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Les saisons d’Herménégilde Chiasson, essayiste

Robert Viau
Université du Nouveau-Brunswick

Je ne pouvais me rendre à la mort
Il fallait que je me lève (Chiasson, Mourir à Scoudouc 54)

1 Que l’Acadie existe encore de nos jours tient du miracle. Ancienne colonie française passée sous domination anglaise en 1710, elle a été dévastée à la suite de la déportation de sa population de 1755 à 1763. Les Acadiens qui avaient échappé aux soldats britanniques se réfugièrent pendant « cent ans dans les bois », pour reprendre le titre d’un roman d’Antonine Maillet. Vint ensuite l’époque de la Survivance, de la lente et patiente élaboration d’une société civile acadienne. Un fragile équilibre s’établit entre la minorité acadienne et la majorité anglo-canadienne qui avait « pris presque tout le pouvoir » et « acquis presque tout l’argent » (Savard 24). Dans les années 1960 et 1970, une nouvelle génération, nourrie de récits de l’empremier et de la Déportation, affiche une ferme volonté de rompre avec le passé et d’établir l’Acadie sur de nouvelles bases, moins doloristes, résolument modernes.

2 Parmi ceux qui ont écrit sur cette nouvelle Acadie et qui ont participé à sa fondation, le nom d’Herménégilde Chiasson occupe une place importante, tant par la qualité que par la quantité de ses écrits sur l’Acadie et sur ce que cela signifie d’être Acadien. Dans les pages qui suivent, nous tenterons de suivre l’évolution de la pensée de Chiasson, l’essayiste, tant dans le domaine de l’art que dans celui de l’affirmation nationale, en reprenant un leitmotiv que le poète a utilisé dans son recueil Climats (1996), celui du cycle des saisons et du temps qui passe.

Printemps : l’art acadien en mouvement

3 Herménégilde Chiasson (1946- ), faut-il le rappeler, a été un étudiant en beaux-arts, un artiste qui, au début de sa carrière, avait choisi de préférence les arts non linguistiques : la peinture, l’affiche et la photographie. Lorsque dans les années 1980 il commence à publier des textes d’opinion ou de réflexion, c’est-à-dire des essais1 , ceux-ci portent tout naturellement sur l’art. Dans Claude Roussel sculpteur/sculptor (Chiasson et Laurette, 1985), il rappelle le parcours de celui qui fut son professeur et un des grands artistes d’Acadie non seulement pour rendre hommage à l’artiste, mais aussi pour souligner par la même occasion l’évolution de l’art en Acadie. Figure emblématique, Claude Roussel a été un des premiers Acadiens à étudier à l’École des beaux-arts de Montréal. Après avoir complété ses études, il dut quitter l’Acadie et s’exiler en Europe afin de satisfaire pleinement son besoin d’innover. L’Acadie était alors muette et les lithographies colorées d’Évangéline ou de la Vierge de l’Assomption étaient souvent les seules formes d’art reconnues et appréciées.

4 La création de l’Université de Moncton bouleversa les structures d’enseignement traditionnelles et Roussel fut invité en 1963 à revenir au pays fonder un département des arts visuels. Par ses œuvres et par son enseignement, il favorisa l’éclosion des arts en Acadie. Ce « martyr des temps modernes », comme le surnomme Patrick Condon Laurette, s’éloigna d’un art figuratif traditionnel, participa à la « transformation d’un paysage plastique » et à la montée d’une « vision politique laïque » (Claude Roussel 81). L’art de Roussel, vivement critiqué à l’époque, annonçait les changements à venir. Comme le souligne Chiasson : « La modernité est souvent passée par les arts visuels plutôt que par des procédés plus longs tels que l’écriture ou la musique. C’est du moins le cas en Amérique » (« La dynamique de l’art acadien » 13). L’art s’étant libéré de la gangue du passé, n’était-il pas maintenant possible aux artistes acadiens de développer une vision moderne du pays qui rejoindrait l’art américain des 30 dernières années et réussirait elle aussi, comme l’écrit Chiasson, à « faire signifier la matière pour en établir la manifestation » (« Il y a cent vingt-cinq lignes » 14)?

5 Mais qu’est-ce que l’art acadien? Existe-t-il, se demande Chiasson, un art acadien « immédiatement identifiable tant au niveau de sa thématique que de sa fabrication » (« La dynamique » 11)? Dans « La dynamique de l’art acadien » (1986), Chiasson prétend que l’art acadien se démarque depuis les années 1960 par son dynamisme et par l’affirmation de sa réalité, d’une réalité qui cherche à détruire les clichés folkloriques, naïfs, comme peut l’être celui de pêcheurs placides qui réparent des filets sur le quai en fumant une pipe ou celui d’un peuple éploré partant en exil en entonnant des hymnes religieux. L’art acadien récuse le folklore. Il est en mouvement, en constante évolution et ne cesse de produire de nouvelles œuvres qui remettent en question ce qu’est l’Acadie. L’identité acadienne est alors identifiable, d’après Chiasson, par « une attitude iconoclaste, assez présente, de vouloir détruire les images pour proposer des solutions totalement en désaccord avec ce qu’on attend traditionnellement de nous » (14). Cette quête de réalité est le reflet, si embrouillé, si imprécis soit-il, de l’image moderne de l’Acadie et un rejet véhément des banalités censées représentées l’Acadie.

6 Chiasson possède une solide formation en arts visuels2 et il a traduit les idées qu’il avait développées dans sa pratique de l’art vers la littérature en transgressant les barrières isolant, les uns des autres, les différents médiums. Comme en peinture, la dynamique et la quête de l’identité acadienne s’affirment par l’appropriation d’un langage que personne n’a eu auparavant, ou du moins dont personne n’a su se servir auparavant, afin d’apporter une réponse réelle du milieu acadien. La littérature acadienne souffre pourtant d’un handicap sévère. Quand Chiasson a commencé à écrire, elle était quasiment inexistante. Chiasson ne peut que déplorer l’absence de tradition littéraire en Acadie. Personne n’avait publié (c’est du moins ce qu’il affirme3 ), sauf Guy Arsenault et Raymond Guy LeBlanc. Il s’agissait donc de produire une écriture actuelle et moderne, de parler de la réalité acadienne avec les mots acadiens et d’en parler « à une grande échelle » (Jacquot, « Entretien avec Herménégilde Chiasson » 53). Refusant de se conformer au modèle folklorique, les tenants de cette nouvelle littérature s’affirment dans la rupture. Être moderne, comme l’écrit Chiasson, c’est « donc être en rupture, en désaccord ou en opposition » (« L’Acadie : de la tradition à la modernité » 7).

7 Chiasson voulait, du moins au début, « créer des images qui fas-sent choc, comme un impact, mais en même temps avec un souffle et un rythme qui soient intéressants » (Jacquot, « Entretien » 54). Sa génération, qui a été celle du « nationalisme montant », a voulu tout bouleverser.autrefois nous faisions des plans dans les cuisines
pour changer tant de choses au son du rock-and-roll
criant dans la musique comme confus dans nos rôles
tournoyant tels des anges sur nos verres de gros gin (Climats 45)

En peu d’années, cette même génération a assisté, impuissante, à l’écroulement de ses rêves et au déclin du nationalisme à la suite d’une série d’échecs, tel celui de la lutte contre les expropriations de Kouchibouguac ou, encore plus important, celui de la Convention d’orientation nationale des Acadiens, tenue à Edmundston en 1979, qui a mis fin au rêve « séparatiste » du Parti acadien de créer une province acadienne. Dans sa poésie, Chiasson a voulu rendre compte de cette « succession de plusieurs morts » (Jacquot, « Entretien » 54).

