera tout à fait la deuxième "voix," celle qui chante les merveilles urbaines, et donnera une vue plutôt méprisante de la terre du cultivateur.
On voit donc comment le roman de Carrier s'inscrit dans la chaîne de notre intertexte national, rendant hommage à nos classiques écrivains du pays non seulement en les citant mais en reprenant aussi de nombreux motifs. Signalons parmi ces derniers: l'attitude d'attente de Vieux-Thomas au début du récit qui rappelle celle de Menaud qui écoute sa fille Maria lui lire Maria Chapdelaine; la grande marche de Vieux-Thomas vers les chantiers de La Tuque, qui rappelle celle de Menaud sur le sentier qui mène au Royaume du Saguenay, qui rappelle celle-là même de François Paradis qui quitte La Tuque en route vers Péribonka pour retrouver celle qu'il aime. Or Vieux-Thomas, à la manière de ses prédécesseurs imaginaires "s'écartera," sans toutefois perdre la vie comme François ou la santé mentale comme Menaud.
Car finalement, il faut tout de même mettre en valeur les écarts du texte de Carrier: dans l'hommage rendu aux ancêtres littéraires, il y a de toute évidence une intention arrêtée de bilan mais aussi de renouvellement. Examinons donc rapidement les "écarts" de Carrier. Quand il nous fait découvrir chez un homme condamné par l'âge la possibilité d'accorder la fidélité ancestrale à l'acquisition du savoir, l'expérience, brute mais réfléchie, à la conscience politique, les différences deviennent claires: l'oppresseur est désigné comme économique et anglophone. De plus, même dérisoire, l'action entreprise par le grand-père est violente et politique, ce qui ne va pas sans évoquer non plus la tradition mais certaines caractéristiques du roman des années soixante. Autre exemple: sans insister, le roman de Carrier revalorise la voix de la terre méprisée par Savard, tout en faisant place à celle de la ville où l'action violente trouve place. Cependant, ce n'est que pour mieux revenir au pays profond, terrien et forestier, abandonné par son fils Dieudonné. On en a une bonne illustration dans toutes les pages consacrées aux récits de chasse et de pêche, à toutes ces lectures de signes sylvestres où l'on reconnaît aisément la voix d'Ashini.
Si l'on s'attarde ensuite au rôle accordé ici à la femme, à la fidèle vestale de Savard et Hémon, dont le modèle remonte au moins aux Anciens Canadiens d'Aubert de Gaspé, on découvre de curieuses images. Bien sûr, l'épouse disparue de Vieux-Thomas a, comme les autres de sa génération, participé à la "revanche des berceaux," perpétué la tradition fleur-de-lysée. Mais le veuf ne se souvient plus de son nom: il ne peut l'appeler que par le sobriquet de "Défunte." Et alors le récit fait de même: la femme n'a pas de nom, surtout pas la bru, l'épouse de Dieudonné, la collectionneuse de portraits de la Reine, rechigneuse et larmoyante. Il n'y a guère que le personnage épisodique de Justine, ensorcelée par un anglo-saxon mais qui le rejettera à l'occasion d'une visite au pays natal, qui puisse revendiquer ce nom de justice et de justesse, rappelant la figure de Rose Latulippe de L'Influence d'un livre.
Au fond, le choix narratif et thématique est net: l'histoire d'amour racontée par Carrier est celle du pays ancestral, mais au sens littéral du pays des pères qui s'autogénèrent, suggérant une sorte de parthénogénèse des mâles, ce qui d'ailleurs ne va pas sans difficulté puisque la fécondation se fait du grand-père au petit-fils. Tous les fils de Vieux-Thomas sont en effet "stériles," incapables, soumis comme le chauffeur de la Cadillac patronale, ou "dérangé" comme Dieudonné qui reproduit la folie de Menaud, confiné à son village ou à sa région quand il entreprend une action libératrice.
Dans ces conditions, tout en maintenant implicitement le rôle traditionnel des femmes, le récit de Carrier dit que la liberté, sa conquête violente, folle ou raisonnée, passe par les hommes, les mâles, sans pour autant qu'elle soit assurée puisque Vieux-Thomas ne quittera sa chaise berçante que pour aboutir ficelé dans une camisole de force, immobilisé à nouveau dans un asile de vieillards. Encore une fois, la victoire est programmée mais non réalisée.
Une autre différence remarquable concerne la religion. Chez le vieux bûcheron, nous ne trouvons plus le pouvoir dominant de l'église de Samuel Chapdelaine, ni la vision mystique de Menaud. Chez Carrier, le rapport à Dieu est "protestant," "charismatique," et même trop familier. Il y a là une sorte de caricature du pouvoir divin, ou au mieux la métaphore bien filée de la conscience du vieux. Après la disparition de la vestale, c'est le temple lui-même que l'on quitte pour monter dans le car de l'histoire. . .
