Through the case study of “A French Salon c. 1750–1760” (Royal Ontario Museum, Toronto) this article analyses the methodological and epistemological implications embedded in the process of (re) constructing, interpreting, and mediating historical narratives by the means of the period room. It examines how “story effects” are created and how the museum environment impacts their value as tools for the construction and dissemination of knowledge. This study elucidates the ambiguity of the relationship between history and fiction in the context of the construction of knowledge and encourages recognition of the heuristic potential of their conjunction in order to envision the role that can be played by the period room in today’s museum.
Grâce à l’étude de la pièce « Un salon français vers 1750–1760 » (Royal Ontario Museum, Toronto), cet article analyse les enjeux méthodologiques et épistémologiques associés au processus de (re) construction, d’interprétation et de médiation des récits historiques au moyen de la period room. Il examine comment des effets de récit y prennent forme et quels sont les effets de l’environnement muséal pour la valeur de ces derniers en tant qu’outil de construction et de transmission de connaissances. Cette étude contribue à élucider l’ambiguïté de la relation entre histoire et fiction dans le contexte de la construction des savoirs et invite à reconnaître les possibilités heuristiques de leur rencontre afin d’envisager le rôle actuel que peut jouer la period room.
1 Lieu de conservation, de présentation et d’interprétation de la culture matérielle, l’institution muséale est un endroit où de multiples histoires sont racontées. En plus des informations transmises au moyen des cartels, qui peuvent notamment raconter l’histoire ou les usages des objets exposés, d’autres récits se construisent visuellement et spatialement, que ce soit à travers les rapprochements entre différents artéfacts ou le circuit muséal lui-même (Bal 1996 : 1–12 ; Musées 2017)1 . Parmi toutes les stratégies muséographiques déployées au musée, les period rooms sont particulièrement propices à la construction de récits (Marchand 2017 : 49). Construites par l’institution muséale, ces représentations d’intérieurs domestiques résultent le plus souvent d’un assemblage de fragments architecturaux, de meubles et d’objets décoratifs, quotidiens ou artistiques2. Ces composantes, de provenances parfois fort diverses, sont mises en commun de manière à créer un ensemble unifié dont la cohésion estompe – voire rend invisible – les traces des interventions institutionnelles nécessaires à sa réalisation. Comparables à une scène de théâtre, les period rooms offrent ainsi un contexte évocateur qui rompt avec les galeries traditionnelles et favorise les rencontres entre des éléments variés. C’est précisément à travers ces rencontres, c’est-à-dire à travers la disposition des composantes dans l’espace, que des récits peuvent prendre forme.
2 L’histoire de la period room dans les musées européens et nord-américains a été largement traitée (Alexander 1964 ; Frye 1985 ; Parr 1963 ; Pilgrim 1978 ; Pons 1995 ; parmi d’autres) et sa spécificité par rapport aux autres stratégies muséales de mise en exposition contextualisée a été démontrée, notamment par Raymond Montpetit dans son analyse des muséographies analogiques (Montpetit 1996). Plus récemment, de nouvelles études de cas critiques ont mis en lumière certaines des implications intellectuelles, économiques, politiques ou sociales, pour n’en nommer que quelques-unes, de ce dispositif hérité du XIXe siècle (Griener 2010 ; Harris 2012 ; Poulot et al. 2016 ; Sparke et al. 2006). Or, malgré ce regain d’intérêt, qui s’observe aussi bien dans la littérature que dans la remise en valeur de period rooms au musée (par exemple au Musée du Louvre en 2014 et au Victoria and Albert Museum en 2015), plusieurs questions liées aux mécanismes internes de ce type de mise en exposition restent en suspens. C’est notamment le cas de la question du récit qui est peu examinée et dont l’étude permet d’approfondir notre compréhension des pratiques curatoriales complexes sollicitées par la mise en exposition de la period room.
3 Au moyen de l’étude de la pièce « Un salon français vers 1750–1760 » présentée au Royal Ontario Museum de Toronto (Fig. 1), cet article analyse certaines des implications méthodologiques et épistémologiques issues du processus de (re)construction, d’interprétation et de médiation des récits historiques au moyen de la period room au musée. La première partie traite de la matérialisation de l’histoire dans la period room en étudiant l’organisation syntaxique des éléments qui composent ce « salon français ». Elle montre ainsi comment la mise en exposition peut produire des « effets de récit » dont l’articulation repose sur l’investissement narratif du visiteur, et ce, peu importe la lecture qu’il ou elle fera de la mise en scène qui lui est proposée3 . La seconde partie considère les effets du contexte muséal pour la valeur du récit en tant qu’outil de construction et de transmission de connaissances. Elle révèle comment la period room articule les tensions entre la légitimité scientifique de l’institution et la valorisation de l’expérience des visiteurs. En fin de compte, cette étude contribue à expliquer l’ambiguïté de la relation entre histoire et fiction dans le contexte de la construction des savoirs et invite à reconnaître les possibilités heuristiques de leur rencontre afin d’envisager le rôle actuel que peut jouer la period room au musée.