8 Chose surprenante, l’échec du projet collectif a mené à la tentative de produire quelque chose au niveau individuel qui puisse valoriser et faire connaître l’Acadie. La passion pour l’Acadie nationaliste s’était peut-être estompée, mais les Acadiens n’avaient jamais autant parlé ni publié. Puisque le pays était un rêve inaccessible, il incombait à l’artiste d’affirmer la différence acadienne. L’art pouvait reformuler la question nationale, apporter des éléments de réponse et faire en sorte que la société puisse être touchée et puisse évoluer. Comme l’écrit Chiasson, dans une remarque mi-figue, mi-raisin, « il est certain que cette identité serait plus à l’aise dans un espace où elle pourrait enfin se suffire, mais son existence même est une affirmation et une revendication » (Chiasson et Lacelle, « Portraits d’auteurs » 181).

9 L’Acadie est peut-être un pays perdu dans les brumes de l’histoire, mais elle s’est fait connaître aux quatre coins du monde par ses œuvres de fiction. À la frontière entre l’américanité et la francité, l’Acadie fascine. Sa littérature apporte une vision neuve à des débats qui ont lieu à l’heure actuelle. Étant relativement jeune, la littérature acadienne n’a pas perdu « son attrait du réel », « son espèce d’immédiateté » (Jacquot, « Entretien » 56), comme le rappelle Chiasson, et son impact. Elle évoque des choses quotidiennes, réelles, qui lui permettent de toucher le monde entier et de témoigner de son destin.

10 Pourtant, il n’y a pas si longtemps, dans l’univers culturel franco-phone du Canada, l’Acadie était dévalorisée et réduite à la part congrue. Face au Québec plus riche et plus puissant, que représentait l’Acadie? Si au 18e siècle Montesquieu pouvait écrire « Comment peut-on être Persan? », il fut une époque où un Québécois pouvait se demander « Comment peut-on être Acadien? » Est-ce pour éviter cette catégorisation et se fondre dans la masse québécoise que de nombreux Acadiens ont fui les Maritimes et fait carrière à Montréal? Face à cet « ailleurs » montréalais qui attire et rebute, qui saigne les forces vives de l’Acadie, Chiasson a voulu « dire tout haut les choses que certains n’ont jamais osé penser tout bas » (« Pour saluer Gérald Leblanc » 10), quitte à froisser quelques personnalités du monde littéraire.

Été : les feux de la polémique

11 Herménégilde Chiasson est avant toute chose un artiste et non un polémiste. Comment est-il devenu critique et figure tutélaire de la culture acadienne? Le tout a commencé par une série de prises de position qui l’ont placé dans une situation où il a dû se compromettre face à ses confrères artistes et ce, dans une société acadienne « où l’unité et la bonne entente étaient alors considérées comme des vertus nationales » (« Parcours artistiques d’une Acadie » 74)4 . Chiasson s’est toujours défendu d’être un littéraire ou un critique dûment formé par les universités, et s’il joue le rôle d’un intellectuel, il le fait avec toute la fougue et l’impétuosité de l’artiste : « Le rôle que je joue, dit-il, c’est celui d’un intellectuel, alors que je ne suis pas préparé pour cela. Je suis un artiste, et c’est pourquoi mes propos ne sont pas nuancés. Je parle comme un artiste, donc à partir d’une passion » ([s.a.], « Table ronde sur l’identité » 221). Cette passion, subjective, vécue et sentie, peut l’entraîner à faire de la polémique et occasionner des querelles d’une véhémence telle que le milieu artistique acadien en a rarement connu. Ainsi, la question nationale prend un tour décisif lorsque, sur un ton incisif, Chiasson aborde le lien entre les artistes acadiens et l’exil. Dans « Ah! la vie d’artiste… en Acadie! » (1989), il lance un véritable pavé dans la mare en dénonçant les artistes qui ont quitté l’Acadie pour vivre ailleurs, et particulièrement au Québec.

12 Les artistes acadiens, comme il l’affirme, ont un rôle et une responsabilité, celle de proposer « des idées de sociétés nouvelles » et d’« aider à reconstruire » l’Acadie. Cette société nouvelle ne peut être édifiée à partir de Montréal par des artistes d’origine acadienne qui habitent la métropole depuis des années et reviennent en Acadie « seulement en touristes, durant deux mois sur une plage ensoleillée » (« Ah! la vie d’artiste » 22), ou encore, « qui durant l’été reviennent arrondir leur pécule pour ensuite s’en retourner et dire à quel point la réserve a changé, à quel point elle a vieilli et que sur la rue Saint-Denis, la vie est dont belle et la bière dont bien bonne » (« Le rôle de l’artiste » 322). Le combat pour édifier une société acadienne viable se livre quotidiennement dans l’Acadie des Maritimes et non ailleurs. L’artiste qui à la fois témoigne et agit sur l’Acadie doit se définir à partir de ce lieu : « l’écrivain, l’artiste, écrit-il, se voit obligé de se poser la question de son appartenance et plus précisément de son lieu. Lieu d’origine, lieu d’habitation mais encore et surtout lieu de fonctionnement, lieu d’affirmation » (« D’ici là... sauf peut-être des fragments » 1).

13 Cette querelle entre les Acadiens des Maritimes et ceux de Montréal a secoué l’Acadie au début des années 1990. Chiasson a dressé à plusieurs reprises un impitoyable réquisitoire contre ces Acadiens qui, parce qu’ils sont « coupés de leur base, proposent une vision folklorique qui n’a plus rien à voir avec la réalité vécue par les communautés dont ils proviennent » (cité par Robichaud, « Herménégilde Chiasson » 346). Il s’insurge contre ceux qui présentent à l’étranger une vision difforme, exotique et « charmante » de l’Acadie, qui serait surtout celle de « gens simples, de braves gens quoi, avec des mots simples, une philosophie simple, des gens qui regardent au loin sur la mer avec des mots exotiques et un accent chantant. […] Voilà ce qu’on vend aux touristes qui viennent nous ouère » (« Triptyque » 8).

14 D’après Chiasson, le Québec apprécie cette vision traditionnelle, benoîte, de l’Acadie. Il y reconnaît une image de ce qu’il était dans le passé et de ce qu’il n’est plus. Le Québec, posant un « regard anthropologique » (cité par Robichaud, « Herménégilde Chiasson » 346) sur l’Acadie, peut alors se conforter dans sa position de bastion avancé de la civilisation française en Amérique et mesurer le chemin parcouru. Plutôt qu’aider l’Acadie à s’affirmer et à devenir un partenaire égal, plutôt qu’établir une véritable « reconnaissance de l’autre » (Arcand, « La Sagouine, de Moncton à Montréal » 194), le Québec, profitant de l’inégalité constitutive des deux provinces, semble tout faire pour main-tenir les Acadiens dans une position d’infériorité, quand il ne les ignore tout simplement pas. Ce constat s’applique d’ailleurs à l’ensemble de la francophonie canadienne : « C’est un fait, précise Chiasson, que, culturellement parlant, le Québec gère la francophonie canadienne, mais il la gère en fonction de ses options politiques et non en fonction des réalités culturelles de ces territoires » (« Les solitudes parallèles » 88).

