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Formation de la représentativité culturelle des souvenirs touristiques artisanaux. Le cas de Hué, Viet Nam

Truong Tien Dung
Hué University of Foreign Languages

Abstract

Tourists are always interested in cultural representations of the visited destination, conveyed in several forms including handicraft souvenirs, which are some of the most acquired items. Despite their crucial importance to tourism studies, such cultural representations occupy a lesser place in the literature. This article explores the process of forming representative handicraft souvenirs in Vietnam. Relying on in-depth interviews with various tourism stakeholders, seven local and national cultural themes embodied in the artifacts inventoried after their purchase by Francophone tourists will be analyzed.

Résumé

Les touristes manifestent toujours de l’intérêt pour les représentations culturelles de la destination visitée, celles-ci étant véhiculées sous plusieurs formes, dont les souvenirs artisanaux, qui figurent toujours dans la liste des articles qu’ils achètent le plus volontiers. Cependant, malgré leur importance capitale, les représentations culturelles que véhiculent ces objets n’occupent qu’une place relativement réduite dans les travaux sur le sujet. Cet article vise par conséquent à comprendre le processus de formation de la représentativité du souvenir artisanal, avant de décrypter sept thématiques culturelles locales et nationales qu’incarnent ces artefacts inventoriés dans les achats de touristes francophones, au moyen d’entretiens approfondis avec divers acteurs touristiques.

1 Le tourisme, la culture et l’artisanat entretiennent depuis longtemps une triple relation étroite. L’artisanat constitue effectivement l’un des éléments culturels faisant partie des facteurs généraux déterminant l’attractivité touristique globale d’une destination (Ritchie et Zins 1978 dans Goeldner et Ritchie 2009 : 269). Par ailleurs, l’artisanat traduit et matérialise des cultures locales et régionales ; il sert d’indicateur sensible pour véhiculer des messages culturels significatifs entre le visité et le visiteur (Graburn 2006 : 32). Les aspects culturels relatifs à l’artisanat attirent aussi beaucoup l’attention des touristes. Ces derniers s’intéressent au contexte culturel dans lequel les objets artisanaux sont produits.

2 L’artisanat leur permet de découvrir la culture locale et la façon dont les populations locales pensent leur culture. En outre, comme l’artisanat transmet l’identité culturelle des créateurs, la production est considérée comme un moyen de préserver les traditions culturelles et de renforcer les institutions culturelles dans les communautés locales (Hu et Yu 2007 : 1085). Ainsi, les souvenirs artisanaux représentatifs reflètent-ils parfaitement ce triple lien entre le tourisme, la culture et l’artisanat.

Importance de la représentation culturelle des souvenirs artisanaux

3 Les souvenirs de type artisanal intéressent autant les chercheurs que les touristes. Les études de Littrell et al. (1994), Hu et Yu (2007), Wilkins (2011) et Kong et Chang (2012), par exemple, montrent entre autres que les produits artisanaux se trouvent toujours dans les trois premières places dans le palmarès des souvenirs achetés par les touristes. Quant aux chercheurs, dans leurs diverses catégorisations des souvenirs, ils réservent toujours une place privilégiée aux souvenirs artisanaux, plus particulièrement à ceux que l’on identifie comme étant « représentatifs ». Pourtant, les représentations culturelles que véhiculent ces derniers n’attirent que peu ou pas assez l’attention des chercheurs. En effet, la revue des recherches montre que les études sur les représentations touristiques portent, en grande partie, sur les images représentées dans des brochures, des guides touristiques, des cartes postales. Citons par exemple Jenkins (2003 : 318), dont la recherche aborde des photos et des brochures touristiques sur l’Australie ; il a identifié huit thèmes représentés : (1) les principaux monuments symboliques, (2) les paysages naturels, (3) les animaux, (4) les gens, (5) les sports actifs, (6) les activités passives, (7) les activités ludiques en groupe (group fun)et (8) les couples romantiques. À propos des représentations des cartes postales, Milman (2011, 2012), lors de ses recherches menées dans deux localisations différentes, Alanya (Turquie) en 2011 et Berlin en 2012, les a réparties en quatre types : réaliste, de type « réalité embellie » (refurbished reality), trompeur et fantaisiste. Fourcade (2005), quant à elle, a examiné les représentations culturelles traduites par les souvenirs qu’emportent des touristes aux racines arméniennes, relatifs à la religion, l’écriture, l’histoire. Tandis que Mariné-Roig (2011 : 184) a révélé, à travers les souvenirs vendus à Barcelone, cinq niveaux identitaires différents : l’identité espagnole  ; l’identité catalane barcelonaise  ; l’identité du club de football Barcelone ; l’identité globale avec des souvenirs marqués par la phrase « J’aime Barcelone » ; et d’autres identités, comme des chapeaux mexicains ou des T-shirts portant le nom d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie.