4 Toutefois, avant d’entreprendre l’analyse de la pièce « Un salon français vers 1750–1760 », il est nécessaire de préciser de quel type de récit il est ici question. L’une des caractéristiques des period rooms muséales est, ainsi que leur nom l’indique, de faire référence au passé (Pilgrim 1978 : 5 ; Pons 1995 : 12–13). D’entrée de jeu, le choix des composantes et la mise en forme de l’ensemble posent donc le problème de la construction de récits historiques et, plus largement, d’une certaine version de l’histoire. Selon le mandat de l’institution et le contenu des collections, il pourra s’agir de l’histoire du quotidien, des mœurs ou des styles décoratifs et architecturaux, entre autres exemples. Par ailleurs, grâce à leur forme particulière, qui est celle d’un intérieur habituellement domestique, les period rooms offrent un environnement aisément identifiable en plus d’être généralement homogène sur les plans stylistiques et temporels. Le cadre apparemment familier et cohérent ainsi créé par le musée accroît la lisibilité du propos institutionnel tout en augmentant considérablement le pouvoir de séduction des period rooms auprès des publics (Kimball 1929 : 9 ; Medlam 2004 : 165 ; Montebello 1996 : 9 ; Montpetit 1996 : 56–57). Or la fascination qu’elles exercent s’accompagne d’une part de suspicion, phénomène qui, comme l’explique Jean-Marie Schaeffer, est souvent considéré comme le propre de la fiction. Cette attitude ambivalente, entre le désir d’être charmé par la fiction, le plaisir qui y est pris et la méfiance qui naît lorsque son charme est rompu, est à l’origine d’une critique du mimétisme héritée de la tradition platonicienne et qui a encore cours aujourd’hui (1999 : 21–23). En effet, n’est-il pas déconcertant de réaliser que nous nous sommes laissés prendre au jeu en toute connaissance de cause?
5 Dans ce contexte, les period rooms sont des véhicules privilégiés pour le déploiement de ce que j’appellerai la fiction historique au musée. Quoique leur dimension construite soit habituellement peu apparente, les period rooms sont le résultat de la combinaison de plusieurs éléments dont la mise en commun nécessite une part d’interprétation et même d’invention. Rares sont celles qui reconstituent de manière « archéologique » un intérieur ou qui sont le résultat de la transposition d’un environnement domestique au musée sans intervention de la part de l’institution4 – sans compter qu’un tel déplacement est déjà en lui-même une forme d’intervention. Leur mise en exposition, aussi réaliste et historiquement juste soit-elle, aura donc nécessairement une dimension fictive.
6 L’histoire et la fiction tendent à être considérées comme étant opposées. Paul Ricœur a toutefois bien montré les emprunts réciproques qui les lient, notamment en ce qui concerne la dimension narrative de ces deux types de récit. Ce faisant, il pose les bases théoriques et méthodologiques, ainsi qu’une perspective inédite à partir desquelles conceptualiser les termes de la fiction historique en milieu muséal et, plus particulièrement, dans le contexte de la period room. Pour Ricœur, quiconque ignore la « référence croisée » qui unit histoire et fiction privilégie une conception « positiviste de l’histoire » et « antiréférentielle de la littérature » (1983 : 154–55). Il soutient ainsi que toute œuvre de fiction renvoie, du moins métaphoriquement, à l’histoire qui, elle, comporte une part de fiction, le passé ne pouvant être reconstruit que par l’imagination (154). Quelles sont les conséquences de cette relation mutuelle pour la construction et la transmission de connaissances historiques dans le cadre particulier des period rooms présentées au musée?