15 Les Acadiens seraient-ils devenus les colonisés des anciens colonisés québécois? C’est du moins ce que prétend Chiasson. Les Québécois, écrit-il, « malgré leur refus de l’indépendance, continuent de s’afficher comme une nation souveraine dont nous serions la colonie » et « Les Québécois sont ainsi devenus nos Français, recréant à l’échelle la domination que les Français exerçaient sur eux avant la Révolution tranquille » (« Ah! la vie d’artiste » 21, 22). Le Québec reproduit les mêmes contradictions, les mêmes visées coloniales. Plutôt que tenter de comprendre le dilemme acadien, il l’augmente en cantonnant les Acadiens dans une sorte de ghetto que ceux-ci commençaient à peine de quitter. L’identité acadienne est ainsi définie selon des critères québécois, réduite à une différence présentée comme étant inférieure. C’est pourquoi les Acadiens ne peuvent être perçus comme porteurs de discours. Après tout, comme le constate Chiasson, « ils ne peuvent que figurer dans une histoire racontée par quelqu’un d’autre » (« Comment traverser le tain » 7), de préférence de Montréal, ou jouer le « rôle de figurants dans un film muet » (« Oublier Évangéline » 161).

16 Face à cette image made in Québec et ensuite proposée aux Acadiens, ces derniers deviennent incapables de se trouver, de coïncider avec ce qu’ils sont, et ils doivent se maquiller et se déguiser dans une véritable mascarade de la mi-carême pour être acceptés et reconnus au Québec. Les Acadiens sont ainsi définis comme des êtres figés dans un passé aseptisé, bon enfant (comme peut l’être cette « île pastellisée » [Climats 60], l’Île-aux-Puces, que l’on surnomme le Pays de la Sagouine et qui incarne, d’après Chiasson, « une Acadie aux pignons verts pour autobus japonais » [« D’ici là » 3]). Ils ont cet accent charmant (quand il est celui de la Sagouine) qui est une « sorte de cœur du frère André linguistique qui nous ramène à un passé bucolique et gouailleur dont on ne retrouve plus trace si ce n’est dans les couches sédimentaires de notre mémoire collective ou dans son état cryogéné de l’Île-aux-Puces» (« Comment traverser » 12).

17 Face à la simplicité réductrice du mythe, les Acadiens, se demande Chiasson, seront-ils éternellement pris en otage « par le folklore et tous ceux qui auraient voulu que nous mourions dans notre accent en parlant p’tit nègre, emmurés vivants dans les Villages Acadiens de la planète » (« Pour saluer » 8)? […] dans le centre [Montréal] on ne veut voir que notre image passéiste et folklorique de génocidés, ce qui ne nous promet pas grand-chose si ce n’est la chance de montrer encore et toujours cette blessure qui n’en finit pas de s’ouvrir. Alors oui faites-nous un beau spectacle de cicatrices comme vous savez si bien le faire. Et nous verrons. Parlez petit nègre. Et nous verrons. Donnez-nous des raisons de nous sentir supérieurs, glorieux et d’être à la droite de Dieu. Et nous verrons. N’élevez pas trop la voix surtout, Dieu n’aime pas qu’on le réveille. Développez l’art de parler pour qu’on vous entende sans vous écouter pour qu’ensuite on puisse vous expliquer à vousmêmes. Directement du centre, là où tout est passé au tamis de la raison d’État. Et nous verrons. (« La peine du dam » 5)Dans les essais de Chiasson, le Québec devient emblème de l’exclusion. Il est cet « autre qui nomme, qui renfloue [l’Acadie] dans le hors-Québec, dans l’arrière-pays » (« Trente identités » 278). Ce hors-Québec que Chiasson compare à un « hors contexte, hors-jeu, hors commerce, hors série, hors cadre, hors-concours, hors d’ordre, hors-la-loi, hors-d’œuvre ». Hors-Québec, comme on disait auparavant « Hors de l’Église point de salut » (« Trente identités » 270).

18 Pourtant, l’Acadie n’est pas une colonie du Québec, et cette dénonciation vise principalement les artistes acadiens vivant à l’extérieur de l’Acadie, mais qui persistent à se dire les représentants de cette même Acadie. Le fait de choisir de partir ou de rester est fondamental, d’après Chiasson, à la constitution de deux visions de l’Acadie, l’une fausse et folklorique, l’autre moderne et représentative de la nouvelle Acadie. Les Acadiens « de la diaspora », comme il les nomme, sont les représent-ants de cette première vision. Ils ont mis en avant la notion d’un pays sans territoire, ce qui consiste à dire que « l’Acadie existe là où il y a un Acadien » (« Triptyque » 3). Tels les personnages d’Antonine Maillet qui s’installent sur une île de foins dorés « qui se ballottait doucement au creux des vagues » (Don l’Orignal 165) ou qui errent sur le continent dans les charrettes de Pélagie, ils transportent avec eux leurs « racines flottantes » (Pélagie-la-Charrette 20). Cela leur permet de justifier une identité complaisante dont le folklore est le sésame qui leur permet d’être agréés par le Québec et de faire recette dans les médias. Ils deviennent ainsi complices dans la constitution et le maintien de l’image folklorique de l’Acadie. Afin d’acquérir la notoriété, ils se conforment à l’idéologie que le Québec entretient à l’égard du pays, jouant sur « le folklore, l’accent ou [la] douceur » de gens qui doivent « venir de la mer » (« Ah! la vie d’artiste » 22).

19 Ce faisant, les Acadiens de la diaspora font alliance avec le Québec pour « enlever la parole à ceux qui, sur le territoire, s’acharnent à main-tenir une présence » (Chiasson, cité par Robichaud, « Herménégilde Chiasson » 347). Ces « ambassadeurs » (« sans doute, précise avec ironie Chiasson, parce qu’ils ou elles n’habitent plus l’Acadie » [« Triptyque » 5]) « tiennent devant nous ce miroir déformant où nous ne nous reconnaissons plus » (« Espace littéraire » 4) et sont davantage écoutés que ne le sont les artistes du pays (qu’il surnomme les « artistes témoins […] qui articulent les aspirations profondes de la collectivité » [« Et la polémique continue » 13]), car ils ont accès aux médias et aux importantes institutions littéraires et culturelles de la métropole québécoise, et peuvent ainsi profiter pleinement des contrats, subventions et bourses.Cette Acadie du territoire, si l’on veut, se voit contre-balancée et souvent infirmée par une Acadie de la diaspora dont le Québec est devenu le fer de lance et la base organisationnelle et qui projette le plus souvent une série de clichés passéistes, de lieux communs qui marginalisent et banalisent l’autre, celle du territoire […] L’avantage de cette Acadie fabriquée au Québec est qu’elle dispose d’une infrastructure autrement plus solide et plus performante que la nôtre, une infrastructure qui souvent contrôle celle du territoire qui lui apparaît souvent comme encombrant. (« Les solitudes » 87, 88)Il est plus facile, comme le souligne Chiasson, de donner la parole à un auteur dont la célébrité a été fabriquée au Québec, dont on connaît les dires et propos, pour qu’il serve de « guide », plutôt que de prendre le risque de donner la parole à des auteurs moins complaisants, mais au discours plus vrai, et de « s’aventurer sur un terrain miné au milieu des rapetisseurs de tête et qui font montre d’une nature forcément hostile » (« Comment traverser » 9).

