1 Comme l’indique son titre, ce magnifique catalogue coédité par le Musée national des beaux-arts du Québec évoque la mode et ses représentations dans l’art québécois mais également dans diverses manifestations de la culture matérielle, depuis la Belle Époque jusqu’au milieu du XXe siècle. On comprend d’emblée que la volonté des concepteurs de ce projet n’était pas tant d’établir un bilan ou de proposer une critique rétrospective de la mode québécoise, mais plutôt d’en montrer la présence et l’impact chez les plus importants peintres québécois ou dans des éléments insoupçonnés du patrimoine du Québec. Les matériaux étudiés sont étonnamment variés : peinture et sculpture, mais aussi affiches publicitaires, photographies anciennes, cartes postales et vêtements en eux-mêmes.
2 Complément de l’exposition éponyme ayant eu lieu au Musée national des beaux-arts du Québec au début de 2012, ce collectif, Mode et apparence dans l’art québécois, 1880-1945, se subdivise en trois parties couvrant successivement les représentations de la mode au Québec, les images de la modernité québécoise du début du XXe siècle à partir de la mode, et enfin une série d’extrapolations où huit designers du XXIe siècle se réapproprient la mode du siècle précédent pour la reconstruire ou la recomposer. Cet exercice inusité de transposition ou de réactualisation de la mode d’autrefois, spécialement conçu pour cette exposition, impressionne par sa justesse de ton et par la beauté des toilettes créées exclusivement pour cette occasion (pp. 170-87). Chaque (re)création est illustrée dans le catalogue et ensuite brièvement commentée par son créateur (Christian Chenail, Marie Dooley, Philippe Dubuc, Yves-Jean Lacasse, etc.).
3 Parmi les peintres conviés dans cette célébration des beaux habits se trouvent Alfred Pellan, Adrien Hébert, Jean-Paul Lemieux, Omer Parent, Henri Dallaire, quelques anonymes et plusieurs artistes canadiens méconnus que l’on découvre parfois avec ravissement. Le principal apport de cet ouvrage est de montrer avec grâce la mode vestimentaire comme une dimension inhérente de l’art, non seulement pour dater une toile ou la mettre en contexte, mais surtout pour mettre en évidence le caractère éminemment moderne de la vie urbaine du Québec à une époque que certains de nos contemporains considèrent à tort comme ayant été noire ou correspondant à une société autrefois trop fermée sur elle-même. Les images reproduites ici prouvent éloquemment le contraire et nous incitent à nuancer considérablement cette perspective erronée.
4 Les textes sont pour la plupart clairs et très instructifs ; plusieurs auteurs abordent des dimensions souvent négligées de la mode et de l’histoire des mœurs au Québec, par exemple la disparition progressive du port du chapeau à partir des années 1960 car auparavant, la convention sociale voulait qu’un monsieur soit toujours couvert : « Un homme ne sort jamais tête nue, ne serait-ce que pour se “découvrir” », comme l’explique Véronique Borboën dans le chapitre le plus riche de l’ouvrage, intitulé « Pas d’élégance sans chapeau » (p. 78). D’autres textes étoffés s’intéressent à des dimensions ethnologiques fondamentales comme la représentation des classes sociales dans la peinture canadienne durant les années 1930 et 1940 (p. 113).
5 Ce collectif, Mode et apparence dans l’art québécois, 1880-1945, restera certainement le plus beau livre d’art à être paru au Canada en 2012. L’iconographie rassemble de véritables trésors parfois méconnus et éminemment représentatifs, par exemple un extrait du célèbre catalogue de vêtements du grand magasin montréalais Dupuis Frères de 1940 et du catalogue de son rival Eaton, daté de 1937 (p. 86). Ces pages sur la diffusion de la mode sont d’un grand intérêt ethnologique qui nous renseigne non seulement sur la mode mais aussi sur la diffusion des images de mode, sur les ventes postales au Canada (dès 1880) et sur l’impact de la publicité au début du XXe siècle (pp. 84-87). Cependant, comme c’est souvent le cas avec les publications du Musée national des beaux-arts du Québec, plusieurs reproductions apparaissent ici dans un format trop restreint où l’on réduit excessivement une image riche dans un petit coin de page, ce qui est souvent frustrant pour un ouvrage de grand format comme celui-ci (voir pp. 45, 66, 84, 86, 97, 107, 111, 126, 141). En revanche, on apprécie de retrouver ailleurs des détails de certaines toiles judicieusement commentées et agrandies sur une pleine page pour ce livre (voir pp. 6, 10, 54, 94, 108, 150).
6 Compte tenu de son originalité et de ses qualités éditoriales, Mode et apparence dans l’art québécois, 1880-1945 mérite de recevoir un large lectorat allant au-delà du cercle restreint des spécialistes en histoire de la mode et de la consommation ; on le recommanderait sans réserve non seulement dans les bibliothèques universitaires mais aussi dans les bibliothèques publiques, au Canada et ailleurs.