7 Institution à vocation encyclopédique fondée en 1912 et ouverte au public en mars 1914, le Royal Ontario Museum de Toronto (ROM) conserve la plus importante collection d’arts décoratifs au Canada (Dickson 1986 : 35–37). Une partie de ces objets est exposée dans les Samuel European Galleries dont l’aile sud, organisée de manière chronologique, est intitulée « L’évolution des styles ». C’est dans la section « Rococo » de cette galerie que l’on retrouve la period room « Un salon français vers 1750–1760 ». À l’intérieur de cette pièce, formée d’une boiserie de chêne produite vers 1735 et provenant d’un hôtel particulier du quartier parisien du Marais (ROM, « Soo-Sou Acquisition, 968.98 a- »), des meubles, des objets décoratifs et quotidiens, ainsi que des accessoires sont organisés de manière à créer trois petites scènes. Ces dernières, que j’identifierai comme « Le thé » (au premier plan, à droite), « La correspondance » (au second plan, à droite), et « Le repas » (au premier plan, au centre) (Fig. 2), évoquent des activités pratiquées par la haute société française du XVIIIe siècle, classe sociale à laquelle réfèrent les cartels qui accompagnent la period room. Personne n’est présent dans ce salon qui semble pourtant habité. À droite, la porte légèrement entrouverte suggère que les occupants viennent à peine de quitter la pièce, partis vaquer à d’autres occupations. Le repas des deux convives est-il terminé ? Reviendront-ils pour le service des huîtres ? Devant cette scène prise sur le vif, le temps semble suspendu…
8 La scène du repas, la seule à être analysée ici, est la plus élaborée de cette period room. Deux fauteuils à la reine sont disposés de part et d’autre d’une table circulaire recouverte d’une nappe blanche dont les extrémités sont nouées. Trois assiettes, une fourchette et deux cuillers, ainsi que deux verres à pied y sont déposés. La table est également décorée d’une paire de chandeliers et de trois groupes de figurines en biscuit de porcelaine dure de Sèvres. Des fleurs, des huîtres et des citrons, tous artificiels, y sont ajoutés. Légèrement en retrait derrière la table principale, une table d’appoint est employée en guise de serviteur muet (Fig. 3). On y trouve un rafraîchissoir, deux verres à pied, ainsi qu’un seau contenant une bouteille de vin dont le bouchon de liège est posé sur le plateau. Deux assiettes creuses sont empilées par-dessus une serviette de table au niveau du plateau d’entretoise. D’autres serviettes, autour du seau à bouteille et laissées négligemment sur l’assise des sièges, complètent l’ensemble.
9 L’une des manières de procéder afin de traduire visuellement l’histoire des objets exposés dans la period room est d’intégrer des accessoires à la mise en scène. Dès le début du XXe siècle, des objets communs ne faisant pas nécessairement partie des collections et n’ayant qu’une faible, voire aucune, valeur historique, esthétique ou muséale ont été introduits dans des period rooms (Pilgrim 1978 : 8). Ces accessoires, tels que des lunettes, des chaussures ou un livre ouvert, par exemple, sont des détails qui ajoutent à la crédibilité de la pièce en produisant ce que Roland Barthes nomme « l’effet de réel » (Barthes 1968) et qui a été qualifié de lived-in look (Bryant 1999) ou d’effet de lived-in-ness par certains spécialistes anglophones de la period room (Ames 1967 : 10). Toutefois, bien que ces éléments contribuent à animer la scène, leur seule présence ne permet pas forcément de raconter une histoire, c’est-à-dire de produire du récit. La clef réside plutôt dans l’organisation syntaxique de l’ensemble, c’est-à-dire dans les interactions créées entre les objets. Dans le cas d’« Un salon français vers 1750–1760 », les fauteuils à la reine, la table d’appoint employée comme un serviteur muet et la table centrale (créée par le musée), constituent l’ossature de la mise en scène. Pour leur part, les différentes pièces de vaisselle, les flambeaux et les figurines de porcelaine produisent l’effet d’un espace habité. Par contre, c’est la position d’un siège, placé de biais, qui permet de suggérer que quelqu’un s’est levé. Et c’est grâce à l’ajout d’accessoires – les serviettes de table posées sur l’assise des fauteuils, les fausses huîtres et les faux citrons dans l’assiette – que le musée laisse sous-entendre qu’un repas a été interrompu. L’empilement des assiettes creuses sur le plateau d’entretoise de la table d’appoint, tout comme le bouchon de liège posé sur le plateau, corroborent cette idée en dénotant le désordre qui résulte de la consommation d’aliments.
10 Dans ce cas précis, la scénographie conjointe des objets des collections et des accessoires rend visibles des traces d’usage. Cette approche encourage les visiteurs à considérer les expôts non pas de manière strictement contemplative, mais plutôt du point de vue de leur valeur d’usage d’origine et, de surcroît, dans l’action. L’alliance de ce qui pourrait être considéré comme du « vrai » (les objets d’époque) et du « faux » (les accessoires contemporains) assure la transmission d’informations à propos du passé des objets à travers le rappel de leur vie pré-institutionnelle. Cette stratégie permet de (re)donner forme aux histoires dont ces objets furent jadis des acteurs. Par exemple, l’histoire de l’étiquette est suggérée par le choix et la disposition des couverts, de la vaisselle et des éléments de décor sur la table, tandis que celle des relations sociales est évoquée par l’intimité de la table dressée pour deux et la présence du serviteur muet. Qui plus est, en contribuant à montrer la trace des gestes qui, au moyen de ces objets, ont pu être performés dans un salon du XVIIIe siècle, la mise en scène inscrit visuellement et spatialement le passage du temps dans la period room. Elle contribue ainsi – et ce, en dépit de l’absence de personnages – à générer un registre narratif.