20 Comme l’exprime à maintes reprises Chiasson, « il est illogique que la conscience de l’Acadie émane de l’extérieur » ([s.a.], « Table ronde » 209) et encore plus que des Acadiens participent à cette subversion de leur pays, tout comme d’ailleurs il serait illogique que « des Québécois qui sont en France ou en Floride » formulent l’idée du destin du Québec ([s. a.], « Table ronde » 208). Comme le rappelle le poète Raymond LeBlanc : « Nous sommes les seuls à vivre notre avenir » (cité par Chiasson, « Zen et l’art d’être francophone » 26). Cette dénonciation des Acadiens qui ont choisi le Québec est en fait un refus de toute vision folklorique de l’Acadie qui ne s’attaque pas aux vrais problèmes du pays et ne comprend pas le rôle de l’écriture acadienne qui consiste à définir ces problèmes et à les résoudre, à mettre fin à cette époque pas si lointaine où, comme le rappelle Chiasson, « nous n’avions pas de nom pour nous nommer et pas de visage pour nous parler » (« Pour saluer » 8).

21 Somme toute, le départ d’artistes acadiens à Montréal et leur intégration à l’institution culturelle québécoise, alors qu’il y avait tant à faire au pays, ont été perçus en quelque sorte comme une « trahison » par ceux qui tentaient de fonder des institutions culturelles acadiennes. Les Acadiens de la diaspora n’avaient-ils pas fui la « médiocrité » du Nouveau-Brunswick et ne regardaient-ils pas avec condescendance ou mépris le monde qu’ils avaient laissé derrière et dont ils ne connaissaient plus grand-chose?

22 Que cette impression soit fondée ou le résultat d’un sentiment d’insécurité et d’injustice, il fallait réagir car une nouvelle Acadie se construisait en Acadie alors qu’on propageait l’image d’une Acadie de pacotille à Montréal. La grande notoriété des Acadiens de la diaspora obnubilait la tentative plus modeste et beaucoup moins visible de redéfinition de l’identité acadienne en fonction de la modernité naissante qui se faisait dans les Maritimes. Au proverbe « a beau mentir qui vient de loin » s’opposait celui qui stipule que « nul n’est prophète en son pays ». Toutefois, malgré la disproportion des moyens et des réputations, les véritables artisans de la nouvelle Acadie se devaient de faire entendre leur voix et de remettre à leur place ceux qui étaient partis, mais qui prétendaient toujours parler au nom de l’Acadie.

23 Mais qui sont ces artistes qui avaient abandonné le pays? Chiasson ne nomme personne (bien qu’il n’hésite pas à épingler l’œuvre d’Antonine Maillet à maintes reprises5 ). Que ceux qui se sentent visés se le tiennent pour dit! Toutefois, à un moment ou à un autre, de nombreux artistes acadiens, et non des moindres, ont choisi de vivre « ailleurs » afin de se faire connaître et de vivre de leur travail. On peut ainsi nommer, parmi les écrivains, Antonine Maillet, Guy Jean, Ronald Després, Jacques Savoie, Claude LeBouthillier, Serge Patrice Thibodeau, Louis Comeau, Calixte Duguay et Rino Morin Rossignol, et parmi les chansonniers, Édith Butler et Angèle Arsenault. Mais ces artistes ont-ils vraiment proposé une vision folklorique de l’Acadie? Ne s’agissait-il pas plutôt d’un choix de carrière et d’une affirmation de l’Acadie dans les lieux de prises de décision?

24 Se sentant interpellés, certains auteurs ont répliqué. Maillet rappelle que si elle a publié ses romans chez Leméac, à Montréal, c’est parce qu’il n’y avait pas de maison d’édition acadienne en 1958 lorsqu’elle a commencé à écrire, et que si elle a choisi de vivre à Montréal, c’est que le milieu artistique lui était plus favorable « à cause des théâtres, des éditeurs, du groupe culturel plus important » (Jacquot, « Les auteurs acadiens de la diaspora » 88). Guy Jean, un ex-prêtre, a quitté l’Acadie car, à son époque, il fallait garder le silence face à ce qui le révoltait. Il est parti pour fuir la censure et mieux s’exprimer. LeBouthillier, plus combatif, dit s’être installé au Québec pour échapper à « l’étouffement psychologique que l’on subit dans un petit milieu et qui menace de nuire à l’œuvre » (Jacquot, « Les auteurs acadiens » 89). Il a ainsi évité les « véritables guerres tribales » (Jacquot, « Les auteurs acadiens » 89) qui secouent le milieu littéraire de Moncton. Cette position est reprise par Rino Morin Rossignol, qui définit l’exil comme « le lieu stérile où les racines se déshydratent, s’anémient, s’atrophient, sèchent », sauf que, pour lui, ce lieu, « c’était Moncton » (Robichaud, « Exil et exclusion » 56). Savoie, de son côté, récuse le terme de « traître », affirme n’avoir « jamais vraiment exploité les thèmes acadiens6 » et déplore « qu’un excès de langage glisse vers la xénophobie » ([s.a.], « Table ronde » 221). Les écrivains signifient ainsi leur liberté fondamentale et leur peur du ghetto, et tous persistent à se définir comme des Acadiens, malgré le fait qu’ils habitent le Québec.

25 Herménégilde Chiasson en tant qu’essayiste n’est pas porté à la nuance et préfère séparer les artistes acadiens entre ceux d’ici et ceux de là-bas, entre le bon grain et l’ivraie. A-t-il bien fait d’établir une telle distinction « entre ceux qui nous articulent de loin et de l’extérieur et ceux qui tirent le diable par la queue pour faire en sorte qu’il y ait des institutions et une présence » (« Visions de Gérald » 11)? A-t-il, pour les besoins de sa démonstration, fabriqué des épouvantails pour mieux les renverser? Tout récemment, il écrivait au sujet de ces années de feu : « nous étions [Gérald Leblanc et lui] devenus des sortes d’ultras d’une vision qui se voulait d’ici en s’opposant à ceux qui, de l’extérieur, articulaient un discours dont le folklore constituait souvent la vision édulcorée et rassurante » (« Visions » 11). Cependant, et il faut le souligner, si cet « ultra » n’avait pas eu recours à la polémique et à des images-chocs pour traduire ses positions radicales, son message aurait-il été entendu?

26 Grâce à ses interventions, Chiasson a provoqué un débat sur le rôle de l’artiste acadien et le besoin d’institutions culturelles proprement acadiennes, contrôlées à partir de l’Acadie. En prenant la parole et en n’hésitant pas à critiquer l’hégémonie culturelle québécoise et à stigma-tiser la conduite des artistes acadiens à Montréal, Chiasson a exprimé l’humiliation ressentie par lui-même et par les artistes des Maritimes, et a mis de l’avant le projet de toute une génération d’artistes de créer et d’affirmer la valeur d’une Acadie culturelle d’ici et de maintenant. Il a rappelé l’urgence de rapatrier la vision acadienne et de faire en sorte que les Acadiens puissent se voir dans un miroir qui leur renvoie « une image sur laquelle [ils ont] un certain contrôle » (« Comment traverser » 12).

27 Près de 20 ans après la publication de « Ah! la vie d’artiste… en Acadie! », tout n’est pas parfait7 , mais il y a tout de même eu une grande amélioration dans les conditions de création comparativement à ce qui se faisait auparavant. L’Acadie a su affirmer sa présence et revendiquer une part des subsides aux activités culturelles. Cependant, pour créer et présenter le fruit de son travail, encore faut-il qu’il y ait un pays littéraire, un espace où les artistes d’ici puissent écrire, être publiés, être lus et joués sur scène. Où se trouve le véritable centre de l’Acadie moderne? Celle-ci peut-elle coexister avec un passé omniprésent, obsédant?

