1 On considère souvent le cabinet de curiosités comme l’ancêtre du musée tel que nous le connaissons, présentant derrière une vitrine un ensemble d’objets divers recueillis au fil du temps et des voyages. Écrivain prolifique et par ailleurs collectionneur de longue date, Emmanuel Pierrat possède son propre cabinet de curiosités dont il partage ici les milliers de trouvailles en plus de 230 photographies (171) dans Les nouveaux cabinets de curiosités. Mais il ne s’agit pas là uniquement d’un album de photographies insolites; la réflexion proposée par Emmanuel Pierrat sur son parcours et ses collectes se veut actuelle et parfois jubilatoire.
2 L’auteur rappelle fort à propos que « c’est entre le XVIe et le XVIIe siècle que ce sont constitués les archétypes du cabinet de curiosités » (8). Mais Emmanuel Pierrat insiste pour distinguer le cabinet de curiosités de la simple collection d’objets en ajoutant un critère déterminant : l’éclectisme. C’est en effet par la diversité des objets réunis que l’on mesure et apprécie le cabinet de curiosités dont il dresse une liste assez contrastée : « arts populaire, religieux, brut ou d’avant-garde, instruments scientifiques, vanités, écorchés, objets érotiques et d’autres confectionnés au bagne, matériel de prestidigitation, de voyance, etc. » (8). En outre, il existe toute une psychologie propre aux détenteurs d’un cabinet de curiosités : « Certains n’ouvrent jamais leurs portes aux visiteurs, même parmi leurs proches » (8). Dans le cas d’un cabinet de curiosités, la recherche d’une cohérence ou d’un fil conducteur serait vaine : « L’apparente dispersion des achats sert de trait commun à ces curieux du XXIe siècle » (8).
3 Comme on pouvait s’y attendre, l’univers hétéroclite que proposent les photographies de Michel Reuss est éminemment insolite et témoigne d’un authentique « goût du pêle-mêle savamment composé » (60), combinant au fil des pages une multitude d’articles : masques chamaniques népalais (14), amulettes (58), textiles (du châle au chapeau exotique, 58), faïences et vaisselles (82), portraits (90), livres (94) et objets en tous genres (154). Ce musée personnel correspondant à ce type de nouveau cabinet de curiosités confirme parfaitement le principe premier de l’auteur voulant que le statut de la haute culture soit parfois bousculé par la basse culture et que le kitsch questionne parfois ce que d’autres considéreraient comme étant le bon goût : « le bizarre le dispute à l’espiègle, voire au sublime, le bibelot au chef-d’œuvre » (8). Par ailleurs, l’auteur insiste judicieusement sur l’aspect « mise en scène » inhérente au cabinet de curiosités (137).
4 Une autre dimension intéressante qui fait l’originalité de ce beau livre se situe dans la volonté réflexive de l’auteur qui explique avec sincérité son parcours et sa vision toute simple (mais non simpliste) face à l’acte de collectionner : « Je n’ai jamais eu la volonté de constituer un cabinet de curiosités ou quelque chose qui s’en rapproche : l’entassement qui fait “cabinet de curiosités” n’est que le résultat d’une accumulation dans le temps d’objets que je pose là où je le peux » (173). Ailleurs, il confesse que ses objets encombrent presque tout l’appartement où il vit, mais que sa chambre à coucher reste dénudée et vide : « Seul un objet nouvellement acquis peut entrer dans ma chambre » (171). Ces attitudes sont précieuses et nous plongent dans la réflexion ethnologique.
5 En somme, ces Nouveaux cabinets de curiosités constituent à la fois une démonstration exemplaire de ce genre tel qu’il existe de nos jours, mais aussi une défense et une illustration du cabinet de curiosités. S’il diffère sensiblement des anciens cabinets de curiosités des XVIe et XVIIe siècles, celui d’Emmanuel Pierrat n’en demeure pas moins fidèle à l’esprit des premiers modèles, tout en réunissant un contenu propre à notre époque. C’est un livre incontestablement réussi et assez unique en son genre. Le travail respectif du photographe et de l’éditeur est particulièrement soigné, donnant des images précises et bien cadrées qui couvrent souvent la pleine grandeur des pages. On sent une passion réelle et sincère qu’Emmanuel Pierrat accepte de partager pour notre plus grand intérêt. On ressort de cette visite privilégiée ébahi et conquis. On recommanderait ces Nouveaux cabinets de curiosités aux bibliothèques publiques car ce type d’ouvrage, au tirage limité, s’épuise rapidement.