Book Reviews / Comptes rendus de livres
Les costumes régionaux. Entre mémoire et histoire.

Judith Rygiel
l’Université Carleton à Ottawa

Compte rendu de
Jean-Pierre Lethuillier, dir. 2009. Les costumes régionaux. Entre mémoire et histoire. Rennes : Presses Universitaire de Rennes.

Pp. 580, illustrations noir et blanc, ISBN: 978-2-7535-0829-3, 24.00 €.

1 Le costume régional comme document historique à part entière est le fil qui rejoint les quarante-six textes de cette nouvelle œuvre sur la culture rurale. Le choix du mot « costume » est délibéré, car il signifie l’affichage d’une identité associée à un groupe d’élite rurale ou d’une petite ville dans une région en particulier. Portés seulement lors des fêtes ou des cérémonies et non au quotidien, ces costumes construisaient, en effet, une carte mentale d’un territoire avec des codes implicites pour l’organisation sociale d’un groupe. En Europe occidentale, les premiers costumes régionaux seraient apparus vers la fin du XVIIIe siècle et ont atteint leur apogée vers la fin du XIXe siècle.

2 Jean-Pierre Lethuillier souligne dans son introduction que les costumes régionaux sont des documents oubliés ou mêmes ignorés comme sources historiques importantes. Souvent regardés comme des objets folkloriques pittoresques par les chercheurs du passé, ceux-ci n’avaient pas lié leur confection ni leurs usages aux grands thèmes historiques. Pourtant, les costumes sont devenus des marqueurs d’identité, une partie importante de l’économie, des précurseurs de modernité et des objets d’instrumentalisation.

3 Les textes de ce volume sont le fruit d’un colloque sur le costume régional tenu à Rennes, en France en 2007, ainsi que de journées d’études tenues aussi à Rennes fin 2007 et début 2008. Les organisateurs avaient lancé un défi aux chercheurs : « réfléchir sur la dimension culturelle du costume régional dans toute son intensité, en le confrontant aux concurrences d’autres identités susceptibles de s’exprimer par le vêtement, aux réalités techniques et économiques du travail textile et de sa confection en enquêtant sur les agents de sa patrimonialisation, à l’extérieur et à l’intérieur des provinces ». Ils encourageaient les chercheurs à réformer et démythifier l’histoire du costume régional en cherchant des sources complémentaires et de nouvelles problématiques, à reformuler les anciennes questions historiques et à partager sur les nouvelles méthodologies combinant souvent les faits de la culture matérielle, l’analyse des circuits économiques et l’anthropologie culturelle. La qualité des textes démontre que les chercheurs se sont mis à l’œuvre pour réaliser plusieurs des ces défis.

4 La grande majorité des textes privilégient la France, surtout la Bretagne, l’Alsace, la Normandie et la Provence, lieux où le costume aurait persisté jusqu’au début du XXe siècle. Quelques textes portent sur d’autres contrées telles que le Canada français, l’Écosse, l’Allemagne, la Martinique, l’Irlande, la Roumanie et Chypre. La majorité des textes sont écrits par des chercheurs féminins et portent sur les costumes régionaux féminins ; seulement sept textes sont écrits par des chercheurs masculins. Deux textes seulement abordent le costume masculin.

5 Daniel Roche, chercheur français renommé dans l’étude de la consommation et la culture des apparences1 sous l’Ancien Régime, souligne dans la préface les avancées faites par les chercheurs anglophones et le retard des chercheurs français dans les enquêtes sur le costume régional. Ce déficit a été comblé par les travaux des chercheurs de ce volume, qui ont abordé dans leurs études non seulement ceux qui portaient le costume régional, mais aussi ceux qui l’observaient (les dessinateurs, les peintres ou les voyageurs), ceux qui en parlaient (incluant auteurs, poètes ou romanciers), et ceux qui produisaient une image souvent fantasmée ou même idéologique (comme les médiateurs des mouvements régionalistes ou de politiques culturelles).

6 La division du volume en quatre grands thèmes, soit Patrimonialisation et instrumentalisation, Sources anciennes et nouvelles, Fabrication des costumes et circuits économiques, et enfin Constructions identitaires et abandons, suggère, au premier regard, un cloisonnement dans les recherches. Ce n’est pas le cas car les travaux d’une partie informent souvent les analyses d’une autre. Par exemple, la question de l’instrumentalisation peut avoir aussi des conséquences économiques, que l’on pense aux poupées folkloriques, aux souvenirs de voyage, aux fêtes organisées par les associations de folklore, aux pièces de théâtre, aux concours de costumes régionaux ou aux affiches touristiques, tous des sujets qui ont intéressé certains auteurs de cet ouvrage collectif. Deux sources modernes, la photographie et les patrons de costumes, comme le démontre B. Gatineau, sont devenues une source importante de revenus pour le petit musée alsacien qui avait collectionné et conservé les anciens costumes de la région, et finalement les a instrumentalisés.