Automne : les fruits du pays

28 En Acadie, la vision passéiste du pays entretenue par certains auteurs et historiens nostalgiques d’un empremier-paradis terrestre qui n’a jamais existé est, d’après Chiasson, une forme de « folklorite aiguë » (« Triptyque » 8). Celle-ci s’incarne surtout dans le souvenir lancinant de la Déportation, « cette vieille blessure qui n’en finit plus de s’ouvrir » (« Pour saluer » 11), et l’époque héroïque de la Survivance. Cette fascination maladive du passé empêche l’Acadie actuelle de s’affirmer8 :Personne ne parle de notre vie. Nous sommes dépassés par notre survie. Culturellement nous savons tous que le modèle folklorique est invivable puisque la tradition sur laquelle il s’appuie, et qu’on veut conserver à outrance, ne permet plus de produire de nouvelles œuvres et ne permet plus d’avoir accès à l’essence de notre réalité actuelle. (Chiasson, cité par Robichaud, « Herménégilde Chiasson » 346)Mourir à Scoudouc (1974), le premier recueil de poèmes de Chiasson, représente déjà ce désir de « mourir à une certaine Acadie pour en découvrir une nouvelle » et cherche à mettre fin à cette Acadie « qui pleurniche sur sa “malheureuse histoire”, qui se dit “on a beaucoup souffert” » (Chiasson, cité par Arcand, « Imposer la sensation » 136). D’après Chiasson, il faut mourir à cette Acadie-là.

29 Malgré les injonctions de l’ancienne élite clérico-nationaliste acadienne, l’avenir du pays n’est pas « du côté du passé » (« Pour saluer » 9) et du ressassement continuel du bonheur de l’empremier, du pays perdu et des malheurs résultant de la Déportation. Pour reprendre une image qui revient fréquemment dans l’œuvre de Chiasson, on ne peut conduire une voiture en ayant le regard fixé sur le rétroviseur. Chiasson pose alors le problème du temps et de l’espace dans le contexte particulier de l’Acadie : « Pouvons-nous exister dans le temps seulement en continuant de nier notre espace? » (« Pour saluer » 11). Il faut préciser qu’en Acadie l’espace (à la suite du traumatisme de la Déportation), comparé au temps, a toujours fait défaut. C’est pourquoi Chiasson situe l’identité moins dans une lignée historique que dans un territoire. Comme il l’explique : « J’ai toujours cru qu’un Acadien c’est celui ou celle qui habite l’Acadie et qui est habité par elle » (« Triptyque » 7). Il s’agit donc de devenir des « paysagistes », c’est-à-dire de « mettre en évidence le fait qu’il nous faut désormais aménager l’espace au lieu de pleurer sur le temps perdu qui, comme le dit la chanson, jamais plus ne se remplace » (Chiasson et Lacelle, « Portraits d’auteurs » 173).

30 L’identité acadienne est ainsi établie sur une notion de territoire qu’il s’agit d’occuper et de nommer. Toutefois, ce pays s’articule dans une province où l’Acadien est minoritaire, et dans une ville, Moncton, où l’Acadien a longtemps été méprisé, où il se faisait dire « que sa culture en [était] une de catacombe » (« Secteur culturel » 3) puisqu’il fallait parler français quasiment en cachette. Comme le rappelle Chiasson : « Moncton. Un espace difficile à aimer (un espace difficile pour aimer), une ville qui nous déforme et où nous circulons dans les ramages du ghetto. Et pourtant, c’est de cet espace que jaillit notre conscience, vécue dans les méandres de la diaspora et articulée dans un faisceau rutilant de colère et d’ironie » (« Pour saluer » 7).

31 Dans le recueil L’extrême frontière, Gérald Leblanc pose cette question : « Qu’est-ce que ça veut dire, venir de Moncton? », avec une variante : « Qu’est-ce que ça veut dire, venir de nulle part? » (161). Pourtant, la poésie de Leblanc nous rappelle que l’identité acadienne d’aujourd’hui, pour le meilleur ou pour le pire9 , ne peut occulter Moncton (voir Paré, « Acadie City ou l’invention de la ville »; Boudreau, « La création de Moncton »). C’est dans cette ville aux deux tiers anglophone, « anglais au dehors et français dans le secret » (Climats 41), que se trouve la quasi-totalité de l’infrastructure culturelle de l’Acadie. La ville de Moncton est devenue « le centre de la modernité acadienne au sens, écrit Chiasson, où c’est dans cette ville que se sont concentrées les forces vives de ceux qui cherchent à établir un nouveau discours de l’acadianité » (« Je est un autre » 108).

32 Les poètes de la génération de Chiasson – Raymond Guy LeBlanc, Gérald Leblanc, Rose Després, France Daigle, Guy Arsenault, Dyane Léger – ont investi Moncton et participé à sa transformation. Malgré ses contradictions et ses tensions, seule la ville de Moncton, grâce à son campus universitaire, aux idées qui y circulent et aux débats qu’on y tient, peut décloisonner, du moins d’après ces auteurs, une Acadie traditionnelle et enfermante, et faire émerger une conscience neuve, libérée des avatars folkloriques. La ville a attiré et continue d’attirer des Acadiens des autres régions de sorte que la grande région de Moncton-Dieppe est maintenant la plus peuplée du Nouveau-Brunswick et offre une infrastructure urbaine nécessaire au développement des arts.

33 C’est à Moncton, face à l’intransigeance du maire Leonard Jones et de tous ceux pour qui les Acadiens devaient demeurer à jamais margin-aux et soumis, qu’est née une nouvelle conscience de l’Acadie. Tous les essais de Chiasson proclament l’urgence « de nommer le pays, de lui trouver un espace, de lui donner un discours, de lui donner une dignité » (« Triptyque » 9). C’est cette âme acadienne que les artistes doivent maintenant faire surgir de leur œuvre. Je ne dis pas qu’il faille écrire le mot Acadie à toutes les deux lignes ou peindre des poutines râpées ou jouer des gigues à s’en user les doigts, mais je crois qu’il ne faut pas avoir peur désormais de parler de ce lieu là, d’en affirmer la grandeur en disant que le monde ne finit pas à la limite du village et que la communauté dont nous parlons touchera les autres communautés dans la mesure où nous en parlerons comme des témoins. (« Le rôle » 329)L’artiste a un rôle essentiel à jouer. Il est « celui qui a vu, qui a entendu, qui a ressenti les choses et qui leur a donné une forme » (« Le rôle » 321). Il témoigne et insuffle du sens à une réalité déficiente. D’après Chiasson, il doit « traduire dans la forme la plus conséquente une réalité fuyante, floue ou problématique; l’articuler pour la rendre signifiante, pour en faire du langage et en tirer des conclusions approximatives. Car tout est à recommencer, à revoir, à redire, et c’est sans doute ce qui fait la merveille de vivre, d’être présent, de témoigner » (« Le cinéma acadien » 57-58). Témoigner pour prendre la parole, mais aussi pour ne pas être oublié, n’est-ce pas aussi la hantise de l’Acadie même? L’artiste rejoint le pays dans ce refus de disparaître, d’être déporté dans l’oubli. Le combat individuel pour se faire entendre se confond alors avec le combat pour le pays dans un vibrant plaidoyer pour une reconnaissance du caractère unique et irremplaçable de l’Acadie.