4 Il est à noter que les représentations culturelles portées par les souvenirs méritent une analyse plus détaillée dans la mesure où la représentation est un processus culturel important qui, avec l’identité, la production, la consommation et la régulation, forment le circuit de la culture à travers lequel doit passer toute analyse approfondie d’un texte culturel ou d’un artefact (Du Gay et al. 1997 : 3). De surcroît, les représentations culturelles ont une importance indéniable en ce qu’elles font partie intégrante des critères de choix des souvenirs artisanaux touristiques par les touristes, ces critères étant le savoir-faire de l’artisan, le lien culturel du souvenir, l’appréciation esthétique du touriste et la facilité de transport du souvenir (Hu et Yu, 2007 : 1080-1085).

5 Ce sont ces raisons qui me poussent à étudier davantage la représentation culturelle des souvenirs artisanaux, notamment à travers le cas de Hué, une ville touristique incontournable au Centre du Viêt Nam. Ainsi, la présente étude 1) analyse la définition du souvenir et ses diverses typologies ; 2) établit la formation du souvenir artisanal ; 3) identifie les principales thématiques culturelles véhiculées par les souvenirs artisanaux de Hué ; et 4) présente en détail un souvenir artisanal touristique représentatif de cette ville, le chapeau conique à poème.

Définition du « souvenir »

6 Le terme « souvenir » tire ses origines du latin subvenire (de sub « sous » et venire « venir »), «  survenir, se présenter à l’esprit (en parlant d’idées)  ». Dans le domaine du tourisme, il s’agit d’un « [o]bjet de qualité souvent médiocre proposé au touriste » (CNRTL 2014).

7 Le Grand Larousse illustré (2015 : 1091) donne deux définitions du souvenir en tant qu’objet, soit un « [o]bjet qui rappelle la mémoire de quelqu’un ou d’un événement » et un « [p]etit objet vendu aux touristes sur les lieux particulièrement visités ». Par ces définitions, le souvenir touristique se distingue d’emblée d’un souvenir général.

8 D’un point de vue plus scientifique, les souvenirs se définissent comme « les objets matériels qui servent de rappel significatif de personnes, lieux, événements ou expériences dans la biographie d’une personne » (Jafari 2000 : 547). Cette définition est partagée par Wilkins qui voit les souvenirs comme des « articles qui nous rappellent un événement ou un temps significatif dans notre vie et comprennent les articles payés et les articles gratuitement collectés » (2013: 40). Plus concrètement encore, les souvenirs touristiques se caractérisent comme « des objets culturels ou porteurs de culture, [...], produits à l’intention des touristes d’origine locale et internationale » (Fourcade 2005 : 253). Cette définition met donc l’accent sur l’aspect culturel et cet aspect culturel doit être représentatif.

Typologies de souvenirs

9 La catégorisation des souvenirs diffère selon les chercheurs et leur discipline. Hume (2014 : 5) affirme que, jusqu’à présent, les souvenirs sont divisés en deux groupes, soit les souvenirs échantillonnés et les souvenirs représentatifs (division proposée par Stewart, 1984). En réalité, plusieurs chercheurs, tels que MacCannell (1976), Gordon (1986), Fourcade (2005), Peters (2011), Wilkins (2011) et Collins-Kreiner et Zins (2013) ont proposé d’autres catégorisations.

10 Dean MacCannell a divisé les souvenirs touristiques en deux catégories : souvenirs de type d’image bidimensionnelle et souvenirs tridimensionnels réduits, tous deux suivis de marqueurs ou de signes (1976 : 149).

11 Susan Stewart catégorise également les souvenirs en deux ensembles distincts : les souvenirs « échantillons » et les souvenirs représentatifs ; l’accent n’est pas mis en revanche sur leurs dimensions. Les souvenirs du premier groupe, issus des expériences individuelles de leur propriétaire, sont souvent des échantillons et ne peuvent être considérés comme des biens de consommation généraux, comme une fleur séchée ou un ruban tiré d’un bouquet de corsage. Les souvenirs du deuxième groupe englobent les souvenirs des sites extérieurs qui, pour la plupart, sont souvent représentatifs et disponibles à la vente (Stewart 1984 : 138). Cependant, peu d’exemples de ce groupe ont été donnés. Cette catégorisation s’avère donc ambiguë. De plus, Stewart (1984) catégorise plutôt les souvenirs en général que les souvenirs touristiques.

12 Beverly Gordon, quant à elle, regroupe les souvenirs en cinq catégories s’articulant autour des représentations picturales (pictorial images), les souvenirs de type « fragments de pierre » (piece-of-the-rock), les souvenirs de raccourci symbolique (symbolic shorthand), les marqueurs (markers) et les produits locaux (local products) (Gordon 1986  : 140-144). Jusqu’à présent, la typologie formulée par Gordon reste pertinente et sert de référence à plusieurs recherches portant sur les souvenirs de type touristique. En se basant sur cette typologie, Fourcade, par exemple, divise les souvenirs en trois groupes : les produits locaux (y compris les produits artisanaux), les produits manufacturés et les images vues comme des objets unidimensionnels de nature picturale (ouvrages illustrés, photos de voyage) qui sont tous « susceptibles d’accueillir une quelconque représentation » et sont « investis d’un projet de sens » (Fourcade 2005 : 253).