7 Ce qui est remarquable, selon Jean-Pierre LeThuillier, dans son introduction aux thèmes conjoints d’instrumentalisation et de patrimonialisation, c’est la profondeur, l’ancienneté, la diversité et l’efficacité surprenante des pratiques d’instrumentalisation des costumes régionaux. Les textes qui dévoilent les facteurs idéologiques et politiques sont plus particulièrement à noter. D. Séréna-Allier présente un texte sur les efforts du mouvement du Félibrige pour sauvegarder les coutumes et la langue d’Oc dans le sud de la France à partir des années 1850 en se servant du costume féminin arlésien comme symbole de cette lutte patrimoniale. M. Le Guénic relate les efforts de Jean Charles-Brun, folkloriste et spécialiste en costume des provinces et membre important de la Fédération régionaliste et aussi du Félibrige, entre 1900 et 1940.

8 Un des marqueurs de modernité en France était le nouveau goût pour les textiles de luxe. Plusieurs auteurs offrent des analyses de ces textiles qui incluaient les cotonnades et soieries importées de l’Inde, des broderies blanches et des dentelles de la Normandie, de Tours et de Lorraine. Ces textiles sont devenus partie intrinsèque du costume, surtout en Bretagne, et attestent d’une certaine aisance économique, d’un goût particulier pour la consommation, tout en étant un marqueur des classes sociales, car seulement les plus riches pouvaient se les permettre. A. Le Gall-Sanquer et J-L. Richard se servent de l’inventaire d’un marchand de drap de Landerneau pour démontrer que cet attrait pour le luxe aurait commencé en Bretagne au XVIIIe siècle.

9 Plusieurs textes démontrent l’ingéniosité des chercheurs qui ont fouillé dans les archives judiciaires, soit les inventaires après-décès, les levées de corps et les actes de procédures criminelles pour y repérer des références vestimentaires. Ces vêtements servent de révélateurs des critères sociaux, géographiques, économiques et même des professions ou occupations des gens des lieux. Parmi les sources iconographiques, trois auteurs décrivent les vêtements trouvés dans le dépôt des estampes et des recueils de costume, dits « planches de costume  », qui servaient de souvenirs pour touristes et visiteurs, et les dessins de costumes dans les récits de voyageurs. Plusieurs auteurs soulignent le biais introduit par le fait de travailler avec ces sources anciennes. Est-ce que les artistes et les commentateurs des affaires judiciaires ou des récits de voyage offrent un portrait de la réalité, un préjugé ou une interprétation pour satisfaire certains autres goûts ?

10 Parmi les sources les plus nouvelles et méconnues pour l’étude du costume sont le lexique vestimentaire et la chanson. L’ethnographe D. Dossetto propose une évaluation ethnolinguistique des mots associés aux vêtements en Arles et en Provence, et É. Guillorel se sert de la chanson en langue bretonne pour une étude socioculturelle de l’Ancien Régime. La richesse de ces sources s’exprime dans la vue de l’intérieur offerte par les locaux et non par des gens de l’extérieur comme les voyageurs ; elles offrent aussi un contexte vivant, une description concise, une interprétation plus réelle que simplement descriptive.

11 Les textes de la dernière partie nous offrent des réflexions sur la construction identitaire à travers le costume dans d’autres pays et dans d’autres circonstances. Souvent ces costumes ont été inventés, tels les costumes de danse irlandais, les costumes religieux adaptés des modes féminines du XVIIIe siècle, ou inspirés par les dessins du XVIIIe siècle. L’approche ethnographique qu’utilise S. Appéré pour montrer le changement de valeur sociale de la coiffe chikolodenn en Finistère est une nouvelle méthodologie louable en recherche historique.

12 Les textes pluridisciplinaires de ce volume sont remarquables sous plusieurs aspects. Les communications démontrent une compréhension aiguë des problèmes associés au tri irréparable des sources primaires, telles que les costumes eux-mêmes, l’iconographie et les textes écrits. Les chercheurs ont fait des efforts appréciables pour approfondir l’historiographie française en décryptant les messages sociaux, économiques et idéologiques associés au costume régional. La richesse de leurs réflexions et les nouvelles méthodologies qu’ils ont apportées serviront de modèles aux autres chercheurs qui veulent utiliser le costume régional comme porte d’entrée de la culture complexe des milieux ruraux.

Note

1 D. Roche, La culture des apparences  : Une histoire du vêtement XVIIe-XVIIIe siècle, Fayard, 1989.