11 Le registre narratif dont il est ici question est de l’ordre des « effets de récit ». Par effets de récit j’entends l’invitation implicite faite aux visiteurs de constituer une histoire alors qu’ils sont confrontés à une structure lacunaire et fragmentée qui leur laisse entendre qu’il existe un récit potentiel bien qu’il ne soit pas nettement articulé. Plutôt que de formuler une histoire ayant un déroulement chronologique clairement établi, la mise en scène de cette period room propose une structure narrative ouverte et inachevée, composée de moments (le repas interrompu, mais également le thé et la correspondance si l’on tient compte des autres scènes présentées dans ce salon) dont l’articulation nécessite l’investissement narratif des visiteurs. Peu importe leur degré réel d’engagement par rapport à la mise en scène, ceux-ci sont néanmoins invités à puiser à la fois dans leurs connaissances (incluant celles qui leur sont transmises par le musée au moyen des cartels) et leur imaginaire, afin de configurer les traces des différents gestes qui leur sont montrés, c’est-à-dire de procéder à leur mise en intrigue.
12 Le concept des trois moments de la mimèsis5 de Paul Ricœur permet de mieux comprendre les enjeux intellectuels de la mise en œuvre de ce phénomène au sein de l’exposition. Ricœur a montré que le récit implique l’organisation de différents événements dans un certain ordre, et ce, de manière à dépasser la simple énumération en créant des liens entre eux grâce au principe structurant de la mise en intrigue (1983 : 127). Élaborée pour le domaine littéraire, cette idée peut être transposée à la sphère visuelle. Dans un premier temps, l’amont du texte, que Ricœur désigne par le concept de mimèsis I, constitue un répertoire de possibilités compréhensibles par le lecteur et l’auteur, et dans lequel ce dernier puise le matériau de son récit. Dans le cas de la pièce « Un salon français vers 1750–1760 », ce répertoire est celui de la vie dans un salon de l’époque et de celle des objets qui constituent la period room. Je précise toutefois que, si ces objets renvoient à un répertoire d’actions quotidiennes simples (prendre un repas, par exemple), l’histoire du mode de vie, des mœurs ou des hiérarchies sociales auxquelles ils ont pris part répondent à des codes qui échappent fort probablement à un grand nombre de visiteurs. L’intelligibilité du matériau de base du récit et, en fin de compte, la valeur heuristique de ce dernier en contexte muséal, repose donc sur des informations complémentaires transmises aux visiteurs au moyen des cartels, question à laquelle je reviendrai dans la seconde partie de cet article.
13 Puis, une fois configuré par l’auteur, le récit doit être lu : l’intrigue est ainsi mise en forme à travers ce que Ricœur nomme l’acte de « refiguration ». Il s’agit de l’aval du texte, c’est-à-dire de l’actualisation du récit par sa lecture dont le processus correspond à mimèsis III (1983 : 144–46). Quant à la mise en intrigue – ou mimèsis II –, il s’agit du moment central qui assure la cohésion syntagmatique du récit et dynamise son articulation narrative. Sorte de pivot qui, grâce à son pouvoir de configuration, institue la « littérarité de l’œuvre littéraire », la mise en intrigue opère la médiation entre l’amont et l’aval du texte (106).
14 Or, dans le cas de la period room à l’étude, le récit en lui-même ne fait pas l’objet d’une configuration stricte par l’auteur, ici l’instance muséale6. Le rôle du lecteur, ici le visiteur, ne consiste donc pas tant à refigurer le récit qu’à prendre en charge l’articulation des différents moments représentés et ainsi procéder de luimême à leur configuration en imaginant, à titre d’exemple, l’histoire d’un couple qui interrompt son dîner avant le service des huîtres et quitte le salon apparemment à la hâte, laissant derrière lui du désordre. Ainsi, en plus de contribuer à construire une histoire matérielle et à matérialiser cette histoire dans la salle d’exposition, les effets de récit en dynamisent la réception puisqu’ils incitent les visiteurs qui le souhaitent à prendre part à la construction des récits.
15 Certes, Ricœur a déjà démontré que l’auteur n’est pas l’unique responsable de la mise en intrigue dont le travail incombe parfois davantage au lecteur à travers l’acte de lecture (1983 : 144–62). Toutefois, la mise à distance de l’auteur a une portée épistémologique substantielle dans le musée où l’institution tend déjà à dénier son rôle en tant qu’énonciateur du discours. L’apparente neutralité qui y est traditionnellement privilégiée serait garante de la légitimité scientifique du propos. Le recours à la fiction semble écarté d’entrée de jeu. Dans le cas qui nous occupe, cela touche aussi bien la création de la period room que les récits qu’on y suggère au moyen de l’organisation syntaxique des objets. Quels sont alors les effets du contexte de présentation, c’est-à-dire l’institution muséale en elle-même, sur le fonctionnement des effets de récit ?