13 Peters (2011) divise les souvenirs en deux groupes : les souvenirs banals, communs ou génériques d’une part, et les souvenirs uniques de l’autre. Ceux du premier groupe, comme les crayons, badges, torchons, aimants pour réfrigérateur, crèmes solaires, marque-pages, aliments et boissons, ressemblent aux articles de tous les jours que l’on trouve à la maison. Ces souvenirs portant le nom du lieu visité et des images de ce dernier font partie du groupe des « marqueurs » catégorisé par Gordon (Peters 2011 : 237, 239). Les souvenirs uniques, quant à eux, font référence aux souvenirs artisanaux, l’auteure (Peters 2011 : 235) mettant l’accent de son étude uniquement sur les souvenirs banals.

14 Collins-Kreiner et Zins (2013) proposent de diviser les souvenirs en deux catégories : les articles touristiques et les articles non touristiques. La première catégorie regroupe les souvenirs collectés par les touristes comme les instruments musicaux, les CD de musique locale, les billets d’entrée, les reçus d’hôtels et de restaurants, les plans et les brochures. La deuxième catégorie englobe les articles non touristiques qui commencent à rappeler au propriétaire son voyage seulement quand il est déjà rentré chez lui ou après une longue période de temps (2013 : 32-33). Ces objets peuvent être divisés en deux souscatégories : ceux acquis avant le départ et ayant servi durant le voyage, comme les vêtements et les équipements de voyage, et ceux achetés et utilisés pendant le voyage comme les vêtements, bijoux, livres, etc. La deuxième sous-catégorie comprend les objets achetés durant le voyage afin de les ramener à la maison tels que les bijoux et accessoires, produits de beauté, livres, sacs(33). Malgré les justifications des auteurs, cette catégorie mériterait d’être raffinée dans la mesure où elle mélange des objets porteurs de sens et de fonctions extrêmement différents. Prenons par exemple les billets d’entrée et les factures d’hôtels et de restaurants vus comme des souvenirs touristiques par ces deux chercheurs. S’ils entrent dans la catégorie des souvenirs touristiques, ce n’est pas au même titre que des objets achetés dans un atelier ou sur un marché, tels que des bijoux ou des vêtements, mais plutôt parce qu’ils incarnent des traces de l’expérience de voyage et des activités touristiques.

15 Quant à Hume (2014), il propose de subdiviser le deuxième groupe de souvenirs identifiés par Stewart (1984), les souvenirs représentatifs, en deux : les souvenirs artisanaux et les souvenirs représentatifs. Néanmoins, cette subdivision semble inadéquate car le premier type réfère à un mode de fabrication et le deuxième à une représentation. L’auteur compare ce qui ne se compare pas. Les souvenirs peuvent, selon lui, être répartis en trois catégories : souvenirs « échantillons », artisanaux et représentatifs. Ceux de la première catégorie sont effectivement collectés directement par le touriste dans le milieu visité sans aucune relation avec la population locale (2014 : 5). Les coquillages, cailloux, fleurs sauvages séchées et pressées illustrent bien cette catégorie. Les souvenirs artisanaux, eux, dépendent des matériaux et des traditions artisanales locales et incarnent souvent une valeur fonctionnelle ; ils constituent peut-être la catégorie la plus familière (122). On retrouve dans celle-ci, par exemple, les marque-pages, les figurines, les miniatures de navires en bois sculpté. La troisième catégorie, les souvenirs représentatifs, s’appuie sur le monde des images. Reposant sur le médium photographique, les souvenirs de ce type sont dominés par les artefacts bidimensionnels comme les cartes postales, les cartes de vœux ou les calendriers.

Formation du souvenir artisanal représentatif

16 Il est intéressant de noter que les diverses catégorisations font une place privilégiée aux souvenirs de type artisanal, plus particulièrement ceux que l’on identifie comme étant « représentatifs ». Ils constituent l’une des fines ramifications des familles de souvenirs et se distinguent par la densité de sens dont ils sont chargés. Afin de comprendre la trajectoire de ces objets, il semble important de les situer, de manière quasi généalogique, parmi les autres catégories de souvenirs (voir la Figure 1).

17 Au point de départ de la trajectoire du souvenir artisanal représentatif se trouve l’objet ou l’artefact. Celui-ci fonctionne comme un souvenir à condition qu’il soit consommé par le touriste (Hume 2014 : 5). Certains articles achetés avant et pendant le voyage rappellent à leur propriétaire une expérience individuelle, celle de la préparation ou du voyage lui-même. Le matériel de voyage et les guides touristiques appartiennent à cette catégorie, mais sont plutôt vus comme des souvenirs non touristiques. S’ajoutent alors des objets que les touristes collectent euxmêmes dans la nature, sans aucun contact avec la population visitée, tels que des coquillages, des papillons, des fleurs, des cailloux. Ces objets sont aussi considérés comme des souvenirs non touristiques. Cependant, une fois qu’ils sont vendus aux touristes comme marchandise, leur statut change ; ils deviennent des souvenirs touristiques. Une collection de fleurs séchées vendue sur un site touristique quelconque en est un exemple ; elle peut être qualifiée de « souvenir échantillon» (pour reprendre le terme de Hume expliquant le type de souvenir identifié par Stewart (1984). D’autres objets touristiques destinés à la vente sont fabriqués par les artisans ou les artistes. Ces derniers peuvent produire des souvenirs à la chaîne, à l’aide de machines ou à la main. Appelés « souvenirs artisanaux », ils peuvent être à leur tour subdivisés en deux catégories : souvenirs artisanaux ordinaires et souvenirs artisanaux représentatifs. Les souvenirs ordinaires sont ceux que les touristes peuvent trouver ici et là, des objets en céramique ou en bois ne portant aucune trace artistique et culturelle particulière bien qu’ils soient fabriqués relativement différemment les uns des autres par l’artisan. Les souvenirs artisanaux dits « représentatifs » témoignent d’un savoir-faire et portent la signature de l’artisan, mais surtout ils incarnent les marqueurs de l’identité culturelle et de l’histoire locale et/ou nationale (Hume 2014 : 139).

