1 Comme son titre l’indique, cet ouvrage richement illustré refait non pas l’histoire du cinéma québécois, mais bien l’histoire des salles où l’on projetait des films de toutes provenances depuis l’avènement du cinéma en 1896 jusqu’à une période toute récente. Pierre Pageau a longtemps enseigné l’histoire du cinéma au Cégep Ahuntsic et il peut à juste titre être considéré—avec son collègue Yves Lever—comme l’un de nos deux plus importants chercheurs en études cinématographiques au Québec.
2 Premier en son genre, ce livre de Pierre Pageau met en évidence plusieurs facettes rarement abordées dans les études cinématographiques au Québec : l’architecture, les transformations des édifices dédiés au cinéma, la valeur patrimoniale et parfois les fonctions multiples de ces lieux si nombreux où des projections publiques avaient lieu. Certains de ces endroits autrefois si fréquentés ont été oubliés, détruits, ou ont pris d’autres fonctions comme le Centre Durocher qui existe toujours sur la rue Saint-Vallier à Québec, mais où on ne projette plus de films (132).
3 Logiquement, l’ouvrage est organisé par régions et couvre une multitude d’endroits présentés alphabétiquement : Montréal et Québec, mais aussi Portneuf, Charlevoix, l’Abitibi-Témiscamingue, le Bas-Saint-Laurent, les Cantons-de-l’Est, Drummondville et le Centre du Québec, la Chaudière-Appalaches, la Côte-Nord, la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine, Lanaudière, les Laurentides, Trois-Rivières et la Mauricie, la Montérégie, l’Outaouais, le Saguenay, sans oublier le phénomène des cinéparcs (dont l’appellation correspond à un néologisme exclusivement québécois). Les dimensions ethnologiques sont étudiées avec enthousiasme et sans condescendance, avec une volonté sincère de saisir une partie essentielle de la culture populaire québécoise.
4 La force de ce livre admirable repose sur la richesse et la diversité de sa documentation, car au lieu de s’être uniquement concentré sur les grands centres (ce qui aurait été plus facile), l’auteur a rassemblé une iconographie inespérée sur toutes les régions du Québec. Ainsi, qui se souvient du théâtre Clarence à Baie-Saint-Paul (p. 130) ? Ou du cinéma Élite de Thetford Mines, qui deviendra en 1938 le Bey’s (p. 221) ? Ou encore de la salle du Domaine l’Estérel, à Lac-Masson (p. 290) ? Et que dire du cinéma Alouette de Saint-Raymond-de-Portneuf (p. 127) ? De plus, l’auteur a rassemblé de nombreux objets que la plupart des usagers n’ont pas conservés mais dont la valeur patrimoniale est évidente : des programmes annonçant les longs métrages à venir et les horaires des projections, par exemple au Théâtre Royal de Saint-Évariste-Station (p. 224).
5 Le travail colossal de Pierre Pageau impressionnera l’historien comme l’amoureux du patrimoine, et l’on ne saurait réduire ce livre à une simple collection d’images anciennes montrant l’extérieur et/ou l’intérieur de nos salles paroissiales et/ou commerciales. Minutieusement, l’auteur fournit les prix d’admission, les titres des films programmés, les noms des propriétaires, les organismes qui parrainent ces activités. Ainsi en 1935, on pouvait voir dans une salle obscure de Saint-Pascal (dans le Bas-Saint-Laurent) des films choisis par la Société Saint-Jean-Baptiste (p. 175). C’est par exemple dans ce type de salles en région que l’on pouvait assister à une projection des films de l’abbé Proulx sur la colonisation en Abitibi ; ces documentaires ont eu droit à une large diffusion au Québec et dans le Canada français, mais on se doutait bien qu’ils n’étaient pas projetés dans des grandes salles commerciales (p. 175). D’ailleurs, Pierre Pageau tient à identifier le circuit des salles parallèles ayant existé dans chaque région étudiée. Cette préoccupation sociologique visant à comprendre les réseaux alternatifs est une autre force de ce livre.
6 Plus qu’une référence sur l’histoire du cinéma au Québec, ce bilan sur Les Salles de cinéma au Québec, 1896-2008 servira aux chercheurs et aux historiens de plusieurs manières, par exemple dans sa description précise des premières infrastructures au moment de la colonisation en Abitibi, avec la première salle de cinéma ouverte à Rouyn en 1925 : la salle Régal (p. 140). C’était à l’époque du cinéma muet.
7 Il serait malaisé de vouloir formuler des critiques envers un ouvrage si enthousiasmant. Néanmoins, je me bornerai à trois remarques qui se veulent constructives. Tout d’abord, le texte ne comporte pas de notes en bas de page et il est impossible de connaître exactement l’origine ou les sources des renseignements réunis. Mais l’auteur reconnaît que sa bibliographie partielle ne peut ambitionner d’inclure les centaines d’ouvrages et almanachs consultés au fil des ans (pp. 412-14). Ma deuxième remarque touche les légendes accompagnant les photographies anciennes répertoriées ici : la plupart ne sont pas datées (car les originaux ne l’étaient probablement pas) ; on aurait toutefois apprécié que l’auteur en propose une datation approximative à partir des années d’existence de ces salles ou en se basant sur l’année de sortie des longs métrages qui étaient à l’affiche au moment de la prise des ces photographies. Mais on peut supposer que l’auteur fournit une date chaque fois que c’est possible de le faire avec exactitude, comme le confirment plusieurs exemples ici inclus (p. 142). Ma dernière remarque sera d’ordre éditorial : ce livre illustré comporte des dizaines d’images anciennes et rares, d’une grande valeur historique. On aurait aimé les retrouver dans un format beaucoup plus grand, compte tenu de leur intérêt et du format de l’ouvrage. Ce sera peut-être pour une prochaine édition. Ce serait souhaitable. Quant à la qualité des images choisies, on comprendra qu’aucune retouche n’a été faite par l’éditeur, ce qui peut expliquer le manque de contraste dans certains cas.
8 À l’évidence le meilleur livre sur le cinéma paru au Canada en 2009, cette magnifique synthèse sur Les Salles de cinéma au Québec, 1896-2008 est l’œuvre d’une vie de collecte patiente et de recherches passionnées. C’est un ouvrage de référence important et incomparable sur le patrimoine bâti du Québec qui sera essentiel pour les bibliothèques publiques de partout au pays. Les étudiants et les chercheurs en études cinématographiques, en architecture, en histoire du Québec en bénéficieront assurément. Le grand public appréciera tout autant le contenu de ce livre.