Ainsi, le moins que l'on puisse dire c'est que la figure accoutumée du pays se condense et se modifie tout au long de la chaîne textuelle que je n'ai fait qu'évoquer ici. D'un texte à l'autre de notre trio référentiel, nous allons du défricheur courageux à l'image du draveur mystique, puis à celle d'un bûcheron d'abord mélancolique mais finalement joyeux et entreprenant, entièrement voué au fil et au fils de la liberté, de la continuité québécoise mâle, "machiste" diront certaines lectrices. Et en même temps que la figure se déplie et se différencie, elle s'incarne dans un discours typique: du roman réaliste (et poétique), on est passé à la poésie épique pour en arriver à la parole familière du conte. L'impression première de la répétition peut persister si l'on s'arrête à la carence réaliste du discours de Carrier. Son choix d'une parole nostalgique, onirique et schizoïde, traversée graduellement par les échos du réel, ne peut construire qu'une autre image du pays rêvé, image un peu figée, celle du pays passant sur le pont de deux générations, celle d'avant-hier, forte justement de ses rêves, de sa fidélité et celle de demain, le presque aujourd'hui, aussi fragile que politisée.
Est-ce pour cela que surgit une question, posée par le texte lui-même à savoir que notre imagination romanesque contemporaine n'a que peu de prise sur le présent immédiat et que, dès lors, le pays, dans sa représentation littéraire, reste dans les limbes de la fiction? En ce cas, nous sommes ramenés bel et bien aux fictions des années soixante. Voilà peut-être pourquoi, à la suite de la longue citation de Savard-Hémon, le narrateur et porte-parole du grand-père déclare:
Jean-Thomas refermera le livre et il dira: Félix-Antoine Savard a écrit ces mots-là en 1929; maintenant, qu'est-ce qu'on va écrire dans les livres faits au pays de Québec?" Ecoutant lire son petit-fils, Vieux-Thomas maintenant comprendra ( ... ) saura que l'heure est venue de prêter, de donner ses oreilles à une Grande Histoire" (98).
Qu'est-ce qu'on va écrire dit le narrateur sinon l'Histoire elle-même? Non pas le roman historique: les majuscules de la Grande Histoire renvoient à ce que Malraux appelait "se donner au Destin." Cela n'est plus affaire de fiction, dit le texte de Carrier, qui oppose les petites histoires à la Grande, pour laquelle on ne prête pas mais on "donne" ses oreilles: derrière la drôlerie, il y a bien le don, le sacrifice, l'effort personnel à faire.
Voilà pourquoi, finalement, l'entreprise de Carrier n'est pas la pure et simple itération de 1'"évangile" de Louis et de Félix-Antoine: des contes du pays incertain nous voici ramenés à la difficile problématique du faire historique, telle qu'elle se posait à la fin de Couteau sur la table et de Prochain épisode. Le couteau de chasse du vieux sourd et la mention de l'heure II, pour historique sont des motifs qui ne relèvent pas de la répétition hagiographique de Savard et Hémon. Peut-on dire que Carrier répète alors Godbout et Aquin? De toute évidence: écrivant en 1976, il donne la parole à un vieillard des années soixante et met en scène un manifestant du fameux samedi de la matraque" (10 octobre 1964), tentant ainsi une synthèse de notre discours national, de Maria Chapdelaine à Prochain épisode. C'est un geste textuel qui porte une signitication précise: au pays de Québec, rien n'a changé ... depuis le milieu des années soixante. D'aucuns diraient même que rien n'a profondément changé depuis le début de notre histoire littéraire. Et ils auraient raison dans la mesure où notre incessante prospection sémantique du pays, je veux dire la signification même du mot que nous nous acharnons à parcourir dans nos oeuvres d'imagination, celle du territoire habité par une collectivité, toute notre géographie nationale, provinciale ou régionale, les patries petite et grande, ou même la signification métaphorique qui passe par le domaine ou le royaume, tout ce parcours littéraire du pays n'aboutit que très rarement au pays organisé, c'est à dire à l'Etat. Encore qu'il faille ajouter qu'après notre premier roman au genre "politique-fiction," Pour la patrie de Jules-Paul Tardivel, commence à lui succéder des textes récents qui tentent précisément d'imaginer l'Etat. Peut-être est-ce un signe des temps? Nous verrons plus tard quand la production sera plus consistante. Pour l'instant, le pays magique, terrien et patriotique imaginé au XIXe siècle reste présent dans nos romans de l'incertitude et de la perplexité politique.