Fig. 1 Formation du souvenir artisanal représentatif.
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Représentation culturelle des souvenirs artisanaux de Hué

18 Avant d’analyser la représentativité des souvenirs artisanaux de Hué, il est nécessaire d’examiner les caractéristiques culturelles de cette ville.

Hué, capitale culturelle et bouddhique du Viêt Nam>

19 Hué, ville du Centre du Viêt Nam, fut la dernière capitale politique féodale du pays pendant 143 ans (1802-1945) sous la dynastie des Nguyen. Cette période royale a légué à la ville actuelle des valeurs culturelles qui ont donné naissance à la « culture de Hué », culture qui a été forgée en intégrant les flux de la culture folklorique (villageoise), ceux de la culture savante (royale) et ceux de la culture urbaine, sans aucune contradiction, ni élimination (Ngo 2005 : 52) L’autre valeur culturelle remarquable de Hué tient au bouddhisme. Cette ville est effectivement considérée comme la capitale bouddhique du Viêt Nam depuis la dynastie des Nguyen (McLeod et Nguyen 2001 : 51) par la présence du flux de la culture dite « de pagode », représentative de l’identité culturelle patrimoniale huéenne (Jansen-Verbeke et Go 1995 : 317).

20 Par ailleurs, Hué en particulier et le Viêt Nam en général ont également vécu la domination française à partir de 1885. Cette domination a laissé des traces, entre autres dans l’architecture de la ville avec le réseau des « maisons coloniales » et notamment le pont Truong Tien bâti par l’entreprise Eiffel. De nos jours, les deux pays, et notamment la France et la ville de Hué, continuent de nouer des collaborations, dont des échanges culturels.

Catégorisations des souvenirs artisanaux huéens

21 La recherche exploratoire, consistant en l’analyse de 70 questionnaires remplis par des touristes francophones et de celle d’entretiens approfondis menés avec divers acteurs touristiques, ont révélé les dix souvenirs représentatifs de Hué et/ou du Viêt Nam fabriqués dans cette ville (classés par ordre alphabétique) : l’Ao dai, l’art de Truc Chi, le chapeau conique à poème, le cerf-volant, l’émail de Hué, l’encens de santal, la fleur de lotus en papier, l’huile d’eucalyptus, le tableau brodé et le tissage zeng. Ces souvenirs peuvent être regroupés en différentes catégories.

Catégorisation selon les matériaux

22 Les souvenirs artisanaux identifiés peuvent être fabriqués dans un seul matériau ou résulter d’un mélange de matériaux. Pour les souvenirs produits à partir de matériaux uniques, il y a :

  • le tissu pour fabriquer des vêtements, des tableaux brodés ;
  • le papier pour fabriquer des fleurs de lotus ;
  • l’huile essentielle d’eucalyptus.

Cependant, plus nombreux sont les souvenirs composés de plusieurs matériaux. Le chapeau conique à poème est formé de feuilles de latanier, de bambou, de fil polymère attaché par une corde en tissu. Le cerf-volant se compose d’un fond en tissu et d’une armature en bambou, il est lancé par une corde de fil polymère. L’encens contient un mélange de sciure de bois et d’eau, sur un bâtonnet de bambou. Les objets en émail de Hué se font sur une base de cuivre recouverte d’émaux. Né plus récemment, l’art de Truc Chi marie le papier de bambou à d’autres matériaux comme le bois, le cuir, l’argent, etc., afin de fabriquer des produits originaux.

Catégorisation selon la source du métier

23 Les souvenirs peuvent être aussi catégorisés selon la source du métier. En effet, la fabrication des souvenirs de type artisanal provient de trois sources. Premièrement, elle peut consister en la perpétuation et le développement de métiers traditionnels. La fabrication des chapeaux coniques à poème, les baguettes d’encens et le tissage de zeng à Hué font partie de cette première catégorie. La deuxième source réside dans la renaissance des métiers traditionnels comme l’émail de Hué et les fleurs de lotus en papier. La troisième catégorie de métiers regroupe les nouveaux métiers qui se sont basés évidemment sur les anciens métiers. L’art de Truc Chi à Hué en est un exemple représentatif. Reposant sur les techniques traditionnelles de fabrication du papier, cet art y ajoute une valeur importante: la création de l’artisan. Chaque artisan exprime sa créativité en faisant de l’art de Truc Chi un art appliqué à fort potentiel.