16 Nonobstant la conformité historique des moments quotidiens (re)créés dans la pièce « Un salon français vers 1750–1760 », les modalités de leur mise en scène au musée requièrent une part d’interprétation et même d’invention. Ils relèvent donc d’une logique que l’on pourrait décrire comme le « jeu du faire comme si » dont les termes sont, du moins en partie, ceux de la fiction, cette dernière n’étant pas synonyme de fausseté. L’un des principes qui sous-tendent la fiction est celui de la « feintise ludique partagée » (Schaeffer 1999 : 163). Jean-Marie Schaeffer explique que, en tant qu’activité mimétique, la feintise ludique ne vise pas à « réinstancier réellement la chose imitée », qui serait ici le passé, mais bien à produire quelque chose qui s’y apparente tout en étant distincte sur le plan ontologique (1999 : 99). Pour Schaeffer, « la fonction de la feintise ludique est de créer un univers imaginaire et d’amener le récepteur à s’immerger dans cet univers, elle n’est pas de l’induire à croire que cet univers imaginaire est l’univers réel » (156). À cet égard, Schaeffer souligne bien qu’« […] il ne suffit pas que l’inventeur d’une fiction ait l’intention de ne feindre que “pour de faux”, il faut encore que le récepteur reconnaisse cette intention et donc que le premier lui donne les moyens de le faire » (146).
17 Cet avertissement est particulièrement significatif dans le cas de la period room qui, grâce à son fort pouvoir d’évocation et à sa forme immersive, tend justement à brouiller les frontières entre le réel et l’imaginaire. Dans ces circonstances, un « accord intersubjectif » (Schaeffer 1999 : 147) entre l’énonciateur (ici le musée) et ses destinataires (les visiteurs) devient un rempart nécessaire afin d’éviter que la fiction ne glisse du côté du leurre et devienne une forme de simulacre, soit une imitation se donnant pour le réel. En effet, comme l’explique Schaeffer, la différence entre fiction et leurre réside non pas dans les moyens, soit la production de « mimèmessemblants », mais bien dans la fonction (1999 : 163–64). La fiction vise une immersion partielle qui, dans le cas qui nous occupe ici, encourage notamment l’acquisition de connaissances historiques au moyen des effets de récit, tandis que le leurre a plutôt pour but de tromper. La fiction doit donc être annoncée comme telle, de manière à instituer ce que Schaeffer nomme le « cadre pragmatique » dont le rôle est de délimiter l’espace de jeu (1999 : 162).
18 L’institution muséale en elle-même est partie prenante de ce cadre. Le musée n’a aucunement l’ambition de leurrer les visiteurs en ayant recours à la fiction historique. Mais l’effet de feintise ludique partagée est-il vraiment celui obtenu ? En allant au musée, les visiteurs s’attendent davantage à être en contact avec du « vrai » qu’avec de la fiction, comme lorsqu’ils vont au cinéma ou au théâtre par exemple. Cette attente est entre autres liée à l’aura d’authenticité qui entoure le musée, de même qu’à son mandat traditionnel qui n’est pas de générer des fictions, mais bien de transmettre des connaissances considérées véridiques7.
19 Dans le cas du Royal Ontario Museum, un musée d’histoire naturelle et culturelle où des minéraux, des fossiles, des squelettes de dinosaures et des animaux naturalisés côtoient des antiquités égyptiennes, des éléments architecturaux et des artéfacts de provenances diverses, la dimension scientifique des collections est omniprésente. La proximité entre les collections d’histoire naturelle et les arts dits décoratifs renforce le statut archéologique qui peut être attribué à la pièce « Un salon français vers 1750–1760 ». Les scènes qui y sont (re)créées paraissent d’autant plus réelles qu’elles semblent avoir été interrompues en cours d’action, apparemment pétrifiées (à l’instar de fossiles) plutôt que mises en scène. Cette situation complique d’autant plus les termes de la feintise ludique et laisse croire que l’« accord intersubjectif » identifié par Schaeffer pourrait potentiellement opérer à sens unique, c’est-à-dire depuis le seul point de vue de l’institution. Cette hypothèse trouve d’ailleurs des échos dans les analyses proposées par Julius Bryant qui souligne que, face aux period rooms, certains visiteurs sentent qu’ils sont « invités à lire les pièces comme de vrais espaces historiques » (1999 : 75).
20 L’appareil didactique qui accompagne ce salon joue ici un rôle à la fois déterminant et complexe. Composé de quatre textes thématiques et de trois reproductions de gravures du XVIIIe siècle8, il sert simultanément de support aux effets de récit et de stimulant pour leur articulation. D’une part, les informations qui y sont proposées permettent de soutenir la mise en scène, et donc les effets de récit, en leur donnant de la crédibilité. D’autre part, elles alimentent aussi leur articulation en faisant référence à un répertoire de moments et de gestes plus vaste que celui qui est montré dans la period room et que les visiteurs pourront, s’ils le souhaitent, intégrer au récit.
