Editorial / Éditorial

Les musées et leurs collections, matérielles et immatérielles

Richard MacKinnon
Rédacteur en chef

1 Les articles de ce numéro de la Revue de la culture matérielle nous donnent une bonne idée des approches actuelles, en Amérique du Nord, de l’étude multidisciplinaire de la culture matérielle. Tous se penchent sur la manière dont la culture matérielle peut faire entendre de multiples voix, communiquant de multiples messages aux usa- gers, aux observateurs, aux fabricants et au grand public. Bret Edwards explore les multiples sens pris par le porte-voix au fil du temps. En le voyant d’abord comme un outil de communication sexué de l’ère patriarcale victorienne, Edwards démontre comment le porte-voix a acquis de nouveaux sens et de nouveaux usages quand les femmes et les Afro-américains ont commencé à l’employer dans leurs luttes pour le changement social tout au long du XXe siècle.

2 Quatre des articles de ce numéro s’attachent aux musées et à leurs collections, et nous procurent une nouvelle façon de lire les artefacts, leurs fabricants et leurs utilisateurs. Dans son article, Meghann Jack examine le rôle d’un musée local dans le façonnement de l’identité et du sentiment du lieu chez les résidents de la « nouvelle ville » de Harlow, en Essex (Angleterre). Ses recherches comprennent des entrevues avec le personnel du musée ainsi qu’avec des visiteurs, les deux groupes transmettant le sentiment de ce que signifie, pour les résidents du lieu, d’appartenir à Harlow. En suggérant que le musée est non seulement une représentation du temps, mais aussi qu’il est lié à la particularité de l’endroit, Jack voit le musée de Harlow comme le dépositaire des mémoires locales, où «  l’histoire, les histoires et les objets sont conservés et montrés comme des illustrations et des validations des fins d’une communauté particulière et du caractère distinctif du lieu » (48).

3 L’essai de Stacey Loyer établit la valeur de l’analyse et de l’interprétation des anciennes collections ethnographiques dans la production de nouvelles significations. La collection de l’ethnographe Frederick Wilkerson Waugh, qui avait rassemblé des artefacts provenant de la com- munauté Onkwehonwe dans un esprit colonial, peut procurer de nouveaux aperçus, de nouvelles con- nexions et compréhensions pour les membres des communautés autochtones d’aujourd’hui. L’auteur écrit qu’au fur et à mesure que des collections comme celle-ci deviennent plus accessibles à leurs communautés d’origine, « il se produit des pos- sibilités grandissantes d’établir de nouvelles con- nexions à travers elles – possibilités que n’avaient peut-être pas envisagées les collectionneurs, mais qui représentent des points de départ pour explorer de nouvelles directions, pour raconter des histoires et élaborer une histoire qui fait sens » (58).

4 L’article de Gary Hughes sur les baudriers des troupes royales et provinciales se penche sur l’influence de l’architecture néoclassique britan- nique sur l’orfèvre Lewis Feuter, qui créait des baudriers pour les troupes royales ou loyalistes durant la guerre d’Indépendance. Hughes discute de l’influence de l’architecte écossais Robert Adam sur les motifs néoclassiques produits par Feuter dans ses créations de la fin du XVIIIe siècle à New York. En citant Bonwick (1991), l’auteur remarque : « Il n’est pas étonnant qu’un loyaliste tel que Feuter ait pris note de l’évolution iconographique de l’autre côté de l’océan et ait espéré la perpétuation de la Grande-Bretagne en Amérique » (32).

5 Le commentaire d’exposition rédigé par Alena Buis se penche sur une exposition muséale d’importance, Dutch New York Between East and West : The World of Margrieta van Varick [Le New York hollandais entre l’Orient et l’Occident. Le monde de Margrieta van Varick], qui s’est tenue au Bard Centre (Centre universitaire Bard pour les Arts décoratifs, l’histoire du design et la culture matérielle) de New York. À partir du testament et de l’inventaire de succession de van Varick, les conservateurs ont eu la possibilité de monter une exposition d’objets – représentant les types de culture matérielle que van Varick aurait pu posséder – empruntés à des collections publiques et privées aux États-Unis et aux Pays-Bas. Comme le dit l’auteur : « l’exposition concrétise une ap- proche novatrice de la conservation muséale. Elle valorise l’exposition de la culture matérielle en tant que processus réflexif, soulignant l’engagement critique de l’équipe des conservateurs envers des objets souvent ignorés, et des histoires tout aussi délaissées » (69).

6 Outre la discussion relative aux musées et à leurs collections, l’autre thème qui se fait jour dans ce numéro est le lien inextricable entre le patrimoine culturel matériel et immatériel. La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (2003) appelle les chercheurs et les universitaires du monde entier à porter davantage attention au patrimoine culturel immatériel. Dans ce but, Mary Grow examine l’œuvre de l’architecte cambodgien Hok Sokol, qui s’implique dans la construction et la restauration de maisons de bois khmer dans son Cambodge natal. En incorporant la pratique traditionnelle de la cérémonie de l’érection d’une colonne à la conception et à la construction des maisons qu’il construit, Sokol adhère aux principes de la Convention sur le patrimoine culturel immatériel en « reconstituant une vision du monde et un héritage culturel qui ont été gravement menacés durant les années de violence (1975-1979) du régime des Khmers rouges » (60).

7 Il est intéressant de constater que deux des auteurs déjà mentionnés de ce numéro établissent également des connexions entre le matériel et l’immatériel. Meghann Jack signale que les con- servateurs du musée de Harlow font consciemment le choix de certains artefacts pour déclencher les mémoires de certains instants spécifiques du passé de la communauté, qui donneront aux visiteurs locaux une émotion commune ou partagée au sujet d’un temps ou d’un événement particulier de la ville. De même, Stacey Loyer démontre que le matériel, les photographies, les notes et les schémas ethnographiques laissés par F.W. Waugh véhiculent également « les images, le savoir et les voix de la communauté » (58) du passé jusqu’à nos jours.

8 C’est donc ensemble que les articles de ce numéro font entendre les voix multiples des musées et de leurs collections – tant matérielles qu’immatérielles – et des manières innovantes par lesquelles ils peuvent contribuer au développement d’interprétations renouvelées, de nouvelles con- nexions et de différentes manières de concevoir le patrimoine culturel.

Richard MacKinnon

Rédacteur en chef

References
Bonwick, Colin. 1991. The American Revolution. Charlottesville, NC: University of Virginia Press.
UNESCO. 2003. Convention for the Safeguarding of Intangible Cultural Heritage. See http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=en&pg=00006 (accessed January 10, 2012).