34 Se proclamer de l’Acadie, c’est à la fois affirmer sa différence et prendre conscience d’avoir rejoint la masse des êtres humains. C’est, comme l’écrit Chiasson, « l’affirmation existentielle de notre particularité individuelle » confrontée à toute une autre série de décisions qui remettent en question le vivre ici et maintenant. Comme le rappelle Chiasson, « nous sommes, à l’heure actuelle, la première génération d’artistes à avoir joué le tout pour le tout sur l’Acadie, à vouloir habiter cette communauté, à vouloir lui donner un visage » (« Le rôle » 322). « Comme dans la Bible, écrit-il, les choses se mettent à exister du moment où on les nomme » (« Relire Guy Arsenault » 10). La littérature acadienne était donc « arrivée en ville », pourrions-nous dire, et accédait à la parole en s’insérant dans une cité nommée en l’honneur d’un des hauts responsables de la Déportation10 .

Hiver : Son Excellence

35 « Traversée », c’est ainsi qu’Herménégilde Chiasson intitule un essai paru en 1998. Une traversée, comme il le rappelle, est « un mouvement relatif à une distance parcourue » (« Traversée » 77). Chiasson a participé à l’élaboration d’une littérature acadienne. Il en est devenu le plus illustre représentant. Au tournant du millénaire, quel est le bilan? Dans cet essai, il souligne le fait que de plus en plus de jeunes auteurs acadiens choisissent de s’exprimer en anglais, une langue qu’ils parlent et qui les inspire, quand ce n’est pas le chiac, qui n’est que « la langue de l’abandon », « un passage, un Rubicon linguistique » (« Mourir est un jeu d’enfant » 172, 169). L’anglais, qui est omniprésent dans les nouvelles technologies et les médias, n’est-il pas perçu en Acadie comme une langue de laquelle « émane une vibration continentale et planétaire qui permet de circuler incognito dans tous les milieux » (« Mourir est un jeu » 169)? L’anglais ne permet-il pas aux jeunes auteurs de « se retrouv[er] ainsi dans une vibration large et fonctionnelle qui ressemble au latin quand les moines l’écrivaient de préférence aux langues vulgaires » (« Traversée » 87)?

36 Chiasson exprime un malaise qui, sans aller jusqu’à la mort lente et très annoncée des Acadiens (que Radio-Canada et Statistique Canada prennent plaisir à souligner à chaque occasion), révèle un pessimisme croissant. Ce qui se perd, rappelle Chiasson, c’est sans doute « un pont d’ancrage dans une culture, un sens de la continuité ou de l’éclat » (« Traversée » 87). Chiasson déplore la perte de la ferveur et du « désir de faire porter les mots » (« Traversée » 87) qui avaient animé sa génération. Peut-être que ces luttes leur semblent [aux jeunes poètes acadiens] d’une autre époque et qu’il vaut mieux dorénavant se concentrer sur des entreprises dont l’ouverture favorise les déplacements et surtout une vision plus intime, une expression plus ciblée sur les mythologies personnelles et sur la culture anglophone comme véhicule d’une perspective planétaire. (« L’Acadie pays sans frontières » 12)Depuis une trentaine d’années, les auteurs affirment l’existence de l’Acadie sur les lieux mêmes où elle se trouve, mais comment maintenir l’élan premier, comment concilier l’Acadie avec les enjeux de la cybernétique et d’un monde virtuel où prédomine la langue anglaise?

37 Ce problème ne se limite pas à une querelle de langue. Ces remarques dénotent aussi un désaccord et une remise en question du statut d’Herménégilde Chiasson par de jeunes écrivains acadiens qui ne se reconnaissent plus dans les propos ou dans les combats de cette « figure d’autorité ». Depuis les années 1970, Chiasson a publié une vingtaine de recueils de poésie, réalisé une quinzaine de films, participé à une centaine d’expositions de peintures et écrit et fait jouer plus de 25 pièces. Après avoir remporté (et ceci ne constitue qu’une courte sélection des honneurs qu’il a reçus) le Prix France-Acadie, le Prix du Gouverneur général, le Prix Pascal-Poirier pour l’excellence en arts littéraires au Nouveau-Brunswick, le Prix quinquennal Antonine-Maillet–Acadie Vie pour l’ensemble de son œuvre, le Grand Prix de poésie Léopold-Sédar-Senghor, et après avoir été récipiendaire de l’Ordre des francophones d’Amérique, nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, et obtenu des doctorats honorifiques, Chiasson avait acquis une stature qui pouvait jeter de l’ombre sur les jeunes auteurs qui cherchaient à se forger un nom. Il avait occupé le devant de la scène acadienne depuis (trop?) longtemps, « assisté à plusieurs premières en Acadie », comme il l’écrit, et « fait partie d’un certain nombre d’entre elles » (« Trajectoire » 39). Il était devenu un incontournable qu’il fallait dépasser ou tasser, et Chiasson en était conscient :Qui dit générations dit aussi conflit de générations, ce long et obsédant combat pour le contrôle et le pouvoir idéologique. Bien que les enjeux soient ici d’une modestie accablante, cette tension s’est tout de même fait sentir entre les deux dernières générations. J’ai souvent dit que s’il fallait un père à tuer, j’étais prêt à jouer ce rôle car je crois que ce conflit et ce respect sont essentiels à l’affirmation d’une vision et d’un renouvellement de la pensée. (« Considérations identitaires » 18-19)Mais le débat n’aura pas lieu. Pouvait-il en être autrement quand les protagonistes ne parlent plus la même langue et n’ont pas la même vision de l’art, quand un groupe se préoccupe uniquement du chiac, de ce que Chiasson nomme la « créolisation du langage » dans sa dimension formelle, tout en négligeant son symbole politique ou social (voir Chiasson, cité par Doyon-Gosselin 17)? Tout discours est évacué lorsqu’on se concentre uniquement sur le comment et non sur le quoi ou le pourquoi du propos. N’y a-t-il pas dans cette démarche une régression ou un abandon au niveau du projet initial acadien? N’est-ce pas un nouvel enfermement, car le chiac est un phénomène urbain, concentré dans la région de Moncton, et même une nouvelle forme de folklore? Comme le souligne Chiasson, « son exotisme [celui du chiac], son rythme, son impertinence sont déjà vus, au Québec surtout, comme un élément fantaisiste qui nous enferme à nouveau dans une identité étrange et exotique au même titre que le fut le discours de la tradition [celui de la Sagouine] qui nous a précédés » (« L’Acadie : de la tradition » 11).

38 D’une certaine manière, Chiasson échappa à cette querelle intergénérationnelle qui perdurait en acceptant le poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick le 15 août 2003. Toutefois, cette nomination suscita une querelle encore plus vive. De chef de file de la modernité acadienne et d’une génération « en révolte », Chiasson devenait représentant de Sa Majesté la reine Élisabeth II. La nouvelle suscita tout un émoi dans la communauté acadienne11 tant parce qu’elle était inattendue que parce qu’elle semblait contradictoire avec les prises de position passées de Chiasson. Le représentant le plus illustre de l’Acadie militante, celui qui avait été « le critique le plus profond, aussi bien de la société acadienne elle-même, que des forces qui l’aliènent » (Boudreau « L’écrivain » 193), devenait lieutenant-gouverneur, institution jugée caduque par un grand nombre de Canadiens, et représentant de la reine du Royaume-Uni et du Canada. Ironie du sort, cette reine Élisabeth II est la descendante de George II, qui avait sanctionné la Déportation en accordant des promotions aux militaires qui avaient exécuté ce « great and noble scheme » (Viau, Grand-Pré 19), comme l’avait qualifiée à l’époque le lieutenant-gouverneur Charles Lawrence.