21 Concentrons-nous par exemple sur le texte transcrit au centre du cartel allongé situé devant la pièce et intitulé « Loisirs et divertissements ». Le contenu traite des usages multiples du salon en tant que « centre de la vie sociale et intellectuelle dans les hôtels particuliers » au XVIIIe siècle et raconte qu’à l’époque « les riches Parisiens se détendent après une soirée passée au théâtre ou à l’opéra, en prenant un repas intime au salon » (ROM, d’après la mise en exposition en 2013)9. À travers cette précision, l’institution invite les visiteurs à intégrer à leur lecture de la period room une sortie au théâtre ou à l’opéra qui précèderait le repas, bien qu’elle ne soit pas explicitement montrée dans la mise en scène. Le fait d’inscrire le salon dans le cadre plus général d’une certaine version de l’histoire socioculturelle du XVIIIe siècle contribue ainsi à élargir le réseau des récits auxquels prennent part les objets exposés.
22 La gravure Le souper fin, d’après Jean-Michel Moreau le Jeune, accompagne ce texte (Fig. 4). L’œuvre, nommée « Un souper intime à Paris » par le musée – une référence directe au contenu du texte thématique –, se distingue des autres reproduites sur les cartels puisqu’il s’agit du point de départ de la mise en scène du repas dans la period room10. La présence d’un serviteur muet et l’empilement des assiettes par-dessus une serviette de table au niveau du plateau d’entretoise, le rafraîchissoir garni de verres, les fleurs et les figurines de porcelaine sur la table ou encore les coins noués de la nappe sont au nombre des emprunts faits au travail pictural de l’artiste.
23 Toutefois, dans la juxtaposition entre le texte, l’image et la mise en scène des objets, la gravure de Moreau le Jeune semble surtout valorisée pour son statut documentaire, et ce, au détriment de sa dimension artistique. L’ambition didactique des informations communiquées aux visiteurs évacue toute considération esthétique par rapport à l’œuvre, tandis que la proximité temporelle entre cette dernière (1781)11 et la mise en scène du salon (vers 1750–1760) tend à suggérer un rapport d’euchronie (Didi-Huberman 2009 [2000]) qui renforce le rôle de témoin historique accordé à la gravure. Décrite comme un « repas du soir dans un élégant salon parisien où règne une atmosphère à la fois intime et raffinée » (ROM, d’après la mise en exposition en 2013), elle offre une preuve visuelle apparemment garante de la véracité des informations inscrites sur le cartel et de la mise en scène de la period room qui, par association, acquiert elle aussi un statut documentaire. Toutefois, un objet ne constitue pas nécessairement une preuve, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une œuvre d’art. Bien qu’il s’avère séduisant, surtout dans l’étude des intérieurs domestiques anciens, de considérer les œuvres picturales comme les témoins visuels d’une époque révolue et de sa culture matérielle, les représentations d’intérieurs – aussi ressemblantes soient-elles – sont des fictions qui composent un espace (Greig 2006 : 102–127).
24 La mise à l’écart de la part de fiction dans l’œuvre de Moreau le Jeune et, par la même occasion, dans la réalisation de ce salon, s’avère réductrice aussi bien pour la gravure que pour la period room. L’une des raisons est que cette approche occulte le fait que Le souper fin s’inscrit dans une série et qu’elle génère la construction de nombreux récits. En effet, cette gravure fait partie d’une suite d’estampes qui, contrairement à plusieurs des œuvres de Moreau le Jeune, n’a pas été créée en vue d’illustrer une œuvre littéraire préexistante, mais plutôt sous la forme d’un récit pictural autonome. Comme l’explique Bernardine Heller-Greenman, il s’agit d’une fiction en douze actes ayant pour thème le petit-maître et qui raconte la vaine recherche du plaisir à laquelle s’adonne un jeune aristocrate libertin (2002 : 61, 73–79)12.
25 Puis, au moment de sa publication par Johann-Heinrich Eberts en 1783, Le souper fin est la onzième d’une suite de douze gravures intitulée Troisième suite d’estampes, pour servir à l’histoire du costume en France dans le dix-huitième siècle13. Chaque illustration est alors accompagnée d’un texte composé d’après l’image, et non l’inverse. Ces textes, dont certains comportent d’ailleurs des digressions par rapport aux gravures, sont, selon Heller-Greenman, attribuables à l’éditeur Eberts (2002 : 74). Rédigé à la première personne du singulier, le récit qui accompagne Le souper fin raconte la soirée d’un étranger de passage à Paris qui, après avoir assisté à une représentation à la Comédie-Française, soupe en compagnie d’un marquis et de deux jeunes femmes aux mœurs apparemment légères. Quoique cette fiction ne soit nullement mentionnée par le musée, la parenté entre cette dernière, le texte du cartel et, corollairement, les effets de récit proposés dans la period room, est remarquable.