Catégorisation selon les thématiques

24 Compte tenu de l’accent que met notre recherche sur la représentativité des souvenirs, le regroupement des souvenirs par thématiques s’avère pertinent. Cependant, cette catégorisation demeure complexe. Il faut d’abord analyser les souvenirs selon leur capacité de « se marier » avec des thèmes différents. En effet, certains d’entre eux se forment autour d’un thème ou d’un symbole, comme la fleur de lotus en papier et l’huile d’eucalyptus qui ne se marient pas avec d’autres thèmes ; autrement dit, ces souvenirs en tant que tels représentent un thème unique. On peut les qualifier de souvenirs monothématiques. L’Ao dai est déjà aussi un symbole qui ne se marie qu’avec quelques marqueurs comme des fleurs (lotus, chrysanthème, fleur d’abricotier) ou des caractères chinois stylisés (Bonheur, Richesse, Longévité). Les brocarts de zeng, qui mettent en valeur la culture de l’ethnie minoritaire Ta Oi, présentent des thèmes familiers de la vie quotidienne et de l’environnement tels que les animaux, les plantes et les fleurs ainsi que les cérémonies rituelles de leur ethnie. Les tableaux brodés, les produits en art de Truc Chi et en émail de Hué, quant à eux, montrent une grande liberté quant aux thèmes choisis. En résumé, il s’agit de souvenirs polythématiques qui peuvent être divisés encore en polythématique fermée et ouverte. Le chapeau conique à poème est un souvenir polythématique fermé, alors que les autres souvenirs polythématiques sont de type ouvert.

25 Il est ensuite à remarquer que les thèmes représentés varient, entre ceux qui appartiennent au registre populaire national et ceux qui s’inscrivent de manière plus précise dans l’imaginaire et la culture de Hué. La première thématique, fréquente dans les souvenirs, consiste en représentations de paysages, qu’ils soient naturels ou bâtis. La première sous-catégorie englobe les images populaires du pays telles que la campagne vietnamienne avec un village entouré de haies de bambous ; une rizière immense avec des enfants sur le dos des buffles qu’ils gardent ; des enfants révisant leurs leçons à l’école ou s’amusant ensemble avec des cerfs-volants ; un embarcadère avec des barques ombragées par un banian ; ou encore une maison communale dédiée au fondateur du village. Les quatre saisons apparaissent également dans plusieurs des souvenirs, de même que des paysages propres à Hué, comme la Rivière des Parfums ou le Mont royal de Hué. La deuxième sous-catégorie réunit plutôt les monuments symboliques de la ville tels que les sites appartenant à « l’Ensemble des monuments » de Hué comme la Cité Impériale, les tombeaux royaux des empereurs de la dynastie des Nguyen, la Pagode de la Dame Céleste, le pont Truong Tien (pont Clémenceau) ou encore le marché Dong Ba, le marché quotidien le plus important de la ville.

26 La flore, la faune et les objets constituent la deuxième thématique. La fleur d’abricotier, l’orchidée, le chrysanthème, la fleur de bambou, qui symbolisent respectivement les quatre saisons, ainsi que la fleur de lotus, double emblème du Viêt Nam et du bouddhisme, sont souvent figurés. Quant aux animaux, on retrouve fréquemment ceux qui sont dotés de pouvoirs surnaturels comme le dragon (symbole de la puissance impériale), la licorne (symbole de la fidélité mandarinale), la tortue (symbole de la longévité) et le phénix (symbole de la beauté féminine). Les cerfs-volants prennent souvent la forme de deux de ces animaux mentionnés, soit le dragon et le phénix, qui, ensemble, représentent l’union conjugale. Le thème de la chauve-souris, symbolisant le bonheur par son homophonie avec le mot sino-vietnamien, est parfois abordé, dans les souvenirs en émail de Hué par exemple. Le bateau-dragon utilisé autrefois par les empereurs à Hué appartient aux thèmes les plus souvent illustrés dans les souvenirs. En bref, il ne s’agit ici ni de végétation, ni d’animaux réels, mais plutôt de plantes et d’animaux symboliques.

27 La description précédente fait apparaître de surcroît un thème typique de Hué lié à son époque féodale, la royauté, qui est traduite non seulement par les monuments royaux, le bateaudragon impérial ou les animaux impériaux, mais aussi par la Pagode de la Dame Céleste, nommée « pagode nationale », construite et restaurée par les empereurs de l’époque.

28 Vient ensuite la thématique religieuse-philosophique qui incarne les éléments dominants des trois philosophies du Viêt Nam surtout connues à Hué, soit le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme. L’image de Bouddha, la fleur de lotus, la Tour de la Source du Bonheur de la Pagode de la Dame Céleste et les leçons bouddhiques symbolisent de manière récurrente le bouddhisme dont Hué est la capitale vietnamienne. Le confucianisme est connu par exemple par les cinq vertus de l’homme (humanité, fidélité, rites, connaissance et honnêteté) ou les quatre vertus de la femme (ménage, beauté, parole et conduite). Le taoïsme est abordé au sujet de l’amour familial ainsi que par les leçons de morale données aux enfants. Ces représentations sont souvent concrétisées par l’écriture, en caractères vietnamiens ou en caractères chinois stylisés et susceptibles d’être représentés sur divers matériaux. Les caractères forment ainsi une autre thématique. Les marqueurs (Gordon 1986) de ces destinations, « Hué » et les deux vers insérés dans le chapeau conique à poème, font aussi partie de cette thématique.