39 Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi Herménégilde Chiasson? Rien ne prédisposait cet artiste à occuper un tel poste politique. Chiasson était un artiste reconnu pour son avant-gardisme et pour ses vives polémiques alors que le poste était normalement réservé à des politiciens en fin de carrière ou à des membres du parti au pouvoir12 . Nommé lieutenant-gouverneur par le premier ministre Jean Chrétien, Chiasson avait réalisé un film, Acadie à venir (1992), où il avait sévèrement critiqué le parachutage de Chrétien, alors nouveau chef du Parti libéral du Canada, dans le comté de Beauséjour. Enfin, en acceptant le poste, Chiasson consacrait sa position d’écrivain institutionnalisé, lui qui s’était tant élevé contre des auteurs reconnus et « statufiés » comme Antonine Maillet. Il y avait de quoi être étonné.

40 Pourtant, personne n’osera sérieusement remettre en question le travail accompli par Herménégilde Chiasson. Dans son rôle officiel, il a fait de l’alphabétisation, de la culture et de la reconnaissance des Premières Nations les grandes priorités de son mandat. Pendant six années, de 2003 à 2009, il a sillonné la province du Nouveau-Brunswick et a redonné un lustre et du prestige au poste de lieutenant-gouverneur, cherchant constamment à promouvoir l’ouverture et la concertation. Malgré l’aspect très protocolaire du poste, il a continué son activité artistique, mais de façon plus modérée. Cette découverte, ou plutôt cette redécouverte, du Nouveau-Brunswick lui a permis de côtoyer des gens issus de toutes les strates de la société, tant des anglophones que des francophones et des Amérindiens, ayant des préoccupations souvent éloignées de celles de l’artiste.

41 Chiasson a tenté de rendre compte de la mosaïque que forme le Nouveau-Brunswick en prononçant à quelques reprises des discours qui suivent le format d’un abécédaire, chaque lettre évoquant un aspect de la province. […] j’ai concocté, dit-il, un système que je trouve à la fois amusant et stimulant, soit celui de créer un alphabet. J’ai toujours été fasciné par ce système, par le classement des mots mais aussi pour la particularité moléculaire des lettres qui permettent de créer ces mêmes mots et ainsi de mettre en œuvre un système de communication avec lequel les écrivains sont familiers puisqu’il constitue la matière première de l’écriture. C’est donc à titre d’écrivain que je m’adresse à vous aujourd’hui et non à titre de lieutenant-gouverneur ou autres fonctions qu’il m’a été donné d’occuper quoique celles-ci ne peuvent faire autre que de colorer et de modifier mon propos. (« Other Headings » 1)Chiasson a prononcé plusieurs variantes de ce discours sous forme d’abécédaire, en français et en anglais, quand ce n’est pas dans cette langue typiquement canadienne « à saute-mouton », avec une lettre décrite en français, la suivante en anglais et ainsi de suite. De par leur aspect fragmenté, les abécédaires ne permettent pas de développer en profondeur des idées, mais plutôt d’effleurer un grand nombre de sujets. L’abécédaire, une fois publié, devrait former un « beau livre », un « coffee-table book » comme disent les anglophones, de grand format et abondamment illustré. Une telle œuvre, de par sa nature même, n’est-elle pas destinée à être feuilletée plutôt que véritablement lue? Les œuvres de Chiasson cherchent-elles maintenant à « être belles » plutôt qu’à provoquer?

42 Dans son message inaugural, Herménégilde Chiasson disait : « L’artiste que je suis continuera de vivre avec le lieutenant-gouverneur que je suis devenu » (« Message du lieutenant-gouverneur »). Toutefois, en raison de son poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, Chiasson a dû garder un devoir de réserve. En tant que représentant de la reine, il devait observer une retenue dans l’expression de ses opinions, notamment politiques, sous peine de s’exposer à une sanction de la part des médias (voir Viau, « Les commémorations du 250e anniversaire » 46-48) et, tout probablement, à des réprimandes de la part du gouvernement. Était-il devenu semblable à ce personnage, comme il l’écrit dans Climats, qui « ne se laissait plus voir désormais qu’en présence de gens de pouvoir dans le ronron contrôlé d’un discours sans bavure » (82)?

Une cinquième saison?

Les écrivains sont des éveilleurs de conscience, leur silence ne peut être qu’indécent. (« D’ici là » 4)

43 Dans une existence « dont la synthèse, comme il l’écrit, nous échappe depuis toujours, dont les mouvements sont forcément imprévisibles et dont les conclusions sont heureusement aléatoires » (« Traversée » 77), que nous réserve Herménégilde Chiasson? Si Antonine Maillet a droit à un huitième jour de la semaine, comme l’indique le titre d’un de ses romans (voir Maillet, Le huitième jour), Chiasson mérite bien une cinquième saison, celle de la Renaissance. Après tout, comme il le disait : « L’Acadie ne serait-elle qu’une longue suite de renaissances? » (« Le cinéma acadien » 48). Il est difficile de croire que le polémiste se soit assagi, qu’il soit « devenu poli et silencieux et bientôt muet » (« Rives et dérives » 9). N’a-t-il pas écrit dans Climats au sujet d’un personnage trop paisible : « nous, qui l’avions vu si imbu de ferveur, nous savions qu’il ne dormait pas et qu’il veillait en secret sur ses réserves » (82)? Retrouvera-til ce qu’il décrivait comme ses « anciennes manies de guerrier mal armé et mal embouché » (« Rives » 9)?

44 L’Acadie est encore de nos jours une région où l’on ne peut passer sous silence ce qui choquait tant le poète : « le taux de chômage, le taux d’analphabétisme, le taux d’alcoolisme, le taux d’assimilation, le taux de suicide et toutes les autres réalités qui nous agressent » (« Triptyque » 5). La révolte est de mise lorsque le bilinguisme officiel de la province n’est souvent qu’un leurre et que l’Acadie voit ses institutions de langue fran-çaise remises en question au nom de l’efficacité administrative et fiscale. Comme l’écrivait Chiasson : « Il y a quelque chose d’humiliant à négocier constamment à la pièce, à l’usure, à la semaine, à la petite cuillère quand on sait que l’autre n’attend que le fléchissement pour enrayer les quelques droits, privilèges ou civilités gagnés de haute lutte et qui devraient exister de soi dans un rapport de respect mutuel » (« Rives » 9).

45 Chiasson n’a jamais pu consentir à « l’abnégation du réel » ni à cette tentative, comme il l’a écrit à une autre époque, de « nous déposséder, [de] nous rendre locataires sur un territoire dont nous tardons à prendre possession » (« Triptyque » 13). Dans le domaine de la littérature, les Éditions d’Acadie, qui furent à l’origine de la littérature acadienne, le magazine Ven’d’Est et la revue de création littéraire Éloizes ont disparu. À l’heure actuelle, il semblerait que l’Acadie traverse une période de transition et de doutes (en espérant que ce ne soit pas une période de confort et d’indifférence).