26 Relativement peu connue, la publication de 1783 est suivie par Le Monument du costume physique et moral de la fin du dix-huitième siècle, ou tableaux de la vie paru en 178914. Pour l’occasion, l’éditeur Eberts commande à Nicolas-Edme Rétif de La Bretonne de nouveaux textes qui accompagnent chaque gravure et créent des « tableaux de la vie » sous l’Ancien Régime. Devenu le vingt-quatrième tableau de la suite, Le souper fin est cette fois associé à une histoire d’amour platonique entre une jeune duchesse vertueuse mariée à un vieillard et un jeune duc époux d’une douairière qui partagent un souper lors duquel des propos libertins ont cours (Rétif de La Bretonne 1790 : 133–45).
27 Chacun à leur manière, ces deux courts récits se superposent à la trame narrative construite visuellement par Moreau le Jeune. Dans les deux cas, le texte puise dans les ressources de l’image et permet ensuite un retour sur celle-ci, alors que les personnages acquièrent une identité et que les fictions, littéraire et picturale, s’alimentent réciproquement. L’image fonctionne à la manière d’un déclencheur qui, telle une matrice narrative, contribue à générer un nombre potentiellement illimité de fictions. Les fictions historiques élaborées à travers le choix et la mise en espace des objets qui composent « Un salon français vers 1750–1760 » peuvent être considérées comme étant du nombre.
28 Les liens complexes et transhistoriques qui unissent ces différentes formes de fiction (picturale, littéraire, et matérielle) donnent un aperçu de la part de subjectivité nécessaire à la mise en exposition des produits de la culture matérielle du passé au musée, notamment la part de créativité impliquée dans la mise en scène d’une period room. Or, ni le contenu, ni même l’existence des récits de Moreau le Jeune, d’Eberts et de Rétif de la Bretonne ne sont mentionnés aux visiteurs. C’est la valeur documentaire de la représentation picturale qui est mise de l’avant, plutôt que son rôle au sein de la structure narrative de la Troisième suite d’estampes ainsi que sa capacité à générer des fictions. Ce choix a des conséquences épistémologiques puisqu’il contribue à valoriser la portée historique du salon français au détriment de sa dimension fictive. Plus précisément, la part de fiction au sein des effets de récit est minimisée. L’importance, notamment au niveau des processus cognitifs, de l’apport créatif des visiteurs qui sont invités à configurer les effets de récit d’une manière nécessairement personnelle et subjective, est elle aussi minorée.
29 Mais, plus important encore, la faveur accordée au statut documentaire de la gravure révèle l’un des défis que la rencontre entre fiction et histoire pose pour l’interprétation de la culture matérielle au musée. Dans un contexte où l’on tend généralement à opposer fiction et histoire, comment admettre les liens étroits qui les unissent sans compromettre l’autorité du discours muséal ? Reconnaître ouvertement que la structure syntaxique de la period room et les effets de récit qui en découlent ont un statut similaire aux textes d’Eberts et de Rétif de la Bretonne sur le plan créatif pourrait mener à une remise en question des récits historiques produits au moyen de l’appareil didactique en entier. En fin de compte, c’est même le récit consacré de la succession chronologique des styles, auquel participe « Un Salon français vers 1750–1760 » dans le parcours muséal, qui pourrait être compromis de l’intérieur – une conséquence problématique dans une galerie dont le fil narratif repose précisément sur « L’évolution des styles ».
30 À la lumière de cette analyse, il faut peut-être interpréter la tension qui existe entre le témoin historique et la fiction comme la formulation unique et simultanée d’une double adresse de la part du musée. L’une, garante de la légitimité scientifique de l’institution ; l’autre, valorisant les qualités humaines de l’expérience des visiteurs que l’on invite à devenir des agents actifs devant la period room plutôt que de simples spectateurs. Cette double adresse nous invite à repenser les termes de la relation entre fiction et histoire, aussi bien pour la construction du savoir historique que pour sa transmission grâce à la construction des fictions matérielles. Aussi, le fait de reconnaître les possibilités heuristiques de cette rencontre permet d’envisager sous un nouvel angle le rôle des multiples récits – historiques, fictifs, ou les deux – liés aux objets du passé et à la construction desquels ils participent à travers les modalités de leur mise en exposition au musée.
31 L’examen de la stratégie syntaxique privilégiée dans la pièce « Un salon français vers 1750–1760 » et, plus précisément, dans la scène du repas, met en lumière certains des paradoxes associés à la construction de récits dans l’exposition de la culture matérielle au musée. L’interdépendance entre les artéfacts historiques et les accessoires dans la mise en scène de l’histoire, la relation ambiguë entre histoire et fiction, de même que la tension entre la valeur documentaire et la valeur expérientielle de la period room sont de ce nombre. Grâce à l’agencement d’objets du XVIIIe siècle et d’accessoires afin de (re)créer les traces de gestes posés au quotidien, la syntaxe du salon français raconte une manière de vivre au sein de l’élite sociale française pendant les dernières décennies de l’Ancien Régime. Autrement dit, dans un rapport qui est de l’ordre de la synecdoque entre les moments fictifs ainsi présentés et l’histoire des mœurs, la matérialisation des traces d’usage assure le lien entre le récit de fiction et le récit historique. Cela montre bien comment le fait de mettre en scène une period room et, plus largement, de retracer les récits auxquels les objets du passé ont pris part, implique un travail de composition où histoire et imagination sont intimement liées. Qui plus est, en combinant la soi-disant objectivité du discours muséal et la subjectivité des visiteurs, les effets de récit générés dans cette pièce dynamisent le processus de réception de la version de l’histoire qui est privilégiée et matérialisée par le musée au moyen de ses collections.