Tableau 1 Catégorisations des souvenirs artisanaux à Hué
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29 Les chiffres constituent une autre thématique intéressante incarnée dans les souvenirs. Les quatre fleurs symbolisant les saisons, les quatre animaux impériaux, les quatre vertus de la femme, les cinq vertus de l’homme, le chiffre sacré du bouddhisme, le sept, en sont de bons exemples. Les seize cerceaux en bambou du chapeau conique symbolisant l’âge de la maturité des Vietnamiennes constituent un autre cas intéressant.

30 L’histoire constitue une autre thématique d’importance à reconnaître. Cette thématique est souvent traduite par les monuments tels que le pont Clémenceau (vestige de l’époque coloniale française à Hué en particulier, et au Viêt Nam, en général) ou la Pagode de la Dame Céleste qui est la pagode la plus ancienne de la capitale du bouddhisme du Viêt Nam.

31 La catégorisation ci-dessus analyse les souvenirs en fonction de leur capacité de se combiner avec divers thèmes. En outre, une même image présentée sur un souvenir peut incarner plusieurs thèmes. La Tour de la Source du Bonheur de la Pagode de la Dame Céleste à Hué exemplifie bien cette représentation polythématique : le paysage bâti, le bouddhisme, la royauté, l’histoire et les chiffres. Cette image peut aussi être représentée sur plusieurs matériaux : sur le tissu des tableaux brodés, sur le papier et le bambou de l’art de Truc Chi et sur le cuivre de l’émail de Hué. Le deuxième exemple réside dans l’image du dragon, le premier des quatre animaux surnaturels symbolisant l’empereur dans la thématique royale ; en outre, en association avec le phénix, ils représentent l’union conjugale dans la thématique religieuse-philosophique.

32 La combinaison des trois méthodes de catégorisation précédemment abordée donne naissance à un tableau synthétique (voir le Tableau 1) où s’ajoute la valeur fonctionnelle des souvenirs ainsi que la représentation de leur échelle géoculturelle (adaptée de Hashimoto et Telfer 2007) en fonction de l’importance de la composante culturelle pour une destination donnée (Ritchie et Zins 1978 dans Goeldner et Ritchie 2009: 269).

33 En somme, les dix principaux souvenirs artisanaux huéens ont été enregistrés. Les représentations que véhiculent ces souvenirs, du point de vue géoculturel, peuvent être regroupées comme suit : l’Ao dai et le tableau brodé représentent le Viêt Nam ; le cerf-volant, le chapeau conique à poème, l’encens de santal, l’huile d’eucalyptus et le brocart de zeng symbolisent Hué. Notons également que les souvenirs à peine cités peuvent être fabriqués ailleurs, mais ceux confectionnés à Hué sont formés de matériaux locaux et/ou traduisent des identités locales. L’émail de Hué, la fleur de lotus en papier et l’art de Truc Chi représentent d’abord la ville où ils sont nés ; mais en raison de leur caractère identitaire unique pour le pays, ils parviennent à représenter le Viêt Nam.

34 La partie suivante consiste à analyser en détail les représentations culturelles d’un souvenir artisanal emblématique de Hué et, en quelque sorte, du Viêt Nam : le chapeau conique à poème.

Le chapeau conique à poème, souvenir représentatif huéen et vietnamien

35 Le chapeau conique à poème de Hué (Nón bài thơ en vietnamien, de nón qui signifie chapeau conique, et bài thơ, poème) fait partie de l’ensemble des chapeaux coniques vietnamiens, l’un des souvenirs populaires représentatifs de la culture du Viêt Nam (Thirumaran et al. 2014). Ces couvre-chefs ont comme matière première la feuille de latanier, espèce de palmier qui pousse en abondance dans les forêts de moyenne altitude du Viêt Nam. Plus particulièrement, le chapeau conique huéen est fabriqué à partir de feuilles de latanier de la région. Ce chapeau se distingue par la présence d’un poème et de motifs décoratifs symboliques de la ville, intégrés adroitement entre les deux couches de latanier. Ce qui est intéressant, c’est que ces symboles culturels ne se voient qu’à la lumière, comme l’illustrent mes photographies ci-contre. Le chapeau conique à poème, grâce au savoir-faire des artisans, est considéré non seulement comme un symbole culturel des villages artisanaux de Hué, mais aussi comme l’un des souvenirs préférés des visiteurs vietnamiens et étrangers (NOPIV 2010). De plus, il demeure le seul produit de Hué identifié par une indication géographique. Il s’agit d’un signe indiquant la source du produit qui caractérise le niveau de confiance des consommateurs en fonction de leur degré de connaissance du produit et de leur choix d’acheter ce produit (NOPIV 2014).