46 Que peut faire le poète? Témoigner de la grandeur de ce qu’on nomme l’Acadie, de ce lieu que les Acadiens continuent de réclamer, d’habiter et d’aménager, car « les artistes sont ceux qui ont changé la conscience ou du moins qui l’ont articulée, qui ont intuitionné le monde bien avant que les politiciens ne l’enferment dans leurs contradictions ou que les économistes ne l’inscrivent dans leurs colonnes de chiffres » (« Triptyque » 19). Herménégilde Chiasson n’a certainement pas dit son dernier mot. Dans les textes qu’il publie et dans les conférences qu’il prononce, il continue, comme il l’a toujours fait, de lutter pour que l’Acadie puisse se développer et se faire connaître, malgré cette « minorisation dans l’arrière-pays où l’on entend si peu et si mal parler de [n]ous» (« Rives » 13).

Ouvrages cités

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—. Grand-Pré : lieu de mémoire, lieu d’appartenance. Montréal : MNH, 2005.

Notes

1 Les textes que nous désignons comme des essais de Chiasson comprennent des articles publiés dans des revues, des actes de colloques, des préfaces et des discours sur l’art et sur l’Acadie. Plusieurs textes demeurent inédits. Je remercie Herménégilde Chiasson de m’avoir fait parvenir ces textes inédits. Une édition critique des essais de Chiasson est en préparation par Raoul Boudreau et David Lonergan, de l’Université de Moncton.

2 Après avoir complété un baccalauréat avec concentration en arts visuels et en fran-çais à l’Université de Moncton, Herménégilde Chiasson a suivi un stage de formation à la Guilde graphique de Montréal (1967). Il a ensuite obtenu un Bachelor of Fine Arts de la Mount Allison University (1972), à Sackville (N.-B.), une maîtrise en esthétique de l’Université de Paris 1 (Sorbonne) (1976), un diplôme de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (1977), à Paris, un Master of Fine Arts de la State University of New York (1981), à Rochester, et un doctorat de l’Université de Paris 1 (Sorbonne) (1983), avec une thèse portant sur « Les orientations dans la photographie américaine après 1950 ».

3 Il existe une importante littérature acadienne avant 1960. Toutefois, celle-ci était d’inspiration catholique et patriotique. Une telle littérature n’intéressait pas les jeunes écrivains qui tentaient de créer une littérature laïque et moderne.

4 À la Convention nationale de Miscouche (1884), les Acadiens avaient choisi comme devise nationale : L’union fait la force.

5 Chiasson s’en prend de façon violente à l’héritage d’Antonine Maillet. Toutefois, on ne peut réduire l’œuvre de Maillet à l’appellation « folklorique ». Maillet a édifié, pendant plus d’un demi-siècle, une œuvre qui forme une immense comédie humaine acadienne, une œuvre qui se développe de pièce de théâtre en roman en conte, pour le plus grand plaisir des lecteurs. Il est quelque peu étonnant que la gloire de Maillet ait été de passer pour une observatrice des petits ports côtiers de l’Acadie alors que son principal mérite est d’être une visionnaire passionnée qui a fait de son coin de pays une référence à portée universelle (voir Viau, Antonine Maillet). Chiasson modifiera son jugement au fil des ans et ira même jusqu’à vanter l’« importance » et l’« indiscutable contribution » de Maillet (« Trajectoire et nostalgie » 47).

6 « J’admets que pour ma part, a dit Jacques Savoie, exceptions faites de Massabielle, du Violon d’Arthur et de ma contribution musicale, mon travail artistique n’a jamais été très acadien » ([s.a.], « Table ronde » 207). Savoie laisse entendre qu’il y a aussi une question d’attribution de subventions à la base de toute cette querelle. En 1991, le long métrage Le violon d’Arthur a été réalisé par le Québécois Jean-Pierre Gariépy. La musique du film était de la violoniste Angèle Dubeau (qui avait hérité du stradivarius d’Arthur LeBlanc) et le rôle principal était tenu par un autre Québécois, Claude Gauthier. Toutefois, le scénario était de Jacques Savoie et une dizaine de comédiens acadiens faisaient partie de la distribution, sans compter les techniciens et assistants à la production. Le violon d’Arthur constituait la plus importante production cinématographique en Acadie jusqu’à ce jour, jouissant d’un budget de 750 000 $. Lors de la production du film, une querelle avait éclaté. Des artistes du Nouveau-Brunswick affirmaient être les seuls représentants authentiques de la culture acadienne, déniant ainsi toute légitimité aux Québécois, qui avaient « accaparé » le projet, et aux Acadiens de « l’extérieur ». Chiasson s’était fait le porte-parole du premier groupe et s’était élevé contre ces « organismes qui ont subventionné à gogo une entreprise dont la majeure partie des profits sont retournés au Québec » et contre les « artistes-ambassadeurs » (« Lecteur déçu » 12).

7 C’est peut-être pour mettre un point final à cette querelle que Chiasson prépare un récit, inspiré de La Divine Comédie de Dante, qui raconte le périple d’un cinéaste acadien qui, afin de réaliser un long métrage, fait la tournée des bailleurs de fonds gouvernementaux : Radio-Canada, Téléfilm Canada, Film Nouveau-Brunswick… Il y aurait même dans ce récit une Acadienne danseuse dans les bars de Montréal qui décrit son univers de paumés et l’Acadie folklorique qu’elle a quittée.

8 L’auteur de ces lignes a amplement écrit sur ce passé et ne peut que ressentir de l’agacement face à ce rejet de tout ce qui précède les années 1960. Peut-on oublier la Déportation, l’acte fondateur de la nation acadienne? Ne doit-on pas se pencher sur ce dossier litigieux où les historiens ont laissé trop de blancs? Pourquoi ne pas chercher à mettre au jour les documents « disparus » (qui ne cessent pourtant d’être sporadiquement « redécouverts ») ou enfouis dans les archives à l’étranger, qui nous permettraient de comprendre ce qui s’est vraiment passé en 1755? Ne serait-il pas temps d’étudier cet épisode de l’histoire acadienne avec objectivité plutôt que constamment chercher à l’obnubiler au nom de la « paix sociale »? Enfin, l’Acadie est plus ouverte et plus riche qu’auparavant de sorte qu’elle peut investir simultanément plusieurs champs de recherche, sans nuire au nouveau discours de l’acadianité.

9 L’hégémonie culturelle de Moncton demeure le sujet de querelles incessantes de la part des autres régions francophones de l’Acadie (et même de Fredericton). Chiasson rétablira un certain équilibre en affirmant que « l’Acadie ne s’est jamais réduite à Moncton. Même si cette ville est devenue, par la force de son infrastructure, une dimension importante de notre présence, il faut toujours garder à l’esprit qu’elle s’alimente à tout un arrière-pays qui lui donne son envergure et son importance » (« Visions » 14).

10 Le lieutenant-colonel Robert Monckton, officier britannique des troupes régulières, s’empara du fort Beauséjour en 1755 et mit en œuvre la déportation des Acadiens de la région de l’isthme de Chignectou et de la région de ce qui deviendra la ville de Moncton (qui a perdu le « k » du nom d’origine).

11 Le journal L’Acadie Nouvelle publia pendant des semaines des articles, des éditoriaux et des lettres de lecteurs au sujet de la nomination d’Herménégilde Chiasson au poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick (voir Boudreau, « L’écrivain »; Olscamp).

12 Les deux Acadiens qui ont précédemment été nommés lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, Hédard Robichaud et Gilbert Finn, provenaient du milieu de la politique et des affaires.