32 En outre, en montrant la valeur d’usage des objets, la mise en scène renforce l’atmosphère déjà évocatrice de la period room, une particularité qui encourage les visiteurs à se projeter à l’intérieur de cette dernière. Dans le cas de la pièce à l’étude, ce phénomène est appuyé par un détail au premier abord anodin : la porte laissée entrouverte, à droite de la pièce, derrière la scène du thé. Malgré sa subtilité, cette ouverture suggère l’existence d’une autre pièce, voire d’un appartement, à l’intérieur duquel s’inscrirait ce salon. Ainsi, quoique le ou les usagers des lieux soient physiquement absents, cette ouverture évoque leur présence. Leur sortie, comme leur retour potentiel, confèrent à la scène une apparente instantanéité qui génère du suspense et contribue à induire un effet de réel (Barthes 1968 : 84–89) dans la period room qui, de composition muséale, semble accéder au statut de véritable salon français du XVIIIe siècle. Corollairement, la porte entrouverte suggère une vacance (temporaire) de l’usage de la pièce. Cette vacance favorise l’efficacité des effets de récit parce qu’elle ménage une place pour les visiteurs qui peuvent se figurer les différentes actions qui ont eu lieu dans ce salon, et même s’imaginer y prenant part, plus librement que si les personnages étaient effectivement présents. Cette idée s’inscrit dans la logique des propos de Montpetit qui a bien expliqué que la présence de mannequins minerait l’effet de réel dans la period room, tandis que leur absence favoriserait la « projection imaginaire » des visiteurs à l’intérieur de l’espace qui leur est présenté (1996 : 75, 96).
33 Par la même occasion, la mise en scène du salon français alimente le fantasme du voyage dans le temps qui est depuis longtemps associé à la period room à travers le stéréotype de la capsule temporelle. Lieu commun de la description des period rooms, la référence à la capsule temporelle était largement répandue au cours de la première moitié du XXe siècle. Kristina Wilson remarque qu’au moment de l’ouverture de l’American Wing du Metropolitan Museum of Art en 1924, les journaux et les magazines employaient cette expression afin de dépeindre les period rooms qui devenaient ainsi des « portails » permettant aux visiteurs de voyager vers le passé et ainsi de vivre l’expérience du quotidien de leurs ancêtres colonisateurs (2005 : 255–256). En vertu de l’autorité accordée à l’institution muséale, la capsule transposerait dans le présent un passé soi-disant véritable, oblitérant ainsi les années entre 1750 et aujourd’hui. Cette illusion souligne l’ambiguïté du rapport entre la spécificité matérielle de la period room (un espace construit, véhicule de fictions historiques) et la valeur de témoin du passé qui peut lui être accordée au musée.
34 Pour conclure, je soulignerai que, dans le contexte muséal canadien, le resurgissement de la France du XVIIIe siècle au détour d’un corridor porte une signification politique particulière qui ouvre vers d’autres récits. La décennie mise en scène dans « Un salon français vers 1750–1760 » correspond à celle marquée par la Guerre de Sept Ans (1756–1763) dont l’un des résultats est la conquête de la Nouvelle-France par l’Angleterre. En 1760, la capitulation de Montréal marque en quelque sorte la fin des salons français au Canada qui, du moins en principe, devraient désormais être remplacés par des salons anglais. Quoique ce conflit et ses enjeux ne soient pas traités dans l’exposition, la muséographie proposée par le Royal Ontario Museum raconte, consciemment ou non, cette rupture politique et culturelle. Les visiteurs qui tournent le dos à la period room française font face à un mur percé de trois fenêtres à travers lesquelles ils peuvent apercevoir une boiserie de la période géorgienne présentée sous la forme d’une autre period room, celle-ci intitulée « Un salon anglais vers 1750 », et dont le contenu vise à montrer les goûts d’un riche marchand anglais de l’époque.
35 Dans cette galerie dédiée à l’art européen, cette rupture politique est transmuée matériellement en une suite chronologique d’objets répondant à un enchaînement apparemment nécessaire, celui du récit de « L’évolution des styles ». Au fil de cette histoire matérielle, non seulement les normes esthétiques de l’élite française du XVIIIe siècle cèdent-elles leur place à celles de l’élite anglaise, mais elles se substituent également aux rivalités politiques des deux pays colonisateurs et aux enjeux linguistiques et identitaires toujours actuels qui en résultent.