Fig. 2 Chapeau conique à poème de Hué à la lumière (vu d’en haut). Source : auteur (2014).
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Fig. 2.1 Poème inséré. Source: auteur (2014).
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Fig. 2.2 Image de la tour de la Source du Bonheur. Source: auteur (2014).
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Fig. 2.3 « Hué 2013 » encadré par un cœur. Source: auteur (2014).
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Fig. 2.4 Image du pont Truong Tien sur le chapeau, sur le timbre et le vrai pont. Source : auteur (2014), VOV (2015) et Tourisme Hué (2013).
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36 En général, un chapeau conique à poème comprend quatre motifs en papier (Fig. 2) : un poème (Fig. 2.1), la Tour de la Source du Bonheur (Fig. 2.2), « Hué et l’année » (Fig. 2.3) et le pont Truong Tien (Fig. 2.4). Le poème inséré dans le chapeau conique qui a fait sa renommée est celui-ci:

Ai ra xứ Huế mộng mơ
Mua về chiếc nón bài thơ làm quà
[Quiconque vient à Hué la poétique Achète un chapeau conique à poème comme cadeau]

37 Ces vers ont été composés par l’artisan Bui Quang Bac, considéré comme le créateur de ce type de chapeau dans les années 1959-1960.

38 Quant à la Tour de la Source du Bonheur, elle est une composante importante de la Pagode de la Dame Céleste, la plus ancienne de Hué, construite en 1601. Elle a été ainsi nommée parce que le seigneur qui l’a fait construire voulait rendre hommage à la Dame venant du ciel qui lui avait enjoint de construire une pagode à cet emplacement précis afin d’édifier son propre royaume. Il s’agissait d’une pagode nationale faisant partie des vingt beaux paysages de la Cité Impériale classés par l’empereur Thieu Tri, troisième empereur de la dynastie des Nguyen. Cette Tour de la Source du Bonheur a été construite en 1844 par le même empereur afin d’honorer le 80e anniversaire de sa grand-mère. D’une hauteur de 21 mètres, composée de sept étages, avec une statue de Bouddha en or sur chacun des étages, la tour domine l’entrée de la pagode. Le chiffre sept est un autre symbole à retenir. En plus du sens qui lui est attribué dans la vie quotidienne (7 jours de la semaine, 7 notes musicales, 7 couleurs de l’arc-en-ciel, 7 merveilles du monde), ce chiffre symbolise la totalité de l’espace (quatre directions) et la totalité du temps (trois temps : passé, présent et futur). Ce chiffre est aussi présent dans le christianisme avec notamment les 7 péchés capitaux, les 7 sacrements, les 7 vertus cardinales. Dans le bouddhisme, le chiffre sept demeure sacré, car plusieurs évènements lui sont liés : après sa naissance, Bouddha a marché 7 pas et sous chaque pas s’est épanouie une fleur de lotus ; 7 jours après sa naissance, sa mère est morte ; il a passé 7 fois 7 jours de méditation sous un banian (arbre de Bouddha) pour trouver le bon chemin en vue de sauver la vie du monde. Et ensuite il a passé encore 7 fois 7 ans à répandre sa doctrine. À noter également que Hué est reconnue comme la capitale bouddhique du Viêt Nam avec ses quelque 400 pagodes, petites et grandes. C’est pourquoi sa plus ancienne pagode, celle de la Dame Céleste (ainsi que la Tour de la Source du Bonheur) est évidemment devenue un symbole culturel, religieux et spirituel des Huéens.

39 La troisième image introduite dans le chapeau conique est le mot « Hué » suivi de l’année de fabrication, le tout étant entouré d’un cœur. Dans ce cas-ci, le chapeau a été confectionné en 2013. Il est question effectivement des marqueurs situant ce souvenir dans le temps et dans l’espace (Gordon 1986 : 142) qui aideront les visiteurs à mieux retenir le nom de la destination et la date de leur voyage.

40 Le pont Truong Tien est la quatrième et dernière image insérée. Ce pont traverse la Rivière des Parfums en divisant la ville de Hué en deux parties: la partie septentrionale tranquille et ancienne et la partie méridionale animée et moderne. Il a été reconstruit par l’entreprise Eiffel et a pris plusieurs noms, dont celui de Clémenceau sous la domination française en hommage à Georges Clémenceau, 76e président du Conseil des ministres français (1917-1920). Témoin du temps des guerres du pays, ce pont est un emblème culturel et historique de Hué, bien que quatre autres ponts y aient été édifiés ultérieurement. Le pont Truong Tien, emblématique de Hué, figure aussi dans la nouvelle collection philatélique de la Poste française comprenant trois timbres représentant les trois régions du Viêt Nam (Fig. 2.4).

41 Un autre attrait culturel à soulever réside dans le chiffre seize des cerceaux de bambou servant de support pour façonner le chapeau conique. En fait, le chiffre seize indique l’âge de la maturité chez les jeunes filles vietnamiennes, et c’est pour elles un sujet de grande fierté. La seizième nuit où la lune est pleine et ronde, la plus brillante, est la plus belle, comme l’âge d’une jeune fille (Nguyen 1970) :

Bàn tay xây lá, tay xuyên chỉ
Mười sáu vành, mười sáu trăng lên
[Les mains couvrent des feuilles, les doigts cousent le fil
Seize cerceaux, la seizième nuit où la lune est pleine]

42 Ainsi, le chapeau conique à poème de Hué représente la culture en incarnant l’histoire et la religion de la ville. Il faut noter également que les deux monuments représentés sont facilement accessibles : la Tour de la Source du Bonheur fait partie de la Pagode de la Dame Céleste, l’un des sites touristiques à ne pas manquer à Hué, tandis que le pont Clémenceau se situe juste au centre de la ville. Le chapeau conique à poème, une fois acheté, aide l’acquéreur à mémoriser son expérience de voyage.

43 En conclusion, les identités culturelles de Hué, ville connue comme la « capitale culturelle du Viêt Nam  », sont nettement représentées dans les souvenirs artisanaux à travers les sept thématiques enregistrées : les paysages; la flore, la faune et les objets ; les chiffres ; les caractères ; l’histoire ; la religion et la philosophie ; la royauté. Parmi ces sept thématiques, celle de la royauté est particulière, née de la période féodale de Hué.

Conclusion

44 La littérature passée en revue permet de donner une définition du souvenir artisanal représentatif. Ainsi, un tel souvenir peut être défini comme «  un objet acheté par un touriste qui a été principalement fabriqué à la main par un artisan qui représente la culture du lieu visité  ». Ce souvenir artisanal représentatif prouve également le triple lien étroit entre le tourisme, l’artisanat et la culture.

45 En outre, en se basant sur l’échelle géographique des souvenirs identifiée par Hashimoto et Telfer (2007) et considérant l’importance du lien culturel que les souvenirs tissent avec la destination visitée, la présente étude propose d’utiliser un terme plus spécifique, l’échelle géoculturelle des souvenirs.

46 L’importance des représentations culturelles traduites par les souvenirs artisanaux une fois déterminée, il faut la mettre en valeur afin de mieux répondre à l’authenticité culturelle que recherchent les touristes (Littrell et al. 1993 ; Fourcade 2005). Pourtant, «  [l]es souvenirs artisanaux à Hué sont quelque peu limités  » (communication personnelle, 15 juillet 2015). Ainsi, les autorités touristiques devraient penser à insérer dans les souvenirs d’autres symboles culturels représentatifs de cette ville étant donné sa réputation de « capitale culturelle du Viêt Nam ». Les emblèmes impériaux et bouddhiques seraient à ajouter, notamment les emblèmes porte-bonheur. Le premier emblème à incorporer est le khánh, un gong, outil bouddhique censé éveiller les bonzes en méditation – mais que l’on peut aussi symboliquement transposer dans la vie courante. À Hué, il reste encore un ancien gong à la Pagode de la Dame Céleste ; la ville l’a sélectionné pour l’insérer dans les panneaux de rues de la ville. Il a été aussi choisi comme logo par plusieurs entreprises, sociétés et associations huéennes. Le khánh sacré est d’autant plus significatif que son sens en sino-vietnamien désigne la félicité ou la bienvenue. Les touristes les achèteront certainement avec joie.

47 L’image de la chauve-souris, qui symbolise le bonheur parce que son nom se prononce de la même façon que le mot « bonheur » en sinovietnamien, est le deuxième emblème à présenter, surtout l’image des cinq chauves-souris représentant les cinq bonheurs (longévité, richesse, paix et santé, amour de la vertu et mort naturelle à un âge avancé) (Cadière 1919 dans BAVH 2013 : 289). L’image d’une chauve-souris qui garde dans sa bouche un gong, un ensemble symbolisant le bonheur et la félicité, intéresse davantage les touristes, notamment les touristes occidentaux qui rattachent l’image de la chauve-souris à la nuit et au malheur, signification contraire à celle qu’on lui donne au Viêt Nam.

48 Le troisième symbole, le sceau impérial, qui représente le pouvoir ultime de l’empereur et de la cour, plaira aux touristes s’il apparaît comme souvenir. La légende de la carpe surmontant les vagues violentes pour se transformer en dragon, symbole de la réussite des jeunes Vietnamiens aux trois concours mandarinaux successifs sous le régime féodal, après une longe période d’apprentissage, mérite d’être introduite dans les souvenirs afin de souligner l’importance des études dans une capitale culturelle comme Hué.

49 Les souvenirs artisanaux huéens traduisent non seulement la culture locale, mais aussi la culture nationale. En d’autres termes, ils contribuent à répandre l’image de la destination. De plus, ces représentations culturelles rendent les touristes curieux et contribuent principalement à les pousser à acheter des souvenirs artisanaux. Il s’avère quand même nécessaire d’étudier d’autres cas dans d’autres destinations avant de généraliser ces résultats. À l’intérieur du Viêt Nam, Hanoi sera un cas intéressant vu le nombre élevé de ses métiers d’artisanat ainsi que ses fameux trente-six quartiers de métiers. Des analyses comparatives pourront également être faites avec des pays en développement en Asie, en Afrique, en Amérique latine, voire avec des pays développés. Les résultats obtenus permettront de voir si les mécanismes liés à la mise en tourisme de l’artisanat sont transférables à d’autres cas.

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